Vu du barrage #1/2 : c’est quoi au juste, Naussac ?

Difficile d’évoquer la question de l’eau potable dans le Puy-de-Dôme sans prononcer le nom de Naussac. Mais sait-on exactement ce qui se passe et à quoi sert ce fameux barrage ? Petite visite en Lozère…


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Lire la suite de ce reportage : « Vu du barrage 2/2 : Naussac face aux défis du changement climatique »

Le pourquoi et le comment

Une part non négligeable des habitants du Puy-de-Dôme – en gros toute la Limagne – est alimentée en eau potable par la nappe d’accompagnement de l’Allier. Ce qui signifie que si l’Allier s’assèche, nous aurons de sérieux problèmes.

Une des données de l’équation se situe très en amont, dans le nord de la Lozère, où un barrage a été construit pour soutenir les étiages de l’Allier.

Ça, c’est ce que tout le monde sait plus ou moins – en tout cas quand on s’intéresse un minimum à la question. Mais il m’a semblé que ça valait la peine de comprendre d’un peu plus près ce qui se trame par là-bas.

Dans ce premier article, je vous raconte à quoi sert le barrage de Naussac et comment il fonctionne. Et c’est plutôt rassurant.

Spoiler : les choses vont sérieusement se gâter dans le deuxième épisode.

Marie-Pierre


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Avant de traverser le Puy-de-Dôme et d’alimenter en eau potable une vaste zone correspondant grossièrement à la plaine de la Limagne, la rivière Allier trace sa route, depuis sa source sur le Moure de la Gardille, dans la partie Lozérienne des monts de la Margeride. Jusqu’à Vieille-Brioude, elle a creusé dans la montagne des gorges spectaculaires. Remontez ces gorges jusqu’à la limite de la Haute-Loire et de la Lozère, un peu en aval de Langogne : on parvient au point où un modeste affluent, le Donozau, la rejoint.

Depuis 1983, ce petit cours d’eau d’une vingtaine de kilomètres a une importance capitale pour l’eau qui sort de votre robinet si vous habitez Brioude, Issoire, Maringues ou même Clermont-Ferrand. Car c’est sur son modeste cours qu’a été créé la retenue d’eau de Naussac.

Vue du lac en plan large
Un vaste lac à près de 1000 mètres d’altitude, à la limite de la Lozère et de la Haute-Loire. – Photo Marie-Pierre Demarty

Le lac – qualifié de « véritable mer intérieure » par le site du Département de la Lozère – est vaste. L’été, on y pratique la voile et le pédalo ; les campings fleurissent sur son pourtour. Tout autour, les plateaux vallonnés couverts de prairies, de pins et de très peu d’habitations, sont propices à la randonnée. On est à 945 mètres d’altitude.

Double sens

Oubliez Serre-Ponçon ou Bort-les-Orgues. Le barrage en lui-même n’a rien de spectaculaire. Constitué de béton côté lac, d’enrochement – autrement dit de gros blocs de pierre – côté aval, avec du remblai entre les deux, c’est un (très gros) mur, plein, de 240 mètres de long et une soixantaine de mètres de hauteur. Suffisant pour couper le passage au petit Donozau.

Le Donozau qui ne suffit pas à remplir à lui tout seul ce vaste réservoir de 185 millions de m3 d’eau (quand il est à son maximum). Il a fallu y ajouter d’autres contributions : une rivière voisine, le Chapoureaux, est en partie dérivée pour y apporter en moyenne 42 millions de m3 par an. Et si ce n’est pas encore assez, on va pomper de l’eau de l’Allier en contrebas, dans la période où elle est abondante, c’est-à-dire grosso modo en hiver.

Le barrage de Naussac côté aval
Côté aval, le barrage est constitué d’enrochements. – Photo Marie-Pierre Demarty

En général, les barrages servent à produire de l’électricité : on retient une grosse masse d’eau, pour la faire chuter avec beaucoup de pression, entraînant des turbines qui vont transformer cette puissance en énergie utilisable. Ici, il y a bien une petite usine hydroélectrique, mais elle est accessoire. Sa particularité : elle est conçue pour fonctionner dans les deux sens et surtout en sens inverse, pour le pompage. Le turbinage n’entre en fonction que pour profiter de la force des lâchers d’eau. Elle est alors injectée dans le réseau électrique – tant qu’à faire…

Étiages et conséquences

A quoi sert donc de pomper de l’eau en aval pour remplir un lac ? Le rôle de Naussac tient en trois mots : soutenir les étiages de l’Allier.

C’est en cela qu’il nous intéresse.

Reprenons à la base : l’étiage d’un cours d’eau, c’est le plus bas niveau auquel ses eaux descendent dans l’année, généralement en été pour ce qui concerne nos climats.

Ce niveau minimum varie chaque année, en fonction de ce qui se passe dans le périmètre de son bassin versant : abondance des précipitations, températures qui favorisent plus ou moins l’évaporation, capacité des sols à retenir l’eau assez longtemps pour en restituer encore en été, éventuellement la fonte des neiges et des glaciers, etc. Et bien sûr, en fonction de l’activité humaine, quand le réseau d’eau potable, l’agriculture ou l’industrie se servent au passage.

Centrale nucléaire de Belleville
La Loire est utilisée pour le refroidissement de quatre centrales nucléaires, dont celle de Belleville-sur-Loire. – Photo François Goglins / Licence Creative Commons CC BY-SA 3.0

Les conséquences de ces étiages, lorsqu’ils sont très bas, peuvent nous atteindre de plein fouet, mais avec nous l’ensemble des milieux naturels. Et aussi, pour ce qui concerne le bassin de la Loire (incluant l’Allier, son principal affluent), le système de refroidissement des centrales nucléaires.

Suffisamment de raisons qui ont conduit la puissance publique à entreprendre la construction de deux barrages, en dépit d’une très forte contestation, dans les années 1970-80.

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Le barrage de Villerest, mis en service en 1984, a été construit sur la Loire, près de Roanne, et a pour rôle le soutien d’étiage, mais aussi l’écrêtage des crues.

Mis en service un an plus tôt, Naussac a seulement un rôle de soutien d’étiage. Parce qu’il ne se situe pas directement sur le cours de l’Allier, pour ce qui est des crues, il n’y pourrait de toute façon pas grand chose.

« Les eaux que nous lâchons finissent dans la Loire, donc le barrage contribue aussi à soutenir l’aval. »

Naussac soutient principalement l’étiage de l’Allier : il s’agit de s’assurer que le débit de l’Allier ne tombe pas en dessous de seuils minimums en quatre points : au pied du barrage, à la confluence de l’Allier et du Chapeauroux, à Vieille-Brioude et à Vic-le-Comte.

Accessoirement, il peut être utilisé en complément de Villerest pour maintenir le niveau d’eau de la Loire à Gien. « Mais bien sûr, les eaux que nous lâchons finissent dans la Loire, donc le barrage contribue aussi à soutenir l’aval », précise Emmanuel Lehmann, responsable des barrages à l’Établissement Public Loire, le syndicat mixte propriétaire et gestionnaire des deux barrages.

Vu du confluent Allier-Chapoureaux
Le premier point après le pied du barrage où Naussac doit assurer le soutien d’étiage : la confluence de l’Allier et du Chapoureaux, dans les gorges de l’Allier, au lieu-dit « Le Nouveau Monde ». – Photo Marie-Pierre Demarty

Les objectifs assignés au barrage nécessitent d’anticiper le comportement du cours d’eau, car l’eau lâchée à Naussac va mettre un jour et demi pour arriver à Vieille-Brioude, deux jours et demi jusqu’à Vic-le-Comte et cinq jours pour Gien. Il s’agit donc de prévoir, à l’aide de modélisations tenant compte des débits, des usages et des prévisions météo, quelles quantités seront nécessaires.

Lire aussi : « Une crue centennale de la Tiretaine pourrait faire de très gros dégâts », prévient Jean-Michel Delaveau »

Seuils fixes et seuils variables

Les objectifs d’étiage, ce n’est pas l’Établissement Public Loire qui les fixe. Les décisions émanent du Comité de Gestion des Réservoirs de Naussac et Villerest et des Étiages Sévères (CGRNVES). Présidé par la préfète de bassin, celui-ci rassemble les représentants des différentes parties prenantes de l’ensemble du bassin, des sources jusqu’à l’océan : État, collectivités et les divers usagers, ainsi que l’Établissement Public Loire.

« L’Établissement Public Loire n’est pas décisionnaire, mais il est moteur. »

« L’Établissement Public Loire n’est pas décisionnaire, mais il est moteur, peut faire des propositions et notamment des demandes de dérogation permettant de passer en dessous des seuils d’étiage fixés, afin d’économiser de l’eau si besoin », explique Emmanuel Lehmann.

Panneau proche du lac
Le barrage est la propriété de l’Etablissement Public Loire, qui en a confié la gestion quotidienne à un prestataire, BRL. – Photo Marie-Pierre Demarty

Seuils qui relèvent de deux cas de figure possibles. Soit l’objectif d’étiage est figé et inscrit dans le règlement d’eau du barrage, comme à Vieille-Brioude où il était jusqu’à présent arrêté règlementairement à 6 m3 par seconde ; dans ce cas, le comité n’a pas à statuer. Soit il est variable, ce qui est le cas à Vic-le-Comte. Cela semble un détail technique, mais il n’est pas anodin, comme on le verra dans le prochain article.

Détaillons donc. Pour Vic-le-Comte, le seuil d’étiage peut être modulé entre 10 et 14 m3/s. La valeur est fixée chaque année en début de la période du soutien d’étiage, puis ajusté si besoin en cours de saison par le CGRNVES. La décision est prise en fonction du niveau d’eau dans le barrage, des conditions météo, de la période de début de soutien. Un savant dosage qui doit répondre à la nécessité de garantir de l’eau dans la durée, sur toute la saison où la rivière peut manquer d’eau.

Lire aussi : « Pourquoi et comment stocker l’eau sur le territoire ? »

Au plus bas

Cette période de soutien d’étiage débute en général vers avril ou mai et se termine à l’automne. Ensuite, à la faveur des pluies d’automne, d’hiver et de début du printemps, le lac qui s’est plus ou moins vidé pendant l’été se recharge… autant que possible.

« L’ouvrage nécessite surtout un constant travail de contrôle et d’entretien »

Au quotidien, cinq personnes travaillent sur le barrage, dont quatre de la société BRL, prestataire chargé de l’exploitation courante de l’ouvrage. « Ils reçoivent les consignes chaque semaine et règlent les vannes en fonction des lâchers nécessaires. Mais ce n’est pas ce qui demande le plus de temps. L’ouvrage nécessite surtout un constant travail de contrôle et d’entretien », précise Emmanuel Lehmann.

En ce début d’automne, le vaste réservoir de Naussac est bas. Les bateaux de la petite base nautique n’en mènent pas large. Près du barrage, des irisations vertes révèlent les premiers signes de développement de cyanobactéries, sur ce plan d’eau qui en souffre habituellement très peu.

L’automne se fait attendre. Mais le responsable du barrage n’est pas inquiet. Ce qui ne veut pas dire qu’il est optimiste.

Prochain article : « Vu du barrage #2/2 : Naussac face aux défis du changement climatique »


Reportage réalisé le vendredi 29 septembre. Photo de Une Marie-Pierre Demarty : la vue depuis le barrage, vers l’aval, avec au premier plan l’usine de pompage-turbinage.

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