Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Il n’y a pas si longtemps, la « petite tisane » était vue comme la boisson de Mamie. Mais ça change. L’infusion est tendance, s’achète en vrac dans les magasins bio, en sachets industriels sans goût ou en packagings ultra-chics.
La fleur s’invite aussi dans vos crèmes de beauté, dans les gélules qui vous redonnent du tonus, dans les granules homéopathiques et les médicaments vendus sur ordonnance, les pestos créatifs, les sirops à l’ancienne et les limonades vintage. Les savons, les huiles essentielles qui parfument votre intérieur cosy, les macérats et les eaux florales…
Mais vous êtes-vous déjà demandé d’où sortent ces reines des prés, aubépines, millepertuis, achillées, arnicas, gentianes et bruyères ?
Je suis remontée à la source. Pas celle des fades verveines importées de Roumanie ou de plus loin encore. Mais celle des filières locales, artisanales, exigeantes.
J’y ai trouvé de beaux modèles de vie et d’activité, qui fleurent bon la résilience pour nos territoires.
Dans ce premier volet je vous présente deux belles personnalités qui ont opté pour des montages, des filières et même des métiers différents. Dans le prochain article, on comprendra ce qui les rapproche. Et c’est plutôt chouette.
Marie-Pierre
Trois infos express [cliquer pour dérouler]
- Installé dans le Livradois depuis deux ans et demi, Dominique Guardiola-Falco cultive des plantes aromatiques et médicinales bio. Par affinité et par souci de trouver un équilibre économique, il a choisi une dizaine de plantes qu’il commercialise surtout auprès de laboratoires et de grossistes : arnica, serpolet, mauve, calendula… Il vend aussi du CBD sous sa propre marque, OLF!
- La petite propriété agricole a été entièrement aménagée par Dominique, avec sa compagne et des chantiers participatifs : maison bioclimatique, séchoir, récupérateur d’eau de pluie, panneaux photovoltaïques… Il a aussi bricolé un étonnant tracteur électrique fonctionnant sur batterie et panneau solaire, à partir d’un vieil engin des années 1950.
- Non loin de là, sur la même longueur d’ondes mais sur un tout autre modèle, Véronique Vaudable commercialise elle aussi des plantes aromatiques et médicinales, mais principalement sauvages. Cueilleuse depuis 17 ans, elle les récolte dans la nature et les commercialise en Amap et supérettes bio, principalement sous forme de tisanes.
Je n’aurais pas pu trouver pire jour pour rendre visite à un producteur de plantes aromatiques et médicinales (ou PAM), dans un petit hameau du Livradois, à 700 m d’altitude. Ciel gris foncé, une humidité dans l’air qui hésite entre brouillard et crachin, et même quelques flocons, pile au moment où nous allons jeter un œil à ce qu’il reste des cultures, en cette période hivernale.
Par contre, pour discuter du métier devant une verveine maison, dans la chaleur accueillante d’une maison en bois et paille construite par ses occupants, ça va bien. Tandis qu’il me parle, Dominique réduit en petits brins, à l’aide d’un mini-sécateur, des inflorescences de chanvre étalées sur la toile cirée. Il les commercialise auprès des bureaux de tabac, dans de jolies boîtes de CBD sous sa marque : OLF !
« C’est devenu une évidence de le cultiver. »
« Ça veut dire ‘On le Fay’, par référence au nom du hameau, et par jeu de mot sur ‘On le fait’, parce que je suis heureux d’avoir développé une activité où je suis autonome, et sur ce territoire. Ou encore ‘Origine Livradois-Forez’, voire ‘On le fume’… On peut y mettre plein de significations ! », décline-t-il, en m’expliquant pourquoi il a eu envie de cultiver cette plante à CBD « relaxante mais sans aucun effet psychotrope car c’est une variété quasiment sans THC », alors qu’il se lançait dans les cultures de PAM : « J’ai contracté un mal de dos faramineux et je me suis soigné au CBD, ce qui m’a permis de me passer de médicaments. C’est devenu une évidence de le cultiver. »
Sensibilité
Installé depuis deux ans et demi dans les environs d’Égliseneuve-des-Liards, Dominique Guardiola-Falco revendique de choisir les plantes qu’il cultive en fonction de la rentabilité économique et du terrain, certes, mais aussi des affinités qu’il ressent et qui, dit-il, « ne seront pas les mêmes chez d’autres producteurs », dans cette filière où le choix des espèces à cultiver est beaucoup plus vaste que dans d’autres branches agricoles.
« Monsieur Serpolet, pépère, n’exige presque rien ! »
« Par exemple j’ai essayé la menthe mais je n’y arrive pas bien, développe-t-il. Je me découvre ces affinités petit à petit. La mauve est la première fleur que j’ai choisie, d’abord par rapport à sa rentabilité, mais je l’ai vite appréciée. Elle est généreuse, géniale, mais très exclusive, presque jalouse : pendant sa période de production, il faut cueillir tous les jours. Ou tu es d’accord, ou tu ne l’es pas… Et à côté, Monsieur Serpolet, pépère, n’exige presque rien ! En plus il est chez lui ici : c’est notre thym local. Je l’aime bien lui aussi. »
Dominique illustre par là une des particularités de son métier : « parce qu’on s’intéresse à plein de plantes et qu’on peut en travailler des dizaines ou même une centaine, cela exige un niveau de connaissances élevé, une attention plus fine au milieu naturel, car chacune a des besoins différents en termes de sol, de conditions climatiques, et cela nous amène à développer une forte sensibilité au vivant. »
Signatures
Lui-même a choisi de ne cultiver qu’une dizaine de plantes, en quantité relativement importante pour un petit producteur individuel – mais sans commune mesure avec les coopératives et grosses entreprises qui se sont aussi développées dans cette activité. Son créneau, c’est principalement la revente à des grossistes en herboristerie ou à des laboratoires qui les transforment en produits pharmaceutiques et cosmétiques ou en compléments alimentaires.
Mais il en connaît les propriétés qu’il énumère comme s’il décrivait des personnalités : l’arnica, « antichoc par excellence » et très demandée car en forte régression à l’état sauvage ; la mauve, sa plus grosse production, adoucissant prisé dans la cosmétique ; le calendula, « number one pour la peau, ma découverte de cette année », ou encore le serpolet : « Il est utilisé en complément alimentaire. C’est une des plantes qui m’a rapporté le plus ; ce n’était pas du tout prévu car j’avais plutôt tablé sur l’arnica mais la première récolte a été décevante. Au début on tâtonne… »
Il évoque aussi cette connaissance empirique appuyée par de très anciennes traditions, qui identifie les propriétés des plantes par « signatures » : corrélation entre la forme d’une noix et son possible bienfait pour le cerveau ; entre la fleur d’arnica, « jamais parfaite, comme si elle s’était pris une baffe » et sa capacité à apaiser tous les chocs, de l’hématome à la blessure psychique.
« Au début on tâtonne… »
Il cultive en bio, sur 1 hectare, par carrés de 500 m², et a laissé depuis peu un morceau de son terrain à un collègue qui souhaite s’installer mais n’a pas eu comme lui la grande chance de trouver un agriculteur prêt à lui céder une partie de ses terres.
Sur un autre modèle de ferme incluant la cueillette de sauvages, lire aussi le reportage : « La famille Porteilla réinvente le sens de la vie à la ferme » |
« L’année tiko 2024 », 16 portraits et reportages sur des initiatives puydômoises inspirantes. Disponible à partir du 12 décembre auprès de notre association (lien ci-dessous) ou à la librairie des Volcans au prix de 19 €
Maison bioclimatique
Ancien informaticien, Dominique est arrivé dans ce créneau tardivement et presque par hasard, après son installation dans ce bout de terrain au cœur du Livradois, avec sa compagne Astride. « Nous avions le projet de construire une maison bioclimatique. On a trouvé ici un agriculteur en polyculture-élevage qui nous a laissé le choix dans ses terrains à vendre. Nous avons construit la maison en chantiers participatifs, mais ça a pris plus de temps qu’on imaginait, de 2018 à 2022. »
« J’avais dans l’idée […] que c’était moins dur que le maraîchage… »
Un temps étiré qui a nécessité pour Dominique d’accepter, dit-il, des boulots alimentaires, avec de longs trajets quotidiens et peu de sens. Mais à la clef, la fierté d’un logement en matériaux naturels, chauffé par un poêle, autonome en électricité grâce aux panneaux solaires et tout de même, pour les journées vraiment sombres comme le jour de mon passage, un groupe électrogène permettant de brancher les ordinateurs, téléphones et autres appareils indispensables… à condition de faire quelques concessions acceptables sur le confort moderne, comme réserver le lave-vaisselle pour l’été.
Très vite est arrivée l’envie de se trouver une activité locale, « donc dans l’agriculture ». Quelques idées reçues, mais aussi les affinités avec Véronique Vaudable, cueilleuse sur la commune voisine, le font s’intéresser aux aromatiques et médicinales. « J’avais dans l’idée que ça ne demandait pas trop d’investissement et que c’était moins dur que le maraîchage… C’est un peu vrai, mais finalement pas tant que ça », reconnaît-il aujourd’hui.
Bio et autonome
La grande chance de Dominique, c’est d’avoir trouvé des terrains qui étaient déjà exploités en bio. « Ça m’a permis d’éviter la phase de conversion. Ça n’aurait pas été possible car sur le non bio, on ne peut pas s’aligner avec les productions d’importation », explique-t-il.
Contrairement à sa marraine Véronique dans le syndicat Simples (dont nous reparlerons), Dominique choisit la voie de la culture plutôt que la cueillette. « Je voulais être plus dans le contrôle alors que la cueillette est contraignante. Aujourd’hui je vois bien que nous avons aussi des aléas et dans le futur, je me vois bien sur les deux activités », analyse-t-il.
Surtout qu’il s’est heurté à une « terre pauvre, volcanique, sèche », mais qu’il a su amender, avec un couvert de biomasse en foin plutôt qu’en paille : une herbe de prairie plus riche en azote et en diversité de végétal.
Il s’en sort aussi grâce à son talent pour le bricolage. Dans le petit domaine qui occupe le bout de la route, il me fait visiter le séchoir « fait maison » et son système complètement mécanique pour chauffer l’air emprisonné derrière une vitre exposée (quand il y en a) au soleil – « ça peut monter à 70°C », commente-t-il.
Rétrofit
Puis plus loin, derrière les carrés de mauve, d’arnica, de calendula ou de serpolet rabougris par l’hiver, Dominique me montre le réservoir souple de 100 m3 qui récupère l’eau du toit de la maison, le petit hangar équipé lui aussi de panneaux solaires pour faire fonctionner les pompes.
« Il y a une multitude de modèles possibles. »
Et surtout, l’étonnant tracteur électrique que Dominique a bricolé à partir d’un vieux tracteur des années 1950 et d’un tutoriel américain pour le rétrofiter : le moteur à l’arrière de l’engin a disparu ; un petit coffre a été ajouté avec une batterie et ses câbles. « Par rapport aux tutos, j’ai ajouté le panneau solaire ; ça me permet de ne pas avoir trop besoin de la recharger, car l’autonomie en électricité a des limites », indique-t-il. Sur cette machine silencieuse et non polluante, il est heureux de pouvoir écouter les oiseaux, ou même de la musique, car il a poussé le raffinement jusqu’à y installer la radio.
« Pour le reste, les techniques sont très proches de celles du maraîchage, avec les mêmes outillages et les mêmes surfaces nécessaires, sauf qu’elles demandent moins d’eau. » La saison commence tôt, avec un peu de cueillette de bourgeons et les semis de plantes annuelles, puis devient très intense de mai à septembre environ. « Le CBD prolonge la saison car il mûrit plus tard, vers septembre-octobre, décrit-il. Ensuite il faut le préparer pour la vente. Enfin en hiver, il y aura encore les pieds d’arnica à diviser… »
Mais il insiste à plusieurs reprises sur le fait que son installation n’est pas représentative d’un standard de la filière, car dans les PAM, dit-il, « il y a une multitude de modèles possibles. »
Sur d’autres expériences de bricolage low-tech, lire aussi : « Au moins 7 idées low-tech à adopter chez vous » |
La suite de votre article après une petite promo (pour Tikographie)
« Demain, tous en voiture électrique ?«
Notre prochaine table ronde réunira trois intervenant.es puydômois.es autour de l’électrification des automobiles : ce qui est fait, ce qu’il reste à faire, ce qui est possible, souhaitable, inenvisageable… et comment voir le sujet autrement
46ème Rencontre Tikographie, jeudi 13 février 17-19h (changement de lieu : au KAP) – tous publics, accès libre
Merci pour votre temps de cerveau disponible ! Le cours de votre article peut reprendre.
En terrain connu
Véronique Vaudable, à qui nous rendons visite, en témoigne. « Je fais surtout de la cueillette et un tout petit peu de culture », explique-t-elle, tout en continuant à étiqueter ses produits : pâtes de coins, tisanes de « simples » ou en mélanges qu’elle distribue sous la marque Oxalis, principalement dans des Amaps ou des magasins bio de la proche région. « Je préfère ces débouchés parce que j’ai besoin de savoir ce que deviennent les plantes. Si tu les vends à des laboratoires ou des grossistes, tu ne sais pas à quoi elles vont servir », explique-t-elle.
Véronique est bien connue dans le Livradois, autant par les consommateurs que par les paysans et propriétaires du coin, chez qui elle prélève ses récoltes. Non seulement parce qu’elle pratique la cueillette depuis dix-sept ans, mais aussi parce qu’elle est d’ici : « Je suis fille de paysans, j’ai grandi ici, j’y ai mes réseaux. »
« Si tu les vends à des laboratoires ou des grossistes, tu ne sais pas à quoi elles vont servir. »
Et enfin parce qu’elle doit connaître la proche région comme sa poche pour sa pratique professionnelle : « Qu’ils appartiennent à un privé ou à une collectivité, chaque centimètre carré de terrain en France a un propriétaire, explique-t-elle. Donc quand je cueille, je suis forcément chez quelqu’un. Quand il s’agit d’une lisière de bois ou d’une friche après une coupe de forêt, le propriétaire n’est pas toujours facile à identifier. Mais je cueille surtout dans les prés ou dans les haies anciennes et je demande bien sûr l’autorisation à l’éleveur. La plupart du temps, ils acceptent et sont même intéressés, surtout si je peux les débarrasser d’une plante qui les gêne ! » Il faut aussi avoir connaissance des pratiques de chacun pour éviter de cueillir des végétaux dopés aux engrais chimiques.
La passion du végétal
Véronique cueille une « gamme classique » d’une vingtaine de plantes locales et en a, bien sûr, une excellente connaissance : « des bourgeons de pin, de l’aubépine, de l’ortie, de l’achillée… »
Toute jeune, elle a commencé par passer un BTS agricole à Marmilhat qui ne l’a pas enthousiasmée : « Je garde en tête l’exemple qu’on nous avait donné d’épandage de pesticides par hélicoptère, présenté comme un summum de modernité. Ça m’avait épouvantée ! »
« Il faut savoir pourquoi on le fait parce que c’est galère. »
Elle s’est alors détournée du monde agricole, avant d’y revenir via un brevet d’animation à l’environnement : « J’y ai rencontré la plante comestible et découvert le monde du végétal, qui m’a passionnée. Comme il y avait peu de travail dans ce domaine, j’ai enchaîné avec une formation de cueilleur : une activité que je savais pouvoir faire seule ; ça me convenait. Et je suis arrivée dans le métier au bon moment, en 2007, au début du développement du bio », raconte-t-elle.
Un métier qu’elle évoque comme on parle d’une vocation : « il faut savoir pourquoi on le fait parce que c’est galère », lance-t-elle, non pas pour qualifier la cueillette elle-même qui semble relever plutôt du plaisir et de la richesse des « échanges de bons procédés » avec les végétaux, mais pour la difficulté à se faire une place dans des marchés complexes et mouvants, même en circuits courts. « À part deux marchés de Noël que j’aime bien, j’ai arrêté les marchés parce qu’on voit beaucoup de monde mais on ne vend presque pas. Ce que je fais, c’est une niche. Et avec le reflux du bio, c’est encore plus difficile », poursuit-elle.
Adaptation
La connaissance fine des plantes l’amène aussi à porter un regard singulier sur les mutations qu’apporte le changement climatique : « C’est difficile d’avoir du recul parce que le sauvage prend les choses différemment. Des plantes comme l’aubépine sont capables de se mettre en dormance. D’autres vont fleurir plus tardivement, ou pousser en moins grande quantité. En général, je trouve de tout, même si je peux louper une floraison éphémère comme le tilleul si elle est décalée. La flore s’adapte. Elle ne disparaît pas mais change de comportement. Même à la suite d’une coupe à blanc sur une plantation de résineux, la richesse végétale revient très vite parce que les graines n’ont pas disparu des sols. C’est nous, les humains, qui ne nous adaptons pas ! »
Producteur et cueilleuse, plante cultivée ou sauvage, fournisseur de labos ou vente aux particuliers : les deux activités semblent avoir très peu en commun. Mais Dominique et Véronique, en grande complicité, partagent la connaissance de cette panoplie de végétaux qui nous font du bien, et surtout des valeurs : celles d’un syndicat à l’aura particulière auquel ils sont affiliés. Parlons-en dans le prochain article…
Prochain article : « Un métier qui traverse les temps… simplement » |
Reportage (texte et photos) Marie-Pierre Demarty, réalisé lundi 9 décembre 2024. A la une : Dominique Guardiola-Falco me dévoile un des trésors qui lui reste en stock, de pleins cartons de fleurs de calendula ou souci médicinal.
Soutenez Tikographie, média engagé à but non lucratif
Tikographie est un média engagé localement, gratuit et sans publicité. Il est porté par une association dont l’objet social est à vocation d’intérêt général.
Pour continuer à vous proposer de l’information indépendante et de qualité sur les conséquences du dérèglement climatique, nous avons besoin de votre soutien : de l’adhésion à l’association à l’achat d’un recueil d’articles, il y a six façons d’aider à ce média à perdurer :
La Tikolettre : les infos de Tikographie dans votre mail
Envie de recevoir l’essentiel de Tikographie par mail ?
Vous pouvez vous inscrire gratuitement à notre newsletter en cliquant sur le bouton ci-dessous. Résumé des derniers articles publiés, événements à ne pas manquer, brèves exclusives (même pas publiées sur le site !) et aperçu des contenus à venir… la newsletter est une autre manière de lire Tikographie.