Valoriser tout le patrimoine forestier, selon Marie Forêt

C’est encore une jeune start-up. Mais Powerforest, dirigée par Marie, veut prendre en compte autant les aspects économiques, écologiques et sociétaux de la forêt pour mieux la valoriser.


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Pourquoi cet article ?

Je reste persuadé que les forêts sont notre bien naturel à la fois le plus précieux et le plus palpable. A Clermont, comme dans beaucoup d’autres villes de France et d’ailleurs, il est très facile de sortir du périmètre urbain pour se retrouver dans la forêt. C’est pour moi le milieu le plus ressourçant et le plus enrichissant.

Mais je commence à mieux comprendre, grâce aux entretiens que j’ai pu faire, l’importance quasi stratégique des forêts dans la lutte contre le dérèglement climatique et, plus largement, les désordres environnementaux.

Pour autant, la forêt a une valeur humaine, économique et sociale indéniable, surtout dans une région comme l’Auvergne. Il est capital de le prendre en compte, et c’est l’approche que Marie a initié avec Powerforest. Je trouve son parcours passionnant, j’espère que vous en ferez autant …

Damien

L’intervenante : Marie Forêt

Pédologue, experte en forêts ; consultante en stratégie d’entreprise et en RSE ; animatrice de Fresques de la Biodiversité


Marie a toujours été passionnée par les sols et la forêt, transmise notamment par son grand-père bûcheron en Ardèche qui lui apprenait à entretenir sa futaie.

« J’ai toujours aimé comprendre comment les humains vivent dans leur milieu, en termes de ressenti. » dit-elle. Elle s’oriente au tout début des années 2000 vers des études d’agronomie et d’écologie, à Rennes.

Pédologue – spécialiste des sols – elle travaille de plus en plus autour des milieux forestiers, notamment en participant à un travail de fond sur la cartographie forestière à l’Inventaire Forestier National.

Elle rejoint ensuite la fédération des Communes Forestières, qui accompagne les collectivités locales en France pour valoriser leurs espaces forestiers. Ses autres activités concernent aussi la réalisation de diagnostics RSE pour les entreprises.

Enfin, en 2019, elle lance avec Guillaume Vernat l’entreprise Powerforest sur le Puy-de-Dôme, tout en suivant un Master en Executive Management à l’ESC Clermont. « Je m’y intéresse aux supply chain en général, me permettant d’identifier les points de force et de faiblesse. » précise-t-elle. « Ça m’a donné des pistes pour re-questionner mon rôle et mon implication dans la filière bois. ». Néanmoins, le projet ne se concrétise pas et prend fin en 2020.

Depuis, Marie continue son action en tant que consultante en stratégie d’entreprise, en biodiversité et en RSE. En 2021, elle s’implique fortement dans le développement de l’association Sens9 dédiée aux entreprises auvergnates et à la résilience territoriale : elle conduit des entretiens, réalise des études et en anime les premiers Clubs thématiques.

Contacter Marie par téléphone : 06 11 45 20 31
Contacter Marie par courrier électronique : marie [chez] unpasdecote.eu

Crédit photo : Marie Forêt (DR)

La structure : Powerforest

Jeune entreprise, encore en incubation au SquareLab de l’ESC Clermont, Powerforest est un projet porté par Marie Forêt – sa directrice générale – et Guillaume Vernat.

Il vise à faire de la valorisation forestière au sens large. « Il s’agit de s’assurer que tout le potentiel de biodiversité de la forêt soit exprimé« , comme le résume Marie Forêt. Exploitation raisonnée du bois, diversité des essences, puits de biodiversité, protection des sols, chimie verte, sylviculture irrégulière à couvert continu, épuration de l’eau, sensibilisation du public … les fonctions de la forêt sont multiples et seront toutes adressées par Powerforest.

En outre, l’entreprise souhaite s’adresser aux petits propriétaires, de moins de 4 hectares, souvent ignorés par les plans de développement territorial. « si on les prend en compte, ça créerait une “belle dentelle” intéressante pour le territoire » selon Marie Forêt.

Visiter le site web de Powerforest

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J’oserais dire que tu es partie de la base … en tous cas, ta première spécialité a été l’étude des sols, en lien avec les forêts. En quoi cela consistait-il ?

C’est comme cela que je me suis orientée en études d’agronomie et d’écologie, il y a 20 ans à Rennes. Je me suis spécialisée dans l’étude du sol : une ressource naturelle, un support de vie, et surtout un “grand jeu de piste”. Mon premier travail, c’était de faire de la « typologie de stations forestières”, à savoir décrire et comprendre le fonctionnement des forêts à partir de l’observation du sol et des plantes pour identifier leur potentiel et les essences à y favoriser. 

Et j’ai toujours eu l’impression d’être Sherlock Holmes, de chercher les indices : quelles plantes, quels animaux, quelles caractéristiques du sol … définissent la forêt, et son l’utilisation par la société.

Quel est l’enjeu écologique du sol ?

Le sol est une ressource naturelle, non renouvelable, en tous cas pas à l’échelle du temps humain. Mais il tellement essentiel qu’on finit par l’oublier. Il faut reprendre conscience de ce qu’il représente pour nous. D’autant plus qu’on peut tuer des sols par la surexploitation, et détruire leur capacité de résilience.

Le tassement produit par la mécanisation agricole peut grandement diminuer la capacité d’absorption hydrique des sols / Crédit photo : Dylan de Jonge on Unsplash

Dans le fonctionnement du sol, il y a des facteurs chimiques, biologiques et physiques. L’épuisement, ça peut passer par le déséquilibre chimique, comme ce qu’on voit avec la question des amendements en phosphore. C’est aussi via la mort de la biodiversité, ou l’utilisation des engins trop lourds qui peuvent tasser à outrance la terre.

Comment es-tu passée des sols à l’écologie forestière ?

En observant un espace forestier, on peut découvrir beaucoup de choses sur son potentiel. J’ai donc voulu poursuivre en écologie forestière. En France, il y a l’Inventaire Forestier National, qui a procédé à un zonage géographique. Avec Gérard Dumé [écologue qui travaillait à l’Inventaire], on a imaginé une sorte de “méga synthèse” de ces facteurs écologiques pour proposer un cadre de référence, les Sylvo-Eco-Régions, destiné à un nouvel inventaire des ressources forestières basé sur des critères écologiques. J’ai fait la pré-étude et montré que c’était faisable. C’était en 2004-2005. 

De quand date l’impact du changement climatique sur les forêts … et sur leur potentiel ?

En France, la surface plantée en forêts s’accroît depuis 200 ans. Mais ce n’est qu’au début des années 2000 que l’on commence à parler de l’impact du changement climatique et du dépérissement des arbres, surtout après la sécheresse de 2003.

En observant un espace forestier, on peut découvrir beaucoup de choses sur son potentiel.

Aujourd’hui, on est face à une vraie crise climatique, que la forêt se prend de plein fouet. Chaque année, on observe des dépérissements, liés à la sécheresse ou à la canicule. On se dit « pourvu que les conditions soient meilleures l’an prochain, pour que les forêts récupèrent ». Malheureusement, l’année suivante, il n’y a pas plus d’eau et il fait très chaud. Les forêts n’ont plus le temps de récupérer. On a, en même temps, des crises de ravageurs comme les scolytes. Toutes ces crises sont de plus en plus fréquentes, leurs effets s’ajoutent et affaiblissent les arbres, et ces événements autrefois exceptionnels deviennent la norme.

La forêt au-dessus de Sayat, au nord-ouest de Clermont, durant l’été 2020 : des arbres commencent à mourir de chaud par groupes / Crédit photo : éditeur

Et la forêt ne parvient pas à s’adapter ?

Non, car elle s’inscrit dans le temps long … Or, beaucoup de forestiers tirent la sonnette d’alarme : il y a urgence à aider la forêt à s’adapter ou à avoir des forêts en capacité de s’adapter. Il faut savoir que l’homme a beaucoup influencé les forêts :  dans les plantations artificielles, quand un ravageur arrive, c’est un festin pour eux ! Mais, quand on est dans des forêts plus diversifiées génétiquement, elles auront plus de ressources pour résister à une sécheresse ou une espèce invasive.

Lire l’entretien avec Charles-Etienne Dupont : « travailler la forêt, injecter de la narutalité »

Comment définis-tu la résilience des forêts ?

Les forêts diversifiées vont mieux résister au changement climatique, mais occuperont l’espace différemment. L’exploitation de l’espace va être optimisée, dans les strates arborées, arbustives, et même au niveau du sol. On le voit dans les “forêts jardinées ”, c’est-à-dire qui ont des strates et des classes d’âge variées et équilibrées. L’environnement est mieux exploité, il est plus résilient, il offre davantage de possibilités d’échanges et d’interactions.

Les forêts diversifiées vont mieux résister au changement climatique, mais occuperont l’espace différemment.

C’est presque un comble : après la guerre, on a encouragé la plantation d’essences uniques dans un objectif de production et d’exploitation intensives. Et, aujourd’hui, on se rend compte – sur le long terme – que les forêts diversifiées sont plus productives. C’est donc une preuve qu’il faut accompagner la variété des espèces.

Une forêt en bord de cours d’eau présente plusieurs « strates » : herbacée, arbustive, arborée / Crédit photo : Marie Foret (DR)

Tu vois donc la forêt comme un vrai “potentiel de développement”. En quoi consistent les “Communes forestières”, au sein desquelles tu avais travaillé en ce sens ?

Il s’agit d’un réseau d’associations qui promeut la forêt et le bois comme levier de développement local grâce à ses trois fonctions, économique, écologique et sociale. Mon travail consistait à accompagner les communes dans l’intégration de la forêt dans leur politique territoriale et dans leurs projets. 

En fait, les communes sont concernées par la forêt à trois titres : en tant que propriétaire – via la gestion de leurs forêts par l’ONF ; elles peuvent être consommatrices de bois, pour construire ou se chauffer – et là, on les accompagnait dans la réalisation de leurs investissements en favorisant le bois local ; enfin, elles aménagent [l’espace], dans le cadre de projets de territoires par exemple.

Les communes sont concernées par la forêt à trois titre : propriétaire, consommatrices et aménageuses.

Notre action était donc très large autour de la forêt, incluant la gestion de l’eau par les captages en forêt, les sorties scolaires de sensibilisation…

Lire l’entretien avec Pierre Gérard : « s’inspirer de la forêt pour trouver des solutions inédites en entreprise »

La ressource bois peut-elle être s’inscrire dans une logique de proximité ?

Aux Communes forestières, on poussait vraiment à utiliser du bois local. Pourquoi ? Parce que la filière bois nationale est déficitaire. On pourrait presque dire que la France est un pays du tiers-monde par rapport au bois : on exporte nos produits bruts, on importe nos produits manufacturés !

Pour encourager la valorisation des bois locaux, on a notamment mis en place une certification de traçabilité et de qualité du bois, “Bois des Territoires du Massif Central”.

La coupe, sombre ou claire, fait partie de la vie et de l’entretien de la forêt / Crédit photo : éditeur

Peux-tu nous décrire rapidement l’état de la filière bois en Auvergne ?

On constate une concentration des scieries, avec une disparition des petites unités. Les grosses scieries qui restent peuvent traiter davantage de volumes, mais sur du bois davantage calibré. 

Du coup, en Auvergne, on a un stock de gros bois sur pied – au moins 60 cm de diamètre – qui n’est plus valorisé car il ne passe plus dans les nouvelles lignes de sciage et dont la qualité peut être très variable. En outre, cette concentration des scieries fait qu’il y a des secteurs géographiques qui en sont dénués. Et qui oblige à faire de la route pour le transport, faisant donc baisser le prix du bois.

On pourrait presque dire que la France est un pays du tiers-monde par rapport au bois.

Donc, d’un côté, la filière évolue et s’industrialise – elle peut fabriquer des produits plus complexes comme le lamellé-collé, les panneaux…, qui permettent de faire des immeubles de plusieurs étages avec du bois, ce qui est intéressant parce que ça stocke du carbone.

Le bois est de plus en plus utilisé dans l’architecture contemporaine, notamment pour ses qualités environnementales / Crédit photo : Jacques GAIMARD de Pixabay

Mais on perd une capacité de traitement en proximité. On est donc dans une ambiguïté avec du bon comme du mauvais … La filière travaille activement sur toutes ces problématiques.

Lire l’entretien : architecture, qualité de vie et transition écologique, selon Xavier Andiano

Quel serait le schéma idéal tant au niveau de la gestion des forêts que de l’organisation de la filière ?

Ce qu’il faudrait, ce serait des forêts diversifiées, résilientes, qui produisent ce qui correspond aux besoins en termes de construction et de chauffage. Avec un maillage de petites entreprises – récolte, transport, scieries … – qui permette de valoriser les ressources à leur optimum en répondant aux besoins locaux tout en approvisionnant les métropoles.

Ce qu’il faudrait, ce serait des forêts diversifiées, résilientes, qui produisent ce qui correspond aux besoins.

Et, dans l’autre sens, on doit avoir des consommateurs qui ont conscience de l’origine des produits qu’ils utilisent, de ce que les forêts sont capables de fournir et qui adaptent leur consommation en fonction. Comme on comprend que c’est mieux de manger des courgettes produites à proximité, il faut arriver au même niveau de conscience pour le bois.

Quelle est la configuration des forêts dans notre région ?

Dans le Massif central en général, les forêts sont privées à 90%, et très atomisées – souvent moins de 4 hectares. Ce sont donc des petites surfaces, et les propriétaires n’en ont même pas forcément connaissance ! Il y a vraiment des parcelles “oubliées” … Or, aujourd’hui, les organismes de développement forestiers ne s’adresse pas aux propriétaires de moins de 4 hectares. Ils sont donc oubliés des actions publiques de sensibilisation.

Je milite donc pour une nouvelle approche de la forêt. Quand je parlais de méconnaissance des produits bois, du secteur forestier … il s’agirait de favoriser le dialogue entre les mondes forestiers (les filières bois, notamment) et non-forestiers, mais différemment. 

Les forêts du Massif Central sont très atomisées : moins de 4 hectares en moyenne / Crédit photo : Marie Foret (DR)

Pour ce faire, tu as lancé le projet Powerforest. De quoi s’agit-il ?

L’originalité de Powerforest est de s’adresser aux plus petits propriétaires. C’est la difficulté : on sortira peu de bois, mais notre action concernera la majorité des propriétaires. Et, si on les prend en compte de cette manière, ça créerait une belle “dentelle” intéressante pour le territoire. 

En rencontrant ces propriétaires, on a aussi vu qu’ils avaient cette douleur de ne pas savoir quoi faire de leur bien, de ne pas savoir à qui s’adresser, de n’avoir ni temps ni argent … pourtant, il y a à chaque fois un “rêve de forêt” à accompagner, à leur échelle. Et c’est une manière de rénover le dialogue entre les propriétaires forestiers, un territoire, et une filière. 

Quels pourront être les impacts environnementaux de Powerforest ?

Nous voulons faire de la valorisation forestière. Et on peut certifier que cette gestion est bien faite, en s’appuyant sur une certification durable intégrant les valeurs écologiques et biologiques des forêts, comme FSC . On souhaite en outre valoriser les principes de sylviculture irrégulière conservant un couvert continu : favoriser au maximum la présence de forêts mélangées en essences et en âges. 

Favoriser le dialogue entre les mondes forestiers et non-forestiers, mais différemment.

Nous voulons aussi créer des puits de biodiversité pour favoriser la résilience de la forêt. Il s’agit de s’assurer que tout le potentiel de biodiversité de la forêt soit exprimé, et d’adapter nos pratiques en fonction. Pour autant, ce n’est pas une “mise sous cloche” de la forêt, car l’entretien de la forêt produit du bois à valoriser, et il faut aussi accompagner les fonctions d’épuration de l’eau, la sensibilisation du public, les sentiers, les espaces de loisirs …

La forêt est un des principaux réservoirs de biodiversité sur la planète. Et ce n’est qu’un de ses nombreux avantages écologiques / Crédit photo : Free-Photos de Pixabay

Dans Powerforest, on veut valoriser tous les potentiels, notamment dans les produits bois à forte valeur ajoutée pour en augmenter la valeur : dans la construction mais aussi la “chimie verte”, et dans des débouchés futurs … mais toujours dans un entretien durable de la forêt. Et en impliquant les parties prenantes, car nous voulons être une entreprise à mission et nous impliquer pour le territoire.

Pour conclure, dans quelle vision inscris-tu cette action et tout ce que tu as fait jusqu’à présent ?

Pour moi, il est capital que la société fasse évoluer son rapport aux espaces naturels pour bien vivre avec. On fait partie d’un maillage : les humains l’ont utilisé à leur profit, mais il faut maintenant qu’on comprenne la place qu’on y occupe, pour le respecter et le faire durer. Pour cela, on doit changer de point de vue par rapport à la nature. On est une pièce de ce puzzle, on n’est pas à l’extérieur, on n’en dicte pas les règles.

Pour aller plus loin (liens proposés par Marie):
Comprendre : la pensée et les ouvrages de Jacques Ellul « sur le système qui veut produire toujours plus de technique, comme une fuite en avant »
Agir : choisir la certification Bois du Massif Central !

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Propos recueillis le 24 novembre 2020, mis en forme pour plus de clarté puis relus et corrigés par Marie. Crédit photo de Une : Picography via Pixabay (DR)