Pêche et environnement 1/2 : comment vont nos rivières ?

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Poisson dans une zone de frayère

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Comme chaque année, l’ouverture de la pêche à la truite est un événement dans le monde de la pêche. Cela ne m’a pas seulement fait remonter des souvenirs d’enfance, mais aussi des propos que j’ai entendus ici ou là ces dernières années sur le gros travail de la Fédération départementale de pêche du Puy-de-Dôme en matière d’environnement.

Cela m’a donné envie de poser mes habituelles questions sur l’état de nos ressources naturelles locales à ceux qui regardent la rivière en y enfonçant leurs cuissardes et en jouant au plus malin avec la truite, la carpe et le brochet son compère. Et qui sont aussi, pour ce qui concerne les salariés de la Fédération, des hydrologues dûment formés et pour beaucoup d’entre eux d’abord motivés par la préservation de l’environnement avant d’être des passionnés de pêche.

L’avantage, c’est que contrairement à la plupart des instances qui traitent des milieux aquatiques, cette structure travaille sur un périmètre qui correspond à celui auquel s’intéresse Tikographie : le Puy-de-Dôme.

Ce tour d’horizon englobera donc l’entièreté de “notre” territoire, y compris le petit bout de bassin de la Dordogne qui a la capricieuse idée de tourner le dos à la Loire pour aller flirter avec la Garonne.

Et maintenant, enfilez votre plus beau costume à écailles, déployez vos branchies. Le temps de deux articles, nous allons regarder le monde avec l’œil tout rond de la truite. Et repérer avec elle toutes les embûches que nous lui avons glissées sous la nageoire…

Marie-Pierre

Les fédérations départementales de pêche n’ont pas seulement pour rôle de gérer et promouvoir la pratique de la pêche ; elles jouent aussi un rôle dans la protection des milieux aquatiques. C’est donc vers Luc Bortoli, chargé du développement (et accessoirement de la communication) de la Fédération du Puy-de-Dôme, que je me suis tournée pour poser cette question simple : comment vont nos rivières ?

D’emblée, sa réponse est nuancée : « Nous établissons un état des lieux des espèces repères, qui permet de diviser le territoire en zones géographiques où les conditions de vie de ces espèces sont homogènes – zones que nous appelons des ‘contextes’ – et nous classons ces zones en fonction de notre connaissance des milieux aquatiques et de leurs perturbations. Notre département a la caractéristique de présenter des milieux aquatiques très divers, d’une grande richesse, avec des états eux aussi très variés. Mais il y a des surprises. Par exemple on peut avoir des cours d’eau de bonne qualité mais avec des populations de poissons très réduites. Et à l’inverse, des cours d’eau très dégradés où le poisson est abondant. C’est le cas par exemple de ceux qui traversent l’agglomération clermontoise. »

La Monne
Les gorges de la Monne près d’Olloix : cet affluent de la Veyre est situé dans un “contexte” estimé en bon état. – Photo Marie-Pierre Demarty

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Le laid débit de l’eau

Cette entrée en matière illustre la complexité des écosystèmes, dont les poissons, constate-t-on à la Fédération départementale, se montrent étonnamment résilients. La « truite de ville » qui se complait dans la Tiretaine en est un bon exemple, que Luc Bortoli explique : « La Tiretaine est issue d’une résurgence, après avoir été filtrée par une cheire d’où elle ressort à une température fraîche. Son débit est bon toute l’année. Il peut y avoir des mortalités ponctuelles provenant de pollutions dans la traversée de l’agglomération, mais comme le poisson est abondant en amont, il recolonise vite l’aval dès que les conditions sont favorables. »

« Ce qui était auparavant une année de crise devient la norme.”

Parce que les variations du débit ont une grande incidence sur les conditions de survie de la faune halieutique, celui-ci est en effet un indicateur important pour les pêcheurs. « Le débit est notre plus gros sujet depuis environ 7 ou 8 ans », indique Luc. En cause évidemment : le changement climatique. « Ce qui était auparavant une année de crise devient la norme. Des cours d’eau sont désormais à sec chaque été, notamment dans des secteurs comme le Livradois, ou la Limagne dans le secteur de Riom », poursuit-il.

Le lit du Litroux à sec
Le lit du Litroux complètement à sec, dans le secteur de Lezoux, en septembre dernier : la diminution des débits aboutit à des ruptures totales de la continuité écologique dans de nombreux cours d’eau. Ne cherchez pas le poisson ! – Photo Marie-Pierre Demarty

Comme on peut s’y attendre, l’ouest du département, beaucoup plus arrosé, ne connaît pas de problèmes de débits. « Mais tous les cours d’eau sont impactés par le réchauffement. Si ce n’est pas le débit, ils peuvent subir une modification de leur régime thermique et pour les poissons, c’est important. Les truites, entre autres, vivent en eau fraîche. Au-delà de 18°C, cela devient problématique ; si l’eau passe les 19°C pendant plus de quinze jours, il y a un fort impact sur les populations. Même si certains individus parviennent à survivre, en se réfugiant dans les eaux profondes, les trous d’eau d’anciens bras plus protégés, ou en migrant. »

Des perturbations multiples

Encore faut-il qu’ils puissent le faire. Car la sécheresse menace la continuité écologique : l’assèchement d’un lit de rivière, la rupture des flux entre un cours d’eau et les zones humides qui l’environnent constituent autant d’obstacles bien plus infranchissables pour la faune aquatique que pour n’importe quelle espèce terrestre coupée de ses zones de repli ou de reproduction.

« Des déversements d’engrais ou de lisier, ou même d’assainissement, provoquent le développement d’algues qui peuvent boucher les frayères.”

Et le changement climatique n’est pas seul en cause. « Des déversements d’engrais ou de lisier, ou même d’assainissement, provoquent le développement d’algues qui peuvent boucher les frayères. Les pollutions aux phytosanitaires peuvent provoquer des maladies. Par le passé on a eu aussi des résidus de produits pharmaceutiques, mais il y a eu de gros efforts là-dessus », poursuit le représentant de la Fédération du Puy-de-Dôme.

Zone de frayère avec un écriteau "réserve de pêche"
Zone de frayère sur le lac d’Aydat : l’un des trois types d’habitats nécessaires aux poissons, avec les zones de chasse et les zones de repos. – Photo Marie-Pierre Demarty

Il n’oublie pas les perturbations auxquelles on pense moins quand on n’est pas familier des modes de vie des poissons : les modifications de la morphologie des cours d’eau. Drainage, recalibrage, ensablement peuvent colmater ou couper l’accès à des zones importantes pour la faune. « Les poissons ont besoin de trois types d’habitats : ceux où ils chassent, les zones de repos et les frayères où ils se reproduisent. Quand les cours d’eau ont été recalibrés pour faciliter l’activité agricole, cela a pu éliminer les trois types d’habitats », poursuit-il.

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Petits projets absurdes

Plus ponctuellement, l’équilibre des milieux aquatiques peut encore être fortement perturbé par les microcentrales hydroélectriques. « Le département en est déjà bien équipé et d’autres sont encore en projet. Elles se présentent comme productrices d’une ‘énergie verte’, mais c’est très discutable : elles enrichissent leur propriétaire, mais n’apportent que très peu d’électricité par rapport aux besoins et elles ont un gros impact sur les cours d’eau », souligne Luc Bortoli.

L’impact se traduit de différentes manières qui se conjuguent : rupture de la continuité écologique, mortalité des jeunes poissons dans les turbines lors de la dévalaison, réduction du débit du cours d’eau sur la partie comprise entre le prélèvement et le rejet.

“Les microcentrales hydroélectriques se présentent comme productrices d’une ‘énergie verte’, mais c’est très discutable.”

Les projets en cours inquiètent particulièrement les pêcheurs, comme celui annoncé dans le secteur de Picherande sur la Tarantaine, petit affluent de la Rhue qui irrigue l’Artense ; ou encore celui de la Credogne à Saint-Victor-Montvianeix, dans les Bois Noirs, qui fait lever les yeux au ciel à Luc Bortoli : « un projet sur lequel je ne parierais pas sur l’avenir, vu que les cours d’eau de ce secteur souffrent particulièrement de la sécheresse. » Où l’on comprend que dans l’ombre des grands projets inutiles existent aussi des petits projets assez absurdes.

Espèces en danger

Pour la Fédération de pêche, l’indicateur le plus important reste la présence des populations de poisson, révélatrice aussi de la bonne santé de tout un écosystème du milieu aquatique. Face à toutes ces perturbations qui les menacent, on ne s’étonnera pas que l’état de ces populations soit peu satisfaisant. « Aucune espèce n’a complètement disparu dans notre département, mais certaines sont en danger », révèle Luc Bortoli.

Ainsi la truite, poisson emblématique pour les pêcheurs locaux, est « encore bien présente mais moins abondante ; elle a complètement disparu des tout petits cours d’eau. La dégradation des habitats et le réchauffement des eaux réduisent son aire de répartition », précise-t-il.

Truite
Ombre commun
Deux poissons emblématiques de nos rivières, particulièrement sensibles à la température de l’eau. En haut : la truite, le plus connu, le plus pêché et le plus répandu ; en bas : l’ombre commun, plus discret et plus vulnérable. – Photos Fédération de pêche 63

D’autres espèces résistent moins, comme l’ombre commun, classé parmi les espèces vulnérables de la Liste rouge des espèces menacées en France. Il connaît les mêmes problématiques mais de façon plus aigüe, car il est plus sensible aux températures et à l’oxygénation du cours d’eau.

« Aucune espèce n’a complètement disparu dans notre département, mais certaines sont en danger. »

Le brochet, carnassier qui se pêche presque toute l’année, se heurte à la limitation de ses aires de reproduction. Il a en effet l’habitude de s’aventurer pour cela, au printemps, vers des petits affluents, des prairies inondées, des eaux peu profondes. « Mais des zones humides ont été asséchées et sur le cours de l’Allier, les anciens bras où il pouvait frayer sont déconnectés du fait que la rivière s’enfonce. »

Quant au saumon, qui fait la fierté des panneaux placés devant chaque pont enjambant l’Allier, « il en reste, mais très peu », les obstacles se multipliant sur la route de ce grand migrateur.

Panneau "L'Allier rivière à saumons" au pont de Longues
“L’Allier rivière à saumons”, ici au pont de Longues… Mais pour combien de temps ? – Photo Marie-Pierre Demarty

Pas si pire

Reste le cas des crustacés qui intéresse – et préoccupe – aussi la Fédération de pêche. Car l’écrevisse à pattes blanches est un cas emblématique. Cette espèce autochtone cumule tous les handicaps : à la dégradation des habitats, à la sensibilité au débit comme à la qualité de l’eau, s’ajoutent le braconnage et la colonisation invasive de ses cousines américaines. Même conclusion que pour le saumon : « il en reste, mais très peu ». L’espèce, on s’en doute, est classée espèce en danger et interdite à la pêche.

Le tableau général paraît sévère, et cependant “pas si pire” comme on dit en Auvergne. Luc reste optimiste : « malgré toutes les dégradations, nous restons un département préservé par rapport à l’ensemble de la France. Des secteurs comme la Dordogne et l’Ance du Nord, la Sioule, la Burande sont en bon état et d’autres s’améliorent. »

« Malgré toutes les dégradations, nous restons un département préservé.”

La Fédération du Puy-de-Dôme pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique – c’est son nom complet – tient autant que possible son rôle dans cette amélioration. Car les pêcheurs sont d’autant plus conscients des enjeux qu’ils sont aux premières loges pour constater la vulnérabilité des rivières, des lacs et de tout ce qui les peuple. Nous verrons dans le prochain article comment agit cette solide communauté.


Reportage Marie-Pierre Demarty. Photo à la une Marie-Pierre Demarty : frayère sur le lac d’Aydat.

Lire le second article de cette série : « Pêche et environnement 2/2 : que fait la Fédération ? »

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