Comment se monte un projet citoyen d’énergie renouvelable ? Rencontre avec le maire de Montcel, sur une aventure de sept ans déjà, menée avec ténacité mais parfois aussi contre vents et marées.
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Le pourquoi et le comment
J’aurais pu traiter le sujet comme une “Controverse”, en allant voir les pour et les contre, comme j’ai pu le faire pour les projets de retenues d’eau à Billom ou de lithium à Echassières. Car il y a des opposants à ce projet.
J’y ai pensé, mais en creusant un peu le sujet, je me suis rendu compte que les arguments pour et contre le projet à Montcel sont assez proches de ceux développés autour de tous les projets éoliens, et donc déjà très documentés. Je n’aurais pas eu grand chose de nouveau à apporter sur le sujet.
Par contre, ce projet de Montcel Durable a une dimension tout à fait originale. Car un projet éolien lancé avec une approche citoyenne, réunissant deux villages, avec la participation des municipalités et d’habitants du territoire, ce n’est vraiment pas courant.
Cela pourrait à première vue paraître démesuré. Ou fédérateur. En tout cas, c’est une initiative qui a le mérite de mettre quelques centaines d’habitants en situation de réfléchir au modèle de société souhaitable, à la problématique de l’énergie et à la possibilité de faire ensemble. Comme dit le maire, de “prendre leur destin en main”.
Sans nier la contestation, c’est donc à la fabrique du projet que je me suis intéressée.
Après avoir décortiqué en début d’année, avec Arverne Durable, la façon dont un collectif naît autour des énergies renouvelables, il s’agit ici d’observer comment il tient dans la durée. Car sept ans, ça fait un bail.
Marie-Pierre
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Déjà sept ans. Et on n’en est pas encore au moment où les éoliennes sont prêtes à s’élever dans la campagne. Mais le projet a tout de même bien avancé. Sept ans durant lesquels le maire de Montcel et le noyau le plus actif de ceux qu’il a ralliés ont consacré beaucoup de temps et d’énergie, acquis des compétences, bataillé avec les contraintes, les imprévus, les lenteurs administratives et – plus récemment – les opposants. Tout cela pour un projet qui peut paraître démesuré pour une commune de 475 habitants (et désormais deux communes) : celui de créer un parc éolien développé par les citoyens.
« Si j’avais su à l’avance le temps que nous devrions y consacrer, je n’aurais sans doute pas lancé le projet. Mais on se sera bien éclatés, on aura beaucoup appris, on aura acquis beaucoup de compétences, même si une partie ne nous sera sans doute jamais utile à nouveau ! », résume Grégory Bonnet.
« Notre exemple a participé à la réflexion d’autres territoires.”
C’est sans doute pourquoi l’initiative de Montcel n’a fait que peu ou pas d’émules. « Notre exemple a participé à la réflexion d’autres territoires, qui sont venus nous voir pour bénéficier de notre expérience. Ils en ont généralement conclu qu’ils n’avaient pas l’énergie pour porter un tel projet eux-mêmes, mais ils en ont retiré de quoi dialoguer avec des développeurs qui viendraient s’installer sur leur territoire », explique-t-il.
Investissement citoyen
Aujourd’hui l’association Montcel Durable entrevoit le bout du long tunnel des démarches à entreprendre avant le dépôt du dossier de demande d’autorisation. L’état des lieux de l’étude d’impact est réalisé et cette étude elle-même doit commencer : une dernière étape qui devrait permettre un dépôt en mai.
Les derniers scénarios en lice vont être validés prochainement en comité de pilotage. La création d’une société coopérative d’intérêt économique (SCIC) est en vue – « Mais on ne sait pas encore si nous transformerons l’association en SCIC ou si nous conserverons les deux structures », précise le maire. Et financièrement, « l’association arrive à ses limites et va devoir refaire un appel de fonds, auprès des adhérents ou en recrutant de nouveaux investisseurs. »
“Il était prévu qu’à un moment, nous aurions besoin de financements qui viendraient de l’extérieur.”
Mais ce n’est déjà pas rien d’être parvenu jusqu’à ce stade avec le financement des citoyens – et beaucoup de bénévolat bien sûr. “Il était prévu qu’à un moment, nous aurions besoin de financements qui viendraient de l’extérieur”, poursuit le maire. D’autant plus que certains aspects techniques nécessitent de faire appel à des professionnels, comme par exemple pour l’étude d’impact qui s’engage.
Les deux municipalités ont pu prendre en charge une partie des études grâce à des subventions. Et une quarantaine de particuliers ont versé au fonds associatif des sommes allant de 30 à 1500 euros, “de gaité de cœur, même en sachant qu’il y avait un risque que ce soit perdu”, souligne le maire. “L’intention initiale était aussi de convaincre des entreprises du territoire de la communauté de communes, ce qui pouvait paraître légitime au regard de l’ambition de Combrailles Sioule et Morge de devenir territoire à énergie positive en 2050. Mais nous n’y sommes pas parvenus, faute de disponibilité pour aller les rencontrer.”
Faire ensemble
Le projet est donc resté très local et surtout citoyen. Il a pu intéresser au cours de son histoire près de 150 personnes qui ont cotisé au moins une fois à l’association, dont une cinquantaine de personnes ont réadhéré chaque année. Ils sont une vingtaine à être très actifs, participant au comité de pilotage, investis dans les commissions, consacrant du temps à monter les dossiers, à mieux comprendre les multiples aspects techniques, règlementaires, juridiques, financiers…
Si pour le maire, la motivation était clairement de réunir les habitants pour « prendre leur destin en main dans un projet citoyen », les motivations des participants répondent à diverses nuances, qui vont de la volonté de participer à la transition énergétique à l’enthousiasme de « faire quelque chose ensemble », même pour ceux que les problématiques techniques ne passionnent pas.
Pour l’association, l’initiative avait aussi pour but de conscientiser les habitants sur les problématiques des énergies renouvelables et du dérèglement climatique. C’est pourquoi elle avait commencé, en s’associant avec les “voisins” de Combrailles durables, par un projet photovoltaïque plus facilement acceptable. Avec cette originalité d’avoir installé les panneaux solaires sur le toit de l’église. Et si le maire remarque que l’installation de panneaux solaires chez des particuliers s’est quasiment multiplié par dix depuis deux ou trois ans, il estime que le projet Montcel Durable “a sûrement participé”, sans pouvoir estimer la part de l’inflation des tarifs de l’énergie, de l’opportunité des aides, etc.
Lenteur et évolution
En sept ans, la lenteur de la démarche a pu en lasser certains ; d’autres ont quitté le projet pour des parcours de vie qui les menaient ailleurs, mais la majorité sont encore là, rejoints par de nouveaux adhérents. Montcel a également été rejoint par Saint-Hilaire-La-Croix, la commune voisine (334 habitants) qui a toqué à la porte de l’association en cours de route.
“La concertation prend du temps.”
Mais la lenteur est le prix de la solidité d’un projet citoyen. Grégory Bonnet poursuit : « Habituellement en France, il faut sept ou huit ans pour sortir un projet de parc éolien. Nous en aurons mis neuf. Parce que ne sommes pas des professionnels, parce que le covid nous a retardés, mais aussi parce que la concertation prend du temps. Mais c’est mieux en termes d’acceptabilité et cela rend le projet plus solide. »
Ce temps long a permis de soulever de nombreuses questions qui tiennent autant aux aspects techniques qu’au sens de l’engagement citoyen et de la façon de constituer un territoire. Car la raison d’être du projet a fluctué en fonction de son avancée et du contexte.
« Initialement il s’agissait de devenir fournisseur d’énergie, pour valoriser le potentiel de la commune et profiter des retombées fiscales. Légalement nous aurions pu opter pour une autoconsommation au profit de la commune, mais nous n’avons pas retenu cette option, car nous avons conscience que le village ne peut pas vivre en autarcie : en termes d’alimentation, d’assainissement, de culture… nous avons besoin de l’extérieur. Le projet éolien nous permet d’être dans l’échange », souligne le maire.
Possibilités restreintes
Avec le nouveau contexte d’urgence environnementale, de raréfaction et de hausse des coûts de l’énergie, cet aspect économique est rejoint par d’autres considérations, qui tiennent à l’impératif de transition écologique.
La commune avait d’autant plus son rôle à jouer que le potentiel éolien des territoires est bien moins fréquent qu’on l’imagine : la cartographie établie par la DREAL en fonction des enjeux environnementaux et patrimoniaux, des zones d’exclusion aérienne, des installations industrielles et des zones d’habitation établit que 14% du Puy-de-Dôme n’est soumis à aucune contrainte rédhibitoire.
Restriction qui s’accroit considérablement si l’on ajoute les questions d’accès, de possibilité de raccordement, de potentiel de vent, etc. « On arrive ainsi à un potentiel réel de 0,6% du département. Vu le besoin et le rythme auquel la France s’est engagée à développer l’éolien, il est certain que l’État va pousser à exploiter tout ce qui peut l’être. Si on ne l’avait pas fait, il est évident qu’un développeur l’aurait fait. Alors autant que les communes et les citoyens s’emparent du projet, parce que ce sont les gens du territoire qui vont subir les impacts éventuels », raisonne le maire, qui fait observer : “en portant le projet nous-mêmes plutôt qu’en le laissant à un développeur, on multiplie par trois les retombées économiques. Non seulement les dividendes reviendront aux associés locaux, mais nous aurons la possibilité de faire travailler des entreprises du territoire.”
Contraintes multiples
Un raisonnement qui a poussé les deux communes à repérer les meilleurs emplacements possibles et à anticiper les solutions pour maîtriser le foncier. Pour Montcel, cela passe par la mise en réserve des terrains dans le cadre d’un remembrement ; pour Saint-Hilaire, où le remembrement a déjà eu lieu, la commune a démarché les propriétaires pour engager des promesses de bail.
Et cela sur les zones les plus favorables, qui se résument à trois, voire deux zones, principalement sur la commune de Saint-Hilaire. Car au fur et à mesure du montage et des études, le projet s’est considérablement restreint : de 27 éoliennes envisagées au départ, les options actuelles portent sur 4 à 6. « On va sûrement finir à 3 ou 4 », estime même le maire, faisant référence aux conclusions de l’état des lieux environnemental qui vient d’être livré en vue de l’étude d’impact.
“On doit établir des mesures sur au moins un an.”
Car les « zones favorables », en plus des zones d’exclusion ou à enjeux divers, cela implique de considérer le rendement de l’équipement. Celui-ci dépend de la hauteur de l’éolienne – « plus on est haut, plus le vent est stable” –, du gisement de vent, et des bridages nécessaires : que ce soit pour nuisance sonore, pour protéger des espèces comme les rapaces ou les chauves-souris, etc.
« Le gisement de vent dépend de l’altitude, des courants de vent, de la rugosité du terrain… C’est très variable même sur des courtes distances. Il n’y a donc pas de possibilité d’extrapoler et on doit établir des mesures sur au moins un an. C’est pourquoi on a restreint le nombre de zones à cibler. En tenant compte aussi de la facilité d’accès pour l’installation et de la distance pour le raccordement au réseau », explique le maire devenu expert en matière d’éolien.
Émergence d’une opposition
Reste une dernière difficulté, apparue plus récemment mais non négligeable pour un projet citoyen : celle de l’opposition d’une partie des riverains.
Selon Grégory Bonnet, elle s’est peu exprimée jusqu’à récemment. « Tant que nous apparaissions comme des hurluberlus qui ne risquaient pas d’aboutir, personne n’a vraiment réagi. Nous avons toujours été ouverts au dialogue et je remarque que certains, qui étaient initialement opposés au projet, ont changé d’avis depuis, mais pas l’inverse. Depuis un an et demi environ, les choses devenant plus concrètes, l’opposition s’est structurée. »
« Tant que nous apparaissions comme des hurluberlus qui ne risquaient pas d’aboutir, personne n’a vraiment réagi.”
Il s’interroge donc sur leurs motivations mais reconnaît aussi que ce nouveau contexte a questionné l’approche de l’association. « Nous avons failli perdre la ‘‘bataille’’ parce que nous ne communiquions pas et on n’entendait que leur voix. Cela nous a amenés à développer la communication. Nous avons organisé deux réunions publiques début 2023. Nous avons élaboré un fascicule de 30 pages pour expliquer le projet, ce qui nous a occupés pendant quatre mois. C’était sûrement nécessaire », dit le maire.
Autre défaut de communication qu’il a fallu rectifier : il a été moins facile d’embarquer en cours de route les habitants de Saint-Hilaire sur un projet qui, encore maintenant et pour des raisons de cohérence dans le temps, s’appelle toujours Montcel Durable.
S’il accuse les opposants de mensonges dans la façon de présenter le projet, ceux-ci, regroupés dans le collectif A contre-vents, affichent leurs inquiétudes concernant les impacts des éoliennes, que ce soit sur les paysages, la santé, le bruit, la production agricole ou le prix de l’immobilier. Le caractère citoyen et municipal de la démarche ne leur semble pas une garantie de démocratie et ils craignent le passage en force du projet sans réel débat.
Grégory Bonnet s’en défend et assure : « Je me suis engagé à ne réaliser le projet que s’il y a une majorité en sa faveur et il y aura une consultation. » Il sait d’ores et déjà que l’instruction du dossier prendra au moins un an et que des recours seront très certainement engagés. Mais l’horizon reste celui de la prochaine échéance, au printemps 2024 : « Une fois le dossier déposé, conclut-il, je considère que le boulot sera fait. Ensuite, les choses suivront leur cours… »
Reportage réalisé le jeudi 2 novembre 2023. Photo de Une Marie-Pierre Demarty : Le village de Montcel.
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