Valorisation, adaptation, transmission… Vus de Boudes, les défis du vignoble auvergnat

Annie Sauvat, une des belles personnalités du vignoble des Côtes d’Auvergne, vient de vendre son domaine à un jeune viticulteur aussi iconoclaste qu’elle-même l’a été. Une passation emblématique des défis auxquels tentent de répondre les vignerons du Puy-de-Dôme.


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Mon ressenti

L’idée de cet article est née lors de l’événement, que j’y évoque, de présentation d’un projet de cartographie engagé par le syndicat des Côtes d’Auvergne et l’association Vinora. En ce matin du 27 janvier où un caprice neigeux de la météo rendait les petites routes hasardeuses et la visibilité limitée, le hall du musée de Gergovie était pourtant à peine suffisant pour contenir les viticulteurs, les représentants de la profession, les élus, les chercheurs concernés, les journalistes…

Je n’ai pas de raison de douter de l’intérêt de cette initiative et j’ai pris note de m’y intéresser de près lorsqu’elle aura effectivement démarré.

Mais il m’a semblé pertinent, dans un premier temps, de m’intéresser aux questionnements de la profession, qu’on a pu ressentir lors de cette présentation dans les interventions de plusieurs vignerons indépendants. Parmi lesquels Annie Sauvat qui, ayant transmis son domaine récemment, peut regarder le climat actuel (dans les deux sens du terme !) avec un peu de recul.

La viticulture auvergnate apparaît un cas de figure emblématique des questions qui nous préoccupent à Tikographie. Parce qu’elle est à la fois directement frappée, dès aujourd’hui, par le changement climatique – mais aussi par les conflits d’usage du foncier – tout en étant contrainte, comme l’explique très bien Annie, à penser le temps long, elle se trouve confrontée au double défi de la résilience (se relever des épisodes de grêle ou de sécheresse en actant que leur fréquence augmente et en s’adaptant pour y faire face) et de transition (engager la filière dans une mutation longue pour se renforcer et se valoriser dans le respect – si possible – des limites planétaires).

Il y aurait un énorme dossier à faire sur le sujet. Mais une visite sur le terrain, dans les parcelles de l’attachant domaine Sauvat – et maintenant Chauvet – en pleine mutation lui-même, permet de comprendre très concrètement ce qui se joue.

Article à déguster par exemple avec un gamay, un pinot noir ou un assemblage au tempérament volcanique, tirant vers l’excellence, que les Côtes d’Auvergne commencent à savoir très bien produire.

Avec modération bien sûr, la dégustation…

Marie-Pierre

Les principaux points à retenir

  1. Annie Sauvat a dirigé pendant une trentaine d’années le domaine légué par son père, à Boudes, le plus au sud des cinq secteurs bénéficiant de l’AOC Côtes d’Auvergne. Elle y a apporté des innovations qui n’étaient pas dans l’air du temps en Auvergne : élevage du vin en barriques, vente directe, œnotourisme…
  2. Au printemps 2021, elle a vendu le domaine à un jeune viticulteur qui a sa propre approche et ses propres méthodes : trente ans après, on « casse les codes » à nouveau sur le même domaine. Henri Chauvet veut valoriser un terroir dont il estime les sols exceptionnels.
  3. Autre innovation apportée de ses expériences précédentes dans la vallée du Rhône, il vend la moitié de sa production à l’export, où les vins d’Auvergne, méconnus, ne souffrent pas de la même mauvaise réputation qu’en France.
  4. Comme toute la jeune génération des vignerons, il doit aussi trouver des réponses au changement climatique, notamment la sécheresse qui se fait déjà rudement sentir dans les vignobles. Changements de cépages, déplacement des parcelles, méthodes plus naturelles… Les choix se font aujourd’hui, mais engagent pour longtemps.
  5. Également pour préparer l’avenir et faire face aux défis, le syndicat des Côtes d’Auvergne, lui aussi, engage des actions. En partenariat avec l’association Vinora, il vient d’annoncer le lancement d’une importante étude cartographique sur la qualité et le potentiel des sols et sous-sols dans le périmètre de l’AOC.
  6. D’autres organes agissent également, comme la jeune association Loire Volcanique, où les Auvergnats dialoguent avec les vignobles du Forez, du Roannais et de Saint-Pourçain, pour valoriser leurs vins, adapter leurs méthodes et partager des valeurs.

Information sur notre prochain événement

Depuis notre promontoire, Annie me détaille sur le coteau d’en face les parcelles qu’elle a cultivées durant trente ans : celles qui dessinent un patchwork juste au-dessus du domaine, grimpant en pente raide sur le coteau ; plus loin vers la droite, en direction de Chalus, encore une longue bande entourée de bois.

Ici ou là, des haies encadrent un rectangle cultivé ou bordent un chemin. En bas, dans le creux du vallon, les vieilles maisons du village de Boudes se serrent comme si elles craignaient d’empiéter sur les terres agricoles. On est bien loin des autres territoires des Côtes d’Auvergne mités par le grignotage de l’urbanisation.

Puis Annie se retourne, vers un paysage tout aussi agricole mais plus plat. « Nous avons été les premiers à planter de ce côté-ci, autour du hameau de Bard. Maintenant les autres viticulteurs y viennent, car la sécheresse se ressent davantage sur le coteau. »

Annie Sauvat face au côteau
Annie détaille les parcelles dont elle s’est occupée depuis plus de trente ans. Tout à gauche (sous sa main), on aperçoit les bâtiments du domaine, qu’elle a fait construire. – Photo Marie-Pierre Demarty

Annie Sauvat a beau avoir passé la main, elle vit encore dans les vignes et en grande partie pour les vignes, « mais à mon rythme, en faisant ce que je veux », tempère-t-elle. Elle a conservé un demi-hectare pour continuer à se faire plaisir. Elle échange énormément avec son successeur, dont le matériel de vinification et de mise en bouteille est encore hébergé chez elle. Elle s’occupe aussi à vendre à ses clients particuliers ce qui lui reste de ses dernières cuvées. Et elle a gardé intacte la curiosité d’aller visiter des vignobles lors de ses escapades – en Alsace ou en Italie pour les dernières. On la croise encore dans les réunions professionnelles. Et sur les salons, où elle prend enfin le temps d’aller déguster les cuvées de ses anciens confrères.

D’un pionnier à l’autre

Le domaine Sauvat était l’un des quelques producteurs – ils dépassent à peine le nombre de doigts d’une main – de vin de Boudes, le plus au sud des terroirs bénéficiant de l’appellation d’origine contrôlée (AOC) Côtes d’Auvergne. Onze hectares, sur la cinquantaine que compte ce petit vignoble.

Annie avait repris vers la fin des années quatre-vingt, d’abord avec son mari, l’exploitation créée par son père et y avait apporté des innovations peu conformes à la tradition auvergnate. Certaines ont fait école – comme l’élevage des vins en barriques –, d’autres sont restées une curiosité dans le paysage comme ses propositions d’œnotourisme, qui permettent à la propriétaire de transmettre aux gens de passage la grandeur et les galères d’un métier difficile, l’apprentissage des techniques de culture, la dégustation de vins qui gagnent de plus en plus à être connus. Elle a aussi opté pour la vente directe, qu’on n’appelait pas encore circuits courts, à une époque où ses maîtres de stage l’incitaient avec insistance à entrer dans le système coopératif.

Annie Sauvat et ses barriques
Annie Sauvat a été pionnière de l’élevage du vin en barriques, qui n’était traditionnellement pas pratiqué en Auvergne. – Photo Marie-Pierre Demarty

Si la coopérative Saint-Verny, aujourd’hui reprise par la famille Desprat, draine plus de la moitié des raisins récoltés sur l’AOC, Annie Sauvat, avec d’autres, a largement prouvé que les vignerons indépendants ont une belle carte – et un rôle – à jouer dans la métamorphose en cours des vins d’Auvergne.

Après plus de trente ans, faute de pouvoir transmettre le domaine à ses enfants pas intéressés, elle a vendu celui-ci il y a un an et demi. Henri Chauvet, son successeur, est un trentenaire né à Brive – avec quand même des origines auvergnates –, n’a pas grandi dans un milieu agricole et a même eu un autre métier avant la vigne.

Un vin qui voyage

Formé dans de prestigieux vignobles de la vallée du Rhône, il arrive avec ses propres idées, ses méthodes et son carnet d’adresse, sous l’œil peu accueillant de ses confrères locaux, mais avec la bénédiction d’Annie.

D’emblée, il accélère la conversion en bio amorcée par celle-ci. « La chimie, ça ne me plaît pas », confirme-t-il, alors que nous le croisons près du domaine, au pied du coteau. Il m’explique ce qui lui a fait choisir de s’installer à Boudes : « Ici c’est compliqué parce qu’il y a beaucoup de pente, mais c’est un grand terroir par la variété géologique ; on a une des meilleures qualités de sol au monde. Si les vins d’Auvergne avaient mauvaise réputation, cela s’explique du fait que la vigne a longtemps été travaillée de façon non professionnelle, en complément, dans une activité de polyculture. »

« Ici on a une des meilleures qualités de sol au monde. »

Henri Chauvet

« Il change tout par rapport à ce que je faisais ; il amène de l’excellence, mais d’une autre façon », s’émerveille Annie, qui l’observe développer des méthodes de vinification importées de ses expériences précédentes, essayer de nouveaux assemblages, planter de la syrah sur les parcelles les plus exposées à la sécheresse, s’intéresser davantage au secteur de Bard… « Et alors que je vendais 30 % de mon vin sur place au domaine et beaucoup aussi aux professionnels locaux, il envoie la moitié de sa production à l’export », ajoute-t-elle.

Henri confirme : « Partout en Europe et aussi en Asie, au Canada, aux Etats-Unis… Je n’ai aucune peine à les vendre et à un bon prix, car à l’étranger les vins d’Auvergne ne traînent pas de mauvaise réputation. Les acheteurs apprécient au palais, pas à l’étiquette. C’est agréable. »

Henri Chauvet et Annie Sauvat
Henri Chauvet et Annie Sauvat : une passation entre pionniers qui ont tous deux successivement, comme dit Annie, « cassé les codes ». – Photo Marie-Pierre Demarty

Les défis du climat

Les innovations qu’il introduit dans le domaine semblent le reflet de celles d’il y a trente ans. Annie Sauvat se réjouit de l’apport de cette génération qui, n’appartenant pas au sérail, n’est pas bloquée par l’injonction à suivre les traditions et a eu l’occasion d’aller voir ailleurs dans le monde comment ça se passe.

« Le changement climatique contraint à imaginer des réponses nouvelles, dit-elle. Par exemple en déplaçant les plantations vers des zones moins sèches… Certains plantent sur les versants nord pour avoir plus de fraîcheur. Ils ne sont plus du tout dans la zone de l’appellation mais comme l’a dit Henri, en vendant à l’export, ce n’est plus un problème. Quand on plante, il faut avoir une vision à 40 ou 50 ans. Ce n’est pas facile, mais c’est à eux à relever le défi de ces bouleversements. »

Une vigne récemment plantée
Une vigne récemment plantée dans le secteur de Bard : la production se déplace peu à peu vers des terrains moins usés, moins secs, moins pentus. – Photo Marie-Pierre Demarty

Bien sûr, ils ne sont pas les seuls. Les viticulteurs bien installés se posent aussi ces questions et leurs représentants se préoccupent aussi de l’avenir. Fin janvier, le syndicat des Côtes d’Auvergne, main dans la main avec l’association des vins volcaniques Vinora, annonçait le lancement d’une grande étude cartographique des sols et sous-sols, dans la zone AOC et celle de l’IGP (indication géographique protégée) Puy-de-Dôme. Menée par l’Institut français de la Vigne et du Vin, cette cartographie est annoncée comme un outil pour adapter le vignoble au changement climatique, mais aussi servir des ambitions affichées de doublement de la surface de production, avec un potentiel de création de 35 nouveaux domaines.

« Quand on plante, il faut avoir une vision à 40 ou 50 ans. »

Annie Sauvat

Tout le monde semble avoir foi en l’avenir des vins auvergnats, mais avec des visions diverses qui ne manquent pas de tirailler la profession. Elles traversent aussi les questionnements d’Annie Sauvat, qui, tout en reconnaissant l’utilité d’une telle étude « pour mieux comprendre les terroirs », s’interroge sur le choix de prioriser le vignoble existant plutôt que le potentiel de nouvelles parcelles. Et elle est intervenue, lors de la présentation du projet fin janvier, pour faire valoir que celui-ci devrait s’accompagner d’autres questionnements sur les méthodes de culture.

S’inspirer d’ailleurs

Le côteau de Boudes
Le coteau de Boudes, tracé par une coulée volcanique, produit du vin depuis deux millénaires. Au fond du vallon, le village qui a donné son nom au vignoble. – Photo Marie-Pierre Demarty

« Je l’ai mieux compris lors de mon récent voyage en Toscane, où la sécheresse est bien plus prégnante. Ils ont préservé des traditions d’agroforesterie dont j’ai constaté les bienfaits. En combinant la vigne, les oliviers et la forêt, ils s’en sortent bien. Ici sur le domaine, nous avons conservé quelques haies, et même planté des noyers, des fruitiers. La nature nous remet dans le droit chemin : face aux changements climatiques nous avons besoin de préserver la biodiversité et de jouer sur la complémentarité des activités agricoles autant que de connaître les sols », analyse-t-elle.

Adhérente de Vinora, elle s’intéresse aussi aux échanges qui circulent au sein de l’association Loire Volcanique« je suis la seule à être membre des deux organisations, pourtant complémentaires », déplore-t-elle. Annie apprécie la dynamique à l’œuvre chez les vignerons, majoritairement jeunes, de Loire Volcanique, qui réunit les terroirs d’Auvergne, mais aussi de Saint-Pourçain, du Forez et du Roannais. « Ils sont déjà dans les questionnements et amorcent de gros bouleversements, par exemple en réhabilitant des cépages anciens ou de la polyculture qui permet des complémentarités intéressantes. »

« Face aux changements climatiques nous avons besoin de préserver la biodiversité et de jouer sur la complémentarité des activités agricoles. »

Annie Sauvat

Elle reconnaît n’avoir pas elle-même toutes les réponses et fait confiance à ces jeunes générations pour trouver les meilleures solutions. A l’instar d’Henri, reparti depuis longtemps s’affairer sur le domaine en cette journée presque estivale où les tâches ne manquent pas : taille, tirage des bois, remplacement des ceps morts, mise en bouteille de sa deuxième cuvée…

Pendant ce temps, Annie se réjouit de sa toute nouvelle tranquillité. « Je n’ai gardé que les bons côtés », sourit-elle. Prochain bon côté au programme : un stage de taille pour amateurs. Parce qu’elle aime par-dessus tout le contact et le partage de son savoir. « C’est naturel, conclut-elle, nous avons des métiers de passionnés. »

Voir le site du Domaine Sauvat, où certaines cuvées commencent à porter la mention « Stock épuisé »
Voir le compte Instagram d’Henri Chauvet


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Reportage réalisé le mardi 14 février 2023. Photo de Une Marie-Pierre Demarty