Pourquoi Rochias s’engage dans la Convention des entreprises pour le Climat du Massif central

Après la Convention des entreprises pour le Climat nationale et les premières déclinaisons régionales, la CEC Massif central sera lancée officiellement mardi. Vingt-cinq entreprises se sont engagées. Dont Rochias.


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Le pourquoi et le comment

Soyons honnêtes : il n’est pas facile d’aller s’intéresser aux bonnes pratiques des entreprises en matière d’écologie, d’action pour le climat et pour la résilience environnementale. Après tout, leur but premier est en principe de faire des profits et on a toujours la crainte de tomber sur un petit (ou un gros) soupçon de greenwashing.

Mais comme on aime bien montrer que le monde économique a un rôle primordial à jouer sur toutes ces questions, nous sommes toujours à l’affût des indices qui pourraient nous mener aux initiatives vraiment sincères et efficientes.

Démarche très volontariste et engageante, la Convention des entreprises pour le climat nous a à ce sujet paru un angle d’approche assez fiable : s’il s’agit seulement de communiquer en surfant sur la vague verte, on ne va pas s’investir autant. Au pire, si c’est le cas, il y a de fortes chances pour que le mouton noir soit bien ébranlé au passage et modifie en profondeur son angle de vue. Ce ne sera pas si mal.

Voilà comment j’en suis arrivée à piocher dans la liste des quinze entreprises pionnières qui se sont engagées les premières dans la démarche Massif central. Et à demander à l’une d’elles ce qui l’a convaincue d’y participer.

Comme cette CEC locale s’ouvre dans moins d’une semaine, c’était l’occasion.

Marie-Pierre


Information sur notre prochain événement

Dès le rond-point à l’entrée de la zone industrielle de Lavaur, tout au sud d’Issoire, on sait qu’on est sur la bonne voie. Un parfum d’ail prégnant embaume l’atmosphère. Puis la route débouche en surplomb sur la dernière rue de la zone avant les champs. Une mer de panneaux photovoltaïques vous accueille, devant le bâtiment et le panneau au lettrage vintage : « Rochias ».

Il faut sans doute avoir grandi (comme moi) à Billom pour que ce nom vous parle, car la marque ne vend rien aux particuliers. Rochias est une vieille entreprise née au XIXe siècle en plein cœur de la capitale de l’ail rose, où elle est restée implantée jusqu’en 1997. C’est le moment où son propriétaire de l’époque a jugé opportun de moderniser son outil de travail grâce à une nouvelle implantation à Issoire.

Vue sur la campagne

Rochias transforme ail, échalote et oignon en produits déshydratés utilisables dans l’industrie agro-alimentaire. Des poudres, des morceaux, des semoules, des galettes. Et même, si la version déshydratée ne vous convient pas, des bulbes réduits en purées ou en cubes surgelés. Prêts à inclure dans des plats cuisinés, des soupes, des charcuteries ou toutes sortes de produits comestibles.

« Nous recherchions une entreprise qui puisse nous mener aux portes des transformations écologiques en cours. »

Exactement le genre d’activité que recherchaient Thierry Sclapari et Eric Villain, au moment où le patron de Rochias, aspirant à prendre sa retraite, a décidé de revendre la société. Le 13 novembre 2019, ces deux ex-cadres de l’agro-alimentaire en récupéraient la clef. « Nous recherchions une entreprise qui puisse nous mener aux portes des transformations écologiques en cours, raconte Eric Villain. On avait là des produits naturels, en lien direct avec l’agro-alimentaire, alternative simple aux additifs chimiques. L’entreprise avait la taille que nous pouvions nous permettre d’acquérir. Et l’organisation était en place. »

Les questions écologiques ? Eric Villain avoue s’y être sensibilisé peu à peu, dans un cheminement professionnel passé par des filières agroalimentaires amenant forcément à des questionnements : lait, charcuterie, agrochimie, mais aussi le leader mondial des extraits naturels de plantes, et plus récemment une grosse coopérative sucrière… Profil à peu près similaire pour Thierry Sclapari, rencontré dans cette derrière expérience.

Eric Villain
Eric Villain a repris l’entreprise Rochias avec Thierry Sclapari en 2019 : « Les institutions locales nous ont donné un vrai coup de pouce et ont créé les conditions optimales pour nous adapter et nous insérer ». – Photo Marie-Pierre Demarty

Quatre ans après leur installation en Auvergne, le co-gérant apprécie de pouvoir venir travailler à vélo, d’avoir vue sur la campagne depuis ses bureaux et d’avoir laissé derrière lui la vie nomade de cadre international. Mais surtout, avec son associé, il a engagé la vieille dame Rochias dans un processus de relocalisation de la filière des condiments, qui sonne comme un pari gagnant sur l’avenir.

Un processus complexe car les trois marchés – ail, oignon et échalote – fonctionnent assez différemment. Mais on va se concentrer sur l’ail pour mieux comprendre et simplifier. Enfin, un peu simplifier…

Loin de la Chine

« 99% de l’ail déshydraté consommé en Europe vient de Chine. On a du mal à comprendre comment c’est possible, alors que cette culture est tout à fait adaptée ici », constate Eric Villain. En 2019, Rochias, qui se présentait comme société d’import-export, s’insérait dans ce modèle, mais les nouveaux dirigeants ont décidé de faire bouger celui-ci. « Depuis quatre ans, nous l’avons fait évoluer de plus en plus. Nous nous réintéressons à des sources plus proches, avec une promesse basée sur un lien direct avec l’agriculture, une traçabilité complète des produits et pour le futur, une meilleure maîtrise du champ à l’assiette et des produits de qualité plus respectueux de la planète. Parce que nous n’avons pas envie de vivre dans un monde où on est obligé de faire venir l’ail de Chine ! »

Si l’échalote transformée à Issoire vient d’ores et déjà exclusivement d’Auvergne et de Bretagne, l’ail est encore pour partie espagnol, et provenant côté français de deux bassins de production : l’un dans le sud-ouest, l’autre en Drôme provençale.

Champ d'ail en Limagne
Culture d’ail en Limagne. « Nous cherchons à recréer une filière spécifique pour la déshydratation », ambitionnent les gérants de Rochias. -Photo fournie par l’entreprise.

Quid de l’Auvergne ? C’est un objectif en cours, avec toute la complexité d’un marché aux débouchés divers. « Contrairement à l’oignon, l’ail n’est pas cultivé spécifiquement pour la déshydratation. Nous valorisons un ail de seconde catégorie », explique Eric Villain. Entendez par là : l’ail est cultivé pour être vendu frais ; et on fourgue à la déshydratation les bulbes « moches », invendables sur les étals, soit 10 à 40% de la production nationale selon les années.

« Ils sont dans le questionnement permanent pour faire évoluer les choses, avec courage, pugnacité, persévérance. »

A Billom, il existe encore des cultivateurs, mais les volumes sont insuffisants pour alimenter ce marché plus industriel. Le « bastion historique » se positionne dans une autre démarche, celle d’obtenir une indication d’origine protégée pour le fameux ail rose de Billom. Démarche que les nouveaux patrons de Rochias estiment intéressante à voir menée en parallèle à la leur, et à celle – troisième voie – que mène Limagrain pour explorer un redéploiement de la culture de l’ail frais.

Lire aussi l’entretien : « Le ‘vide stratégique’ met en cause les conditions d’existence des entreprises » analyse Claire Antoine

Pionniers d’une nouvelle filière

La démarche de Rochias suit une autre logique, complémentaire à ces deux autres : « Nous sommes en train de créer en Auvergne une filière d’ail spécialement cultivée pour la transformation. Nous arrivons aujourd’hui à une production de 100 tonnes. C’est un début. Nous travaillons avec sept agriculteurs dans une logique de co-construction de la filière. Aux antipodes de ce qu’on entend souvent sur l’agriculteur qui suit les consignes et survit difficilement, ce sont des pionniers. Ils ont envie d’innover, de se diversifier, d’avoir un coup d’avance. Ils sont dans le questionnement permanent pour faire évoluer les choses, avec courage, pugnacité, persévérance », salue leur partenaire. « Et cette collaboration fait partie des aspects de notre entreprise qui nous donnent le plus de plaisir », ajoute-t-il.

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La complexité de l’équation provient aussi de la technicité de cette plante. Elle a de gros avantages dans le contexte actuel, car elle demande peu d’eau, se passe déjà – règlementairement – de la plupart des produits phytosanitaires, et enrichit la rotation des cultures. Mais elle nécessite un peu plus de travail pour la culture, et aussi pour un « nettoyage » après récolte permettant de le rendre présentable et utilisable pour la transformation. Donc des investissements.

Eric Villain avec les condiments de la marque
De la tête d’ail aux produits déshydratés commercialisés par Rochias : selon Eric Villain, la ressource pour cette filière pourrait facilement être relocalisée en Europe et contribuer à sécuriser les revenus agricoles. – Photo Marie-Pierre Demarty

Les choses avancent donc progressivement, de façon encore expérimentale. « Nous voulons d’abord sécuriser le modèle avant de le déployer à plus grande échelle. Mais nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur le capital culturel local, les échanges, la mémoire de cette culture ancestrale encore présente localement. C’est fondamental. »

Pour les deux entrepreneurs, c’est un pari qui relève de l’évidence. « Il se produit en France 20 000 tonnes d’ail et il s’en consomme le double. A l’échelle de l’Europe, le besoin d’ail à destination de la déshydratation est de 400 000 tonnes. Et il n’y a pas de raison pour qu’on ne puisse pas le faire. Car c’est une culture rentable, alors qu’on a aujourd’hui des agriculteurs qui n’arrivent pas à vivre correctement, raisonne Eric Villain. Nous sommes vraiment dans un cas emblématique des affres du temps. En embuscade, je vois des enjeux de souveraineté alimentaire et de cohésion sociale. » Et de rêver, avec les autres démarches en cours, de refaire de la Limagne une grande région de production.

Lire aussi l’entretien : « Eric Duverger fait le pari des entreprises pionnières dans l’engagement écologique »

RSE et territoire

Avec de telles orientations, on commence à comprendre pourquoi Thierry Sclapari et Eric Villain ont dressé l’oreille en entendant parler de la Convention des Entreprises pour le Climat (CEC) Massif central. A se demander, presque, pourquoi ils ont éprouvé le besoin de s’y engager.

« Nous économisons ainsi 30% de notre consommation de gaz. »

Surtout quand on découvre que ces évolutions se sont accompagnées d’une attention particulière à leur politique de RSE.

Politique lisible dès les abords de l’entreprise, avec des panneaux photovoltaïques qui couvrent 50% des besoins en énergie et qui prêtent aussi leur ombre aux moutons qui pâturent autour du bâtiment. Ils y côtoient des ruches arrivées « pas seulement pour faire joli mais dans un véritable partenariat avec une apicultrice ».

La démarche se poursuit à l’intérieur, avec la récupération de chaleur à la sortie des compresseurs des frigos pour réchauffer l’air ambiant et le réintroduire dans les fours : « nous économisons ainsi 30% de notre consommation de gaz ».

Ecopaturage chez Rochias
Autour du bâtiment de l’entreprise, les moutons tiennent lieu de tondeuses et profitent de l’ombre des panneaux photovoltaïques. – Photo Marie-Pierre Demarty

Le volet social de la RSE n’est pas oublié : Rochias, indique son cogérant, a mis en place un intéressement pour la grosse trentaine de salariés permanents, et beaucoup investi pour renouveler le matériel de sécurité et améliorer les conditions de travail.

Sans parler des liens tissés avec un territoire où les deux gérants ont apprécié l’accueil et la facilitation dès leur implantation. Dialogue avec les collectivités, partenariat avec VetAgroSup, implication dans le réseau Auvergne Rhône Alpes Entreprise… Et des centaines de scolaires visitant chaque année l’entreprise : « C’est à chaque fois l’occasion de leur faire connaître des métiers, mais aussi de transmettre le message qu’ils ont à choisir le monde dans lequel ils veulent vivre », souligne Eric Villain, qui se dit conscient de la « capacité des entreprises à participer à la responsabilisation de tout le monde ».

Mais ça ne suffisait pas.

Lire aussi l’entretien : « La « dissonance entre effondrement écologique et priorités économiques », enjeu de la CEC Massif Central »

Embarquer davantage

« Au départ il y a chez nous une confluence entre notre préoccupation de citoyens et notre stratégie d’entreprise : nous sommes sur un marché où nous pensons que cela peut être gagnant et la matière RSE est au cœur de notre modèle économique. Mais nous avons ressenti le besoin de structurer cela : jusqu’à présent, nous avons fait, à la manière de Monsieur Jourdain, de la RSE sans le savoir. Nous avons aussi besoin de partager nos choix avec l’ensemble des équipes, ce qui se fait un peu, de façon naturelle, quand par exemple on installe des ruches ou du photovoltaïque et que les salariés nous posent des questions. Mais nous avons besoin d’engager une mobilisation plus générale, d’éviter l’écueil d’être seulement deux dans l’entreprise à porter ce projet », explique-t-il.

Pour aller plus loin, Rochias vise d’ici à la fin de l’année le statut d’entreprise à mission. Et a conscience que pour faire vivre ce nouveau visage et être en capacité de répondre aux audits et au suivi des indicateurs inhérents à ce statut, un accompagnement sera le bienvenu.

« Nous trouvons intéressant le principe d’échanges entre pairs et d’avancer collectivement en s’apportant des bonnes pratiques. »

« Nous ne souhaitions pas nous engager dans une démarche de certification sur ce thème car nous le faisons déjà sur les questions de protection contre les fraudes et malveillances. Nous avons examiné plusieurs initiatives et nous avons finalement opté pour la CEC Massif central. »

Un choix qui s’explique par plusieurs facettes séduisantes aux yeux des deux dirigeants : « Nous trouvons intéressant le principe d’échanges entre pairs et d’avancer collectivement en s’apportant des bonnes pratiques. C’est un des outils les plus puissants qui existent : pouvoir disposer d’un panel de processus directement applicables, parmi lesquels on choisit ceux qui sont adaptés à notre situation. Nous apprécions aussi le caractère territorialisé de la démarche : même si nous avons des métiers différents, nous partageons des difficultés et des joies communes et nous revendiquons ce territoire partout où on va. Enfin, après la première expérience nationale de la CEC, il apparaît que la méthode est bien éprouvée. »

Dès la semaine prochaine, ils seront parmi les vingt-cinq entreprises pionnières qui ont franchi le pas de s’engager dans cette aventure : six sessions de deux à trois jours, étalées sur neuf mois, pour s’informer en profondeur, réfléchir, échanger, s’inspirer mutuellement, avancer, s’engager… Message des organisateurs au tissu économique massif-centralien : il reste de la place pour les entreprises qui voudraient encore embarquer.

Le lancement de la CEC Massif Central aura lieu mardi 3 octobre de 16h30 à 19h, à la Grande Halle d’Auvergne, dans le cadre du Sommet de l’Elevage. Il est ouvert à tous les les dirigeants et dirigeantes qui souhaitent découvrir la CEC, rencontrer l’équipe organisatrice ou d’anciens participants.
Inscription obligatoire ici.
Pour en savoir plus, consulter le site général de la Convention des entreprises pour le Climat
Et la présentation de la CEC Massif central.

Reportage réalisé lundi 25 septembre 2023. Photo de Une Marie-Pierre Demarty : panneaux photovoltaïques devant l’usine Rochias à Issoire.

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