Pour Mickaël le Bras, « on ne défend bien que ce qui nous a suscité une émotion »

Le directeur du muséum d’histoire naturelle Henri Lecoq détaille la mission de son établissement, à la fois citoyenne, scientifique, pédagogique et esthétique


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Pourquoi cet article ?

Afin de clôturer deux semaines autour des thématiques de biodiversité, après l’interview du scientifique militant Christian Amblard samedi dernier, je vous propose une approche différente avec Mickaël le Bras, directeur du muséum d’histoire naturelle de Clermont.

J’ai pu travailler ponctuellement avec Mickaël autour d’une conférence il y a un an (dans le cadre de la Semaine du Développement Durable 2020) sur le pastoralisme urbain, présentée par Roxana Triboi (que j’avais aussi interviewée aux débuts de Tiko)

Un muséum s’inscrit par définition dans le temps, et dans tous les sens du terme. Sa présence historique – presque 150 ans – dans le paysage clermontois en fait une « ancre » institutionnelle – pour paraphraser Mickaël – en lien avec tous les acteurs de ce qu’on appelait pas encore, à l’époque, la « biodiversité ».

La mission pédagogique et citoyenne du musée, soulignée par Mickaël, est également un angle intéressant pour aborder le sujet de la sensibilisation du grand public – notamment des enfants – aux enjeux environnementaux contemporains.

Damien

Les principaux points à retenir

  1. Le muséum Henri Lecoq est, selon son directeur Mickaël le Bras, une « ancre institutionnelle » dont la mission consiste à apporter des repères de connaissance – sur les sciences et la nature – dans un monde du savoir de plus en plus difficile à appréhender.
  2. L’offre du muséum consiste donc à préserver et valoriser un patrimoine scientifique, naturaliste et technique. La notion de patrimoine est ici capitale puisque l’inscription dans l’histoire du territoire permet aux idées nouvelles d’émerger, de « prendre appui ».
  3. Néanmoins, la démarche du muséum n’est pas celle de l’idéation et de la créativité. Mickaël le Bras assume un aspect traditionnel d’apporteur de savoir, pour stimuler la curiosité de chacun, sensibiliser et générer de l’intérêt pour les sciences.
  4. Mickaël souhaite inscrire les expositions du muséum dans la notion de temporalité et de référentiels, pour aider le public à mieux comprendre ce qui se joue aujourd’hui au niveau de la perte de biodiversité et de son accélération. Il souhaite également pousser les visiteurs à « réapprendre à observer » par eux-mêmes, sans l’aide d’adjuvants numériques dont il a tendance à se méfier.
  5. Pour cela, le jardin du muséum est un atout important, et il doit permettre à terme de proposer un espace « miroir » complémentaire de l’espace patrimonial classique, dans lequel le public pourrait être en contact direct avec le vivant, et mieux comprendre les enjeux comme ceux de l’agriculture urbaine ou de la protection des espèces. Manipuler, interagir, mais aussi être sensibilisé au beau, vivre une émotion, sont des aspects cardinaux de la pédagogie en histoire naturelle, selon Mickaël.
  6. Le muséum est en lien avec de nombreux acteurs du territoire, entre le monde scientifique pur et le monde environnemental. Cela va de naturalistes de terrain, agissant individuellement ou par des associations très engagées, à tous les acteurs de la vulgarisation et de la culture scientifique – notamment liés à l’Université Clermont Auvergne. Bien sûr, les structures de sensibilisation aux enjeux environnementaux sont impliquées, ainsi que le rectorat.
  7. Enfin, le muséum fait partie de la direction de la culture de Clermont Auvergne Métropole, et travaille en lien avec les autres musées de l’agglomération. Il participe à un projet de centre de conservation mutualisé des collections pour 2025, et développe des initiatives avec d’autres acteurs institutionnels locaux comme le Conseil Départemental, le Valtom, et de nombreuses autres directions de la Métropole.
  8. Pour conclure, Mickaël insiste sur la complexité des enjeux environnementaux aujourd’hui, et la nécessité de ne pas les analyser de façon manichéenne. Nos décisions, nos actions ne sont presque jamais idéales sur tous les plans, écologique, économique, social … appréhender la complexité, savoir faire les bons compromis, distinguer l’opinion du fait scientifique sont les moteurs de son approche au muséum Henri Lecoq.

L’intervenant : Mickaël le Bras

Directeur du muséum d’histoire naturelle de Clermont-Ferrand Henri Lecoq


Agrégé de sciences naturelles dans le bordelais, Mickaël a d’abord eu une carrière d’enseignant avant de passer le concours de conservateur du patrimoine en 2005.

Le premier musée dont il prend la direction est le muséum Henri Lecoq en 2010, où il officie toujours.

Contacter Mickaël le Bras par e-mail : mlebras [chez] clermontmetropole.eu

Crédit photo : éditeur

La structure : muséum Henri Lecoq

Museum d’histoire naturelle de Clermont-Ferrand


Le muséum Henri Lecoq a, selon son directeur Mickaël le Bras, un rôle d’ »ancre institutionnelle » pour le public. Sa mission consiste ainsi à présenter l’histoire naturelle du territoire, « qui s’incarne dans des collections – un patrimoine scientifique, naturaliste, technique ». Le musée a le rôle de conservation et de valorisation de ce patrimoine.

Ses expositions, grand public, se complètent de plusieurs événements organisés en son sein par des associations partenaires ou par des acteurs du territoire comme l’Université Clermont Auvergne. Il participe également à des initiatives extra-muros comme le festival Courts de Sciences.

Fondé en 1873 par Henri Lecoq, botaniste, il compte aujourd’hui 15 collaborateurs. Sa superficie intérieure est de 700 m2, avec un jardin de 1000 m2 en complément. Il compte 600 000 spécimens préservés et valorisés : herbiers, minéraux, roches, fossiles, animaux dont beaucoup d’insectes et de mollusques, ainsi que plusieurs objets relatifs à l’histoire des sciences et des techniques (dont une salle consacrée à Blaise Pascal) – machines à calculer, instruments scientifiques, patrimoine écrit et graphique.

Voir la page d’infos pratiques sur le muséum Henri Lecoq

Crédit photo : S Vidal (DR)


Information sur notre prochain événement

Dans notre monde de plus en plus confronté au dérèglement environnemental, quel est le rôle d’un muséum d’histoire naturelle ?

Les gens ont besoin de cadres structurants. Sans cela, ils ont tendance à se noyer, surtout à notre époque. D’une part, parce que la masse d’information est pléthorique, non hiérarchisée – surtout celle provenant d’Internet. Il est donc très difficile de la partitionner, de l’analyser, dès lors qu’on n’a pas les cadres. A cause de cela, on voit émerger une mise en concurrence entre l’information scientifique fiable et des croyances d’origines diverses. Cela ressort d’une forme de “démagogie informationnelle”, spécifique à notre époque. 

Le muséum a ce rôle de fournir un ancrage institutionnel.

Cela s’accroît de toutes nos tendances à des biais cognitifs – les bulles d’information, les biais de confirmation … on a tendance à aller vers les idées qui nous font plaisir, qui confirment nos croyances. Par ailleurs, on est dans l’incapacité de tout maîtriser : le monde a atteint un seuil où la production de savoir et de connaissances est gigantesque.

Cela nous oblige donc à faire confiance à des tiers. Il faut se raccrocher à certaines « ancres » institutionnelles. Le muséum a ce rôle : on a l’obligation citoyenne, institutionnelle, éthique, de fournir cet ancrage …

Lire l’entretien : « Le changement est inconfortable pour le cerveau » selon Delphine Py

Comment conçois-tu “l’offre” du muséum ?

Comme tous musées, nous avons une histoire, qui s’incarne dans des collections – un patrimoine scientifique, naturaliste, technique. On a ce rôle de conservation, mais aussi de valorisation sous l’angle pédagogique comme patrimonial – au sens d’un patrimoine commun, historique, qui nous apporte une identité enracinée dans notre territoire.

Et c’est important : un patrimoine a une valeur matérielle, historique, esthétique et pédagogique. Dans le sens où des idées peuvent s’incarner et prendre appui sur ce patrimoine – des idées universelles, modernes ou anciennes. Je pense d’ailleurs que le patrimoine scientifique est assez polysémique : en fonction des sensibilités, des objectifs, on ne lui donne pas forcément le même sens.

Le museum propose plusieurs expositions par an, avec une vision transversale des sciences de la nature. Ici, la scénographie mettant en avant les notions d’orientation dans le monde du vivant / Crédit photo : éditeur

Les expositions du muséum sont-elles pensées pour susciter une forme d’engagement citoyen ?

Pas directement, car nous ne sommes pas dans une démarche utilitariste et d’application immédiate : le visiteur, une fois sorti de l’exposition, n’est pas censé se métamorphoser en “ouvrier du changement”. Il y a un côté un peu traditionnel “d’apporter du savoir” … ça peut paraître décalé, mais pour développer des idées et échanger avec autrui, il faut une base de savoir. On veut apporter cela, et susciter la curiosité. 

Un patrimoine a une valeur matérielle, historique, esthétique et pédagogique.

Les ateliers, cafés-débat, conférences, visites guidées, sont là par contre pour stimuler des échanges et faire émerger peut-être des envies d’agir. Mais l’essentiel est de sensibiliser et générer de l’intérêt pour les sciences.

Quel est l’intérêt de mêler histoire et science dans une logique patrimoniale ?

J’aime bien raisonner par analogies : on a besoin de l’histoire pour comprendre le présent. C’est sans doute un poncif, mais comprendre les problématiques actuelles implique toujours de faire référence à ce qui s’est déjà passé.

C’est la même chose pour le patrimoine scientifique : on a par exemple une espèce dans nos collections qui a disparu, le pigeon migrateur américain. Cela interpelle qu’une espèce puisse disparaître, au début du XXème siècle, à cause de l’homme. Alors qu’elle existait via des milliards d’individus.

Lire l’entretien : « En Auvergne, la biodiversité est en régression significative » analyse Christian Amblard

Tu insistes donc sur une notion de chronologie, d’accélération …

Le fait que les espèces disparaissent est très naturel, depuis l’apparition de la vie : c’est l’évènement le plus courant qui soit. Après, ce n’est pas tant la disparition qui est frappante que la causalité humaine et sa temporalité. Autre exemple : on a déjà eu des périodes de réchauffement, dans l’histoire de la Terre, beaucoup plus chaudes qu’aujourd’hui, mais étalées sur des temps très longs.

On a besoin de l’histoire pour comprendre le présent.

La question des temporalités, et plus largement des référentiels, est donc capitale. On peut parler climatologie ou météorologie, mais les deux obéissent à des temporalités très différentes. Les gens ne le perçoivent pas toujours.

Pourquoi le public a-t-il perdu cette capacité d’observation, selon toi ?

C’est vrai que les gens ne savent plus observer. On est dans une accélération des sociétés, tout doit être rapide, et on ne prend plus le temps de se documenter. On doit tout de suite avoir une réponse : par exemple, je perçois faiblement l’intérêt pédagogique d’une application mobile pour identifier la flore – en plus d’être imparfaites, ces applis gomment tout le cheminement d’investigation préalable. Au-delà du fait de donner un nom, il faut engager une démarche de découverte.

Or, apprendre à observer, c’est ouvrir ses yeux, être capable d’échanger avec d’autres, se documenter, collecter, être curieux … tout un corpus de démarches dont les gens perdent peu à peu l’habitude.

Une animation avec un boulier au muséum, dans le cadre de la Semaine des Mathématiques. Mickaël le Bras insiste pour ne pas tout miser sur la scénographie numérique / Crédit photo : S Vidal (DR)

Quel impact sur la manière d’organiser les expositions et la scénographie au muséum ?

Au muséum, nous ne sommes pas en recherche effrénée d’innovations pédagogiques. Nous privilégions plutôt les supports naturels comme moyens d’apprentissage. Ainsi, avec notre jardin, on a laissé évoluer naturellement la nature durant le confinement. Et nous avons eu de nombreuses surprises, des espèces végétales qui sont apparues spontanément, comme deux espèces d’orchidées. 

Je me méfie de l’intermédiation qu’apporte le numérique.

D’un autre côté, je me méfie de l’intermédiation qu’apporte le numérique. Le « temps de cerveau disponible » n’a jamais été aussi important depuis des décennies – c’est le temps consacré aux loisirs. Mais il est de plus en plus accaparé par les écrans et ce qui va avec. On ne peut refuser en bloc ces apports, mais il faut prendre du recul.

Tu évoquais le jardin : c’est une originalité du muséum Henri Lecoq …

Notre chance est en effet de disposer d’un jardin d’agrément, qu’on aimerait mettre beaucoup plus en résonance avec le muséum. On disposerait ainsi de deux espaces : un “patrimonial”, et un plus interactif, sensitif et “respirant”, pour aborder directement les problématiques du vivant. Dans notre projet, nous envisageons une partie régulée et une beaucoup plus spontanée – ce qui sera utile à fin de comparaison. 

Le jardin du muséum, au printemps 2021. Mickaël le Bras souhaite en faire un espace de sensibilisation et d’interaction avec la nature à part entière / Crédit photo : S Vidal (DR)

Aujourd’hui, le jardin dispose d’un hôtel à insectes, et on prévoit prochainement d’y installer un bassin d’aquaponie. Cela nous permettra de parler d’agriculture urbaine, de production aquacole … Enfin, nous bénéficions d’un partenariat avec la LPO Auvergne qui y a aménagé un nichoir à chauve-souris, un nichoir à rapaces et un à passereaux. 

On en revient au final à la question de la compréhension : les gens ont besoin de comprendre, et pour ce faire il faut manipuler, interagir. C’est de la pédagogie de base, pas forcément innovante, mais vraiment basée sur l’expérience. Cela me semble capital pour le muséum : il faut absolument entretenir un rapport au réel. 

Dans l’espace “patrimonial” plus classique, comment envisages-tu de parler de biodiversité ?

Je suis persuadé que l’appétit pour les sciences passe par le « beau », au sens esthétique. En fait, c’est comme pour les enfants : pour leur donner le goût de la lecture, il faut leur faire lire des livres, les alimenter en diversité. En termes de sciences, c’est la même chose : il faut montrer des collections, des supports …

Il faut absolument entretenir un rapport au réel.

Il peut être ainsi contre-productif de trop parler de nos sujets sans évoquer de ce qui les compose. C’est pourquoi, plutôt qu’un grand discours sur la biodiversité, je préfère montrer une belle collection d’insectes. On ne défend bien que ce qu’on connaît et ce qui a suscité chez nous une émotion. 

Plusieurs ateliers sont réalisés en collaboration avec des associations auvergnates à destination des enfants et des familles, notamment dans le jardin avec de la manipulation / Crédit photo : S Vidal (DR)

A travers notre patrimoine scientifique et naturaliste, on a besoin de créer cette émotion. Et on est touché par la vie, c’est une évidence. Au muséum, on reçoit beaucoup de familles, et les enfants ont naturellement tendance à se diriger vers les animaux naturalisés. Parce que c’est ce qui se rapproche le plus du monde vivant. Les animaux, c’est une des premières passerelles au cours de l’enfance pour sensibiliser au vivant.

En complément : art théatral et expos scientifiques, avec Pierre Bonton

Pierre Bonton est président de l’association ARTS (Arts, Recherche, Technologie, Sciences) et vice-président du « Bar des Sciences » qui se produit régulièrement à la Baie des Singes de Cournon, et ailleurs en Auvergne

Enseignant-chercheur en robotique, traitement de l’image et du signal, il s’est consacré lors de sa retraite à la diffusion de la culture scientifique au plus grand nombre, à travers des animations sur tout le territoire. Il était auparavant président d’Astusciences.

« Mickaël le Bras est membre de notre association ARTS, au sein du bureau. Il y a 25 ans, on avait déjà monté des pièces de « théâtre + sciences », ainsi qu’un « village arts et sciences » où Nathalie Vidal – qui travaille au muséum – y présentait la fameuse pascaline.

Nous sommes régulièrement invités aux conférences et animations dans le musée, et nous sommes toujours en discussion autour de la pédagogie et des expositions. Le muséum nous permet d’être en contact avec des personnes particulièrement intéressantes, nous apporte de la visibilité, ce qui nous facilite l’accès à des financements locaux.

De notre côté, nous lui apportons l’approche de l’Association des Musées Culture, Technique et Industrielle, d’envergure nationale.« 

Entretien téléphonique du 16 septembre 2021

N’est-il pas plus intéressant d’observer l’animal vivant, voire dans son cadre de vie naturel ?

Nous tablons sur une forme de complémentarité. Dans un parc zoologique, la présence de l’animal est prégnante, voire omniprésente. Certes, il y a un accompagnement par des panneaux, mais on va d’abord voir l’animal vivant. 

Les animaux, c’est une des premières passerelles au cours de l’enfance pour sensibiliser au vivant.

Au musée, ce sera différent : on verra beaucoup de choses autour de l’animal – des planches d’herbier, des minéraux … On ne vient pas toujours y voir l’animal pour lui-même mais comme acteur d’un sujet, par exemple “l’odorat dans le monde vivant”, ou “l’architecture des squelettes”. Et rien n’empêche de le mettre en résonance avec d’autres types de spécimens ou d’objets – un crâne de dauphin et un sonar pour illustrer l’écholocation par exemple. Ainsi, un musée stratifie beaucoup plus de choses qu’un zoo. On est sur des thématiques proches, mais c’est vraiment différent. 

Les animaux empaillés sont souvent utilisés pour illustrer des thématiques de biodiversité dans les expositions du muséum Henri Lecoq / Crédit photo : S Vidal (DR)

Nous traitons ici beaucoup plus de problématiques, d’autant plus que nos collections sont très larges. On a à la fois des collections d’histoire des sciences, notamment des instruments techniques, mais aussi des collections en zoologie, en botanique, en sciences de la Terre, des archives de chercheurs, des documents graphiques, des ouvrages … cela nous donne une approche vraiment transversale.

Quant aux milieux naturels à proprement parler, c’est une découverte différente, à mon sens indispensable. C’est ce qui donne sens à une visite de muséum. L’un ne va pas sans l’autre.

Le muséum a aussi un rôle territorial. Quelle est ta vision des acteurs de l’environnement sur le Puy-de-Dôme ?

Au Muséum, nous sommes au croisement entre le monde patrimonial – scientifique – et le monde environnemental. Les naturalistes de terrain, par exemple, n’ont pas l’idée première de penser aux collections naturalistes d’un muséum. Ça peut paraître étonnant … mais un botaniste de terrain n’est pas forcément un herbariologue (qui travaillera sur les herbiers). 

C’est aussi un monde assez fragmenté. Un muséum est très transversal, surtout le nôtre – nous parlons autant d’environnement que de sciences en général (nous participons à la semaine des mathématiques, à des événements sur l’industrie ou en lien avec des exposciences …). Nous travaillons donc avec un certain nombre de partenaires institutionnels et associatifs qui vont relever de ces univers : associations de culture scientifique, associations naturalistes … mais ces structures ne sont pas toujours si bien connectées que ça.

En complément : les soirées mathématiques au muséum avec l’Université Clermont Auvergne, par Thierry Lambre

Thierry Lambre est enseignant-chercheur en mathématiques à l’Université Clermont Auvergne, très investi dans la « culture scientifique » et spécialiste de Blaise Pascal « mathématicien » (et non pas physicien).

Directeur de l’Institut de Recherche en Enseignement des Mathématiques [IREM] de 2011 à 2018, il a organisé avec Mickaël le Bras des « soirées mathématiques » au muséum Henri Lecoq, à destination des scolaires et des familles.

« J’avais rencontré Mickaël le Bras quand il a mis en place la salle dédiée à Blaise Pascal dans le muséum Henri Lecoq, au début des années 2010. Il lui manquait des éléments de connaissance sur « Blaise Pascal, le mathématicien », que j’ai pu lui fournir. C’est à cet époque que Mickaël a voulu ouvrir le muséum vers des sciences plus « dures » comme les mathématiques.

Nous avons donc organisé les « soirées mathématiques » dans le cadre de la Semaine des Mathématiques chaque années, autour du 14 mars*. Une soirée est donc proposée sur le créneau 18h-22h avec des activités dans tout le musée, un lieu petit mais attachant. Ce sont les membres du personnel, avec quelques enseignants, qui imaginent les animations et les proposent aux enfants, à chaque étage ! Je me souviens ainsi d’un professeur de lysée qui faisait des démonstrations d’écriture cunéiforme sur des tablettes d’argile au sous-sol …

Ces soirées ont mis du temps à atteindre leur public, à savoir les familles autour des élèves primaire/collège. Mais ce sont maintenant de vrais succès, chaque année. Elles restent dans une ambiance familiale, mais il faut se creuser les méninges ! Nous avons par exemple fait du calcul à l’aide de bouliers ou de baguettes, mais nous avons aussi proposé d’illustrer le système des longitudes et latitudes sur le grand globe terrestre du musée, ou mathématisé des éruptions volcaniques …

Cette activité correspond à ma passion : expliquer les mathématiques aux jeunes, présenter le métier de chercheur, et mettre les enfants en situation de recherche mathématique. Mais aussi, « réconcilier » les familles avec cette matière, qui a trop longtemps été une discipline de « sélection sociale ». Apprendre aux enfants à faire des mathématiques, c’est leur rendre un grand service, car les mathématiques sont partout et forment les citoyens. »

Entretien téléphonique du 16 septembre 2021

Vidéo proposée par Thierry Lambre (dans laquelle il joue), sur la « quadrature de la cycloïde » de Pascal

Est-ce un univers en développement ?

Globalement, on manque de personnes de terrain pour évaluer l’état écologique de nos territoires, à l’échelon national. Certains groupes d’organismes vivants ne sont plus abordés, car délaissés ou peu attractifs. Prenons les collemboles, des petits organismes méconnus dans le sol : en France, il doit rester un ou deux spécialistes ! 

Pourquoi ? Parce que la discipline naturaliste demande des années de formation terrain, et cette compétence se perd. Je pense en outre qu’on a une vision très biaisée de la biodiversité, au sens où le grand public et même certains naturalistes ont tendance à être “happés” par quelques groupes d’organismes vivants. Si les oiseaux intéressent davantage que les vers de terre, c’est qu’il y a un côté esthétique et affectif qui influence notre degré d’intérêt.

Avec quels acteurs locaux de l’écologie travailles-tu ?

Nous travaillons avec plusieurs groupes d’acteurs : d’abord, ceux qui diffusent la culture scientifique et populaire, comme Astusciences ou ARTS. Ensuite, nous mettons en place des actions communes avec l’université, qui peuvent se tenir hors nos murs. On a par exemple déjà travaillé avec la bibliothèque universitaire, pour toucher le monde étudiant. Et nous avons monté un festival du court-métrage scientifique avec plusieurs partenaires.

Le festival « Courts de sciences » organisé par le muséum en partenariat avec le CNRS, l’INRAE, le Conseil Départemental du Puy-de-Dôme et Astusciences / Crédit photo : S Vidal (DR)

Nous aurons ensuite plusieurs actions avec des partenaires naturalistes, que coordonne Charles Lemarchand, le directeur adjoint du musée. Il est notamment membre du CSRPN [Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel]. Nous travaillons ainsi avec la SHNAO [Société d’Histoire Naturelle Alcide d’Orbigny], de vrais naturalistes très compétents quant à l’entomologie, les reptiles et les amphibiens. Mais également avec le CPIE [Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement] de Theix, ou encore le CEN [Conservatoire des Espaces Naturels] d’Auvergne.

Lire l’entretien : pour Lucie le Corguillé, « les zones humides ont un rôle capital dans le cycle de l’eau »

Et nous avons un lien fort avec l’éducation nationale : deux enseignants-relais nous sont mis à disposition, une enseignante du primaire qui est en quart-temps au musée, et une du secondaire à deux heures par semaine. Elles nous aident à construire nos outils pédagogiques, et travaillent au sein du service de médiation.

En complément : le partenariat avec la SHNAO sur la valorisation des collections, par François Fournier

La Société d’Histoire Naturelle Alcide-d’Orbigny [SHNAO] est une association d’entomologistes (spécialistes des insectes) et d’herpétologistes (spécialistes des reptiles). Elle accueille tous les passionnés de ces sujets en Auvergne, et a développé un cabinet d’expertise pour travailler avec les acteurs du territoire.

François Fournier est le président de l’association, expert en micro-lépidoptères (papillons de petite taille).

« L’association a signé une convention avec le muséum Henri Lecoq, il y a une vingtaine d’années, pour que les collections des entomologistes amateurs puissent lui être léguées, et ne se perdent pas ‘dans la nature’. Notre travail consiste notamment à participer aux inventaires de ces collections.

Pour ce faire, nous bénéficions d’une personne de l’association en contrat de travail avec le muséum, pour une centaine d’heures par an – dans le cadre d’une convention renouvelée chaque année. Et notre siège social se trouve au sein du muséum !

Ce partenariat permet de reconnaître les qualités d’experts de certains membres de la SHNAO sur les collections. Pour le muséum, cela permet de compléter le travail de l’équipe permanente, sachant qu’il y a de très nombreuses collections en attente d’être répertoriées – peut-être jusqu’à un million d’insectes ! »

Entretien téléphonique du 16 septembre 2021

Le muséum est aussi partie intégrante de la Métropole. Quelles sont les interactions qui existent avec d’autres dispositifs environnementalistes ou culturels ?

Le muséum fait partie de la direction de la Culture de Clermont Auvergne Métropole. Il est aussi membre d’un Observatoire Métropolitain de la biodiversité, qui inclut des associations naturalistes comme la LPO et un service universitaire dédié aux herbiers, Univege. Et nous sommes bien sûr en lien avec les autres musées de la Métropole, via le service Musées et Patrimoine. On échange beaucoup, on s’entraide vraiment. Nous travaillons notamment sur un projet de centre de conservation mutualisé des collections, d’ici 2024-2025.

Vis-à-vis des services “techniques”, nous travaillons avec la direction du cycle de l’eau, en lien avec les cours d’H2O Sans Frontières. Aussi avec le Valtom, la direction Gestion des déchets, la direction Développement Durable … il y a des passerelles naturelles. 

Lire l’entretien : Jean-Pierre Wauquier parie sur l’eau, modèle d’éducation et de coopération interculturelle

Nous allons d’ailleurs solliciter ces directions sur des besoins particuliers, notamment des projets communs de sensibilisation. Avec le Valtom, nous avons installé plusieurs composteurs dans le jardin du muséum : pour les utiliser en interne en « bonnes pratiques », mais aussi pour animer des ateliers autour du compost, permettant de parler d’écologie des sols.

J’ai tendance à penser qu’un support est prétexte à développer des idées dans beaucoup de domaines. Un composteur permet de parler de ce qu’est un écosystème, la faune et la micro-flore d’un sol, le jardinage, la nutrition, la chaîne alimentaire … on peut en parler, on peut montrer – des larves, des vers. C’est important de faire ça !

Un gros travail de l’équipe de Mickaël le Bras consiste à inventorier, classer et valoriser les collections (minéraux, animaux) léguées au muséum. La SHNAO, association d’entomologistes auvergnats, l’aide notamment dans cette tâche / Crédit photo : S Vidal (DR)

Pour conclure, dans toute l’action de sensibilisation et de pédagogie du muséum, que souhaites-tu mettre en avant ?

On a trop tendance à rendre les choses manichéennes : le mal, le bien. Or, l’écologie scientifique est sans doute l’une des disciplines les plus ardues qui soient : elle relève d’énormément de causalités et étudie des écosystèmes infiniment complexes. Et sur lesquelles toute action humaine a des conséquences parfois imprévisibles. 

Or, on ne peut répondre de manière simple à un problème complexe : une décision peut être bonne en termes écologique mais mauvaise en termes économique ou social … et inversement. La solution de l’équation doit chercher à optimiser le plus possible tous ces paramètres.

Stimuler la capacité des citoyens à penser le monde dans toute sa complexité et toute sa réalité.

Notre approche pédagogique se doit ainsi de travailler sur la complexité, pour faire comprendre que rien n’est simple – ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de solutions, mais qu’il faut prendre en compte de nombreux critères. En sachant qu’il est impossible de satisfaire complètement tout le monde : il faut faire des compromis.

L’un des points les plus importants pour les muséums à l’avenir sera, au final, de stimuler la capacité des citoyens à penser le monde dans toute sa complexité et toute sa réalité. Et de les aider à distinguer ce qui relève de la croyance, de l’opinion, du fait scientifique observé et argumenté.

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Pour aller plus loin (pistes proposées par Mickaël) :
Comprendre – le sociologue Gérald Bronner, qui s’intéresse au rapport entre croyances et sciences

Agir – « avec les enfants de son entourage proche, incitez-les fortement.
Ne pas hésiter à leur faire découvrir les sciences et la nature sous toutes leurs formes (balades, lectures, ateliers pédagogiques …)« 
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Propos recueillis le 26 mai 2021, mis en forme pour plus de clarté puis relus et corrigé par Mickaël et Clermont Métropole. Crédit photo de Une : éditeur