Pour Combrailles Durables, « l’énergie est un sujet de prise de pouvoir par les territoires »

Rencontre avec Loïc le Quilleuc et Valérie Sol, de la SCIC Combrailles Durables, qui milite pour les “circuits courts” de l’énergie renouvelable en zone rurale.


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Pourquoi cet article ?

Dans le cadre d’une étude commandée par Clermont Métropole à Epicentre Factory, en juin 2020, j’avais notamment interrogé Loïc le Quilleuc au nom de Combrailles Durables au sujet de la résilience territoriale. Cette association m’avait été recommandée comme un des principaux acteurs de l’ESS autour de Clermont.

J’ai depuis rencontré Valérie Sol qui allait intégrer l’équipe salariée de Combrailles Durables pour en assurer la valorisation.

La thématique portée par Combrailles Durables me semblait intéressante autant pour son action sur les énergies renouvelables « micro-locales » en zone rurale, mais aussi pour sa gouvernance citoyenne avec les avantages et les inconvénients qu’elle présente.

Damien

Les principaux points à retenir

  1. Les acteurs locaux, collectivités en tête mais avec le soutien des citoyens, peuvent s’emparer des problématiques énergétiques en développant des projets d’ENR (énergies renouvelables) sur leurs territoires. C’est l’objet d’une SCIC comme Combrailles Durables de les accompagner dans cette direction.
  2. Dans ce cadre, le photovoltaïque est la solution la plus aisée : taille et financement adaptable, grande recyclabilité, facilité de pose et d’entretien … Combrailles Durables a déployé 21 installations en 10 ans autour des Combrailles, sur les toits de bâtiments publics.
  3. Néanmoins, l’éolien ne doit pas être ignoré, même si la « masse critique » financière et admistrative, et les contraintes techniques, en font tout de suite des projets plus lourds.
  4. Le modèle de la SCIC porté par Combrailles Durables souhaite montrer qu’une maîtrise locale de l’énergie est possible, par de la production renouvelable mais aussi par de la gouvernance citoyenne et par du financement participatif, bénéficiant « en circuit court » au territoire.
  5. La dynamique est néanmoins compliquée à tenir sur la durée dans le cas d’un modèle 100% citoyen. Parce que, à l’instar des associations, il y a beaucoup de sympathisants mais peu d’actifs. Aussi parce que le sujet de l’énergie est technique et finalement peu fédérateur, contrairement à l’alimentation (thème de diversification de la SCIC). C’est pourquoi un modèle porté par les collectivités locales, avec le soutien des citoyens, peut être davantage pérenne.

L’intervenante : Valérie Sol

Chargée de développement chez Combrailles Durables


De formation architecte à Clermont, Valérie s’est rapidement orienté sur des activités autour de la communication et de la valorisation. Elle a ainsi collaboré pendant 15 ans à l’Agence d’Urbanisme de la métropole. Elle a ensuite participé à l’aventure Bois des Territoires du Massif Central, qui promeut l’utilisation du bois local dans les constructions, entre 2019 et 2020.

En mars 2021, elle rejoint la SCIC Combrailles Durables comme chargée de développement après y avoir participé en tant que bénévole et administratrice depuis 2015.

Contacter Valérie par e-mail : valerie.sol@combraillesdurables.fr

Crédit photo : éditeur

L’intervenant : Loïc le Quilleuc

Chargé de mission à l’ADEME sur les énergies renouvelables. Administrateur et ancien président de Combrailles Durables


De formation « monomaniaque technique » en physique énergétique – comme il le dit lui-même – Loïc travaille à l’ADEME en tant que chargé de mission sur les énergies renouvelables.

Très engagé sur les initiatives citoyennes, convaincu que les approches collectives favorisant le « ralentissement » de nos rythmes de vie seront nécessaires pour faire face au changement climatique, il a rejoint Combrailles Durables en 2010 quand la structure devenait une SCIC.

Il en a été président jusqu’en 2018. Il est aujourd’hui un de ses principaux administrateurs.

Crédit photo : éditeur

La structure : Combrailles Durables

SCIC œuvrant à développer et faciliter des initiatives d’énergie renouvelable citoyenne dans et autour des Combrailles


Née sous forme d’association en 2008, Combrailles Durables est devenue une SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) en 2010. Après une première expérience autour d’un projet éolien, les administrateurs ont réalisé qu’il était plus aisé, et mieux adapté pour le territoire, de favoriser des projets de photovoltaïque.

Combrailles Durables porte donc des projets « maîtrisés par les territoires » comme le précise Loïc le Quilleuc, ancien président de la structure. Début 2021, ce sont 21 toits de bâtiments publics – écoles, collèges, médiathèques, lycées, salles polyvalentes … – qui sont équipés de panneaux solaires opérés par Combrailles Durables. L’électricité produite est bien sûr connectée au réseau national Enedis, mais dans les faits elle alimente majoritairement les environs.

La SCIC comporte 350 sociétaires et sympathisants, mais elle reconnaît « avoir du mal à embarquer des gens plus actifs » selon Valérie Sol, chargée de développement. C’est un problème récurrent des projets citoyens, comme les associations, mais il est sans doute accentué par le caractère trop technique des sujets énergétiques. C’est pourquoi une initiative a été prise en 2020 de se « diversifier » vers l’alimentation avec un test de permaculture à Loubeyrat.

Enfin, Combrailles Durables a lancé une démarche de sensibilisation et d’essaimage au-delà de son territoire naturel. Des SCIC similaires ont déjà vu le jour à Ambert, à Vichy ou encore dans le territoire de Mondarverne. « on aimerait faire bénéficier à nos partenaires plus jeunes de l’animation des projets » précise sa présidente, Nelly Lafaye.

Combrailles Durables a signé un partenariat avec Enercoop AURA en juin 2022. En 2023, elle est accompagnée dans une réflexion de fond sur l’économie de la fonctionnalité, pour envisager une réorientation de son modèle économique.

Voir le site web de Combrailles Durables


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Pourquoi Combrailles Durables a-t-elle très vite “embrayé” sur le photovoltaïque ?

Loïc : En 2008, au début de Combrailles Durables, les fondateurs se sont rendu compte qu’un projet éolien était long et complexe – souvent 10 ans, au bas mot. Or, quand c’est porté par une structure associative, avec des bénévoles non spécialistes, c’est très dur de tenir sur cette durée.

Là, l’idée de faire du photovoltaïque « en attendant l’éolien » a émergé. A Loubeyrat, on est en limite péri-urbaine, en frange des pendulaires, et la croissance démographique était forte. La collectivité a lancé le projet d’une école plus adaptée à la demande – d’autant plus que certains membres du conseil municipal avaient des ambitions écologiques intéressantes. C’est sur ce bâtiment que nous avons fait notre première installation photovoltaïque.

L’installation « originelle » de Combrailles Durables, sur le toit de l’école de Loubeyrat. Depuis, 20 autres ensembles de panneaux ont été posés dans plusieurs villes du département / Crédit photo : Combrailles Durables (DR)

Mais les autres formes d’ENR [Energies renouvelables] n’étaient pas adaptées au projet ?

L: un des gros intérêts du photovoltaïque, c’est que tu peux adapter ton installation à toutes les surfaces et tous les prix – de 15 000 € à plusieurs millions. Alors qu’un projet éolien compte vite dans les 10 millions d’euros.

De plus, sur le côté technique, l’éolien est plus lourd par nature. Tout simplement parce qu’il n’y a pas de vent au sol. On le sent en escaladant la tour Eiffel. Et le vent en « altitude » est plus régulier quand il dépasse les arbres, donc plus adapté à la production d’énergie. Les “petites éoliennes” de moins de 12 mètres, pour lesquelles un permis de construire n’est pas demandé, sont plus faciles à installer … mais elles ne servent pas à grand-chose. Et ce ne sont pas des projets commerciaux. 

Loïc le Quilleuc détaille le dispositif en aval des panneaux photovoltaïques de l’école de Loubeyrat. Un petit panneau LED indique la production en temps réel / Crédit photo : éditeur

L : en outre, la technique en photovoltaïque est très simple. En éolien, tu as de la résistance des matériaux, de l’aéraulique, des fondations … avec des vibrations, des tensions, des pièces tournantes … tu peux avoir des démultiplicateurs de puissance dans la nacelle qui iront jusqu’à 20 tonnes !

Que représente la gestion d’un parc photovoltaïque pour une SCIC comme la vôtre ?

L : paradoxalement, ce n’est pas très compliqué – sur le plan technique. Une installation photovoltaïque est assez autonome : on la surveille à distance, et les interventions sont rares. De plus, la production d’électricité est rarement impactée, même par mauvais temps. 

Aujourd’hui, nous sommes propriétaires de 21 installations en photovoltaïque sur des bâtiments publics, principalement autour des Combrailles, et nous travaillons avec la ville de Clermont sur des écoles. 

Le toit de l’école de Manzat, dans les Combrailles, équipé par Combrailles Durables / Crédit photo : Combrailles Durables (DR)

Nous faisons tout, de la co-conception en partenariat avec un installateur clermontois à l’exploitation des installations de production, en passant par le montage financier. Cela implique de convaincre les collectivités, puis de gérer les formalités, un processus qui peut durer entre une et deux années …

Enfin, nous sommes exigeants sur la provenance des panneaux, a minima assemblés en Europe – ainsi que les onduleurs et les câbles. Sachant que l’ensemble des cellules photovoltaïques proviennent en général d’Asie (Corée, Taïwan, Chine), et que la production européenne a quasiment disparu. Pourtant, les Allemands étaient les leaders mondiaux il y a cinq ans !

On critique souvent les composants des panneaux photovoltaïques, notamment pour leur usage des terres rares …

L : au sein des énergies dites « renouvelables », il y a une grande variabilité [de composition]. La grande majorité des panneaux photovoltaïques se font sans terres rares. En fait, la “pression” sur les terres rares provient beaucoup plus de l’électronique grand public – ordinateurs, écrans, smartphones … Je regrette que ce soient les ENR qui semblent poser problème.

La grande majorité des panneaux photovoltaïques se font sans terres rares.

V : et n’oublions pas que les panneaux photovoltaïques sont garantis pendant 20 ou 25 ans. Avec une capacité de recyclage à 98 %. Combien d’ordinateurs ou de téléphones portables on va s’acheter pendant ce laps de temps ?

L : en revanche, les ENR peuvent utiliser une vingtaine de « matériaux critiques », pas forcément des terres rares, comme de nombreux métaux. Par exemple, on en a pour moins de 20 ans de cuivre [de réserves mondiales] ! L’or, l’argent sont aussi en raréfaction rapide. On en manquera avant de manquer de silicium, basé sur le sable.

L’impact du photovoltaïque en termes d’utilisation de ressources et de recyclabilité est un sujet de débat / Crédit visuel : torstensimon de Pixabay

Comment sont recyclés les panneaux photovoltaïques ?

L : il y a une seule usine en France de recyclage qui récupère les panneaux de photovoltaïque et qui les broie. Le souci avec le silicium, qui se recycle très bien, est qu’il n’y a personne pour le racheter. Donc, ça repart en gravats. Finalement, avec le photovoltaïque, on essaye de ne pas utiliser une ressource limitée [comme le pétrole] : c’est plutôt vertueux ! 

Combrailles Durables milite pour un modèle énergétique local. Sur quelle intention se base-t-il ?

L : il y a la décentralisation physique – le fait de produire de l’énergie en local – et la décentralisation administrative et financière. Pour cette dernière, à partir du moment où des citoyens ou des collectivités locales gèrent, elles ont la main sur le sujet et décident des orientations, notamment celle des bénéfices, des tarifs, etc. 

Au final, si on veut faire les choses comme on le souhaite, autant le faire soi-même.

Il faut en outre savoir qu’Enedis est exploitant du réseau territorial, et que c’est la commune qui en est propriétaire et responsable. Sauf que la distribution d’énergie est complexe, et se gère plutôt au niveau des syndicats départementaux pour le compte des collectivités adhérentes. Cela fonctionne comme ça depuis près de 80 ans ! Il n’y a jamais eu de remise en cause de ce modèle. 

Lire l’entretien avec Rurener : « l’énergie est un prisme d’entrée sur le développement rural »

Dans nos sociétés, tout le monde a une idée sur la façon dont les autres devraient fonctionner … mais peu sont prêts à s’investir. Au final, si on veut faire les choses comme on le souhaite, autant le faire soi-même. Par exemple, je ne suis pas un franc partisan du nucléaire en France : je peux critiquer EDF, mais si je veux montrer qu’une alternative est possible, c’est à moi de m’y pencher. Ce ne sera pas EDF qui le fera – pourquoi changeraient-ils leurs équilibres ? Même s’ils sont en train d’évoluer vers un mix énergétique plus diversifié, car ils n’ont pas le choix. Néanmoins, ils vont continuer à traire la vache jusqu’à la dernière goutte, notamment en étendant la durée de vie des centrales.

Quel est votre modèle économique actuel ?

L : On est l’équivalent d’EDF production, en plus petit : on produit, on injecte sur le réseau, et pour cela le courant doit être “de qualité” – 220-230v, 50Hz, et en alternatif. La production se fait donc avec revente intégrale au réseau : c’était le modèle retenu après le Grenelle de l’Environnement en 2007, avec achat par Enedis.

En revanche, l’électricité n’est pas fléchée sur le bâtiment portant les panneaux, qui ne sont pas autonomes en énergie. On injecte sur le réseau Enedis, mais il faut savoir que les électrons iront au consommateur le plus proche physiquement. Donc, s’il y a une consommation concomitante à la production, on sera proche d’un système autonome. 

Une installation sur une salle polyvalente à Ménétrol, près de Riom. On sort petit à petit des Combrailles, et des toits d’écoles … / Crédit photo : Combrailles Durables (DR)

Et vers quoi souhaitez-vous tendre ?

L : on aimerait que l’électricité produite ici soit « achetée » ici, de manière officielle. Notre modèle rêvé est celui des circuits courts en alimentation. Mais ce n’est pas possible en électricité : le réseau de production et de distribution d’électricité a nécessité tellement d’argent que l’échelle est nationale. Les électrons que l’on injecte à Loubeyrat peuvent être “consommés”, en tout cas facturés à Lille. Du moins en principe …

Notre modèle rêvé est celui des circuits courts en alimentation.

Cependant, les choses évoluent. Depuis 2017, la loi autorise l’auto-consommation collective – on parle parfois de « smart grid » mais ça concerne aussi la production et la consommation. On n’en est encore qu’à l’expérimentation, ce n’est pas forcément rentable ni simple techniquement, mais on progresse.

Pourquoi militez-vous pour une production énergétique décentralisée ?

L : les ENR sont souvent des unités de production à la maille du territoire. Une centrale à charbon de 400 ou 800 MW, c’est colossal. Ce n’est clairement pas pensé à l’échelle de la proximité, c’est conçu pour “l’export”. En revanche, le photovoltaïque ou l’éolien sont plus localisés : les unités de production peuvent être plus facilement disséminées sur le territoire, et alimenter en circuit court.

Pour moi, on est dans une logique de résilience énergétique. Avant la fusion des régions, l’Auvergne produisait seulement 20% de son électricité consommée. Alors qu’il y a un vrai potentiel ! On peut donc créer de la richesse pour l’économie et la société locale. Avec une logique de territoire : on souhaite associer tous ses acteurs. 

La centrale nucléaire du Tricastin, sur le Rhône. Les principales centrales françaises ne sont pas dimensionnées à l’aune d’un « petit » territoire mais d’un réseau national / Crédit photo : Marianne Casamance (Wikimedia Commons, CC BY SA 4.0)

N’oublions pas que les milieux ruraux sont plus résilients. Quand il y a la guerre, c’est à la campagne qu’on s’en sort le mieux. En France, la métropolisation est un phénomène très fort, et qui exclut (Gilets Jaunes). Pourtant, l’alimentation, l’eau, l’énergie ne sont pas produites dans les villes.

Pour moi, on est dans une logique de résilience énergétique.

Cela dit, on vit en collectivité, on est reliés par des réseaux. C’est ce qui fait société. Je n’envisage pas de vivre en autarcie avec mes panneaux solaires ! De plus, on ne peut pas toujours avoir du photovoltaïque sur son toit, pour plein de raisons. Il faut donc voir la situation par le prisme du collectif et du territoire.

Et comment réagissent les acteurs du territoire face à vos initiatives ?

L : localement, on peut se heurter à des oppositions de principe sur les nouveaux modèles décentralisés. Par exemple, même si c’est caricatural, des élus communistes qui votent “contre” parce qu’ils ne veulent qu’un modèle centralisateur, d’industrie lourde … ça existe. 

Avant, quand EDF décidait de tout à Paris et que ça descendait, c’était probablement plus simple et plus rassurant. Aujourd’hui, avec la multiplicité des opérateurs et des sources d’énergie, ce modèle est en train d’exploser. Et plein de personnes se retrouvent chamboulées par ce phénomène ! L’éolien est vécu pour certains comme l’illustration du démantèlement de la puissance publique.

Lire l’article : pour Philippe Métais, « la multiplicité des sources d’énergie renouvelable est nécessaire »

Au final, Combrailles Durables, c’est une façon pour les collectivités de faire quelque chose pour l’environnement sans vraiment s’impliquer. Par exemple : nos installations concernent 10 à 15 collectivités. Mais seulement 4 ou 5 sont coopératrices de la SCIC. Pourtant, on ne leur demande jamais un gros chèque ! 

Mais votre modèle est-il une solution face au changement climatique ?

L : il faut arriver, d’ici à 2050, à diviser notre consommation d’énergie par deux : c’est colossal ! Or, l’énergie est ce qui a permis d’augmenter notre confort et d’accroître le PIB régulièrement. Le confort, depuis la révolution industrielle, est principalement une question d’énergie. C’est difficile de la remettre en question sans se questionner sur son niveau de vie. 

Basé sur une énergie « disponible » dans le sol, le coût du pétrole ne prend pas en compte la production de l’énergie mais son traitement et sa distribution / Crédit visuel : drpepperscott230 de Pixabay

Et c’est normal : quand tu sors de l’énergie “disponible” dans le sol, comme avec le pétrole, ce que tu payes n’est pas la production de l’énergie mais son extraction et son transport. On est donc en train de puiser dans une cagnotte, remplie par la nature en plusieurs centaines de millions d’années. Notre confort est lié à une énergie qui n’est pas vendue à son prix réel !

Quelles sont vos recommandations sur le couple efficacité et consommation énergétique ?

L : l’efficacité énergétique est nécessaire, mais pas suffisante. Il faut que tous nos appareils consomment moins, mais de là à diviser par deux notre consommation d’énergie … En mobilité par exemple, on est passé de Citroën DS à 20 litres au 100 [dans les années 60]  à des Twingos à 7 litres au 100. Sauf qu’on a multiplié le nombre de voitures ! Donc, tant qu’on ne se demande pas comment on consomme et dans quelles conditions, toutes les révolutions technologiques ne seront pas suffisantes pour résoudre les problèmes.

Je dirais qu’une politique énergétique pertinente consisterait à se demander, dans cet ordre : 1/ est-ce que j’ai besoin de consommer ? 2/ si oui, est-ce que je consomme efficacement ? 3/ si oui, est-ce que je consomme renouvelable ?

L’efficacité énergétique est nécessaire, mais pas suffisante.

Pour tout cela, il faut tout de même produire … et on aimerait que ça n’ait aucun impact, visuel, électronique, environnemental. Mais nous n’avons que des mauvais choix. Un des « moins mauvais choix » réside dans les énergies renouvelables, éolien et photovoltaïque en tête. Et je vois cette thématique comme un sujet de décentralisation et de prise de pouvoir par les territoires. 

Lire l’entretien : « architecture, transition écologique et qualité de vie, selon Xavier Andiano »

Combien de structures similaires à Combrailles Durables existe-t-il en France ?

L : il existe un réseau Auracle (AURA Energie Environnement) qui regroupe les acteurs qui ont cette approche – en lien avec la Région – et qui anime le réseau des “énergies citoyennes”. Il compte une trentaine de structures comparables à la nôtre sur la grande région, mais c’est peu par rapport à la population et aux besoins. On se sent parfois un peu seul sur le sujet de l’énergie …

V : en revanche, on pourrait essaimer. Faire en sorte que les gens montent leur propre coopérative. Forcément, nous n’avons pas pour vocation à couvrir la France. Mais on peut participer à présenter notre modèle pour que d’autres fassent de même, ou du comparable, sur leur territoire. Des montages en ce sens sont en cours > existent à Ambert (SCIC Toi & Toits) et à Vichy (SCIC Com’Toit).

Combrailles Durables organise plusieurs réunions d’information dans les villes concernées par ses installations, afin de sensibiliser les habitants, de recueillir les remarques ou les adhésions à son projet … et, hors de son territoire, d’essaimer. Ici à Manzat en 2015 / Crédit photo : Combrailles Durables (DR)

Vous participez au sens de l’histoire … sentez-vous une dynamique locale en votre faveur ?

L : on a eu un vrai rajeunissement aux récentes élections. Les nouveaux élus abordent les problèmes différemment, avec d’autres outils, d’autres façons de voir les choses. Et qui sont, sur certains sujets, plus volontaristes que leurs prédécesseurs.

C’est un point capital. Quand les élus locaux ont un certain âge, ce qui est souvent le cas, ils utilisent un logiciel de réflexion datant de 50 ans, qui est notamment passé par les Trente Glorieuses … il faut un renouvellement de générations. Idem dans les syndicats territoriaux, comme ceux dédiés à la gestion de l’eau : on a parfois l’impression que ce sont de grandes maisons de retraite.

Grégory Bonnet (devant), jeune maire de la commune de Montcel, porte le projet d’éolienne citoyenne « Montcel Durable » suivant le modèle de l’énergie citoyenne et participative / Crédit photo : France Bleu (DR)

En conclusion, que vous manque-t-il pour mieux vous développer ?

V : notre problème principal est d’embarquer plus de gens avec nous, qui soient plus actifs, qui nous apportent d’autres façons de voir, d’autres idées. La richesse, c’est de venir d’horizons différents et qu’on apporte nos expériences, nos points de vue. On a du mal à mobiliser des coopérateurs sur nos sujets, mais c’est commun à toutes les associations. 

Le sujet de l’énergie est perçu comme trop technique.

L : Pourquoi ? Parce que les gens n’ont pas beaucoup de temps à passer hors de leurs activités principales. Et parce que le sujet de l’énergie est perçu comme trop technique, sans doute peu attractif, et “invisible” la plupart du temps. Résultat : malgré nos 350 coopérateurs et d’un fort capital sympathie, la plupart des gens ne s’investissent pas dans la structure. 

Lire l’entretien : « co-construire démocratiquement les politiques publiques selon Geoffrey Volat »

Quelle solution avez-vous imaginée ?

V : on a développé une autre activité autour de la permaculture et des forêts comestibles, intitulée ”Combrailles Durables prend racines”. Le but est de faire des espaces verts publics des lieux d’expérimentation sur l’alimentation locale. 

L : la première expérimentation a eu lieu près d’un hangar de la ville de Loubeyrat qu’on avait équipé en photovoltaïque. A un an d’écart, on y a fait deux plantations de 100 et 200 mètres de haies multi-étagées et diversifiées. Le but est que cela permette d’alimenter la population mais aussi les espèces animales, comme les oiseaux sauvages. Cela nous permet notamment d’aborder le sujet de la biodiversité.

Expérimentation en permaculture « Combrailles Durables prend racines » à Loubeyrat : un moyen pour la SCIC de diversifier son activité et d’attirer de nouveaux talents / Crédit photo : Combrailles Durables (DR)

Ici, on a donc voulu créer du lien autrement. Qu’est-ce qui est plus fédérateur ? La bouffe ! C’est plus agréable, plus culturel, et plus répétitif : on mange au moins trois fois par jour. Et on fait le pari que les gens se sentiront plus légitimes à nous suivre là-dessus.

Avec le recul, quel est selon vous le modèle organisationnel le plus pérenne pour les projets d’énergie territoriale ?

L : je vois trois solutions : soit le libre marché, soit du 100% citoyen comme Combrailles Durables … soit les collectivités, qui sont entre les deux. N’oublions pas que la loi sur l’ESS a dit que les collectivités pouvaient monter à 50 % du capital des entreprises coopératives, puis que la loi “Transition énergétique” de 2017 les a autorisées à monter et financer des opérateurs de production locaux, dans le cadre de SEM notamment. Les territoires peuvent donc se saisir du sujet, comme le fait la commune de Montcel et sa population !

Ce qui apportera de la pérennité, c’est l’appui sur des personnes morales comme les collectivités ou les sociétés d’économie mixte.

On est alors sur un système intermédiaire, plus solide, ne reposant pas que sur des individus soumis aux aléas de la vie. Ce qui apportera de la pérennité, c’est l’appui sur des personnes morales comme les collectivités ou les sociétés d’économie mixte. Je suis de moins en moins convaincu que le modèle purement citoyen permette de massifier. Il faut innover organisationnellement, et c’est ce qui est intéressant actuellement.

Quelques liens complémentaires proposés par Loïc et Valérie
Pour comprendre : le site d’Energie Partagée (un fonds financier qui a collecté de l’épargne citoyenne pour investir dans des projets citoyens)

Pour agir : solliciter Combrailles Durables !

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Propos recueillis le 17 mars 2021, mis en forme pour plus de clarté puis relus et corrigé par Valérie et Loïc. Crédit photo de Une : éditeur