Ne plus soutenir un aéroclub pour raison écologique : bonne stratégie ?

Suite à la déclaration de la maire de Poitiers, Léonore Moncond’huy, qu’en pensent quatre acteurs puydômois concernés par cet événement ?


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Pourquoi cet article ?

Après avoir étrenné ce format de réactions d’acteurs locaux à une actualité nationale (ou internationale) avec le départ d’Emmanuel Faber de Danone, je vous propose quelques retours sur une nouvelle actualité qui a fait polémique dans les milieux écologistes et associatifs.

C’était pour moi l’occasion à la fois de creuser la question de l’impact environnemental de l’aviation de loisirs, mais aussi d’aborder sous un angle de la recherche appliquée le sujet des arbitrages de société au nom de la transition écologique, et de la manière de les décider – un point au coeur de cette actualité.

Damien

Les principaux points à retenir

  1. L’aviation de loisirs motorisée a réalisé des efforts pour réduire son impact environnemental (réduction du bruit, allègement des matériaux) mais le besoin d’homologation des moteurs et l’altitude de vol rendent difficile l’amélioration du carburant utilisé.
  2. Des prototypes sont en cours de développement concernant l’avion électrique de loisirs, notamment en France. Cela est envisageable car le poids des engins et la durée de vol peuvent le permettre.
  3. Les aéroclubs – majoritairement des associations de bénévoles – regroupent aussi des activités de loisirs avec pas ou très peu d’impact environnemental, comme le parapente ou le planeur. Cette dernière activité représente 95% des vols à Issoire, et permet – hormis le très court vol de l’avion tracteur au départ – de parcourir des centaines de kilomètres sans moteur.
  4. Plus largement, la polémique pose la question de la manière d’opérer des arbitrages dans un contexte d’urgence écologique. La solution peut être de ne pas les imposer d’en haut mais de les « travailler » par le bas, démocratiquement, à l’échelle d’une ville ou d’un quartier. C’est l’objet d’une expérimentation en cours à Grenoble.
  5. Les élus EELV, dont fait partie Léonore Moncond’huy, souhaitent au final rester cohérents avec leur ligne directrice : pas de soutien direct ou indirect à des activités qui utilisent des énergies fossiles, même associatives. Ils estiment que l’inclusion sociale, l’animation, la sensibilisation des jeunes, et même les rêves peuvent se faire de manière différente, par l’éducation populaire et la proximité avec la nature.

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LES FAITS

En conseil municipal de Poitiers le 29 mars dernier, la maire écologiste (EELV) Léonore Moncond’Huy a déclaré ne plus vouloir soutenir financièrement l’aéroclub de sa ville. Selon elle, il s’agit d’un choix « difficile » fait pour « protéger l’avenir des enfants » – elle fait alors référence aux problématiques d’émissions de gaz à effet de serre de l’aviation en général.

Elle déclare également que « c’était mon rêve d’enfant de prendre l’avion pour aller à l’autre bout du monde. Mais je pense que vous ne vous rendez pas compte des rêves dont on doit préserver les enfants. L’aérien, c’est triste, mais ne doit plus faire partie des rêves d’enfants aujourd’hui. »

Ces propos ont, depuis, largement fait polémique dans le milieu politique et associatif national.

Christian Bondareff : “Les appareils de loisirs se prêtent davantage à la propulsion électrique”

Christian Bondareff est le président de l’aéroclub Clermont-Limagne

Je regrette cette façon de raisonner. C’est vraiment trop étroit. Elle ne se rend pas compte de l’impact de ses propos. Il faut une évolution environnementale, bien sûr, mais de manière progressive et concertée.

Un aéroclub a des impacts économiques. A l’aéroclub Clermont-Limagne, nous entretenons nous-mêmes les avions, nous achetons des pièces détachées… et on fait travailler aussi des contrôleurs aériens, nécessaires pour assurer la sécurité.

C’est aussi un sport [de haut niveau] : les champions français, de renommée internationale, ont été [révélés] grâce aux aéroclubs – en voltige par exemple, avec Louis Vanel, champion du monde en 2019.

Il faut une évolution environnementale, bien sûr, mais de manière progressive et concertée.

Nous sommes une association, avec 90 adhérents. Nous ne faisons que du vol moteur. Mais nous avons une contrainte sur le carburant : tous les avions sont homologués avec un certain type d’essence. Nous ne sommes donc pas libres de faire évoluer [la motorisation], cela dépend du constructeur. C’est un vrai souci, d’autant plus que le prix de l’essence augmente.

Enfin, nous réfléchissons actuellement à l’achat d’un avion électrique, soit construit tel quel, soit “revampé” : un avion classique auquel on adjoindrait un moteur électrique. Il faut savoir que les appareils de loisirs sont plus petits [que l’aviation de transport] et se prêtent davantage à la propulsion électrique. D’autant plus que les vols de formation sont courts – 30 à 40 minutes.

Contacter Christian Bondareff par courrier électronique : president.acl63@gmail.com
Voir le site de l’aéroclub Clermont-Limagne

Diego Landivar :  “Son mérite est de placer les arbitrages écologiques au centre du débat public”

Diego Landivar est enseignant-chercheur à l’ESC Clermont et auprès du MSc Design de l’Anthropocène à Lyon, conseiller municipal d’opposition (Clermont en Commun) à la ville de Clermont et fondateur de Origens Media Lab

La maire de Poitiers pose la question du renoncement d’activités incompatibles avec les limites planétaires. Son mérite est de placer les arbitrages écologiques au centre du débat public pour que les gens puissent s’en saisir.

On a eu des affaires similaires : le Sapin de Noël à Bordeaux, le Tour de France à Lyon (…) Or les réactions populaires étaient tout à fait légitimes : pourquoi commencer par renoncer au Sapin ou à des « rêves de gosses » et non pas par les activités plus engageantes pour le capitalisme par exemple. Pourquoi commencer par renoncer à des activités importantes pour les classes populaires ? Qui a le droit de dire et choisir ce à quoi on doit renoncer ?

En fait, ces “coups” médiatiques ont le mérite de provoquer le débat ! Le fait de les lancer sur des petits dossiers est selon moi une stratégie de test : qu’est-ce qui passe, qu’est-ce qui ne passe pas. Et aussi de montrer que les maires écolos, contrairement à la plupart des maires qui ne veulent « renoncer à rien », sont avant-gardistes sur le sujet des arbitrages à faire pour le climat.

Le fait de lancer [ces « coups » médiatiques] sur des petits dossiers est selon moi une stratégie de test

Néanmoins la méthode et l’argumentaire posent des questions. Qui doit décider ce à quoi on doit renoncer : le maire tout seul ? Les scientifiques ? Ou le peuple ?  L’idéal serait de bâtir des diagnostics citoyens et pas uniquement scientifiques pour que l’écologie cesse d’être une histoire « d’ingénieurs », à la différence peut-être de la Convention Citoyenne pour le Climat voulue par Emmanuel Macron. De plus, la granularité doit se faire au niveau local – comme le quartier. Ensuite, il faut prioriser, réaliser des arbitrages démocratiques.

A Grenoble, nous [Origens Media Lab et la Ville de Grenoble] testons un protocole de renoncement avec 108 citoyens volontaires tirés au sort, qui enquêtent eux-mêmes sur les limites planétaires sur 6 quartiers et sur les arbitrages (et donc renoncements) à réaliser. A l’issue, les quartiers qui ont fait ce travail se rencontrent et mettent en cohérence ces différentes feuilles de route, qui sont soumises aux élus.

Pour Poitiers, si on ne veut pas que l’écologie se cogne contre la démocratie, il faut donc que les citoyens – et notamment les classes populaires – se mettent ensemble pour décider sur les priorités et les renoncements à appliquer.

Il faut que les citoyens se mettent ensemble pour décider sur les priorités et les renoncements à appliquer.

De cette manière, tu peux – démocratiquement et en commun – décider de ce qui est sacré et de ce à quoi on peut et doit renoncer. Au niveau du quartier, donc de la communauté. Je vois cela comme un renoncement par le bas, qui a une vocation démocratique, où le diagnostic et les décisions sont dans les mains des citoyens.

Lire l’entretien avec Diego Landivar : « La résilience doit modifier en profondeur les politiques publiques »
Voir le site d’Origens Media Lab

Daniel Gaime : “On n’a pas attendu cette polémique pour avancer”

Daniel Gaime est le président de l’aéroclub d’Issoire

Elle n’a pas pris la dimension des choses, elle généralise trop. J’ai conscience que le vol motorisé apporte des nuisances. Cela dit, dans le mouvement aéronautique, il y a plusieurs activités [à impact environnemental moindre ou nul] comme le parapente ou le vol en planeur.

A Issoire, nous avons 80 pilotes qui volent très régulièrement, et 200 membres au total … avec quasiment 95% de planeurs ! Nous possédons seulement un avion de tourisme pour faire des baptêmes et faire rentrer un peu d’argent. Pour moi, il faut faire rêver les jeunes, ou au moins leur permettre de sortir de leur quotidien, surtout dans les quartiers – où j’avais travaillé pour leur proposer des activités. 

Le planeur, ça permet de faire parfois plusieurs centaines de kilomètres [quasiment] sans impact environnemental.

Les aéroclubs permettent ceci. Ce sont 40 jeunes par an qui viennent chez nous s’initier au planeur – j’ai mis en place cela depuis une dizaine d’années. Et certains d’entre eux sont désormais pilotes de ligne ou ingénieurs en mécanique avancée ! Les jeunes sont souvent très motivés par ce qu’ils font quand ils ont un but dans la vie.

Néanmoins, on n’a pas attendu [cette polémique avec la mairesse de Poitiers] pour avancer. A Issoire, on avait déjà changé nos hélices et adapté les pots d’échappement pour réduire l’impact sonore. En revanche, c’est difficile de changer la motorisation, qui est globalement de conception ancienne. J’ai pourtant discuté avec de nombreux acteurs comme Total, mais nous n’avons pas de solution vraiment efficace.

De plus, les vols se font à une altitude de 4000 mètres où le mélange air-carburant est différent du sol, car il y a beaucoup moins d’oxygène, donc le carburant doit posséder un degré d’octane plus élevé. A Issoire, nous faisons plus de 3000 heures de vol en planeur par an, la seule consommation de carburant étant celle de l’avion tracteur qui largue le planeur à 300 mètres du sol, avec en moyenne ½ litre à l’heure. [Plus précisément,] la consommation de carburant ramenée aux heures de vol planeur avoisine le 0,75 litre à l’heure dont une durée moyenne de 4 heures de vol planeur.

L’avenir, selon moi, est dans l’avion électrique.

Je rappelle que le planeur, ça permet de faire parfois plusieurs centaines de kilomètres sans aucune consommation de carburant – excepté le rapide tractage au début – et sans aucun impact environnemental.

Reste donc l’optimisation en termes de poids : en Auvergne, Issoire Aviation était la première entreprise mondiale à avoir certifié des avions [à moteur] en composite, plus légers donc avec moins d’impact environnemental.

L’avenir, selon moi, est dans l’avion électrique. Il y a un modèle développé du côté de Poitiers d’ailleurs, l’Elixir. Mais la démarche n’en est qu’à ses débuts, et ce n’est pas encore idéal. Et il faut tenir compte de la pollution des batteries, à changer au bout d’un an ou deux …

Contacter Daniel Gaime par courrier électronique : acph@orange.fr
Voir le site de l’aéroclub d’Issoire

Anne-Laure Stanislas : « c’est cohérent avec la ligne pour laquelle elle a été élue »

Anne-Laure Stanislas est élue EELV à la mairie de Clermont, adjointe en charge de la ville en transition et de l’évaluation et de l’impact carbone des politiques publiques

Léonore Moncond’huy a avoué avoir été un peu maladroite sur la forme. Mais, sur le fond, c’est cohérent avec la ligne pour laquelle elle a été élue. Tout d’abord, la fin de la subvention municipale sur 2 ans ne remet pas en cause la survie des aéroclubs concernés. Ensuite, c’est logique que des élus écologistes ne contribuent pas, même indirectement, à l’utilisation d’énergies fossiles.

En fait, cette polémique est à l’image de ce qui arrive aux maires écologistes aujourd’hui : on prend les petites phrases pour nous désarçonner. Mais dans 30 ans, on verra qu’on aura raison ! Je reprendrais le titre du documentaire d’Al Gore pour traduire cette situation : “une vérité qui dérange”.

Je reprendrais le titre du documentaire d’Al Gore pour traduire cette situation : “une vérité qui dérange”.

Bien entendu qu’on est pour l’inclusion dans les associations. Mais on pense qu’on peut y parvenir avec beaucoup plus d’éducation populaire, avec un retour à la nature, avec des activités plus émancipatrices … C’est donc facile de nous tacler sur ces points. Mais nous pensons être précurseurs.

A Clermont, concernant les associations sportives, cela fait plusieurs années que nous demandons la prise en compte de manière transversale du développement durable. Et nous souhaitons à la fois l’intensifier et le développer avec toutes les associations – culturelles notamment.

Par exemple, dans le football, cela se traduit sur l’organisation des tournois, le covoiturage, les buvettes … des points logistiques mais qui, cumulés, ont un réel impact. N’oublions pas qu’un des piliers du développement durable est l’émancipation et la sensibilisation du public.

Je suis convaincue que l’exploration de l’ailleurs peut se faire sans engins motorisés

Dans l’aviation, on peut faire des efforts mais je ne pense pas qu’on y parvienne. C’est néanmoins super que le Club d’Issoire développe fortement les planeurs. On a aussi beaucoup cité Saint-Exupéry dans la polémique … mais je suis convaincue que l’exploration de l’ailleurs peut se faire sans engins motorisés. 

Notre mission est de préparer l’avenir, et je suis consciente que beaucoup de gens sont inquiets pour leurs emplois, leurs filières, etc. Nous devons être volontaristes en restructurant dès maintenant ces filières, en privilégiant l’emploi local, le développement durable. Et arrêtons de nous leurrer sur les progrès technologiques, et de croire que nous pourrons demain voler autant qu’hier.

Contacter Anne-Laure Stanislas par courrier électronique : alstanislas@ville-clermont-ferrand.fr
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Propos recueillis les 7, 8 et 9 avril 2021, mis en forme pour plus de clarté puis relus et corrigés par les différents intervenants. Crédit photo de Une : Pikachuvert (Wikimedia Commons, CC BY SA 4.0)