Retour sur 2023 #2/2 : deux ou trois choses que j’ai apprises

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Bilan de l'année : l'eau en première ligne

Un an de reportages auprès des acteurs du Puy-de-Dôme qui jouent un rôle dans la résilience du territoire, cela m’a beaucoup éclairée. Je savais beaucoup de choses de façon générale, vague ou plus pointue. Voici ce que j’ai appris, confirmé ou précisé sur le terrain.


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1. Le changement climatique, c’est maintenant

Quand on vit en ville, quand on ne cultive pas ses terres ou un bout de jardin depuis plusieurs décennies, quand on n’est pas exploitant d’une station de sports d’hiver ou gestionnaire d’un milieu naturel, le changement climatique peut paraître abstrait : une affaire de statistiques sur les records de chaleur, de pays lointains quand il s’agit de méga-feux au Canada, de vieilles personnes qui racontent comme des légendes des temps immémoriaux qu’en 1966 on circulait l’hiver en traineau dans les Combrailles…

Las ! Il m’a fallu à peine quelques mois sur le terrain pour me rendre compte que ma première question aux agriculteurs, naturalistes, gestionnaires de forêts ou de rivières – « ressentez-vous es effets du changement climatique ? » – était superflue.

Je pense à Annie Sauvat, me livrant ses questionnements sur les adaptations à imaginer pour le vignoble auvergnat, ou m’expliquant que certains de ses confrères viticulteurs commencent à planter des vignes sur les versants nord. Je pense à Pierre Feltz lâchant lors de notre rencontre : « Il faut considérer qu’on ne va plus tellement cultiver en été. » Je revois la vision troublante du lit totalement sec du Litroux, petit cours d’eau visité en octobre.

Vue du côteau de Boudes
Le côteau de Boudes exposé plein sud, implantation historique du vignoble, subit les effets du réchauffement climatique, additionné aux phénomènes d’épuisement des sols. Peu à peu, les vignerons cherchent des terrains plus favorables, y compris sur le versant nord du côteau.

Et que dire des agriculteurs de Billom qui ont en projet de créer des mégabassines ? Même si on a toutes les raisons de penser que leur solution est loin d’être la meilleure, pas plus que le mode de culture qu’ils perpétuent, force est de constater que le changement climatique fait partie de l’équation qui les pousse à rechercher des adaptations.

Et donc, j’ai changé de tactique. Désormais, je passe directement à la deuxième question : « Que faites-vous pour vous adapter au changement climatique ? » Et je retiens cette double leçon : parce que le changement climatique, c’est maintenant, les solutions ne doivent pas se penser à 2050. Et parce que le changement climatique est une problématique globale qu’on ne résoudra pas localement, il est urgent de s’y adapter. De préférence intelligemment, ce qui n’est pas si simple…

2. Vulnérabilités dans le Puy-de-Dôme : une histoire d’eau

Réchauffement, sécheresses, phénomènes extrêmes… Les mutations du climat nous tombent dessus en provenance de partout. Mais bien des facteurs aggravants proviennent de nos comportements locaux : ce qui ne signifie pas qu’ils n’existent qu’ici, mais qu’ils peuvent être corrigés ou rectifiés directement sur le territoire.

Exemple le plus frappant : l’eau. En faisant un petit bilan statistique de notre année éditoriale, je me suis rendu compte que c’est le sujet que nous avons le plus traité cette année. Parce que c’est la plus grande vulnérabilité dans notre département aujourd’hui ? Parce que nous ressentons une sensibilité particulière de notre lectorat sur le sujet ? Parce nous aimons tous les films d’épouvante ? Cochez la réponse qui vous convient, puis enfilez vos bottes et suivez-moi sur le terrain…

Les météorologues – par exemple Alexandre Letort – nous l’assurent : il tombe annuellement autant d’eau qu’avant, mais elle est de moins en moins bien répartie dans l’année, se concentrant en quelques épisodes de pluies très intenses. Cela, on n’y peut pas grand-chose localement…  

Mais le problème est aussi que cette eau ne reste pas sur le territoire, comme nous l’a expliqué par exemple Christian Amblard. J’ai été effrayée de voir s’accumuler, au fil de mes reportages, les témoignages de ce qu’on a fait à nos cours d’eau il y a quelques décennies : rivières, ruisseaux, rigoles infimes ont été massivement rectifiés, drainés, tout bonnement transformés en canaux. Le principe est simple : on squizze les méandres ou au mieux, on les fixe. En creusant des tranchées plus profondes que les lits naturels, ou en enrochant les rives. Ben oui, c’était pratique : des cours d’eau en ligne droite qui ne divaguent pas, ça fait plus de place autour pour les prairies, plus de facilité pour passer le tracteur dans les champs. Par la même occasion, on a réduit à peau de chagrin les autres obstacles gênants : ripisylves, haies, arbres isolés, étangs, zones humides…

Carte montrant le tracé de la Veyre.
Cette carte montre (trait bleu) le tracé de la Veyre qui alimente le lac d’Aydat : on distingue le parcours relativement rectiligne du cours d’eau calibré vers les années 1970, de la partie reméandrée plus récemment (à droite de la départementale 9). – Capture d’écran Google Maps

Une cinquantaine d’années plus tard, on remet beaucoup de moyens financiers, techniques et humains à défaire toute cette belle domestication du paysage. A Anzat-le-Luguet, pour atténuer les effets de la sécheresse ; à Aydat, pour sauver de la pollution et de l’eutrophisation le lieu de baignade favori des Clermontois ; du côté de Billom et Lezoux, pour ne pas transformer les rivières en oueds saisonniers et pour y faire revenir la faune aquatique…

La rivière Allier en elle-même, qui alimente une bonne partie de la population du Puy-de-Dôme en eau potable notamment, donne aussi des signes d’inquiétude, malgré la retenue d’eau de Naussac qui s’efforce de s’assurer que notre quasi-fleuve ne s’assèche pas en été… Ce qui n’est pas gagné pour les années à venir.

Je devrais aussi évoquer la qualité des eaux, mais je n’ai encore fait qu’effleurer ce sujet. Spoiler : il figure sur la longue liste de ce que j’aimerais creuser en 2024.

3. La forêt pour nous sauver ?

Il y a d’autres vulnérabilités qui ont dès maintenant de quoi inquiéter. Une de celles qui émeuvent toujours, c’est la fragilité des arbres. Est-ce parce que leur longévité (potentielle) nous fascine ? Ou parce qu’on a ancré dans nos têtes que la forêt est le puits de carbone qui nous sauvera ?

Pour qu’elles nous sauvent éventuellement, encore faut-il que les forêts soient en capacité de stocker le carbone longtemps. Et donc, que les arbres vieillissent, longtemps et en bonne santé. Hum, malheureusement nous n’y sommes pas tout à fait… La faute à la sécheresse et au réchauffement climatique, mais pas seulement.

Plantation de douglas dans le Forez
Forêt de résineux dans le Forez… Ou ne faut-il pas plutôt l’appeler “plantation d’arbres ?”

Des faits et chiffres spécifiques à notre territoire me remontent en mémoire : un tiers de nos forêts sont en réalité des plantations d’arbres, d’une seule espèce, destinés à être abattus en coupe rase à environ 70 ans. Ce qui est très jeune pour un arbre… sachant que les plantations d’après-guerre sont en train de parvenir à leur maturité économique et sont donc en train de passer du rôle de stockage à la libération de carbone. On aime !

Ajoutez que ces monocultures ne favorisent pas la biodiversité, mais sont au contraire propices à la propagation des parasites et maladies… Et l’on apprendra avec Morgane Malard, Dominique Jarlier ou Charles-Etienne Dupont que la forêt – surtout les résineux – se portent mal, et que beaucoup de forêts sont en dégénérescence. Peut mieux faire… La gestion des forêts évolue dans le bon sens, y compris par la règlementation. Mais comme il s’agit d’arbres, ça prend du temps.

4. Tout ce qu’on peut faire

Et puis bien sûr, il y a toute la place que nous prenons et qu’il faudrait réduire ou modifier pour laisser à notre environnement plus de capacité à se régénérer et à maintenir nos territoires dans un état habitable : consommation d’énergie, déplacements effrénés sur de courtes ou de longues distances, étalement urbain avec son corolaire d’artificialisation des sols, surconsommation qui épuise les ressources et produit une surabondance de déchets…

Cela se passe aussi bien à l’échelle planétaire qu’à l’échelle individuelle et, entre les deux, à celle des territoires et des collectifs. Nous ne résoudrons pas tout, mais nous pouvons donc nous mobiliser pour faire partie de la solution plutôt que du problème, comme on dit aujourd’hui couramment.

Des étudiants s'activent dans la cuisine de Lieu'topie
Le tiers-lieu étudiant LieU’topie à Clermont a pris en main la problématique de l’alimentation. Grâce au bénévolat, à de multiples partenariats, à la pratique du prix libre, à des actions anti-gaspillage notamment, ils parviennent à proposer de la nourriture saine, bio, locale à des conditions accessibles. Ils ont même désormais (notre photo) une cantine ouverte à tous deux fois par semaine.

Beaucoup de collectifs citoyens, d’associations, de collectivités et d’entreprises s’y attèlent. Voyez par exemple comment Pampa ou le collectif Recré s’emploient à développer le réemploi. Comment Rochias, Terre de Laine ou Suzanne Fayolle (re)développent des logiques de filière locale. Comment les étudiants de Lieutopie, les travailleurs handicapés de l’Esat d’Escolore ou les citoyens recrutés par le Plan alimentaire territorial du Grand Clermont et du Livradois Forez participent, chacun à leur manière, à un meilleur approvisionnement du territoire en légumes sains et locaux. Il y a mille manières d’entrer dans l’action.

5. Par quel bout prendre tout ça ?

Une chose me frappe : il faut de la complexité pour répondre à des situations complexes. A priori, les solutions simples, voire simplistes, sont déjà sur les rails. Certaines avec un certain succès, d’autres sans efficacité ou carrément aggravantes.

Une fois ces « gros cailloux » introduits dans le bocal, il reste à boucher les trous avec des graviers et même du sable fin. Derrière cette image se cache toutes ces initiatives qui s’attaquent aux crises, aux urgences, aux défaillances sociales et environnementales de façon beaucoup plus fine. Là où l’impératif de rentabilité a négligé les cas particuliers, les problèmes insolubles en « gros », les résistances à la globalisation… Ce rôle revient plus facilement à la petite échelle locale d’un territoire, exige souvent une multiplicité d’acteurs et requiert d’amalgamer plusieurs types de réponses.

La boutique de Terre de Laine
La boutique de Terre de Laine, à Saint-Pierre-Roche, propose aussi bien des vêtements (au premier plan) que de l’isolant pour le bâtiment, de la laine brute pour remplir des coussins et des couvertures (au fond). Des marchés de niche qui, mis bout à bout, permettent de trouver des débouchés aux laines du Massif central sous-utilisées.

Cas de figure typiques : l’expérimentation Territoire Zéro Chômeur à Thiers qui fournit 200 emplois pour les habitants de quartiers prioritaires, en recherchant une multitude de petits marchés non concurrentiels mais utiles au territoire ; ou dans un autre genre, la coopérative Terre de Laine, qui parvient à valoriser localement la laine locale en diversifiant ses produits, en multipliant ses partenaires de filière et en recherchant toutes sortes de marchés de niche : de l’isolant à la chaussette en passant par la laine brute, les tapis de yoga, les écheveaux à tricoter…

Ces solutions complexes s’inventent souvent dans les territoires isolés, ruraux, où la massification n’est pas possible. Témoin l’association Les Monts qui pétillent, quand elle prend à bras le corps mais par petites touches le problème de la mobilité dans le Forez : transport à la demande, promotion du vélo, « démobilité », réflexion autour d’une ligne de train interrompue, optimisation des bus scolaires et… tout ce qu’ils pourront inventer en mobilisant les imaginaires.

Démonstration de différents types de vélos
Au dernier festival des Monts qui pétillent : animations ludiques pour sensibiliser à la pratique des mobilités douces dans les campagnes.

Exemple qui illustre une autre facette de complexité : la nécessité, dans bien des cas, de dépasser les limites administratives ; Violette Auberger nous explique ainsi toute la richesse d’un travail sur deux communautés de communes et même sur deux départements.

Mais on a pu constater aussi l’importance de travailler la question de l’eau dans une logique de bassin versant, que ce soit à grande échelle sur le système Loire-Allier, ou plus localement pour les contrats territoriaux de rivière du Litroux-Jauron ou de la Veyre. Quant à la Médiathèque Entre Dore et Allier, financée par la communauté de communes du même nom, elle a fait le choix de s’ouvrir – gratuitement – à tous les publics, même n’habitant pas sur le territoire, ce qui favorise fréquentation, brassage et dynamisme.

6. L’art de s’organiser en collectif

C’est une dernière chose que je retiens de cette année à scruter les associations qui s’engagent dans la préservation et la résilience de notre territoire : le collectif doit d’abord veiller à se préserver et à être lui-même résilient. Et ce n’est pas si simple. Voici donc quelques ficelles picorées chez ceux qui réussissent.

L’important est d’abord de bien dimensionner le territoire en fonction de la problématique abordée, mais aussi des moyens mobilisables. On a pu ainsi observer comment l’association Zéro Déchet Cébazat et Environs, avec son échelle territoriale modeste, avait perduré là où Zéro Déchet Clermont, qui visait un fonctionnement sur toute l’Auvergne, n’a pas réussi à trouver la cohésion nécessaire à sa pérennité. De même, certains collectifs bénévoles, en voulant au maximum profiter de l’opportunité de financement du Budget écologique citoyen, se sont parfois trouvés en difficulté pour avoir vu trop grand, ou ont dû revoir leur stratégie comme Arverne Durable, qui a décalé dans le temps un de ses deux axes de l’année 2023. Le temps étant un facteur précieux, qu’il faut pouvoir tenir, comme nous l’enseigne l’expérience de Montcel Durable.

Discussions à l'AG de Zéro Déchets Cébazat
Les membres de Zéro Déchets Cébazat et Alentours pendant leur assemblée générale. L’association a opté pour un mode de décision collégial, par un groupe de sept personnes mais ouvert à tous les adhérents qui veulent se joindre aux réunions.

Ensuite, s’organiser pour que ce ne soit pas toujours les mêmes qui fassent tout, pour que tout ne repose pas sur les épaules d’un bureau restreint ou d’un président hyper-actif. La tendance parmi les associations récentes est à plus d’horizontalité, avec une gouvernance collégiale : on découvre peu à peu qu’il n’y a pas de nécessité d’avoir un président, un trésorier ou un secrétaire, du moment qu’un responsable juridique est identifié par la préfecture, un titulaire du compte en banque par la banque, et qu’on a défini des règles de décision collégiale, que ce soit par majorité, unanimité, par consentement, par consensus… Les administrations ont parfois du mal à le comprendre, mais en insistant un peu, rien n’est impossible et les associations s’en portent souvent mieux, comme nous l’apprennent par exemple l’Association du jardin-forêt de La Cartade, le tiers-lieu Les Lococotiers, l’épicerie associative Loub’épice.

A cette collégialité s’ajoute généralement un fonctionnement en groupes de travail : important pour répartir les tâches, mais aussi pour bénéficier à plein de la diversité des profils et des compétences. C’est un autre ingrédient secret : dans une même association, on peut trouver un rôle à ceux qui aiment les travaux physiques, ceux qui écrivent, ceux qui comptent, ceux qui montent des dossiers, ceux qui portent la parole, etc. Cela, je l’ai expérimenté personnellement, comme je le raconte dans mon expérience d’implication dans l’association Trois Gouttes d’eau de mon village.

Répartition du travail sur un chantier participatif
Chantier participatif à La Cartade. L’association a opté pour un fonctionnement en groupes de travail, qui permet de mieux répartir les tâches et de préserver la dynamique… même par temps de gel !

Avec tout ça, beaucoup de membres des collectifs rencontrés témoignent à la fois de l’enthousiasme et du sens qu’ils trouvent à s’engager pour agir ensemble, et même du bonheur d’apprendre sur des sujets dont ils finissent par devenir experts.

Et pourtant, presque tous font part de leur difficulté à recruter des bénévoles, que ce soit à France Nature Environnement pour gérer le site Sentinelle de la Nature, à la Ligue pour la protection des oiseaux pour le Centre de Sauvegarde, dans les actions de secours et de solidarité de la Croix Rouge ou bien d’autres.

Alors voilà : si vous êtes à court de bonnes résolutions pour l’année qui se profile, Tikographie vous a donné des tas d’idées ici. Vous voyez ce qu’il vous reste à faire !


Texte Marie-Pierre Demarty. Photos également, sauf mention contraire.

A la une : l’Angaud, qui traverse Billom, fait partie du bassin versant objet du contrat territorial de rivière du Litroux-Jauron. Un gros travail doit être accompli pour redonner à ce système hydrographique des conditions satisfaisantes, en termes de qualité et de débit des eaux.

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