Autour des mégabassines, un autre modèle à défendre

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Drapeaux dans la rando festive contre les mégabassines
Retour sur la première manifestation des opposants aux projets de mégabassines agricoles près de Billom. Echos d'une rando festive de milliers de marcheurs et tentative de réponse aux questions : qui sont-ils ? que font-ils là ?

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

On se devait d’y être, au moins pour un suivi de l’enquête que nous vous avions proposée il y a un an, et quasiment toujours d’actualité (à part l’abandon du site de Lignat pour la deuxième bassine, pour des raisons techniques, qui a freiné l’avancement du projet de l’ASL Les Turlurons, et pour la structuration des oppositions, comme on l’a vu samedi).

Les éléments de ce dossier sont donc à retrouver ici, et enfin .

Je suis donc allée marcher avec les marcheurs, pour prendre le pouls de la détermination et des intentions. Sans trop savoir ce que le magazine que nous sommes allait pouvoir vous raconter.

Les médias de l’immédiat vous ayant déjà abondamment délivré les faits, chiffres et gestes, les tenants et les aboutissants, les prises de parole et les étapes de la journée, je vais nous épargner une redite et vous faire part en mots et en images de mon (modeste) ressenti, du point de vue de la fille du coin qui fait profession de s’interroger sur ce qui rend notre territoire vivable.

Histoire de garder une trace de ce qui s’est vécu, en ce jour où ce petit bout de Limagne s’est retrouvé au centre de toutes les attentions, face à toutes les caméras et micros du pays.

Marie-Pierre

Rappel des faits

Premier événement en opposition aux projets de mégabassines dans les environs de Billom, ce samedi 11 mai 2024.

Organisateurs : Bassines Non Merci 63, Confédération paysanne, Extinction Rébellion et Les Soulèvements de la Terre/

Participation : 6500 personnes selon les organisateurs, 4000 selon les autorités.

Thématique : la couleur bleue (couleur de l’eau).

Déroulé :

  • Un premier happening la veille : plantation en petit comité de semences paysannes de maïs dit “population”, pour attirer l’attention sur le monopole des variétés hybrides commercialisées par les grands semenciers mondiaux, dont Limagrain.
  • Samedi matin, rendez-vous devant la gare de Chignat pour départ à 9h30 (départ effectif une heure plus tard).
  • Cortège par les chemins jusqu’à l’emplacement prévu de la bassine de Bouzel, qui a été symboliquement encerclée pour une plantation d’arbustes, graines, noix et noisettes en vue de constituer une symbolique haie autour de cette étendue de 15 ha.
  • Happening de rebouchage d’une buse pour recréer (symboliquement aussi) une zone humide.
  • Prises de parole diverses en début et en fin de manifestation.
  • Fin de journée en goûter festif à Billom.

Plusieurs milliers de personnes, donc, déambulant dans les champs. Ou plus exactement sur les chemins, respectueux des champs, quel que soit leur mode de culture. Qui sont-ils ? Pourquoi sont-ils venus ? C’est la question que je me suis posée tout au long de la journée, en discutant, en écoutant les conversations, en scrutant les étendards, banderoles et écriteaux brandis dans le cortège.

Le premier constat, c’est qu’ils se caractérisent par… leur diversité. Étudiants et retraités, familles, groupes de copains, activistes, paysans (beaucoup de paysans, sous les bannières  ou en t-shirt jaunes de la Confédération paysanne, et plus discrètement du Modef), chercheurs, syndicalistes, élus et représentants de tout le spectre de la gauche politique du rose au noir et du rouge au vert. Le soleil aussi avait tenu à manifester par sa présence écrasante son inquiétude face au dérèglement climatique.

Foule avant le départ de la rando festive contre les mégabassines
départ du cortège à Chignat

Diversité en bleu

Je croise des voisins de mon village, des fonctionnaires, des Clermontois travaillant dans l’économie sociale et solidaire, une archéologue honoraire, une pépiniériste, des élèves ingénieurs, quelques comédiennes et artistes de la région, des jardiniers amateurs, ma nièce, des gens qui suivent ou portent des drapeaux et d’autres, nombreux aussi, qui sont là en tant qu’habitants des alentours. Respectueux ou non du dress code bleu qui était recommandé. Comme Fanette, qui a trouvé un bâton et a eu l’idée d’y accrocher sa grande écharpe : « Je suis là en tant que… bleu », s’amuse-t-elle.

Variations en bleu
Groupe de manifestants-randonneurs en bleu de travail
(Wo)men in blue.
Information sur notre prochain événement

Présents aussi : Max qui tartine copieusement de crème solaire le petit bout qui dépasse de son porte-bébé. Marion qui a laissé ses enfants à la maison avec leur père. Olivier et sa compagne qui brandissent une pancarte parlant au nom des petits poissons et décorée, dit la pancarte, « avec mon fils de 2 ans qui adore la rivière Allier ».

Je croise encore… des punks en mode festif, des grands-mères inquiètes pour l’avenir de leurs petits-enfants. Une anti-vax inquiète pour sa glande pinéale. Des jeunes qui préfèreraient une action musclée mais se prêtent aux mots d’ordre de calme et de respect.

Sans violence et sans heurts en effet, mais avec des slogans parfois plus belliqueux repris dans certaines portions du cortège, pour avertir de la détermination à ne pas laisser le projet aller son terme. « La guerre de l’eau a commencé, on se battra pour la gagner », entend-on scander à intervalles réguliers.

Silos à grain et manifestants de la rando festive
Foule avant le départ de la rando festive

Le contre et le pour

Danièle, qui distribue des petits papiers avec les coordonnées d’un avocat au cas où ça tournerait mal, me précise qu’elle le fait « seulement parce qu’on m’en a donné un petit paquet » mais ne fait pas partie d’une organisation. « On vient juste faire une marche contre les bassines. Évidemment, on préfèrerait manifester ‘pour’ plutôt que ‘contre’. Pour le respect de l’eau, de la vie. Mais c’est une marche de sensibilisation ; il n’y a pas de volonté de violence comme à Sainte-Soline. »

Une amie artiste coiffée d’une grande capeline bleu électrique, qui « ne connaît pas les détails techniques » du sujet du jour, « pense important d’être présente pour défendre la vie, l’eau, la nature » et apprécie la touche de poésie et l’esprit ouvert et tolérant de la manifestation.

Chapeaux et couvre-chef
Une belle capeline bleue… et autres couvre-chefs.
Famille avec trois enfants dans le cortège
En famille.
Dans le cortège, avec une pancarte "eau vol"

mégabassine = mégasécheresse

Ils étaient d’ailleurs nombreux, dans le cortège, à répondre à ma question « pourquoi êtes-vous là ? » par ce type de formules : « c’était évident », « c’est important », « je suis là en citoyen »… sans estimer avoir besoin de préciser.

D’autres se montraient au contraire plus précis sur leurs inquiétudes, comme ce Billomois déroulant les problématiques d’assèchement d’une zone autrefois marécageuse, ce couple soucieux de la disparition de la faune aquatique, ces femmes discutant dans le cortège du nécessaire reméandrage en cours de la Veyre, ce scout arborant sur une pancarte en carton cet avertissement : « 20 à 60% d’évaporation, 0 ruissellement ».

Rand festive sur fond vert
Un cortège festif en rase campagne : manifestation ? départ en croisade ? carnaval populaire ?
le cortège en pleine campagne
cortège de la rando festive

D’ici et d’ailleurs

Je continue à arpenter le cortège, descendant ou remontant la file, ou laissant la foule défiler face à moi… Des urbains et des ruraux, des gens de tous âges et de tous looks (sauf peut-être en costume-cravate, mais la météo ne s’y prête pas non plus). Des connaissances et des inconnus, des personnes que j’ai croisées ou rencontrées dans mes reportages, logiquement sensibles au sujet.

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Ils sont arrivés à vélo, en train, en stop, en covoiturant… Ils ont déambulé à pied pour la plupart, mais aussi en poussette, en fauteuil roulant, en rosalie ou en poussant leur bicyclette, selon leur âge et leurs capacités.  Je repère des habitants de Cunlhat ou de Clermont, de Vic-le-Comte ou de Riom, mais beaucoup des environs immédiats : de Billom, Moissat, Glaine-Montaigut, Fayet-le-Château, Montmorin…

Défiler en rosalie
Papillon, kilt et lunettes bleues

On trouve là aussi des représentants d’autres luttes, proches ou lointaines : Cantaliens défendant la narse de Nouvialle face à des projets de carrière, Altiligériens de la lutte des Sucs contre le projet routier de la RN88, une délégation de Stop Mines 03 opposée au projet de mine de lithium d’Echassières. Un très visible groupe du Cher aux prises avec leurs propres histoires de bassines, de plus discrets représentants de la vallée de la Maurienne en lutte contre la ligne TGV Lyon-Turin. Quelques drapeaux palestiniens.

Et lors de la présentation de la journée à la presse, les représentants nationaux des organisations invitantes – Confédération paysanne, Soulèvements de la Terre, Extinction Rébellion, ainsi que des mouvements Bassines Non Merci des départements environnant Sainte-Soline, étaient présents aux côtés des locaux.

Pancarte des défenseurs de la narse de la Nouvialle

anti-bassines du Cher
Venant du Cher, du Cantal ou d’ailleurs, les délégations d’autres collectifs en lutte étaient présents, à l’appel des Soulèvements de la Terre qui avaient fait de ce jour un des trois grands rendez-vous nationaux de l’année.

Convergences

Le point commun entre ces milliers de personnes, anonymes ou leaders, engagés sous une étiquette ou venus en simples individus ou habitants ? Cécile, que j’avais rencontrée au sujet d’Echassières et que je retrouve sur les chemins de la Limagne, me met sur la voie : « Il y a des convergences entre notre lutte et celle contre les méga-bassines : le sujet de l’eau d’une part, mais aussi une question de modèle de société. La mine de lithium, c’est la vision d’une transition qui a vocation à tout électrifier, à développer la voiture électrique, à produire toujours plus d’énergie et de technologie ; les mégabassines, c’est une adaptation en soutien à un modèle agricole débridé. Ce sont deux façons de poursuivre un modèle productiviste qui ne respecte pas le vivant et les écosystèmes. »

Foule avec pancarte "on ne veut pas de bassine en Auvergne"
Mireille Lambertin, porte-parole des Faucheurs volontaires
Mireille Lambertin, porte-parole nationale des Faucheurs volontaires, lors du point presse en début de journée : “les OGM n’ont jamais nourri un pauvre », ironise-t-elle.

Cette question d’affrontement des modèles fait écho aux propos de Mireille Lambertin, porte-parole des Faucheurs volontaires venus eux aussi en nombre, depuis bien au-delà des limites de l’Auvergne. Aux côtés des organisateurs de la journée, dans le point presse d’avant le départ, elle évoque elle aussi les similitudes : « Pour les OGM comme pour les bassines, ce sont des initiatives de l’agriculture productiviste et dans les deux cas, ce sont les mêmes alibis qui sont avancés : la nécessité de nourrir le monde et la lutte contre le dérèglement climatique. Mais les OGM n’ont jamais nourri un pauvre », ironise-t-elle, tout en soulignant que l’adversaire en l’occurrence est le même.

Car pour les opposants aux OGM comme pour les mégabassines du Billomois, c’est Limagrain, la « multinationale de coopérateurs », quatrième semencier mondial mais omniprésent dans son berceau de Limagne, qui est visé. Que ce soit dans les déclarations, dans nombre de slogans scandés dans le cortège ou inscrits sur les pancartes brandies.

Slogan contre Limagrain

slogan contre Limagrain

Une autre agriculture

Ainsi les défenseurs d’une agriculture paysanne dénoncent-ils plus globalement le modèle industriel incarné par Limagrain. Ludovic Landais et Nicolas Fortin, respectivement porte-parole départemental et secrétaire national de la Confédération paysanne, ont insisté sur « l’accaparement de l’eau » au profit d’un nombre restreint d’agriculteurs, sur « le modèle de l’agro-industrie qu’on essaie de chasser ».

La confédération paysanne en tête de cortège
Départ du cortège samedi matin, paysans en tête.
Distribution des plants
A l’arrivée aux abords de l’emplacement prévu de la future bassine de Bouzel, distribution de plants, graines et noix…
Plantation d'une haie
…pour la plantation collective, en bordure de champ, d’une longue haie destinée à encercler et matérialiser la superficie de la bassine de 14 hectares.
Rebouchage d'une buse
Pour finir, tout de même, un petit happening plus sauvage dans les manières d’Extinction Rébellion : bouchage d’une des buses de drainage de l’eau, dénoncées comme contribuant à assécher la région.

A propos du modèle agricole, l’événement se voulait symboliquement une démonstration qu’une autre agriculture est possible : une plantation, la veille, d’une variété paysanne de maïs pour appuyer la revendication de réappropriation par les paysans de leurs propres semences, sélectionnées et transmises localement « pour qu’elles soient mieux adaptées aux conditions locales, au changement climatique, aux besoins » ; et plus tard dans la journée du samedi, la plantation d’une haie, le rebouchage d’une buse destinée à drainer les eaux, pour dénoncer les méthodes qui ont conduit à l’assèchement des terres et à la nécessité de recourir à l’irrigation.

Une agricultrice en T-shirt jaune me rappelait aussi que le système conventionnel et les règlementations actuelles « favorisent l’extension des exploitations existantes, ce qui rend de plus en plus difficile l’installation de nouveaux agriculteurs ».

Paysans et paysannes
Forte présence paysanne dans la rando.

Mais au-delà des questions de pratiques agricoles, les habitants et citoyens présents se disent concernés par la question de l’eau : sècheresse accentuée par les prélèvements, pratiques empêchant l’infiltration dans les sols et faisant disparaître les zones humides, méthodes incluant les pesticides et engrais chimiques qui polluent les rivières « au point qu’on ne peut plus laisser les enfants se tremper dans l’eau », déplorait Ludovic Landais devant les journalistes.

anguille géante
libellule géante
Animaux

castor en colère

libellules
Une forte présence des non-humains dans le cortège. Petit échantillon du bestiaire… et de ses revendications.
méduses

Tout cela étant dénoncé comme nuisible aux milieux naturels, symbolisés par la présence massive d’une faune qui colonisait samedi les drapeaux, pancartes, costumes et créations artistiques de toutes tailles : libellules, castors, poissons, abeilles et batraciens semblaient tout autant mobilisés que les humains, sans parler des méduses planant au-dessus des têtes… préfiguration d’une très sévère montée des océans ?

chorale

foule et méduses au départ de la rando festive
pancarte
T-shirt avec inscription "d'autres mondes possibles"
Chanter, créer, libérer les imaginaires… les randonneurs-manifestants revendiquent aussi un monde plus poétique… voire la possibilité de plusieurs autres mondes !

Également très présente dans les slogans et les propos, la notion de « bien commun » dénote une vision plus globale d’une société opposée au modèle de « l’agro-business » et du profit, une société du partage et de l’équité revendiquée, de l’idée, inscrite sur une des pancartes, qu’« un autre système est possible ».

Par exemple un système à l’image du défilé de samedi, pacifiste et créatif, joyeux, poétique, simple et solidaire. Sur ce plan au moins, le cortège champêtre a démontré sa capacité d’invention et de mobilisation des imaginaires.

Reportage (texte et photos) Marie-Pierre Demarty, réalisé le 11 mai 2024. A la une : drapeaux au départ de la rando.

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