Longeons l’Allier, notre alliée

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Canoës et kayaks sur l'Allier
Tikobalades d’été #4/5 – Dans le Puy-de-Dôme comme dans le département voisin qui en porte le nom, l'Allier fait office de "fleuve". Ce cours d'eau majeur et emblématique concentre de nombreuses fonctions et de nombreux enjeux. Tout au long de la voie verte qui le longe, passons-les en revue.

Ecouter cet article en podcast :

Voir tous nos podcasts – lectures audio, Rencontres Tikographie… – sur Spotify

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Encore un peu de fraîcheur pour vous accompagner dans vos balades estivales.

Mon précédent article vous a raconté les cours d’eau… en évitant soigneusement le principal, comme l’éléphant dans la pièce. Focus, donc, sur l’éléphant qui traverse notre département. Avec des enjeux à la pelle, à comprendre et à observer si vous envisagez de traverser la Limagne dans le sens nord-sud ou sud-nord. Ou simplement d’ouvrir le robinet d’eau.

Allez-vous y trouver un saumon ?

Marie-Pierre

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • L’Allier est un des tout derniers cours d’eau sauvages d’Europe : non canalisée, elle peut réguler d’elle-même ses taux de sédiments et créer librement méandres et bras secondaires, abreuver une forêt alluviale et donner vie à une biodiversité exceptionnelle.
  • Cependant ses usages multiples et l’évolution du climat accroissent les risques d’assèchement. La rivière bénéficie cependant de la régulation artificielle de la retenue de Naussac en Lozère, qui permet de soutenir les étiages. Mais le long épisode sec de 2022-2023 nous alerte sur la possibilité que Naussac ne suffise pas à l’avenir.
  • Un enjeu d’autant plus crucial que l’Allier approvisionne en eau potable les populations de toute la Limagne. L’épisode du projet de mégabassines près de Billom, puisant l’eau de l’Allier, fait augurer de conflits d’usages à venir. Sauf si nous savons nous écouter et nous entendre collectivement pour préserver et partager ce bien commun.
  • EN BONUS : 3 suggestions de balades en fin d’article pour découvrir l’Allier, à vélo ou à pied.

Il y a mille façons de prendre l’Allier comme fil conducteur de vos balades, brèves ou longues. En kayak, à vélo, à pied, en train ou même en vous amusant à la traverser en voiture à chaque pont routier qui la franchit : j’en compte 18 à l’intérieur de notre département.

Même si le grand fleuve qui irrigue l’Auvergne est relégué au rang de vulgaire rivière, supplanté (de justesse) par la Loire, « notre » Allier a aussi ses lettres de noblesse, puisqu’elle est connue comme « l’un des derniers grands cours d’eau sauvages d’Europe ».

L’Allier entre Mirefleurs et Longues : une rivière sans entraves.

Commençons par suivre l’eau. La rivière entre dans notre département, en provenance de la Haute-Loire, étonnamment entre Vézézoux (43) et Sainte-Florine (43). Puis elle fait office de frontière départementale, pas bien longtemps, jusqu’à la sortie de Brassac-les-Mines (63). Elle traverse d’abord la Limagne d’Issoire avant de se faufiler dans des gorges où l’accompagnent l’autoroute des vacances, puis débouche sur la Grande Limagne.

En vraie sauvage, elle évite consciencieusement les villes de notre département : Clermont-Ferrand, c’est bien connu ; Thiers, c’est logique ; Riom ça se comprend. Mais aussi Issoire, Cournon et Maringues qu’elle contourne soigneusement. Seule Pont-du-Château, sans doute pour mériter son nom, consent à l’accueillir, en la regardant quand même un peu de haut. Elle ne retrouvera un peu d’urbanité qu’une fois passée dans le département suivant, après avoir hésité longuement à y entrer, pour agrémenter Vichy puis Moulins.

L’Allier à Pont-du-Château : un des rares endroits où la rivière rencontre (un peu) la ville dans le Puy-de-Dôme.

Née bien en amont, sur une montagne de la Margeride nommée Moure de la Gardille en Lozère, elle termine sa course en allant rejoindre la Loire au Bec d’Allier, en aval de la ville de Nevers qu’elle évite également. Entre-temps, elle est alimentée par de nombreux affluents. Les deux plus importants étant l’Alagnon qui lui apporte les eaux du Cantal et la Dore qui draine le secteur du Livradois-Forez.

Cette « ruralité profonde » lui vaut sans doute sa liberté : très peu canalisée, elle s’autorise des méandres et des évolutions de ses berges que très peu de contraintes viennent perturber.

Comment fonctionne cette rivière, à qui elle sert, à quoi elle nous sert, comment va-t-elle ? Je vous l’ai raconté à de multiples reprises, en un patchwork d’informations complémentaires que nous allons ici coudre ensemble.

1. Une rivière en liberté

Bras mort de l'Allier
Un bras tranquille de l’Allier, caché dans la forêt alluviale, près de Maringues. Ces zones à l’abri du courant, dessinées par les divagations de la rivière, sont précieuses pour permettre aux poissons de frayer et à toute une faune et une végétation spécifiques de se développer.

Une rivière sauvage est une rivière qui n’est pas canalisée. La plupart des fleuves et grandes rivières en Europe s’écoulent aujourd’hui dans un corset de digues. Ce qui n’est bon ni pour le cours d’eau, ni pour la biodiversité qui vit dans et autour de lui, ni même pour nous.

Nous avons la chance d’avoir un des derniers grands cours d’eau réellement vivants du continent. Si vous suivez son cours, sur une carte, sur un vélo ou dans un canoë, vous prendrez conscience de sa fantaisie. Méandres qui dessinent des presque boucles, bras morts, bancs et plages de galets, îlots, étangs, falaises sont les traces de sa fantaisie et de ses mouvements.

Comprendre les mécanismes de la rivière et à quoi ils servent, c’est préserver sa vie et notre sécurité. Je vous l’avais raconté l’an dernier en posant cette question à Julien Saillard, du Conservatoire d’espaces naturels :

Mais pourquoi l’Allier est dite « rivière sauvage » ?

2. Une rivière fragile

L'Allier à Maringues, entre falaises et bancs de galets
En laissant l’Allier creuser des falaises, déposer des bancs de galets, abreuver des bandes de prairies inondées ou de forêts hydrophiles, on favorise une riche et rare biodiversité.

Savoir comment fonctionne la rivière est une chose. Faire en sorte qu’elle fonctionne encore mieux en est une autre. Car l’Allier n’est pas totalement préservée. Enrochements ici, pollutions provenant de nos diverses activités humaines là, changement climatique, prélèvements pour nos usages…

Dans ce deuxième article, vous comprendrez les actions qui sont menées pour réparer ce qui cloche. Ce n’est pas rien. Car l’Allier assure la présence dans notre région d’oiseaux rares et de poissons précieux, d’une forêt rafraîchissante et même d’une grande part de notre eau potable. Autrement dit, nos conditions de vie en dépendent.

C’est toujours en compagnie de Julien Saillard, du Conservatoire d’espaces naturels, très pédagogique :

L’Allier n’est pas un long fleuve tranquille

Lectures d’été : demandez la Biblitikographie !

En 2024, nous avons publié un petit texte numérique (format PDF) rassemblant une liste d’oeuvres livresques ou bédéesques sur l’écologie et les territoires, recommandées par la communauté et la rédaction Tiko. Pour bronzer futé, malin et clever, vous pouvez vous la procurer en payant, ou sans payer, mais de toute façons en nous soutenant (teaser)…

3. Des habitants saisonniers

Panneau à l'entrée d'un pont sur l'Allier
Plongeon et baignade interdits… sauf pour les saumons, qu’on aimerait voir plus nombreux !

Nos conditions de vie en dépendent, mais encore plus celles d’un être presque mythique. Tellement important et emblématique que sa présence est annoncée à chaque pont que vous passez : « L’Allier, rivière à saumons ».

Vraiment ? Avec 62 individus ayant franchi la passe à poissons de Vichy l’an dernier, on peut en douter. Il faut dire que ce courageux voyageur affronte des épreuves à chaque coup de nageoire, dans une incroyable Odyssée. Et que nous ne lui facilitons pas la tâche.

Découvrez ou redécouvrez son épopée dans cet article et pensez à lui lorsque vous croiserez l’un des fameux panneaux :

Où en sont les saumons de l’Allier ?

4. Parfois beaucoup d’eau

L'Allier en crue à l'automne 2024
L’Allier a régulièrement des périodes de crue, comme ici en octobre 2024. Rien d’inquiétant… pour l’instant.

Une rivière, ça peut gonfler. Nous avons eu la chance ces dernières années de ne pas connaître d’inondations dramatiques comme en ont vécu les habitants du nord de la France, ceux de la Loire ou du Midi. Mais sommes-nous réellement à l’abri ?

J’en avais discuté en mars 2024 avec le responsable local de Vigicrues, à l’occasion d’un de ces moments de hautes eaux. Certes, la configuration du bassin versant de l’Allier nous protège, expliquait-il : les crues sont conditionnées à des épisodes cévenols remontant très haut vers le nord pour atteindre au moins la Margeride. Dans la suite de son parcours, la rivière est protégée de l’influence océanique humide par la barrière montagneuse. Sans compter que notre « rivière sauvage » a de la place pour s’étaler et évite les zones densément peuplées où elle pourrait faire des ravages.

Tout de même, la vigilance s’impose, nous dit Fabien Jubertie dans cet entretien :

Faut-il s’inquiéter des crues de l’Allier ?

5. Parfois trop peu

Le lac du barrage et ses berges
Le barrage de Naussac fin septembre 2023 : presque vide !

Conséquence de ce qui précède, le risque dans le Puy-de-Dôme est surtout inverse : pas assez de pluie, un débit qui baisse dangereusement en été, une évaporation maximale par fortes chaleurs. Et beaucoup d’usages à satisfaire.

Le vivant en dépend, mais nous aussi, puisque nous buvons de l’eau de l’Allier. On pourra se rassurer en sachant que la vaste retenue d’eau de Naussac en Lozère a pour fonction de réguler les étiages de l’Allier, c’est-à-dire de lui garantir un débit minimal même en période de sécheresse.

Mais la longue période sèche de 2022-2023 a montré que Naussac pourrait être insuffisant. Surtout dans un contexte de réchauffement global du climat. D’où la nécessité d’en faire un usage prudent.

J’avais décortiqué le fonctionnement et les enjeux de Naussac en deux articles, en ce début d’automne 2023 où l’inquiétude était tangible.

Vous voulez du thriller et de l’épouvante dans vos lectures estivales ? Relisez ce feuilleton en deux épisodes :

Vu du barrage #1/2 : c’est quoi au juste, Naussac ?
et
Vu du barrage #2/2 : Naussac face aux défis du changement climatique

« Quel impact du sport outdoor sur la nature ?« 

51ème Rencontre Tikographie à la rentrée 2025 dans le nouvel espace événementiel de la librairie des Volcans !

Jeudi 18 juin (17h-19h, horaire à confirmer) à la librairie des Volcans – tous publics, gratuit et en accès libre

6. Quels usages, quels mésusages ?

La longue manif dans son décor champêtre
Plus de 6000 personnes s’étaient rassemblées en mai 2024 pour protester contre le projet de mégabassines puisant l’eau de l’Allier. Prémices de conflits d’usages à venir ?

L’eau est précieuse, c’est entendu. Quand elle se fait rare, chacun doit veiller à en user avec parcimonie, à économiser ce bien commun. En cas de restrictions nécessaires, la législation prévoit que les réponses aux besoins soient hiérarchisés, avec priorité à la biodiversité, puis à l’eau potable. Viennent ensuite les besoins agricoles, puis industriels. Est-il nécessaire de rappeler que le remplissage de votre piscine ou l’aspect nickel de votre SUV ne font pas partie des priorités ?

Par contre, lorsqu’il s’agit de l’arrosage des grandes cultures, les choses se compliquent et les positions se crispent. En 2023-2024, un projet de construction de mégabassines puisant l’eau de l’Allier en hiver pour arroser les cultures (et notamment le maïs) en été avait alimenté la polémique : mal-adaptation scandaleuse pour les uns, nécessité économique quasi vitale pour les autres.

Après une manifestation festive, nombreuse et joyeuse en mai 2024, puis la nécessité d’abandonner un des deux sites retenus qui s’est avéré impropre à la réalisation du projet, celui-ci est aujourd’hui en suspens, officiellement en recherche d’un nouveau site.

Il n’est cependant pas inutile de se remémorer les contraintes et les arguments des deux parties pour comprendre les enjeux et les tensions… qui n’ont pas pour autant disparu avec l’eau de la bassine. Nos capacités à s’écouter et à trouver collectivement des solutions apaisées promettent d’être mises à rude épreuve, mais sont cruciales dans un avenir dont les chaleurs et sécheresses estivales vont aller croissant.

A relire, donc, deux articles qui se répondent et posent calmement le point de vue des uns et des autres :

Bassines à Billom #2/3 : « Si on pouvait se passer d’irrigation, on le ferait volontiers »
et
Bassines à Billom #3/3 : « C’est toute la question du mode de production qui interroge  »

7. De l’eau pour boire

Champ captant à Pont-du-Château
Les champs captants, installés dans plusieurs zones le long de l’Allier, puisent dans la nappe alluviale pour approvisionner les populations de la Limagne en eau potable. Ici celui de Pont-du-Château.

Dernière précision et non des moindres : comme j’y ai fait allusion dans les paragraphes précédents, il n’est pas inutile de garder en tête qu’une part importante des habitants du Puy-de-Dôme consomme au robinet l’eau de l’Allier.

Rassurez-vous, elle n’est pas puisée directement dans le courant qui frôle votre kayak ou récupère la canette de bière que vous avez négligemment laissée sur la berge après votre pique-nique au bord de l’eau (non, pas vous quand même ?).

Mais elle est puisée en différents champs captants qui vont chercher l’eau de la nappe alluviale ou nappe d’accompagnement de la rivière : cette couche de roche poreuse, constamment gorgée d’eau, présente de part et d’autre et sous le lit du cours d’eau, et qui joue avec lui au jeu des vases communicants.

Je vous ai raconté récemment comment cette eau est captée et traitée à Cournon pour la métropole clermontoise. Sachez que la même opération est reproduite en amont et en aval, dans des proportions moindres, pour les autres bassins de population de la Limagne.

Le parcours de l’eau jusqu’à votre robinet est donc raconté ici :

Par quoi passe l’eau de nos robinets ?

Vous l’aurez compris : la colonne vertébrale hydrique de notre territoire est un allié précieux pour la vie sauvage et humaine, pour la régulation du climat en évolution inquiétante… et même pour nos loisirs : pique-niquer dans la fraîcheur ou longer la rive à vélo, profiter d’une guinguette au bord de l’eau, s’essayer au geste rafraîchissant du coup de pagaie, s’émerveiller de l’apparition d’une aigrette ou d’un martin pêcheur, d’une sterne ou, plus rare, d’un guêpier d’Europe…

DÉCOUVRIR LA RIVIÈRE ALLIER :

> A vélo, l’itinéraire royal est la Via Allier : un itinéraire de 455 km partant de sa confluence et remontant la rivière jusqu’à Langogne, sur petites routes et partiellement en voie verte. Site dédié avec toutes les infos ici.

> Si vous êtes à pied, voici deux itinéraires qui vous permettront de découvrir l’Allier de près et de loin : du côté de Dallet, une très facile balade d’1 heure de l’Allier au puy de Mur ; un peu plus au sud et un peu plus sportive, le vallon des Bouys est une belle rando de 4 heures qui vous permettra aussi, en bord d’Allier, de découvrir l’étonnant site des sources de Sainte-Marguerite.

Texte et photos Marie-Pierre Demarty. À la une : canoës et kayaks sur l’Allier, à hauteur de Vic-le-Comte.

Soutenez Tikographie, média engagé à but non lucratif

Tikographie est un média engagé localement, gratuit et sans publicité. Il est porté par une association dont l’objet social est à vocation d’intérêt général.

Pour continuer à vous proposer de l’information indépendante et de qualité sur les conséquences du dérèglement climatique, nous avons besoin de votre soutien : de l’adhésion à l’association à l’achat d’un recueil d’articles, il y a six façons d’aider à ce média à perdurer :

La Tikolettre : les infos de Tikographie dans votre mail

Envie de recevoir l’essentiel de Tikographie par mail ?

Vous pouvez vous inscrire gratuitement à notre newsletter en cliquant sur le bouton ci-dessous. Résumé des derniers articles publiés, événements à ne pas manquer, brèves exclusives (même pas publiées sur le site !) et aperçu des contenus à venir… la newsletter est une autre manière de lire Tikographie.