Vu du barrage #2/2 : Naussac face aux défis du changement climatique

Maintenant que vous savez comment fonctionne Naussac, voyons ce qui fonctionne moins bien… et pourquoi nous avons collectivement de bonnes raisons de faire attention à chaque goutte d’eau que nous utilisons.


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Le pourquoi et le comment

Cette deuxième partie est un peu technique mais il vaut vraiment la peine de se pencher sur le sujet. On va parler de volumes d’eau, en mètres cubes ou en millions de mètres cubes, et de débits, en mètres cubes par seconde. Ça va peut-être paraître (un peu trop) élémentaire aux spécialistes, et (un peu trop) complexe aux autres.

Certains vont s’énerver en pensant aux projets de bassines, aux prélèvements pour embouteillage, à l’irrigation du maïs en Limagne, à la multiplication des piscines privées et plus en amont, aux montagnes de gaz à effet de serre qui enflamment le climat.

Notre visite à Naussac le confirme : même si on n’en est pas encore à la situation de Mayotte, il y a une vraie inquiétude à avoir sur la ressource en eau.

A discuter dans les allées de l’événement Les Cours d’eau H2O, qui s’ouvre justement aujourd’hui et va accueillir pendant deux jours quelques centaines d’élèves de toute la région. A qui je lance un salut au passage, car Tikographie a le plaisir et l’honneur, cette année, d’être associé à cette manifestation plus que jamais utile.

Marie-Pierre


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Précédent article : « Vu du barrage #1/2 : c’est quoi au juste, Naussac ? »

« On n’est pas inquiets », me dit d’emblée Emmanuel Lehmann, chef du service des barrages à l’Établissement Public Loire. Pour autant, il ne faudrait pas en conclure trop vite à une manifestation d’optimisme. Car il précise : « Notre rôle est de respecter les objectifs de soutien d’étiage. Nous y sommes toujours arrivés parce que ces objectifs sont adaptés. Mais les décisions que nous avons à respecter sont de plus en plus complexes à prendre et relèvent d’une vraie inquiétude. »

Bateaux sur la berge du barrage de Naussac
La baisse du niveau de l’eau contraint à transporter les bateaux loin de la base nautique pour les mettre à l’eau. – Photo Marie-Pierre Demarty

Et pour cause : en ce début d’automne aux allures de plein été, le réservoir de Naussac a des allures de mer d’Aral miniature, avec ses bateaux transportés loin de leur base, ses plages inhabituellement larges et pentues. Le réservoir est à 24% de sa capacité de remplissage, à un niveau historiquement bas. Et il continue pourtant à alimenter l’Allier, à raison de 4,5m3 par seconde. Alors qu’il pourrait – les bonnes années – être déjà en train de se recharger grâce aux pluies d’automne.

« En 2021, tous les voyants étaient au vert. »

De quoi être, donc, réellement inquiet. Et croiser très fortement les doigts pour que l’hiver prochain ne ressemble pas aux précédents. Rappelons que l’Allier a entre autres pour fonction d’alimenter les populations en eau potable sur une bonne part de son parcours. Elle dessert aussi les irrigants de la Limagne, même si ce rôle-là est maintenant derrière nous, du moins pour cette année. Et contribue, plus en aval, au bon fonctionnement du refroidissement des combustibles pour les quatre centrales nucléaires situées sur la Loire. Sans oublier le milieu naturel qui a aussi besoin d’eau pour maintenir de la vie autour de nous.

Deux hivers secs

Comment en est-on arrivé là ?

Pour le comprendre, il faut remonter à 2021. Cette année-là, l’étiage a été plutôt clément, se souvient Emmanuel Lehmann : « Tous les voyants étaient au vert. Le seuil a été fixé à 12m3/s pour Vic-le-Comte et on a eu une fin d’étiage raisonnable. »

Cependant, les choses se compliquent à partir du remplissage suivant, celui de l’hiver 2021-22 : « Le réservoir s’est peu rempli, car cet hiver-là, déjà, a été assez sec. Puis on a eu l’été 2022 dont on se souvient : celui d’un épisode de sécheresse très forte et longue. Le seuil a été très tôt abaissé à 10 à Vic, et nous avons soutenu jusqu’à plus de 90%. » Entendez par là que durant cet été mémorable, on aurait pu quasiment traverser l’Allier à pied sec sans le soutien de Naussac.

« On a fini à un niveau de remplissage du barrage relativement bas, puis une nouvelle sécheresse en hiver, avec une période exceptionnelle d’un mois sans précipitations dont on a parlé dans les médias, n’a permis que peu de remplissage. Nous avons même dû faire un peu de soutien d’étiage hivernal. Nous avons commencé la saison d’étiage avec une forte inquiétude », poursuit le responsable des barrages.

Emmanuel Lehmann
Emmanuel Lehmann, chef du service des barrages, en charge de la gestion de Naussac et Villerest, montre sur le barrage les traces qui marquent le niveau moyen du barrage… bien au-dessus du niveau actuel. – Photo Marie-Pierre Demarty
Lire aussi l’entretien : Sécheresse hivernale : la promesse d’un été « comme l’an dernier en pire »

Un été sur le fil

Contrairement à l’année précédente, des mesures ont été prises très tôt et les difficultés ont été anticipées. Par exemple les chambres d’agriculture ont alerté les producteurs pour qu’ils adaptent leurs assolements, de façon à avoir moins besoin d’eau ; les collectivités ont travaillé sur les prises d’eau potables ; les préfets ont pris des arrêtés de restrictions très tôt. Et il y a eu une anticipation sur les dérogations : pour économiser l’eau et être en capacité de répondre au soutien d’étiage sur toute la durée de l’été, l’« étiage objectif » – autrement dit la consigne sur le débit à atteindre – a été fixée assez bas dès le début.

« L’enjeu est donc maintenant de parvenir à tenir nos objectifs en 2024. »

« Heureusement le début d’été a été relativement favorable, poursuit Emmanuel Lehmann. Et la CGRNVES a pris la décision d’abaisser le seuil objectif à 8 m3 à Vic. Ce débit s’est cependant maintenu à 9, mécaniquement, du fait de la contrainte des 6m3 pour Vieille-Brioude. » Finalement, l’été a pu se passer sans catastrophe, du fait de la responsabilité de tous et des leçons tirées de l’année précédente. Mais au prix de craintes encore reportées sur l’avenir proche.

L'Allier à Vic-le-Comte
L’Allier à Vic-le Comte, mardi 10 octobre. Depuis cet été, la consigne de Naussac est d’assurer un débit de 8m3 par seconde à ce point du cours d’eau. Ce qui fait très peu… – Photo Marie-Pierre Demarty

Car septembre et début octobre sont à nouveau anormalement secs. « Le stock d’eau est au plus bas du niveau de l’an dernier et nous allons finir l’année avec un remplissage inférieur à 40 millions de m3. L’enjeu est donc maintenant de parvenir à tenir nos objectifs en 2024, sachant que le soutien d’étiage moyen pour une année est de 60 Mm3. Il faut espérer que nous puissions compter sur les précipitations de l’automne et de l’hiver, mais la situation n’incite pas à l’optimisme. »

Une troisième année de sécheresse hivernale, un été aussi chaud et sec que les précédents pourraient donc s’avérer cette fois catastrophique… alors que les climatologues avertissent sur la probabilité d’une fréquence croissante des étés de ce type.

Lire aussi l’entretien : Bilan météo : « le deuxième été le plus chaud à Clermont depuis 1950 »

Risques et consignes

Mais alors, quel est le risque ? « C’est de parvenir à une rupture du débit. Notamment à hauteur de Vic-le-Comte, car le débit objectif de Vieille-Brioude est protégé par le règlement d’eau du barrage. » Et en conséquence, une situation de crise entrainant de fortes restrictions d’usage de l’eau.

Même s’il y a des tensions et des conflits d’usage, tous les acteurs veulent éviter d’en arriver là.

D’où les discussions sur les seuils. Celui de Vieille-Brioude a fait l’objet de vifs débats depuis le mois d’août. Pour finir, l’Établissement Public Loire, avec l’aval de la CGRNVES, a obtenu la semaine dernière un arrêté du préfet de Lozère (compétent du fait que le barrage se trouve dans ce département) pour abaisser le seuil d’étiage de Vieille-Brioude de 6 à 5m3/s, mesure qui est effective, compte tenu des délais, depuis samedi soir.

Traces de cyanobactéries
Tout près du barrage, apparaissent des traces de cyanobactéries, pourtant rares sur ce vaste lac. – Photo Marie-Pierre Demarty

« Tout le monde s’y est résolu de par la nécessité d’économiser de l’eau en vue de 2024, mais cela ne va pas sans une réticence des élus du Haut Allier », reconnaît Emmanuel Lehmann. Car l’approvisionnement y est déjà en tension. Exemple à Langeac, où l’un des trois captages est rendu inutilisable en raison de pollutions dues au bas niveau de l’eau.

« Il va falloir s’adapter. On voit déjà les statistiques évoluer. »

Et si le dérèglement climatique fait que les années atypiques deviennent l’ordinaire ? « Il va falloir s’adapter. On voit déjà les statistiques évoluer. Jusqu’à présent, on disait que le remplissage de Naussac était garanti 9 années sur dix. Ça ne devrait plus être le cas. De plus le soutien d’étiage a tendance à commencer de plus en plus tôt dans la saison, et à être de plus en plus variable », poursuit le responsable du barrage.

Restrictions renforcées

D’autres phénomènes s’y ajoutent : les pluies tombent de plus en plus sous forme de violents orages, ce qui a une double conséquence. D’une part elles sont plus localisées et tombent souvent sur l’autre versant, d’autant plus facilement que Naussac a un très petit bassin versant ; d’autre part on ne peut pas dépasser un volume de remplissage de 185 millions de m3 pour ne pas risquer une rupture du barrage comme en an a connu récemment la Libye. De sorte qu’avec un même volume de pluie, si ça tombe de façon trop intense et en moins d’épisodes, on ne pourra pas remplir autant.

Les vannes du barrage de Naussac
C’est dans cette colonne de béton, toute proche du barrage, que se trouvent les vannes qui contrôlent les lâchers d’eau. En ce début octobre, le barrage continue à jouer son rôle de soutien d’étiage. – Photo Marie-Pierre Demarty

Pour l’heure, la nécessité de préserver de l’eau pour 2024 a encore conduit à de nouvelles restrictions, notamment de la part des préfets de Haute-Loire et du Puy-de-Dôme. L’arrêté du 25 septembre pour le Puy-de-Dôme a passé toute la zone alimentée par la nappe alluviale de l’Allier en « niveau d’alerte renforcée », avec les restrictions d’usage de l’eau qui l’accompagnent.

Le communiqué de la préfecture indique clairement : « Le niveau de remplissage du barrage est historiquement bas. Il est important de préserver autant que possible ces réserves, dans la perspective de l’année 2024 et dans l’éventualité d’un automne sec. Cela suppose de poursuivre et d’amplifier les efforts collectifs de sobriété dans les usages de l’eau à partir de l’axe Allier. » Ce qui souligne bien les différents leviers identifiés pour faire face à un futur plus aride : contrôler les usages, gérer au plus juste l’équation entre remplissage et soutien d’étiage et dans tous les cas, anticiper.

Ces décisions ont été confortées par une mesure plus générale concernant tout le bassin de la Loire, décidée par la préfète coordonnatrice du bassin Loire-Bretagne, dans une logique de solidarité amont-aval et pour faire en sorte que l’ensemble du bassin soit desservi. Mesure déclenchée après le constat que le débit à Gien est passé en dessous du minimum objectif de 50m3/s.

Dernière carte des niveaux de restriction publiée par la préfecture du Puy-de-Dôme
La dernière carte des niveaux de restriction publiée par la préfecture du Puy-de-Dôme. La zone hachurée, qui représente les territoires alimentés en eau potable par l’Allier, est en « alerte renforcée » depuis le 25 septembre. – Source : site de la Préfecture du Puy-de-Dôme

Le levier des usages de l’eau est en effet crucial à mobiliser, car nous devons aussi avoir en tête les besoins du milieu naturel, qui est aussi en souffrance. « D’autant plus qu’il s’est adapté aux conditions induites par le soutien d’étiage », fait remarquer Emmanuel Lehmann.

Aujourd’hui, le barrage de Naussac est rempli à 24%, soit 44,19 Mm3 : un niveau historiquement bas. Et il continue, comme on l’a vu, à soutenir le débit de l’Allier. Emmanuel Lehmann me confiait qu’il n’est pas envisageable de le vider complètement : on peut envisager de l’abaisser jusque vers 20Mm3. En deçà, il n’y aurait plus de soutien d’étiage possible.

En résumé, on n’en est pas tout à fait là… Mais le message doit être clair : qu’on soit particulier, collectivité, industrie, agriculteur, réfléchissons à deux fois à chaque fois que nous nous apprêtons à ouvrir le robinet d’eau.

Voir le site internet pour en savoir plus sur l’Etablissement Public Loire et – entre autres – suivre l’évolution du remplissage et du soutien d’étiage


Reportage réalisé le vendredi 29 septembre. Photo de Une Marie-Pierre Demarty : les berges du lac vu de la passerelle, alors que le niveau est historiquement bas.

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