La voiture électrique a-t-elle vraiment réponse à tout ?

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

L'animatrice du débat et les trois intervenants
Rencontres Tikographie #46 - On a discuté mobilités de demain avec trois intervenants, dont un inconditionnel de la voiture électrique, et deux challengeuses s’appuyant sur des expériences locales pour nuancer son propos. Et c’était comment ? Électrique.

Sommaire

Les intervenants

  • Blandine Chazelle, co-présidente de l’association Les Monts qui Pétillent dans la montagne thiernoise
  • Didier Malga, consultant en mobilité décarbonée, vice-président de l’AVERE-AURA (association nationale pour le développement de la mobilité électrique), champion du monde FIA New Energies en 2018 (championnat des énergies alternatives organisé par la Fédération internationale de l’automobile)
  • Florence Puiseux, responsable filière « mobilité durable » à Clermont School of Business, en charge du programme « compétences et métiers d’avenir »

Le podcast

Vous pouvez accéder à un enregistrement « nettoyé » – pour une meilleure écoute – de la Rencontre ici :

La synthèse : Solution miracle avec 50 nuances de problématiques

Sachant que les transports représentent en France un tiers des émissions de gaz à effet de serre, comme l’a rappelé Maïa Douillet, chargée de recherche à l’Institut de l’économie pour le climat, dans la vidéo introductive de cette rencontre, tout le monde sera d’accord – hormis quelques climato-négationnistes butés – qu’il y a là un problème à prendre d’urgence à bras-le-corps. Mais là s’arrête le consensus, à en juger par le ton parfois tendu des échanges qui ont suivi et particulièrement au moment des questions du public.

La solution est-elle dans le tout-voiture électrique, en substitution du parc de voitures thermiques actuel encore très majoritaire ?

« Le problème du prix est un problème uniquement psychologique. »

C’est ce que prône Didier Malga, intarissable défenseur de cette révolution technologique, qui présente l’électrification du parc comme la solution quasi miraculeuse au problème climatique. Le champion du monde a réponse à toutes les objections et balaie tous les freins à l’adoption de ce moyen de se déplacer.

La « barrière à l’entrée » du coût d’achat du véhicule, relevée par Florence Puiseux ? « Le problème du prix est un problème uniquement psychologique », affirme-t-il, car on peut opter pour la location mensuelle, sans compter que le prix des voitures électriques diminue et que « le marché de l’occasion est en train de se développer. »

Portrait de Didier Malga
Pour Didier Malga, il y a urgence à convertir massivement les automobilistes à la voiture électrique.

La difficulté à s’organiser pour recharger la batterie ? 50% des Français vivent en maison individuelle et même 70% à la campagne. « On branche sa voiture comme son téléphone, la nuit, et le lendemain, c’est plein. » Et sur les longs trajets : « La voiture sait où sont les bornes. Il existe plus de 160 000 points de recharge en France, et sur les autoroutes on en trouve tous les 50 km ; pour tomber en panne il faut vraiment le vouloir. »

« Vous faites des économies dès le premier mois. »

La consommation de ressources n’est pas non plus un problème, argumente-t-il, car les voitures électriques ne contiennent pas de terres rares (sauf peut-être dans les ordinateurs de bord qui repèrent les bornes de recharge, a-t-on envie de lui objecter) ; le lithium, « il y en a partout », et « les batteries se recyclent à l’infini. » L’eau nécessaire pour l’extraction, selon lui, « ne pose pas de problème car elle est restituée à la nature. »

Florence Puiseux au micro, face à Didier Malga
Échange entre Florence Puiseux et Didier Malga : la voiture électrique est mieux que la voiture thermique, mais la conversion est-elle si simple pour tous ?

On le suit quand il exhorte à considérer qu’« il faut changer car le problème climatique est une urgence », qu’il « faut commencer par se rendre compte de ce qu’on dépense tout de suite » avec sa voiture thermique et que « vous faites des économies dès le premier mois ». Et sur le fait que la voiture électrique est moins nocive que la voiture thermique – en tout cas en termes d’émissions de gaz à effet de serre et de nuisances sonores.

Mais son argumentaire sans nuance finit par ressembler au boniment pour un produit miracle, surtout quand il finit par se contredire. Par exemple quand il affirme en début de débat qu’« une voiture électrique ne s’achète pas mais se loue, surtout que la technologie évolue très vite et apporte de l’obsolescence », mais finit par rassurer une personne du public en lui promettant qu’elle va pouvoir conserver sa voiture encore plus longtemps qu’une thermique « parce qu’elle ne s’use pas, ne tombe pas en panne, peut durer indéfiniment. »

La suite de votre article après une petite promo (pour Tikographie)

« Les imaginaires, médiation culturelle de la résilience territoriale »

Notre prochaine table ronde réunira des intervenant.es puydômois.es autour des « imaginaires » et de la manière dont ces représentations culturelles façonnent notre engagement

48ème Rencontre Tikographie, jeudi 10 avril 17-19h (au KAP) – tous publics, accès libre

Merci pour votre temps de cerveau disponible ! Le cours de votre article peut reprendre.

Il n’était pas facile au cours de ce débat de lui faire céder la parole, mais l’exposé plutôt conciliant de Florence Puiseux ou les interrogations sur le modèle tout-voiture individuelle de Blandine Chazelle apportaient un contrepoint salutaire. L’une et l’autre se basaient sur des expérimentations locales, dans des contextes très différents mais s’appuyant sur des besoins et retours d’expérience concrets.

« On souffre d’autosolisme. »

Blandine Chazelle évoque ainsi l’expérience de l’association Les Monts qui pétillent, dans la montagne thiernoise, où la ruralité, l’éloignement de beaucoup de services, la configuration pentue et le niveau de vie très modeste de beaucoup d’habitants rendent l’équation de la mobilité complexe. « On a attrapé le sujet par la question de comment se déplacer sans véhicule individuel », commence-t-elle, avec cette optique de « se passer de ces voitures qui occupent une place énorme sur le territoire ».

Elle reconnaît « l’opportunité » de l’électrification, mais à condition de l’élargir aux autres modes de transport que la voiture, notamment dans la possibilité de réintroduire le vélo dans les modes de déplacement possibles y compris en zone de montagne. Et rappelle aussi qu’« on souffre d’autosolisme », la réduction de ce phénomène constituant « un vrai changement de pratique, bien plus fort que celui de passer à la voiture électrique. » Et de souligner que « la société s’est organisée autour de la voiture individuelle ; ça amène à la question de s’organiser individuellement et collectivement. »

Portrait de Blandine Chazelle pendant la rencontre
Pour Blandine Chazelle, la question de la mobilité nous amène à des changements de mode de vie plus importants qu’un simple passage au tout voiture électrique.

Un défi d’autant plus important que les situations individuelles révèlent de nombreux freins à l’adoption de pratiques vertueuses. Passer à la voiture électrique ? Le coût d’achat, même s’il diminue, apparaît insurmontable pour des ménages qui ne sont pas solvables, sans compter, souligne-t-elle, « les personnes qui ne sont pas aptes à conduire, parce que trop jeunes, trop vieux, handicapés, n’ayant pas le permis… » Passer à d’autres modes de transport ? C’est oublier « l’image de la voiture, qui fait que les gens ne vont pas vers d’autres solutions ». Envisager l’autopartage ? Cela suppose des pratiques digitalisées qui excluent aussi une partie de la population.

« L’image de la voiture fait que les gens ne vont pas vers d’autres solutions. »

Ces cas de figure montrent la complexité de la problématique, qui s’ajoute à la question de la nécessaire sobriété, soulevée par les problématiques de fabrication et d’empreinte matières, qui font conclure Blandine au besoin plus général de « changer de modes de vie. »

Sur l’action des Monts qui pétillent pour la mobilité, lire aussi le reportage : « Les Monts qui pétillent s’attèlent au casse-tête de la mobilité dans le monde rural »

Quant à Florence Puiseux, elle s’appuie sur l’expérience d’un projet porté par l’Université Clermont Auvergne, en réponse à un appel à manifestation d’intérêt sur les « compétences et métiers d’avenir » : il s’agit d’une Académie des mobilités durables, un « programme multidisciplinaire pour la montée en compétence des étudiants », croisant les approches complémentaires de Clermont School of Business, de l’École d’architecture, des écoles d’ingénieurs et du Hall 32, décrit-elle. Avec l’idée de « construire un parcours ensemble », de créer des modules de formation « pour éviter les idées trop simplistes ».

Florence Puiseux
Florence Puiseux rappelle la nécessité de mener de front les différentes approches : « éviter, transformer, améliorer, réparer ».

De fait, elle propose un regard nuancé qui admet à la fois l’indéniable avantage environnemental de la voiture électrique sur le thermique, mais intègre aussi les nombreux freins à son adoption. Elle reconnaît que « les besoins ne sont pas les mêmes pour tous » et qu’il « faut mener de front » les différentes voies de sortie des mobilités carbonées. Elle rappelle et détaille le cadre de référence de ces différentes voies : « éviter, transformer, améliorer, réparer », ainsi que la grande problématique de santé publique qu’est la sédentarité, que la solution tout-voiture ne contribue pas à résoudre.

« Tant qu’on n’a pas mis en place des alternatives efficaces, les gens n’y vont pas. »

Elle appelle donc à « un effort collectif qui nécessite de coordonner toutes les actions » et, pour faire écho à la nécessité d’inclusion relevée par Blandine Chazelle, énumère les quatre critères des mobilités durables : assurer un accès universel pour tous, améliorer la sécurité, améliorer l’efficacité en termes d’énergie, mais aussi de fiabilité, d’horaires, de multimodalité, etc., et réduire l’empreinte environnementale. « Tant qu’on n’a pas mis en place des alternatives efficaces, les gens n’y vont pas », relève-t-elle pour conclure.

Au fait, la mobilité, c’est parfois juste un déplacement de quelques dizaines de mètres. Cette rencontre a été l’occasion d’inaugurer notre nouveau lieu de rendez-vous : jusqu’en juin, le temps des travaux dans la librairie des Volcans, les Rencontres Tikographie prennent leurs quartiers au Kap, le nouveau centre de ressources de l’Université. En tram, en bus, à vélo, en train, à pied ou en voiture (si possible) électrique, rejoignez-nous !

Synthèse par Marie-Pierre Demarty

La rencontre vue du haut des gradins, derrière le public
Un nouveau cadre pour nos Rencontres : le petit amphi du hall du Kap, le temps des travaux à la librairie des Volcans.

Autres ressources

Interview de Maïa Douillet (I4CE) sur les enjeux de la mobilité décarbonée

Les crédits

Merci à la librairie les Volcans d’Auvergne pour le partenariat de réalisation des Rencontres Tikographie pour cette saison, et en particulier à Boris, Philippe, Lénaïc, Olivier et Gaëlle. Merci également au KAP, à Fabrice et à l’Université Clermont Auvergne pour leur accueil.

Merci à nos invités, aux participants et à l’équipe de l’association Tikographie qui porte et organise les Rencontres.

Pour cette Rencontre spécifique ont œuvré :

  • Laura-Lou à la préparation éditoriale et à l’animation ;
  • Damien à la prise de son ;
  • Marie-Pierre aux photos et au compte rendu.
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