Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
A l’heure des smartphones partout et des intelligences artificielles génératives, être photographe professionnel nécessite d’avoir de la créativité, de la personnalité ou au minimum plusieurs cordes à son arc.
A l’heure où les dérèglements de l’environnement commencent à secouer fortement la planète, avoir pour métier d’observer le monde et de lui tendre un miroir implique de se poser de sérieuses questions sur ce que l’on observe.
Voilà pourquoi le métier de photographe a des choses à nous apprendre et à nous faire comprendre.
En tout cas pour ce qui concerne Félix, Grégoire et Vincent.
Et si vous imaginez que trois portraits de photographe vont apparaître redondants et répétitifs, ne manquez pas une miette de ces trois articles. Ils vont vous étonner.
Marie-Pierre
Trois infos express [cliquer pour dérouler]
- Félix de Malleray est photographe à Thiers, où il travaille surtout pour des entreprises. Sa particularité est de circuler à vélo-cargo, pas même électrique, dans cette ville pentue ou même pour des déplacements plus lointains. Il se démarque aussi par ses images au style très personnel, tout en ombres et en contrastes.
- Il y a deux ans, il s’est formé pour réparer ses vélos et a acquis le matériel nécessaire. Il a transformé cette compétence en deuxième activité et s’est installé aussi comme vendeur et réparateur de vélos, proposant principalement des vélos utilitaires, pour les usages du quotidien.
- Pour son matériel photo, pour les vélos qu’il vend et plus généralement dans son mode de vie, il prône autant que possible la robustesse et la réparabilité.
Quand j’ai proposé à Félix d’aller le voir à Thiers, il m’a spontanément offert, au cas où j’arriverais en train, de venir me chercher à la gare à vélo. Ça donne le ton.
Dans cette ville toute en montées vertigineuses, ce photographe roule très majoritairement à vélo. Et même pas électrique. Il transporte à vélo-cargo ses filles, son matériel photo, ses courses ou ses cannes à pêche. C’est même à vélo qu’il va assurer ses rendez-vous professionnels à Clermont. Ou qu’il rejoint sa famille en vacances à Nantes.

Il faut dire que Félix n’est pas seulement photographe professionnel. Il est aussi vendeur et réparateur de vélos. Chaque activité ayant son espace de part et d’autre d’une même entrée de maison, dans les hauteurs de la cité coutelière. Studio d’un côté, atelier de l’autre. Ces petites pièces, dans une ancienne habitation à peine sortie de « son jus des années 1960 », n’ont rien d’une boutique classique mais collent à la personnalité de Félix. Parce qu’il n’aime pas travailler dans la solitude, il y a fait une place, à l’étage, pour le tatoueur Charles Pharaboz.
Destination Thiers
Pourtant, encore aujourd’hui, il s’étonne qu’on vienne le voir en tant que photographe pour sa démarche écologique. « Pour moi, c’est seulement du bon sens », dit-il. Rouler à vélo complète son mode de vie naturellement frugal : légumes du jardin, chaussures de qualité increvables, réparation, seconde main, etc.
Mais comment devient-on photo-vélo-taffeur et réparateur de vélos dans une ville quasi verticale ? Par hasard et par la pêche, pourrait-on répondre, même si c’est un peu un raccourci. Car Félix de Malleray est parisien d’origine et sa compagne nantaise.
« J’avais choisi ce dont personne ne voulait à cette époque. »
Dès 18 ans, alors qu’il se formait à la photo de studio, il a commencé à travailler en tant que photographe de presse pour une agence. « J’étais spécialisé dans l’extrême droite et l’extrême gauche : j’avais choisi ce dont personne ne voulait à cette époque », précise-t-il. Il y travaille près de six ans. Sa compagne ne souhaitait pas rester à Paris, et lui a l’impression que son travail ronronne. Mais entre Nantes et Angers, ils ne sont pas d’accord sur la destination. L’Auvergne va les départager.
Car à l’occasion d’un séjour de vacances dans la région, ils s’éprennent du cadre ; le pêcheur à la mouche découvre la Sioule, et le couple vise Gannat. Mais c’est l’époque où le dispositif Auverboost accompagnait les entrepreneurs qui souhaitaient s’installer dans la région. Il offrait même de les loger et attribuait des aides et facilités. Il les oriente vers Thiers, où le créneau de la photographie semble favorable.
Un style singulier
Félix pose donc en 2015 son studio et son matériel dans la sous-préfecture du Livradois-Forez et commence par travailler pour les particuliers. C’est un service qu’il propose toujours mais de façon marginale : « pour garder la main », sourit-il en relevant trois mariages sur son agenda de l’année.
« Ça force à faire différemment. Et ça fait des photos différenciantes. »
Après trois ans – le temps de se faire connaître et reconnaître dans la petite ville – il se tourne vers le marché des entreprises, devenues depuis sa principale clientèle. Et parmi elles, comme on peut s’en douter, une bonne proportion de coutelleries. Photos de produits pour des catalogues, portraits et reportages dans les locaux et usines se partagent ses prises de vue.

En photo, il se démarque par une patte très personnelle : forts contrastes, grand angle, ombres et contrejours qui mettent en valeur le sens d’un geste ou d’une posture plus que les individus.
Félix travaille avec du matériel très performant et un solide savoir-faire de studio, mais avec un unique boîtier Leica sans zoom, sans autofocus. « Parce que la contrainte pousse à la créativité, explique-t-il. Si tu veux une photo de près, tu dois te rapprocher. Si tu veux changer de point de vue, tu dois changer l’objectif. Ça oblige à réfléchir. Ça force à faire différemment. Et ça fait des photos différenciantes. »
Double activité
Le vélo est arrivé plus tard, à la sortie des confinements, et pas dans la facilité : « J’ai galéré, dit-il. Au début je me forçais à aller une fois par semaine dans le bas de Thiers et la première fois, j’ai mis une heure et demie pour remonter. Maintenant je peux le faire en un quart d’heure et j’ai perdu 40 kilos. Le vélo, ça maintient en forme ! »
« La première fois, j’ai mis une heure et demie pour remonter. »
De là à en faire son second métier, il fallait juste un besoin personnel. « J’étais mécontent du mécanicien vélo de Thiers, raconte Félix. J’ai profité d’une baisse d’activité pour aller me former à Pau, en trois semaines. Puis je me suis dit que quitte à acheter le matériel de réparation, autant en faire profiter d’autres personnes. »

Ainsi est née l’enseigne Route Pêche il y a deux ans, au début bien distincte de son activité de photographe qu’il exerce simplement sous son nom. « Aujourd’hui je marque moins la séparation, parce que j’ai acquis de la légitimité des deux côtés, et parce qu’on tolère davantage la double activité », dit-il.
Robustesse
Cette double activité se justifie d’autant plus que ces deux savoir-faire répondent à des saisonnalités complémentaires : le vélo « plutôt aux beaux jours » ; la photo plutôt l’hiver, quand les entreprises sont un peu plus au calme pour préparer et renouveler leur communication pour l’année.
« Quitte à acheter le matériel de réparation, autant en faire profiter d’autres personnes. »
Route Pêche répare les vélos mais en vend aussi, dans le même esprit que ce que fait Félix : des vélos robustes, conçus pour durer, facilement réparables et pour un usage du quotidien, utilitaire. Donc des vélos-cargos, surtout musculaires : un créneau qui restait à prendre à Thiers et pour lequel, étonnamment, il y a de la demande même dans cette ville. « Je vais toujours dans la direction où personne ne va », assume-t-il. Ce qui semble lui réussir aussi bien en photo qu’à bicyclette.
Félix propose aussi des vélos pour enfants « qui peuvent se transmettre dans une fratrie ou se revendre pour quinze enfants successivement ». Et il peut transformer votre vélo classique en électrique, en adaptant un moteur plutôt que de changer tout le vélo. Robustesse et réparabilité obligent.
| Pour des conseils de pros (y compris de Félix) aux cyclistes débutants, lire aussi : « Rouler à vélo dans Clermont vous fait peur ? Pas de panique ! » | 

« Diversité linguistique et diversité biologique »
Pour cette 53ème Rencontre Tikographie, nous sortons de notre cadre traditionnel et explorons le lien entre culture et nature à travers le langage.
Mardi 4 novembre (17h-19h) à la librairie des Volcans à Clermont – tous publics, gratuit et en accès libre
Deux-roues, trois avantages
Reste à comprendre le lien entre vélo et photographie. Il est d’abord dans l’usage du vélo pour ses déplacements. Intérêt n°1 : pas de nécessité d’augmenter le tarif de ses frais de déplacement quand le prix des carburants augmente – ce qui représente un bel avantage compétitif.
Intérêt n°2 : Félix profite de ses trajets sur deux roues pour prendre le temps de réfléchir et de concevoir ses prises de vue. C’est même un double avantage, car paradoxalement, il est plus compliqué de faire accepter à un client la facturation d’un temps de conception que celle d’un temps de déplacement.
Intérêt n°3, plus inattendu : « ça fait rire les ouvriers de me voir arriver à vélo », dit-il. Une façon comme une autre de se faire accepter dans les ateliers et de ne pas intimider le personnel quand il va faire ses reportages au cœur des entreprises. Malin…
Pratiques perso
Enfin, Route Pêche est pour lui une vitrine pour inventer des campagnes de communication décalées, audacieuses ou provocantes que ses clients n’oseraient pas lui commander. « Je m’éclate à faire des blagues à double sens – tout en restant dans le respect des gens – et je peux montrer le genre de projets que je suis capable d’imaginer », s’amuse-t-il.

Car Félix ne se prétend pas artiste. Sa pratique de la photo reste utilitaire et attachée à des finalités précises. Ça ne veut pas dire qu’il ne la pratique pas pour des travaux personnels. « Mais dans ce cas, ajoute-t-il, ça ne m’intéresse pas d’en faire des expos. Ce sera pour faire des livres et les vendre. »
N’empêche, tout de même… pour des photos utilitaires, ça fait de belles photos.
| > Pour prendre contact ou découvrir le travail de Félix en tant que photographe, c’est le site www.felixdemalleray.fr > Pour la partie vente et réparation de vélos, c’est sur Route Pêche | 
| La semaine prochaine, découvrez la suite de cette série de portraits de photographes éco-sensibles | 
Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé vendredi 28 octobre 2025. Photos Marie-Pierre Demarty, sauf évidemment les photos du photographe. À la une : Félix de Malleray, dans son atelier de réparation de vélos rue de la Fraternité à Thiers.
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