Pour Lucie Vorilhon : « c’est très dur de trouver des maraîchers en local »

Co-fondatrice des Marchés de Max et Lucie, qui propose des paniers d’aliments locaux, Lucie analyse la dynamique de la production « paysanne » à proximité de Clermont.


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Pourquoi cet article ?

Dans la lignée d’une série de contenus sur l’alimentation locale, il m’a semblé intéressant de « remonter la filière » (ou la descendre, c’est selon), à partir du producteur jusqu’au consommateur.

Ainsi, après avoir échangé avec deux agriculteurs avant l’été (Olivier Tourand et Laurent Campos), après avoir abordé les questions transversales de la sécurité alimentaire avec Stéphane Linou et du Projet Alimentaire Territorial avec Jean-Pierre Buche, voici le témoignage de Lucie, qui a monté une belle « boutique » de distribution de paniers de produits locaux.

Au-delà de sa position intéressante dans la chaîne de valeur de l’alimentation, elle a aussi l’avantage considérable d’avoir développé des relations étroites avec les producteurs maraîchers de proximité. Elle nous propose donc en entretien sa vision du monde agricole local et de la résilience alimentaire.

Damien

L’intervenante : Lucie Vorilhon
Crédit photo : Marchés de Max et Lucie (DR)

D’origine alti ligérienne, Lucie vie à Clermont et tient l’épicerie des Marchés de Max et Lucie, qu’elle a co-fondé avec Maxime Fritzen en 2014. Elle a 31 ans (en 2020).

Lucie suit un parcours en droit international – côté humanitaire et géopolitique – puis une licence en sciences politiques. A la recherche d’une activité plus « terrain » que recherche, elle rejoint l’ONG Agronomes et Vétérinaires sans Frontières à Paris en 2012.

Après cette expérience, retour à Clermont où elle retrouve Maxime Fritzen, un copain du lycée. Ensemble, ils décident de monter les Marchés de Max et Lucie.

Pour contacter Lucie par mail : contact@lesmarchesdemaxetlucie.fr
La structure : les Marchés de Max et Lucie

Une épicerie 100% locale, avec des paniers en vente dans des points relais sur Clermont, et une épicerie de proximité dans le quartier de la gare SNCF.

Animée par Lucie Vorilhon, Maxime Fritzen (son associé, co-fondateur) et Sarah Gobbe depuis l’été 2020, l’entreprise comptabilise 300 abonnés à ses paniers. Elle favorise clairement une agriculture paysanne, de proximité, avec des liens forts vis-à-vis des producteurs partenaires.

Visiter le site web des Marchés de Max et Lucie

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L’une des forces des Marchés de Max et Lucie réside dans sa proximité avec les producteurs locaux. Comment s’est elle-construite ?

Dans mon précédent poste chez Agronomes et Vétérinaires sans Frontières, j’avais partagé les joies des déjeuners entre salariés et des partages de “bons plans” pour commander des produits locaux, faire venir une AMAP, etc. J’adorais cette création de lien autour de la nourriture, au sein même de l’entreprise.

Mon associé, Maxime, a tout de suite adopté cette idée, en la rendant compatible avec nos rythmes de vie : jeunes, précaires, sans emploi. C’est là que le système d’abonnements nous est apparu indispensable, pour miser sur l’agriculture de proximité.

On venait d’univers très peu “commerce et agriculture”, mais on avait de bonnes capacités de recherche et d’analyse.

On a rapidement basculé dans l’entrepreneuriat, avec de l’accompagnement par l’écosystème, tout en gagnant notre vie grâce à de l’intérim. (…) On venait d’univers très peu “commerce et agriculture”, mais on avait de bonnes capacités de recherche et d’analyse. On avait obtenu une “Résidence Entrepreneurs” de l’ARDTA, ce qui nous a permis de faire une étude de terrain pendant 6 mois en 2014.

L’équipe des associés : Sarah, Lucie et Max / Crédit photo : Marchés de Max et Lucie (DR)

Comment était structurée la production alimentaire locale à cette époque ?

C’était une filière assez opaque, peu accessible … mais, avec le recul, je pense aussi que c’était lié à ma méconnaissance initiale, à ma jeunesse et au fait que je sois une fille ! Heureusement, Maxime m’a énormément appris parce qu’il était beaucoup plus à l’aise dans les échanges.

C’est une vraie légitimité d’être sur le terrain.

Notre approche était originale de par nos personnalités, notamment parce qu’on ne savait pas comment on allait se structurer au début. Donc on venait juste en posant des questions. On n’avait pas d’offre précise à proposer … mais on était curieux: on demandait aux agriculteurs “comment tu fonctionnes ? Qu’est-ce qui t’aiderait au quotidien ?” Ils n’étaient pas habitués ! Et ils se sont ouverts. Parfois, sur plusieurs années … mais ça a fini par marcher.

Je me suis finalement rendu compte que c’était une vraie légitimité d’être sur le terrain … même auprès des producteurs. Plusieurs ont compris qu’on était là pour avancer, pas pour imposer des visions ni importer une marque, mais pour travailler ensemble.

“Travailler ensemble” … parce que les producteurs étaient aussi dans une démarche de changement ?

En effet, certains s’installaient, sortaient du conventionnel, reprenaient une ferme, découvraient l’agriculture paysanne … Et on apprenait en même temps qu’eux !

Il faut comprendre que, à un moment donné dans l’agriculture, c’était la politique productiviste pour tout le monde. Puis on a commencé à se rendre compte que ce n’était pas la bonne solution, certaines alternatives ont apparu … mais ce sont des professions dures, très “secouées”, et dépendantes de politiques nationales.

A la rencontre des producteurs locaux, avec Christophe, maraîcher en Limagne / Crédit photo : Marchés de Max et Lucie (DR)

Le traitement de la société à leur égard est également un problème. Je connais un producteur qui a planté des haies parce que des gens venaient le prendre en photo quand il arrosait, pour vérifier s’il utilisait des produits chimiques ! Et ça les use …

Les Marchés de Max et Lucie se basent désormais sur une agriculture dite “paysanne”. Pas obligatoirement bio ni raisonnée. Pourquoi ?

Les critères qu’on avait choisi était 100% bio à la base … mais la vente du bio était déjà organisée, notamment avec les débuts de Bio63. L’enjeu, pour nous, a fini par évoluer : c’est devenu le maintien d’une agriculture paysanne.

Etre agriculteur, c’est une profession dure, très “secouée”, et dépendante de politiques nationales.

Il s’agit d’une approche chartée : sur l’homme, sa façon de produire, le respect de l’environnement, la taille humaine, l’absence d’intrants chimique. Il y a pas mal de liens avec la Confédération Paysanne par exemple. L’agriculture raisonnée, j’aime moins, car il n’y a pas de cahier des charges.

Lucie dans l’arrière-boutique. Mission : gérer l’expédition de 300 paniers de produits locaux par semaine ! / Crédit photo : Marchés de Max et Lucie (DR)

Quelle est la dynamique spécifique à l’agriculture paysanne autour de Clermont ?

La problématique est que ces agriculteurs disparaissent. On le voit : il y a de moins en moins de zones de maraîchage péri-urbain. Tout est revendu pour du foncier. Je comprends que ça génère plus d’argent qu’un territoire agricole ! Mais c’est une approche court-termiste.

Il y a de moins en moins de zones de maraîchage péri-urbain. Tout est revendu pour du foncier. C’est une approche court-termiste

La preuve de cette disparition progressive : je ne suis jamais démarchée par des producteurs en fruits et légumes. Ca prouve que c’est très dur de trouver des maraîchers en local (notre charte est limitée à 30km, avec une approche paysanne). Il y a une vraie pénurie. Le premier constat que j’aie fait, c’est qu’on n’est vraiment pas une région riche en fruits et légumes …

Pour moi, l’agriculture, c’est l’écologie, et si on pouvait concevoir des politiques à long-terme, on devrait y réserver une place prépondérante à l’agriculture.

Au-delà de l’artificialisation des sols, quel est le rôle du changement climatique sur la raréfaction des maraîchers sur le territoire ?

J’ai aussi compris, récemment, que l’eau est un véritable enjeu en Auvergne. Et cela impacte particulièrement les maraîchers. Maintenant, il ne pleut quasiment jamais ! Et, quand il pleut, c’est souvent violent, ça ne remplit pas les réserves, ça ruisselle … Avant, la fonte des neiges permettait de reconstituer les réserves. Aujourd’hui … on se retrouve avec quatre saisons consécutives de sécheresse.

Lire l’entretien avec Laurent Campos-Hugueney : « L’eau ne peut être privatisée au profit de quelques intérêts »

Certains maraîchers ont pu prendre du recul et analyser la question. Et ils ont mieux compris pourquoi des agriculteurs partent dans des régions avec une meilleure pluviométrie, comme la Normandie ou la Bretagne.

Si on pouvait concevoir des politiques à long-terme, on devrait y réserver une place prépondérante à l’agriculture.

Il y a une forme de pessimisme paysan traditionnel, allié à la une conscience du changement climatique qui se produit … Je le vois dans la diversité des produits qu’on propose, surtout pour les fruits, qui restent les plus fragiles. C’est la cata : aujourd’hui, on en a une année sur deux. Et ce n’est pas facile à expliquer aux gens !

L’équipe devant le magasin de l’avenue Charras / Crédit photo : Marchés de Max et Lucie (DR)

Justement, les consommateurs comprennent-ils ces enjeux ? Et parviennent-ils à s’adapter, eux aussi ?

Du côté des consommateurs, il y a une vraie évolution : on est passé de 17 paniers de produits locaux hebdomadaires à plus de 300 ! Les filières se structurent mieux, notamment celle du bio. Il y a donc une évolution positive … mais qui n’est selon moi pas assez rapide. Et le discours politique est plutôt déconnecté du terrain.

Il y a donc une évolution positive de la filière … mais qui n’est selon moi pas assez rapide.

Un de nos problèmes consiste à expliquer les problématiques du terrain à des gens qui ne sont pas toujours prêts à l’entendre. Nous avons un vrai travail de sensibilisation des consommateurs. Beaucoup sont déjà très informés, voire surinformés, quand d’autres ont oublié les problématiques de saisonnalité.

Que penses-tu du concept de résilience alimentaire à l’échelle territoriale ?

Sur le terrain, c’est vu comme un concept peu réaliste ! S’il faut nourrir les gens à moins de 100km, on n’y arriverait même pas pour Clermont. Pourtant, je pense que c’est l’avenir. Ma vision est liée à la décroissance et à la démondialisation. Je pense qu’il faut avoir compris le global pour vouloir agir en local. Le local, c’est l’avenir, et ça passera par la restructuration des économies à cette échelle.

Lire l’entretien avec Stéphane Linou : de la sécurité alimentaire à la sécurité des territoires

Cela n’implique pas de se passer de tous les produits plus lointains, mais il s’agit d’inverser la donne : que la majorité de nos produits, et surtout les produits de première nécessité, soient issus du local. Je suis sûr que cela aurait des impacts très positifs au niveau global, par effet miroir.

S’il faut nourrir les gens à moins de 100km, on n’y arriverait même pas pour Clermont.

Je travaille sur les fruits et légumes surtout, mais il y en a beaucoup d’autres : l’élevage et les produits laitiers sont une grosse part de la production locale. Et c’est compliqué de les transformer. Pourtant, l’élevage bovin extensif, la pâture, est une bonne solution. On n’a pas à se plaindre !

Cerises d’Auvergne, un des fruits de saison heureusement disponibles en abondance (certaines années …) / Crédit photo : Marchés de Max et Lucie (DR)

Après 6 ans d’existence, quel bilan tires-tu de l’action des Marchés de Max et Lucie auprès des producteurs ?

Notre objectif est de structurer une logistique solide avec les producteurs, de leur proposer un distributeur viable. En comprenant leurs problématiques et en tissant un lien humain fort. Les producteurs sont souvent isolés, parfois de par leur zone géographique, ou de par leur origine extra-régionale … mais je pense qu’on est parvenu à les mettre en relation ! Et ils ont commencé à discuter entre eux, à comparer leurs méthodes de productions.

On est parvenu à mettre les producteurs en relation !

C’est une vraie satisfaction, mais parfois ça n’aboutit pas, quand on voit par exemple qu’un fils ne souhaite pas reprendre en maraîchage la surface de son père, malgré nos échanges. Parce qu’il a été élevé dans la “paysannerie à la dure”, et parce qu’il vit difficilement le changement de modèle, de système.

Comment vois-tu l’avenir pour ton entreprise ?

On est en croissance depuis qu’on existe. Et on est beaucoup au contact de jeunes étudiants qui sont dans l’action, militants. On est proche de Lieutopie et des milieux qui gravitent autour. Je n’étais pas autant engagée durant mes études ! Aujourd’hui, je trouve ça hyper entraînant et porteur d’avenir. Ca nous aide bien à rester optimiste.

Lucie dans son arrière-boutique, en pleine préparation des paniers de produits locaux / Crédit photo : Marchés de Max et Lucie (DR)

Tu fais référence au volet politique et ESS des “Marchés” …

En 2014, l’ESS ne prenait pas en compte les sociétés commerciales comme la nôtre. Mais ça a bien évolué. C’est génial de dire que beaucoup d’alternatives sont viables. Nous, on est fier de créer des emplois. Alors qu’on nous disait au début qu’on allait disparaître dans 2 ans, ou qu’on ne vivrait jamais de notre boîte …

C’est génial de dire que beaucoup d’alternatives sont viables. Nous, on est fier de créer des emplois.

On savait au début que notre projet serait politique. La question était : comment le citoyen peut agir dans la cité ? C’était notre façon de faire, en créant quelque chose de pérenne. Aujourd’hui : c’est complètement un pari gagné ! Mais je ne critique pas le discours pessimiste, des autres commerçants ou agriculteurs notamment, car il nous a incité à la prudence.

Et comment se concrétise cet impact social que tu recherches ?

L’aspect social est particulièrement important pour nous : qui produit ? Pourquoi ? Comment ? On le sait … et on l’explique aux clients qui achètent. Ceux qui travaillent la terre n’ont pas le temps de le faire, et on est là pour ça.

Livraison de paniers de produits locaux pour les étudiants, une des volontés initiales des Marchés de Max et Lucie / Crédit photo : Marchés de Max et Lucie (DR)

Ensuite, il y a tout le rapport à la cuisine que j’adore. La nourriture, c’est un énorme vecteur de lien social ! J’ai beaucoup échangé avec ma grand-mère grâce à la cuisine. Et je le vivais comme le contrepoids d’une vie, et d’une société, un peu speed et capitaliste.

On aime à se dire que le légume, ça amène à plein de choses. On a un frigo solidaire dans la boutique, même si ce n’est pas assez abouti et entretenu. Mais ça nous donne des pistes, ça entretient des rêves. Par exemple, j’adorerais transformer les invendus en les cuisinant et en les redistribuant dans les milieux précaires. Mais il faudrait qu’on ait une organisation et un seuil de rentabilité qui nous le permettrait … ce serait un véritable aboutissement.

Pour aller plus loin (lien proposé par Lucie) :
Voir le documentaire de Colline Serreau « Solutions locales pour un désordre global », sur Youtube

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Propos recueillis le 4 septembre 2020, mis en forme pour plus de clarté puis relus et corrigés par Lucie. Crédit photo de Une : Marchés de Max et Lucie (DR)