Au plus près des besoins de son territoire, l’unité locale de la Croix Rouge à Issoire s’efforce d’être présente là où les services publics et les autres associations sont en limite de leurs capacités. Rencontre à l’occasion de son grand rendez-vous annuel du marché de Noël.
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Le pourquoi et le comment
A Tikographie, nous vous parlons beaucoup d’environnement, parce que les crises liées au climat, à la biodiversité ou aux limites planétaires sont difficiles à percevoir et à appréhender. Mais s’il y a bien une chose dont nous sommes persuadés, c’est que la solidarité est un point capital, une condition absolument nécessaire pour s’adapter aux crises et aux chocs, qu’ils soient d’ordre environnemental ou social.
Et s’il y a bien un organisme qui sait faire en matière de solidarité inconditionnelle et d’aide à toutes les vulnérabilités, c’est bien la Croix Rouge.
J’avais eu l’occasion de côtoyer l’unité locale d’Issoire en 2018, au moment où celle-ci a entrepris une concertation de toutes les instances d’aide aux précaires. J’avais apprécié la générosité, la belle dynamique et l’intelligence de leur action. Il était donc logique d’aller les voir pour évoquer cet enjeu de la solidarité.
Même si on n’est intéressé que par les enjeux environnementaux, on peut en prendre de la graine, car les réfugiés climatiques pourraient bien, dans pas si longtemps, se mettre dans les pas des Ukrainiens, des Syriens ou des Kosovars.
Une fois de plus, on constatera que pour faire du bon boulot, inclusif et efficace, il faut être attentif aux besoins, si divers soient-ils, et agréger les réponses à ces besoins, si modestes soient-elles.
Et tant pis si vous trouvez que cet article a un petit côté conte de Noël. Moi, j’aime bien.
Marie-Pierre
En ce vendredi après-midi, le marché de Noël sous la halle aux grains d’Issoire est assez calme. Rien à voir avec le rush du mercredi d’ouverture ou celui du week-end, où ça se bouscule pour entrer. Je suis venue profiter de ce moment de répit pour rencontrer ses organisateurs, car ce rendez-vous n’a rien de commun avec ce qui se passe dans la plupart des villes. Ici, pas d’artisans d’art ni même de commerçants traditionnels. Pas de petites cabanes en bois, pas de débordements gastronomiques saturant l’air d’odeurs de sucreries et de vin chaud…
Tout de même, dans le fond, un sympathique stand crêpes et un coin bistrot pour la convivialité. Pour le reste, de grandes tables où s’étalent des marchandises assez classiques : jouets et bijoux, vêtements, livres, vaisselle… Du neuf, du seconde main, du vintage, dans une ambiance « sapin et guirlandes » elle aussi très classique.
Deux détails distinguent cependant ce rendez-vous très prisé d’un banal marché hebdomadaire : les prix très bas, et le logo de la Croix Rouge Française, qui se décline sur un grand kakemono au fond de la halle et sur la veste de chaque animateur du marché, qu’il tienne un stand de vente, propose des billets de tombola ou fasse sauter les crêpes.
175 communes
« Tout le monde attend ce moment. Les habitants qui viennent faire leurs courses de Noël, mais aussi l’équipe de la Croix Rouge. C’est le moment où nous nous retrouvons tous ; certains même ne viennent nous renforcer que pour cette occasion », se réjouissent Pascale Imatasse, directrice, et René Turbot, président de la Croix Rouge d’Issoire. Tous deux sont bénévoles, comme la cinquantaine de coéquipiers que comprend cette antenne couvrant quelque 175 communes, soit le tiers sud du département du Puy-de-Dôme.
Leur activité se partage en deux catégories. La première – celle pour laquelle on connaît souvent la Croix Rouge – est le secourisme : on la voit à l’œuvre dans les grandes manifestations festives ou sportives, où ils tiennent le poste de secours.
Mais à Issoire, l’autre pôle est particulièrement développé : c’est celui de la solidarité. Dans des missions classiques de la Croix Rouge et d’autres qui le sont moins, qui « bouchent les trous » des aides institutionnelles.
“Depuis la crise covid, les gens donnent de moins en moins.”
Pascale Imatasse
Parmi les missions classiques, la plus connue car visible et ouverte à tous – sans condition de revenus – est la vesti-boutique, assortie d’un vestiaire pour aider les plus vulnérables à se vêtir dignement. « Nous récupérons les vêtements donnés dans les bennes d’Emmaüs, nous trions, nous reconditionnons et nous répartissons entre les plus belles pièces pour la boutique, d’autres qui sont redonnées à Emmaüs, à la ressourcerie, etc. Nous achetons aussi une petite part d’articles neufs. La vesti-boutique revend à très petits prix pour que ce soit accessible à tout le monde. De même pour la vaisselle ou les jouets, mais depuis la crise covid, les gens donnent de moins en moins : on sent qu’ils gardent les objets plus longtemps ou les revendent. C’est devenu plus difficile », détaille Pascale Imatasse.
Transports non couverts
Avec peu de frais de fonctionnement en l’absence de salariés, l’antenne locale peut dégager avec cette boutique de quoi alimenter d’autres aides, de nature financière : aide alimentaire pour les bébés, notamment pour les parents isolés, ou aide sur le paiement de factures, telles que l’électricité, le loyer, les dépenses de santé, etc. « Nous le faisons auprès de personnes qui nous sont adressées par les assistantes sociales. Le principe, c’est que nous ne donnons pas d’argent directement aux familles mais nous réglons les factures directement aux organismes, en vérifiant qu’il n’y a pas d’abus de la part des demandeurs », poursuit Pascale.
Plus récemment, en 2019, la Croix Rouge a mis en place un service de transport à la demande, émanant du constat d’un besoin du territoire. Ce constat avait émergé d’une série de réunions participatives menée à l’initiative de la Croix Rouge d’Issoire, réunissant tous les acteurs locaux de l’aide aux personnes en précarité, aussi bien institutionnels qu’associatifs, fonction publique, salariés, bénévoles… « Depuis, nous répondons aux demandes de personnes sur recommandation de leur assistante sociale, explique René Turbot, qui se charge souvent de cette forme d’assistance. Ce n’est pas une demande régulière, mais nous en avons quelques-unes par mois. Le principe étant que les déplacements se font en fonction des disponibilités des bénévoles. »
“Ses trajets en taxi pour consultation sont maintenant remboursés, donc je n’interviens plus mais elle peut être soignée. »
René Turbot
Ce service ne s’applique que là où il n’existe pas par ailleurs – donc pas à Issoire même où le CCAS s’en charge -, là où le besoin est avéré – donc pas pour aller faire du shopping ! – et là où la personne n’a pas la possibilité ou les moyens de trouver un autre transport. « Par exemple, cite René, j’ai récemment accompagné deux fois à Clermont une dame qui avait des problèmes de santé, pour consulter un spécialiste. Elle n’avait pas les moyens de payer un taxi. A la suite de ces premiers rendez-vous, elle a été diagnostiquée d’une maladie grave et ses trajets en taxi pour consultation sont maintenant remboursés, donc je n’interviens plus mais elle peut être soignée. »
Accueillir les migrants…
Les besoins du territoire ont trait aussi à l’accueil des migrants en situation précaire. Cela se fait naturellement, dans l’accompagnement pour des démarches administratives par exemple, ou pour débloquer des problématiques de régularisation. « Ce n’est pas toujours dans notre rôle, mais si on peut les aider, on le fait. Nous sommes à l’écoute », souligne Pascale. « On le fait d’autant plus qu’à force, nous savons à qui ou à quel service nous adresser pour des démarches qui sont toujours complexes avec les administrations, d’autant plus que beaucoup de demandes doivent se faire maintenant par internet. Les étrangers ont aussi la barrière de la langue ; c’est un vrai blocage. On n’a pas toujours les réponses, mais on fait au mieux qu’on peut », complète René.
« On n’a pas toujours les réponses, mais on fait au mieux qu’on peut.”
René Turbot
Parmi ceux-ci, la difficulté à réagir vient surtout des arrivées par vagues à la suite de crises. La dernière concernait l’accueil des Ukrainiens, à partir de 2021. Mais celui-ci a pu se dérouler dans de bonnes conditions, car les associations issoiriennes ont bénéficié de l’expérience antérieure, qui concernait les Géorgiens et les Albanais du Kosovo. « Depuis cette époque, nous avons pris le réflexe de nous concerter avec les Restos du Cœur, le Secours populaire et le Secours catholique. Issoire a accueilli une centaine d’Ukrainiens logés dans des barres d’immeubles. Comme nous ne pratiquons pas la distribution de produits alimentaires, nous nous sommes proposés pour apporter celle des autres associations sur des points de distribution au pied de ces immeubles. Cela a permis d’éviter un engorgement des distributions de repas habituelles de ces associations », témoigne René. Une activité qui a demandé des efforts de mobilisation pendant un an et demi, car il n’était pas question de donner un panier standard à chacun. “Chaque famille choisissait ce qu’elle souhaitait parmi les aliments proposés ; ça nous prenait plusieurs heures chaque semaine”, souligne Pascale.
…et les aider à s’intégrer
Depuis juin, la plupart de ces familles ont quitté la région, installées ailleurs ou retournées dans leur pays. « Mais six ou sept sont restées et nous les aidons à s’intégrer, pour se reloger, faire des démarches auprès de la CAF, de la préfecture, de l’école ou même pour s’inscrire dans un club sportif », ajoute Pascale.
La Croix Rouge est en lien avec l’association clermontoise Apart chargée de l’aide au relogement provisoire pour le Puy-de-Dôme. Celle-ci a pris l’habitude de s’appuyer sur la ressource précieuse de l’unité locale d’Issoire quand ses propres moyens sont insuffisants. « Nous avons pris l’habitude de travailler ensemble et du fait de la notoriété et de l’ancienneté de la Croix Rouge, ils nous font confiance, d’autant plus que notre institution a joué un rôle international pour faire sortir de leur pays les réfugiés Ukrainiens. C’est un beau partage des tâches », se réjouit René.
« Quand ils sont arrivés il y avait beaucoup de tristesse dans leurs yeux.”
Pascale Imatasse
Une aide qui a pu aller jusqu’à monter des meubles ou faire un peu de bricolage pour les aider à s’installer. « Quand ils sont arrivés il y avait beaucoup de tristesse dans leurs yeux. Aujourd’hui ils sont souriants et reconnaissants », dit Pascale, alors qu’une de ces femmes, avec son petit dernier d’un an, vient nous saluer. « Leur fille ainée, Victoria, âgée de 14 ans, s’est proposée spontanément pour faire du bénévolat avec nous », précise la directrice très touchée.
A la sortie de son travail, le père passera à son tour, un peu plus tard : il a besoin de passeports pour la famille, mais ils doivent être demandés, semble-t-il, en Espagne, leur point d’entrée dans l’espace Schengen. Naturellement, Pascale le rassure : “On verra ça la semaine prochaine.”
L’écueil du recrutement
Autant qu’elle peut, l’antenne issoirienne s’invite partout où elle décèle des besoins, en s’adaptant aux réalités du territoire. « C’est le principe de la Croix Rouge, indique Pascale. Il y a une longue liste d’activités que nous sommes autorisés à faire – même nous, on ne les connaît pas toutes ! – et nous choisissons celles qui sont nécessaires ici. Par exemple à Issoire, nous n’avons pas besoin de maraudes comme dans les grandes villes. Mais nous aidons les SDF qui en ont besoin, en leur donnant du matériel qu’ils choisissent eux-mêmes. » La récompense étant de voir certains s’en sortir… et venir remercier l’équipe !
“Les gens ne veulent plus sortir, font tout par internet et se replient sur eux. »
Pascale Imatasse
Armée de ses bénévoles et de leur grand cœur, la Croix Rouge d’Issoire n’est limitée, dans sa volonté de venir en aide, que par la difficulté à recruter de nouveaux bénévoles. « C’est devenu très compliqué depuis la crise sanitaire, souligne Pascale. Les gens ne veulent plus sortir, font tout par internet et se replient sur eux. » René insiste : « Il nous manque quelques personnes pour renforcer les équipes, car on doit s’adapter à la disponibilité des bénévoles, pouvoir se relayer, mais il y a parfois des ‘trous’ dans l’accueil. On ne peut pas non plus intégrer des services civiques car il faudrait pouvoir les encadrer. »
Un noyau solide et stable reste très impliqué, mais la relève des jeunes recrues est plus difficile à fidéliser. “Ils restent deux ou trois ans, puis les études ou leur travail les mènent ailleurs, ou bien ils fondent leur famille et sont moins disponibles… »
Sept principes
Avec la possibilité de recruter dès l’âge de sept ans, mais surtout à partir de l’adolescence, la Croix Rouge d’Issoire parvient quand même à mobiliser quelques jeunes, par exemple en les rencontrant sur les postes de secours aux abords des festivals ou des courses. A l’image de Zoé, 16 ans, actuellement la plus jeune bénévole de l’équipe.
“On se sent utile ; j’y trouve de la joie.”
Pascale Imatasse
« Nous accueillons tout le monde, dans la limite de l’acceptation des sept principes de la Croix Rouge », précise Pascale en montrant l’intérieur du gilet règlementaire où ils sont imprimés, comme un rappel symboliquement placé tout près du cœur. “Certains n’acceptent pas d’être bénévoles aux côtés d’une musulmane voilée ou d’aider des étrangers. Dans ce cas, ce sont eux qui sont exclus, pas les étrangers. »
Dans un monde et un état d’esprit ambiant qui se durcissent manifestement, Pascale, René et les autres poursuivent leur mission avec détermination, sans se décourager. « Je vois la reconnaissance, les sourires de ceux que nous aidons, conclut Pascale. On se sent utile ; j’y trouve de la joie. Et ça me suffit ! »
Reportage réalisé vendredi 8 décembre 2023. Photo de Une Marie-Pierre Demarty : le marché de Noël de la Croix Rouge à Issoire.
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