Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Les jardins pédagogiques, l’apprentissage de la nature, les plantations collectives se multiplient un peu partout. L’être humain, surtout urbain, commence à se rendre compte qu’il a besoin de l’être non-humain non seulement pour vivre, mais aussi pour s’épanouir, rêver, contempler, comprendre ce qu’il fait là…
Et il devient urgent de transmettre cela aux jeunes générations : celles qui n’ont jamais eu le bonheur d’aller aux champignons avec un grand-père, de planter des petits pois en famille ou de surprendre le bond gracieux d’un écureuil dans la ramure.
Parmi les nombreuses initiatives, j’ai eu envie d’en observer une à la loupe. Et j’ai choisi de suivre Pauline Bénéteau, dans un des endroits les plus bétonnés de Clermont.
Pourquoi Pauline ?
Parce qu’elle poste parfois des petits récits de son activité pleins de fraîcheur qui ont atterri sur le fil de mon réseau social préféré.
Parce qu’elle a été formée par Pierre Feltz et continue occasionnellement à travailler avec lui, ce qui est une référence.
Parce que certes, il y a de grosses associations d’éducation à l’environnement qui font de belles choses, mais pas que.
Et puis parce que La Gauthière. Et qu’il n’y a pas tant d’endroits où les populations les plus fragiles sont associées à des initiatives en lien avec les urgences environnementales. Alors qu’elles sont, nous disent beaucoup d’études, les plus vulnérables à la dégradation de nos conditions de vie.
Donc, pour finir cette semaine commencée dans une école, suivons Pauline, retrouvons nos six ans et notre émerveillement à observer les coccinelles…
Marie-Pierre
Ils sont sages, attentifs, suspendus au récit de Pauline, qui s’accompagne de grands gestes théâtraux. Cette histoire de petite graine qui se met à germer dans le sol, à pousser, pousser pour devenir un grand et bel arbre, ça leur parle. Car des graines, Amelia, Isra, Karim, Aytam et leurs copains en ont semé au jardin. Ils connaissent la magie de voir sortir de l’humus des petites pousses vertes. Ils attendent avec impatience le moment où ils pourront récolter leurs premiers petits pois.
Pourtant, ils ont à peine six ou sept ans et ont grandi dans des barres d’immeubles : celles du quartier de La Gauthière à Clermont où ils se retrouvent, ou celles d’autres lieux bétonnés de la ville.
Deux Pauline
Ils n’ont pas la vie facile. C’est même pour cela qu’ils ont été repérés par l’association Ma Chance moi aussi. Après la classe quand il y a école, ou dès le matin pendant les petites vacances, l’association s’efforce de donner un coup de pouce à leur destin. Comme aux autres groupes un peu plus âgés, elle leur offre toutes sortes d’activités qui doit les aider à s’épanouir, à mieux s’intégrer au système scolaire, peut-être à révéler des talents…
Au quotidien, c’est Pauline Hut, référente éducative de l’association, qui les prend en charge. Mais cette fraîche matinée de vacances est un jour spécial dans la semaine : ils ont deux Pauline pour les encadrer. Et surtout, c’est le jour où ils vont au jardin !
La deuxième Pauline, celle qui vient exprès pour conduire la séance, c’est Pauline Bénéteau. Elle reçoit d’abord le groupe au chaud dans une petite salle, dans les locaux de l’association voisins de l’école Jean de La Fontaine. Et bientôt, elle ouvre un grand livre pour leur raconter, donc, cette histoire de graine et d’arbre. Ce n’est que le préambule…
Tikographie sera présent au forum associatif clermontois le samedi 7 septembre, de 10h à 17h – proche de l’entrée côté Comédie
Information sur notre prochain événement
Un univers de tissu
Ensuite, elle déroule sur la grande table, devant les huit enfants, son « jardin extraordinaire ». Tout en tissu et en relief, il figure toutes les composantes du jardin : du sous-sol au feuillage des arbres, avec du vieux bois sec, un carré de légumes, des fleurs multicolores… Rien n’y manque. Sauf les animaux. Mais bien vite, Pauline lance aux enfants avec un air malicieux : « Vous savez quoi ? Mon jardin, il a plein d’habitants ! ». Et elle fait sortir ceux-ci de son sac : boules de tissu représentant chacune un occupant du jardin.
A tour de rôle, les enfants sont conviés à en choisir un, à réfléchir à ce qu’il mange, comment il vit, puis où le placer dans le jardin. La chouette dans un creux de l’arbre, le papillon sur les fleurs, le hérisson caché sous un tas de bois en attendant la nuit, la coccinelle prête à bondir sur le puceron.
Ces enfants bien éveillés en savent déjà long sur la vie du jardin. En passant près des grilles de celui qu’ils cultivent depuis quelques semaines, certains ont remarqué que depuis leur dernière séance de jardinage, les petits pois, les fèves et les radis ont commencé à pousser. Ils ont déjà retenu que les hérissons mangent escargots et limaces, que la chauve-souris engloutit 2000 insectes par nuit, que les vers de terre sont utiles aux plantes et au jardinier.
Pour aller plus loin : « Selon Emilie Barat-Duval, l’éducation à l’environnement peut cibler les adultes comme les scolaires »
Jardin partagé
Accompagnés des deux Pauline, ils se dirigent maintenant vers le carré de cultures qui se trouve de l’autre côté de l’école. Cet enclos de la bien nommée rue des Jardiniers, ils le partagent avec un habitant, le dernier à persévérer dans la production de légumes de cet enclos inattendu à cet endroit.
Le jardin était pourtant censé être collectif. Il l’est redevenu depuis peu, grâce à la petite bande qui vient s’initier aux merveilles de la nature. Une véritable expérience…
“Il faut commencer par désamorcer la peur des insectes, celle de se salir, de se blesser…”
Pauline Bénéteau
Une expérience que Pauline Bénéteau, depuis deux ans et demi, fait partager à de nombreux groupes de tous âges et de tous milieux, et qui lui semble indispensable.
« Les enfants d’aujourd’hui, de façon générale en ville et même en périurbain, ont peu d’expérience du dehors et ils ont une appréhension à rencontrer le vivant. Il faut commencer par désamorcer la peur des insectes, celle de se salir, de se blesser… Dans les quartiers comme La Gauthière ou Saint-Jacques, c’est encore plus manifeste : tout ce qui n’est pas lié à l’humain est une découverte totale. Je l’aborde par le jeu, les histoires, les sens, le faire… Il faut à tout prix arriver à provoquer l’émerveillement, qui peut les amener à s’ouvrir, à avoir envie de comprendre et d’agir, à se donner le droit de rêver ou de vagabonder », m’explique-t-elle.
Les yeux de la coccinelle
Les huit mouflets de La Gauthière, eux, ont déjà dépassé ces peurs. Même si parfois ils peuvent encore les retrouver au contact de quelques syrphes, ces « mouches déguisées en guêpes » que l’animatrice leur apprend bien vite à trouver sympathiques.
Le jour de ma visite, pour faire le lien avec le petit exercice qu’ils viennent de faire au chaud, elle leur distribue des loupes et les invite à regarder le jardin avec les yeux d’une coccinelle ou d’une fourmi. Penchés vers le sol, ils découvrent des fleurs de fraisiers géantes, des mottes de terre qui deviennent des montagnes, des océans de verdure… et bientôt des petites bêtes. Comme ces insectes accouplés qui déclenchent les rires de Pauline. « Ils sont en train de faire des enfants ! », explique-t-elle simplement.
Le reste de la matinée, les gamins seront répartis en trois ateliers tournants. D’un côté, on plante groseilliers et herbes aromatiques qui sentent bon la menthe, l’anis ou même le Coca-Cola ! Car l’expérience du potager, à hauteur des jeunes enfants, se doit d’être sensorielle et passe donc forcément par les senteurs et la gourmandise.
La suite de votre article après une petite promo (pour Tikographie)
Les bons matériaux biosourcés pour éco-construire dans le Puy-de-Dôme : on fait le point sur la situation
Rencontre Tikographie du jeudi 10 octobre à 17h – tous publics, accès libre !
Merci pour votre temps de cerveau disponible ! Le cours de votre article peut reprendre.
Besoin de s’épanouir
Pendant ce temps au fond du jardin, on s’affaire à assembler des nichoirs avec clous et marteau, à poncer et enduire à l’huile de lin le futur hôtel à insectes. Tout cela dans la bonne humeur, sous la vigilance des deux Pauline.
“Certains, primo-arrivants, ont encore des difficultés avec la langue française.”
Pauline Hut
Pour ces enfants des quartiers sensibles, le moment au jardin est attendu et important. « Notre association repère les enfants les plus vulnérables pour les accompagner dans la longue durée, en périscolaire, explique Pauline Hut entre deux ateliers. Ce sont des enfants qui ont une capacité d’attention de courte durée, et certains, primo-arrivants, ont encore des difficultés avec la langue française. Cette activité en plein air leur fait beaucoup de bien. »
Tous étonnés
Pour adapter son animation à ce public particulier, Pauline Bénéteau prend soin de les amener à la découverte par des ateliers en petits groupes qui leur permettent d’alterner les activités. « Il s’agit de leur donner un point d’ancrage, dans un quotidien constamment bouleversé. Mon objectif est orienté d’abord autour du bien-être des enfants. J’essaie de leur apporter du rêve et de la poésie, la capacité à développer les sens, à avoir confiance en eux, à communiquer entre eux… », dit-elle
De fait, le sérieux avec lequel les jardiniers en herbe prennent en main la plantation des groseilliers ou la confection des nichoirs en dit long sur l’intérêt spontané qu’ils portent à cet univers si insolite pour eux.
Mais en cela, ils ne sont pas si différents des autres groupes d’enfants auprès desquels Pauline Bénéteau intervient. Que ce soit à Sayat en périscolaire, à Blanzat où toute l’école et toutes les classes passent par le jardin dans un projet pédagogique global, ou dans le village de Montpensier où les enfants ont « école dehors » chaque lundi après-midi et ont donc déjà une familiarité avec l’extérieur et le vivant.
“Il y a toujours un grand étonnement quand j’explique aux enfants que nous sommes des animaux.”
Pauline Bénéteau
« Par exemple il y a toujours un grand étonnement quand j’explique aux enfants que nous sommes des animaux, que nous faisons partie du vivant et que nous ne sommes pas au-dessus… Mais ensuite, ils l’intègrent bien », dit-elle.
Une respiration
Une fois déconstruites les appréhensions – « surtout chez les grands, car les plus petits sont plus spontanés et ne sont pas dans le jugement » – elle adapte surtout l’enseignement à l’âge des élèves. « Avec les plus petits comme à La Gauthière, on fait des activités qui peuvent leur faire expérimenter la beauté ou les sens : observer les fleurs, croquer une feuille de menthe, admirer les couleurs. Avec les plus grands, on va aller jusqu’à la compréhension du fonctionnement des plantes, des gestes du jardin, du cycle de la vie, du dérèglement climatique… Le jardin est un endroit à multiples entrées où on peut parler aussi de cuisine, d’interculturalité. »
Et parce qu’elle privilégie les interventions dans la durée, en séances régulières, elle peut voir les enfants changer de comportement au contact de la nature, certains se révéler, prendre des initiatives ou des responsabilités alors qu’ils ne s’adaptaient pas à l’école. « Les enseignants me confient que le jardin est une vraie respiration”, dit-elle.
“Il y a un vrai syndrome de manque de nature. »
Pauline Bénéteau
Ce qui est vrai pour les écoles, Pauline le constate d’ailleurs pour tous les publics. « On voit clairement que les jardins pédagogiques ou, pour les adultes, les jardins partagés se multiplient. Ils sont aussi très prisés par les collectivités, qui commencent à comprendre la nécessité de végétaliser, de sensibiliser à un changement de regard. Car on arrive à une situation où majoritairement, ni les enfants, ni même les adultes n’ont personnellement ou dans leur entourage l’expérience de cultiver un jardin ou d’être en contact avec le vivant autre que les humains. Des gens pour qui se nourrir, c’est aller au supermarché. Il y a un vrai syndrome de manque de nature », relève-t-elle.
Lire aussi l’enquête (en deux volets) : « Forêts nourricières #2/2 : mais à quoi servent donc toutes ces plantations collectives ? »
Le grand livre de la nature
C’est pourquoi elle tient à cette « éducation au sensible », plus qu’à l’enseignement descendant de techniques de jardinage, même quand elle anime des ateliers d’agroécologie avec des adultes. « Le jardin nous apprend le futile, la non-maîtrise ; il nous enjoint d’accepter l’inattendu. »
A partir de là, elle aime raconter des histoires qui aident à comprendre et à retenir le fonctionnement des écosystèmes naturels… un héritage de son précédent métier de médiatrice en bibliothèque. Et de son passage, propice à la transition, par la formidable médiathèque de Lezoux avec sa grainothèque et son projet de jardin.
Mais pour l’heure, c’est à l’épanouissement de huit gamins de La Gauthière qu’elle consacre toute son attention. Nécessaire car elle a confié le marteau à la petite Amelia pour lui faire enfoncer un clou dans le nichoir en construction.
Lire aussi le reportage : « Médiathèque de Lezoux : les héros ne sont pas fatigués »
Découvrir la forêt
Au fil de la séance, ce jour-là, les enfants ont successivement les yeux qui brillent, la bouche grande ouverte d’étonnement, le fou rire ou la mine concentrée du bricoleur scrupuleux. L’Aurone colas, la rhubarbe, l’arbre à faisans et l’agastache seront plantés avant la fin de la matinée. Et l’hôtel à insectes est presque prêt…
Enfin pas tout à fait, car il manque encore les bouts d’écorce, les tiges, pailles et feuilles mortes pour le garnir. Ce sera l’objet d’une séance très exceptionnelle. Car les deux Pauline ont promis aux petits une virée à la campagne, pour aller glaner cette nécessaire garniture, pour découvrir le jardin de Pauline Bénéteau, et aller admirer, sentir, observer, écouter, goûter la forêt. Une première pour la plupart d’entre eux… et la promesse d’une belle aventure !
Reportage (texte et photos) Marie-Pierre Demarty, réalisé le 16 avril 2024. A la une : Pauline et les enfants observent le jardin à la loupe, en s’imaginant fourmis ou coccinelles.
Soutenez Tikographie, média engagé à but non lucratif
Tikographie est un média engagé localement, gratuit et sans publicité. Il est porté par une association dont l’objet social est à vocation d’intérêt général.
Pour continuer à vous proposer de l’information indépendante et de qualité sur les conséquences du dérèglement climatique, nous avons besoin de votre soutien : de l’adhésion à l’association à l’achat d’un recueil d’articles, il y a six façons d’aider à ce média à perdurer :
La Tikolettre : les infos de Tikographie dans votre mail
Envie de recevoir l’essentiel de Tikographie par mail ?
Vous pouvez vous inscrire gratuitement à notre newsletter en cliquant sur le bouton ci-dessous. Résumé des derniers articles publiés, événements à ne pas manquer, brèves exclusives (même pas publiées sur le site !) et aperçu des contenus à venir… la newsletter est une autre manière de lire Tikographie.