Oubliez le béton, les murs en pierre sèche sont de retour

A Courgoul, le Parc des Volcans organise un stage d’initiation à la construction en pierre sèche. Une technique qui a un long passé. Mais aussi, semble-t-il, un avenir prometteur. Petite visite dans les pailhats.


Cliquez sur les intitulés sur fond noir ci-dessous pour en dérouler le contenu. Vous pouvez aussi afficher en grand chaque visuel en cliquant dessus.

Mon ressenti

C’est entendu, oui oui oui, je l’admets ! Mon titre est un peu exagéré, joyeusement provocateur. Et loin de moi l’idée de prôner un retour au Moyen-Âge où d’ailleurs, on construisait déjà des murs maçonnés.

Mais ce retour de la pierre sèche pour des usages précis et pour préserver ou remettre en état l’existant, qu’il soit patrimonial ou plus récent, me paraît symptomatique d’une tendance à laquelle il est important de s’intéresser.

L’idée, c’est qu’on n’a pas toujours besoin de réinventer l’eau chaude. Il suffit juste de ne pas oublier comment on la fait chauffer.

S’il n’est pas question de revenir totalement en arrière sur le modèle amish, de renoncer aux technologies modernes là où elles sont nécessaires, il apparaît de plus en plus évident qu’il faut user de façon mesurée de tout ce qui est gourmand en énergie ou autres ressources moins illimitées qu’on se l’est imaginé. Pour le reste, les techniques low-tech, les renoncements au profit d’autres belles activités plus (écologiquement) vertueuses ou les approches plus sobres doivent primer.

Et d’autant plus quand les techniques simples sont à la fois déjà connues et plus efficaces.

Le problème étant souvent qu’on a oublié les savoir-faire en même temps qu’on a abandonné les techniques. Et qu’il faut alors réinventer l’eau chaude.

C’est pourquoi il faut saluer les initiatives de transmission de savoirs anciens, même quand ils apparaissent à un moment inutiles ou folkloriques. Je pourrais vous parler longuement du cabas en paille de seigle, tradition ancestrale de mon village d’origine en Corrèze. Mais le raisonnement vaut aussi pour les murs en pierre sèche.

Avec en prime une balade dans un site qui vaut largement le déplacement.

Marie-Pierre

Les principaux points à retenir

  1. Le village de Courgoul, entre Issoire et Besse, a entrepris depuis 1998 de restaurer ses « pailhats », anciennes terrasses de culture sur le versant exposé au sud de sa vallée très encaissée, et d’y replanter vignes et arbres fruitiers.
  2. Pour le Parc des Volcans, c’était un des endroits intéressants pour organiser un stage d’initiation à la construction de murs en pierre sèche. Car les enjeux du Parc sont à la fois patrimoniaux, écologiques et économiques : il s’agit de contribuer à valoriser la pierre volcanique, élément de l’identité du territoire.
  3. Le savoir-faire de la pierre sèche a failli disparaître, mais a été relancé il y a une vingtaine d’années dans les Cévennes par des muraillers proches de la retraite. Leur association est la seule à délivrer formations et diplômes pour ce métier.
  4. Aujourd’hui la demande est à nouveau importante, que ce soit pour restaurer d’anciennes murettes de terrasses ou des soutènements de route, ou pour de nouveaux ouvrages, pour des particuliers et collectivités.
  5. La pierre sèche présente de nombreux avantages : elle laisse passer l’eau, ce qui limite la pression de la terre sur le mur ; elle évite le ravinement ; elle attire la biodiversité…
  6. Laurent Macheffé, seul murailler dans le Puy-de-Dôme habilité à assurer des formations, encadre ce stage réunissant des jeunes de la mission locale d’Issoire, un autre souhaitant suivre la formation, un employé municipal de Courgoul.

Information sur notre prochain événement

Les anciens, à défaut d’avoir du pétrole et des technologies sophistiquées, avaient parfois de bonnes idées pour cultiver la terre dans des conditions difficiles. « Avec leurs mains dessus leurs têtes / Ils avaient monté des murettes / Jusqu’au sommet de la colline », chantait déjà Jean Ferrat en 1964 pour raconter l’exode rural et le vin qui « ne sera plus tiré ».

Même s’il n’est pas question de remettre en terrasses tous les coteaux de France, de Navarre et d’Auvergne, la technique des murettes en pierre sèche, qu’on appelle en Auvergne des « pailhats », connaît un certain regain d’intérêt.

« Les pailhats font aujourd’hui la fierté des habitants. »

Grégoire Verrière

En témoigne l’initiative du Parc des Volcans de proposer un (premier) stage d’initiation à la technique de la pierre sèche, qui s’est déroulé la semaine dernière dans un endroit pionnier du renouveau des pailhats : le village de Courgoul.

Depuis 1998, grâce au dynamisme des quelque 70 habitants du village, de leur maire de l’époque – relayée aujourd’hui par son petit-fils Grégoire Verrière – le côteau escarpé a peu à peu été nettoyé de l’envahissement d’arbres et de broussailles. Les murs de soutènement des terrasses ont été remis en état, de la vigne et des fruitiers replantés, des ruches installées. Un parcours de petite randonnée et des visites guidées attirent les touristes. « Les pailhats font aujourd’hui la fierté des habitants », se réjouit Grégoire, conseiller régional et président de l’association qui conduit toutes ces activités.

Vue des pailhats
Depuis 1998, les pailhats de Courgoul ont été peu à peu remis en état, replantés de vignes et d’arbres fruitiers. – Photo Marie-Pierre Demarty

C’est lui qui nous guide d’étage en étage (un confrère de La Montagne est là aussi) en nous expliquant les principes, les usages – « chaque famille avait sa terrasse » – les histoires que les anciens racontent encore et ont transmises avant que cette mémoire ne disparaisse.

Lire aussi : « Avec les Pailhats de Courgoul, Grégoire Verrière démultiplie les retombées de l’associatif rural »

Et c’est tout en haut que nous rejoignons le petit groupe affairé avec gants de protection, maillets, burins, autour du mur en devenir d’une bonne longueur et d’un entassement de blocs de basalte de tous formats attendant d’être choisis pour trouver leur place sur la murette.

Forte demande sur la pierre sèche

C’est Laurent Macheffé qui encadre le stage. Tailleur de pierre et murailler, titulaire du diplôme dispensé par un unique organisme, l’association des Artisans bâtisseurs en pierre sèche (ABPS), il est aussi délégué territorial pour cet organisme et le seul, dans le Puy-de-Dôme, à pouvoir encadrer des formations sur cette technique, dont il assure qu’elle est en plein renouveau.

Laurent macheffé et les stagiaires qu'il initie à la construction en pierre sèche
Laurent Macheffé (à gauche), le seul murailler diplômé du Puy-de-Dôme, dirige la formation. – Photo Marie-Pierre Demarty

« L’ABPS a été créée il y a une vingtaine d’années dans les Cévennes par des muraillers proches de la retraite qui ne voulaient pas laisser perdre ce savoir-faire et ont commencé à le transmettre, explique-t-il. Depuis, la demande s’est considérablement développée ; nous formons un réseau nous permettant de répondre aux commandes, et toute personne qui passe les diplômes trouve du travail sans problème. »

« Des muraillers proches de la retraite qui ne voulaient pas laisser perdre ce savoir-faire et ont commencé à le transmettre. »

Laurent Macheffé

Il énumère les types de demandes : particuliers pour leur jardin, collectivités pour des murs de soutènement. Mais aussi, progressivement, arrive le besoin de toutes ces routes – 30% des nationales de montagne, détaille-t-il – soutenues par des bâtis de ce type et qui commencent à avoir besoin d’être réparés ou consolidés. Et de plus en plus, des vignobles ou des communes qui souhaitent comme à Courgoul revaloriser des sites de culture en terrasses. Pour des raisons patrimoniales, mais pas seulement.

Grégoire Verrière devant un mur en pierre sèche
Grégoire Verrière devant une des murettes : « elles accueillent aussi la biodiversité. » – Photo Marie-Pierre Demarty

Des murs qui laissent passer l’eau

« On n’en est pas à en mettre là où il n’y en a pas, car c’est un énorme travail, poursuit Laurent Macheffé. Mais réhabiliter l’existant est intéressant, car les murettes permettent de cultiver perpendiculairement à la pente, ce qui évite le ravinement des sols. » En exemple, il cite l’expérience du petit vignoble de Molompize dans le Cantal, relancé il y a vingt ans. Des expériences menées à Châteaugay. Et Courgoul, qui a récolté à l’automne dernier sa première modeste cuvée de 80 bouteilles.

Lire aussi : « Valorisation, adaptation, transmission… Vus de Boudes, les défis du vignoble auvergnat »
Les pailhats de pierre sèche
Les murettes en pierre sèche évitent le ravinement et apportent aux plantations la chaleur emmagasinée. – Photo Marie-Pierre Demarty

Autres avantages de la pierre sèche : « Elle renvoie sur les plantations la chaleur emmagasinée et protège ainsi des gelées tardives. Et elle favorise la biodiversité, avec toute une faune de petits reptiles, d’insectes ou d’oiseaux. »

« Nous sommes des bâtisseurs ; nous construisons pour que ça tienne deux cents ans. »

Laurent Macheffé

Grégoire complète : « c’est d’autant plus intéressant que le site n’est pas du tout pollué ; ici nous n’avons jamais utilisé de produits phytosanitaires, sans attendre que ce soit interdit. Et il n’y a pas d’autres cultures autour. Nous sommes répertoriés comme refuge LPO, ce qui n’a pas été difficile car nous cochions d’entrée toutes les cases ! »

Enfin et surtout, gros avantage des murs en pierre sèche : « ils laissent passer l’eau, contrairement à un mur maçonné, précise le murailler. Cela évite que les sols se gorgent d’eau et exercent une poussée sur la murette. Les murs en pierre sèches sont plus solides. »

Apprentissage de la pierre sèche
Les stagiaires s’initient aux techniques pour construire un mur avant tout solide. – Photo Marie-Pierre Demarty

Non seulement ils l’étaient, mais ils le sont encore plus aujourd’hui. Car les nouveaux professionnels ont perfectionné le système. Prenant l’exemple du mur en construction, Laurent Macheffé nous explique que la technique actuelle consiste à élever le mur de façon autonome, plus large à la base et bien assis sur ses fondations, puis à combler l’arrière, plutôt que d’appuyer la construction sur le sol de la terrasse supérieure comme le faisaient les anciens. « Nous sommes des bâtisseurs ; nous construisons pour que ça tienne deux cents ans. Et ça nous fait rigoler qu’on nous impose une garantie décennale ! », s’amuse-t-il.

Le point de vue du Parc des Volcans (Cliquer sur le bandeau noir)

« La pierre sèche est un élément de singularité de notre territoire »

Le stage à Courgoul a été organisé à l’initiative du Parc naturel régional des Volcans d’Auvergne. Julien Majdi, responsable de la Direction « Urbanisme, Paysage et Transition énergétique », en détaille les intentions et enjeux.

Quelles étaient les motivations du Parc pour organiser ce stage ?

Un de nos axes stratégiques est de conforter et moderniser la filière économique et architecturale qui valorise la pierre volcanique. De ce point de vue, la technique de la pierre sèche est un élément d’identité et de singularité de notre territoire. L’idée est donc de pouvoir accompagner des initiatives allant dans ce sens.

Parallèlement, nous avons eu des contacts avec l’ABPS, qui fait le constat qu’il y a peu de professionnels et formateurs au nord d’une ligne Aveyron-Lozère et cherche à développer son réseau, car que la demande est forte.

Une de nos fonctions est d’accompagner les filières, mais aussi la transmission des savoir-faire. C’est dans cette intention que nous avons pris cette initiative.

A qui destiniez-vous ce stage et pour quel bénéfice ?

Initialement, notre intention était de proposer la formation à des agents communaux ou intercommunaux, car les collectivités ont des besoins par rapport à leur patrimoine. Mais ça a été compliqué de trouver des dates qui conviennent pour les mobiliser. Et nos échanges avec la Mission locale d’Issoire nous ont permis d’identifier des besoins de chantiers découverte, ce qui nous semblait cohérent avec notre stratégie globale.

Nous sommes intéressés à tester et à développer ce type de chantier-école, avec une dimension de chantier participatif, en association avec des sites patrimoniaux à mettre en valeur comme les pailhats de Courgoul, et peut-être d’autres lieux ultérieurement.

C’est une première expérience mais nous en organiserons d’autres, éventuellement sur d’autres techniques.

Ce n’est cependant pas avec des stages d’initiation de cinq jours que l’on forme des professionnels et que l’on développe une filière ?

Effectivement, notre rôle n’est pas de développer la filière, mais plutôt de donner l’élan, de lancer des expérimentations et de valoriser un savoir-faire. Il s’agit de faire connaître un métier et l’existence de besoins et débouchés. De ce point de vue, l’opération est réussie.

Mais nous n’en sommes qu’aux premiers contacts avec l’ABPS, et par ailleurs, d’autres initiatives sur le développement de la filière se mettent en place, notamment avec les chambres de métiers du Massif central.

A l’échelle du parc, quels sont les enjeux de cette valorisation de la pierre volcanique ou des techniques pour la travailler ?

Il y a à la fois des enjeux patrimoniaux, écologiques et économiques de montrer que la pierre est une ressource locale. L’idée n’est pas de multiplier les carrières, mais à l’heure où on sent un regain d’intérêt pour la pierre, ça peut avoir du sens de s’interroger sur la ressource locale d’en trouver localement plutôt que de l’importer. La pierre, surtout locale, devient également plus compétitive à l’heure où les coûts énergétiques et logistiques augmentent fortement. Et elle peut aussi, dans une certaine mesure, répondre à des enjeux agricoles ou hydrologiques.

Un autre enjeu est de valoriser un patrimoine bâti mais aussi immatériel, à travers la préservation d’un savoir-faire, et de montrer qu’il y a une filière artisanale qui a une réalité économique.

Enfin, il existe une spécificité du basalte, beaucoup plus dur que les autres pierres de construction et qui se travaille différemment. Si par exemple l’ABPS veut un jour créer un diplôme spécifique pour le travail du basalte, nous pourrons éventuellement être un relais pour ce type d’initiatives. Car cela aura du sens, pour nous, dans la mesure où cela contribue à valoriser cet élément spécifique de nos paysages.

Découvrir un métier

Derrière lui, le groupe au travail fait une pause pour nous raconter ce que chacun retient de cette semaine d’initiation. Un groupe restreint mais quand même hétéroclite. Il y a là les deux Antoine, Gwenaëlle, Cenai : des jeunes suivis par la Mission locale d’Issoire, encadrés par Christophe. L’objectif pour eux : un stage parmi d’autres qui leur font découvrir une diversité de métiers ; mais celui-ci est un peu particulier quand même : « il s’agit d’une vraie formation, où je découvre la technique en même temps qu’eux, alors qu’habituellement on est plutôt sur des chantiers de type espaces verts, peinture, fleurissement, où je peux les encadrer. Ici, j’apprends beaucoup ! » admet Christophe.

« La lave est une pierre difficile, imprévisible. »

Félix, stagiaire

Si aucun ne pense continuer dans cette voie, tous se disent contents d’avoir fait cette découverte. « J’aimerais travailler dans la décoration intérieure et paysagère et ça m’a donné l’idée de pouvoir proposer ça un jour à des clients », dit Gwénaëlle. « C’est une technique particulière qu’on connaîtra si on travaille un jour dans le bâtiment », avance Antoine.

Quant à Félix, originaire du sud de la France, il est là à l’essai, prêt à entamer le cursus de formation de l’ABPS. En connaisseur, il relève : « La lave est une pierre difficile, imprévisible. Elle est dure, elle prend des formes arrondies, complexes, jamais identiques. On n’a pas ce genre de pierres dans le sud. »

Enfin, le groupe est complété par Claude, employé municipal de Courgoul, qui se perfectionne à toutes fins utiles.

Courgoul
Vus des pailhats, les gorges de Courgoul et le village, tout en bas. – Photo Marie-Pierre Demarty

En cinq jours, ils n’auront pas terminé de monter la murette, mais ils auront appris les principes de base : fondations, règles pour assurer la solidité de l’édifice, choix des plus belles pierres pour le parement sur le côté visible du mur…

En ce jeudi matin, il est bientôt l’heure de la pause déjeuner. La petite troupe redescend en file indienne dans les étroits sentiers et les escaliers permettant de passer d’une terrasse à l’autre. Tout autour, les fruitiers commencent à fleurir, la nature s’éveille. Et les gorges spectaculaires creusées par la couze de Valbeleix, avec le village tout en bas, forment un décor spectaculaire.

Consulter la page Facebook de l’association Les Pailhats de Courgoul


Tikographie est un média engagé localement, gratuit et sans publicité. Il est porté par l’association loi 1901 Par Ici la Résilience, dont l’objet social est à vocation d’intérêt général.

Pour continuer à vous proposer de l’information indépendante et de qualité sur les conséquences du dérèglement climatique, nous avons besoin de votre soutien : de l’adhésion à l’association à l’achat d’un recueil d’articles, il y a six moyens de participer à notre projet :

Envie de recevoir l’essentiel de Tikographie par mail ?

Vous pouvez vous inscrire gratuitement à notre newsletter en cliquant sur le bouton ci-dessous. Résumé des derniers articles publiés, événements à ne pas manquer, brèves exclusives (même pas publiées sur le site !) et aperçu des contenus à venir… la newsletter est une autre manière de lire Tikographie.

Reportage réalisé le jeudi 20 avril 2023. Photo de Une Marie-Pierre Demarty