A Courgoul, entre Issoire et le Sancy, une association présidée par Grégoire a permis la restauration d’anciennes terrasses. Derrière, la relance d’une dynamique locale est en jeu.
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Mon ressenti
Ayant connu Grégoire au conseil d’administration du CISCA, j’étais intrigué par le nom du projet qu’il y portait : les Pailhats de Courgoul. J’avoue qu’à l’époque, en bon bobo-urbain clermontois, je ne savais ni ce qu’était un pailhat, ni où était Courgoul.
Mais c’était avant. Maintenant, je suis allé à Courgoul (c’est entre Champeix et Compains, et c’est très beau), et j’ai suivi le chemin des pailhats. En mode visite guidée bien sûr : Grégoire était fier de me montrer la réalisation de l’association qu’il préside aujourd’hui, mais que sa grand-mère – ancienne mairesse de Courgoul – a contribué à créer.
J’ai vécu un moment très sympathique lors de cet entretien au soleil et dans la nature. J’ai notamment beaucoup apprécié les détails de communication – on ne se refait pas – comme le graphisme des panneaux, la précision des textes, et l’absence de Comic Sans MS à chaque ligne*. Sur le fond, je retiens deux points marquants : d’une part, et même si je n’ai pas rencontré d’autres membres de l’association des Pailhats de Courgoul, le “rapport” entre la taille et la qualité des réalisations – restauration de terrasses, plantation de 8 hectares de vignes et de fruitiers, rucher pédagogique, jardin floral, chemin de découverte balisé … – et la taille du village est assez bluffante. Preuve qu’une petite asso bien menée peut lever des montagnes (de pierre sèche, en l’occurrence.)
Second fait marquant : l’ubiquité que revendique, d’une certaine manière, Grégoire. Des Pailhats de Courgoul à l’hôtel de région à Lyon, il y a mille années-lumières, et pourtant certains élus parviennent à créer des passerelles. J’avais ressenti la même chose, mais sur une tonalité plus institutionnelle et entrepreneuriale, lors de mon échange avec Frédéric Bonnichon (dans un livre à paraître très vite, #teaser). Je suis donc particulièrement en accord avec Grégoire quand il nous dit que l’engagement associatif peut très bien compléter la vocation politique – même si je me cantonne au premier, ça me suffit largement.
*private joke pour mes amis graphistes et typographes
Damien
Les principaux points à retenir
- Le principe de l’association les Pailhats de Courgoul, que préside aujourd’hui Grégoire, est initialement de restaurer des terrasses en pierres sèches à flanc de vallée, autour du village de Courgoul. Au-delà, elle a pu réintroduire de la biodiversité et des cultures traditionnelles (vergers, vigne), et sensibilise par un sentier découverte et un rucher pédagogique, sans compter les nombreuses animations dont une Fête annuelle.
- Grégoire voit le travail de l’association comme une reconquête de l’environnement de Courgoul, autant qu’une réouverture. L’enjeu de relancer une dynamique positive s’est fait, selon Grégoire, par la présence (heureuse) de personnes motivées qui ont pu forcer les choses. Selon lui, les Pailhats de Courgoul renouent des liens entre habitants, préservent les paysages et transmettent un savoir-faire.
- La vision de Grégoire pour le territoire de Courgoul est donc celle d’une forme de reconquête agricole et paysagère, notamment via la réintroduction d’espèces animales rustiques capables de “nettoyer” la forêt et de réduire le risque d’incendie qui devient de plus en plus menaçant. Au-delà, cette vision agricole est celle d’une filière relocalisée, plus “paysanne”, impliquant davantage de proximité et main-d’oeuvre. Pour Grégoire, c’est le seul moyen de faire revenir des familles et donc de garantir la pérennité des commerces et des services publics. Il est convaincu qu’un vrai modèle économique existe pour ces filières de circuits courts de proximité.
- En termes de projection, Grégoire ne baisse pas les bras même s’il reconnaît l’urgence écologique, voire une forte éco-anxiété ambiante. Les petites villes rurales sont menacées par une forme de désertification, mais ce n’est selon lui pas une fatalité puisque des personnes motivées, notamment via le levier associatif et collectif, peuvent changer des choses. La clé est de valoriser les richesses qui sont toujours présentes mais souvent ignorées.
- En parallèle, Grégoire revient sur sa carrière politique, qui l’a mené du Parti Socialiste au mouvement Génération.s qu’il a contribué à monter. Proche idéologiquement de Benoît Hamon, il insiste sur l’engagement différencié de la jeunesse d’aujourd’hui – plus ponctuel et sociétal, moins institutionnel. Elu à Courgoul, il est de même présent au Conseil Régional d’Auvergne-Rhône-Alpes.
- Sur la question de la dynamique institutionnelle dans les territoires ruraux, Grégoire insiste sur le manque de soutien des grandes collectivités (région, communautés de communes) pour aider – en moyens mais surtout en ingénierie et en accompagnement de demandes de subventions – les toutes petites communes. D’autant plus que les élus de ces dernières n’ont pas toujours le réflexe d’aller solliciter des fonds disponibles mais compliqués d’accès, notamment au niveau européen.
- Au final, Grégoire souhaiterait une refonte de la logique d’attractivité, trop concurrentielle et basée sur des limites administratives qui n’ont pas souvent de sens pour les habitants. Au contraire, un raisonnement en bassin de vie ou d’activité est préférable selon lui, dans une logique d’inversion de l’exode rural pour rééquilibrer villes et campagnes et assurer l’habitabilité de l’ensemble.
L’intervenant : Grégoire Verrière
Elu “Les Ecologistes” au Conseil Régional d’Auvergne-Rhône-Alpes ; président de l’association les Pailhats de Courgoul ; conseiller municipal de Courgoul ; membre du conseil d’administration du CISCA
Né en 1993, Grégoire a grandi en Auvergne et y est très souvent revenu durant ses études. Il affiche donc un vrai attachement au territoire, notamment au village de Courgoul (entre Issoire et le Sancy), 70 habitants, dont sa grand-mère Mireille a été longtemps maire.
Grégoire a suivi une formation agricole : BTS de production animale, puis licence pro “valorisation du terroir” jusqu’en 2015. En 2016, il rejoint l’association des Pailhats de Courgoul, que sa grand-mère avait contribué à crééer, et il entre à son bureau. Il en devient président en 2022.
Entretemps, il avait lancé sa carrière politique. Engagé au Parti Socialiste en 2012 mais peu motivé par l’élection de François Hollande, il rejoint les rangs de Benoît Hamon dans la préparation de l’élection présidentielle de 2017. Grégoire s’engage alors dans la campagne, qu’il relaye sur le Puy-de-Dôme. Après la défaite au premier tour de son candidat, il participe activement à la création du mouvement Génération.s, dont il devient le “coordinateur national pour les jeunes générations” jusqu’en 2019.
Elu en 2020 conseiller municipal de Courgoul, il entre également à la Région Auvergne-Rhône-Alpes en juin 2021 comme conseiller régional pour le groupe “Les Ecologistes”. Il participe aux commissions agriculture, lycées et formation.
Apiculteur à titre personnel et professionnel – production de miel de montagne, bien sûr – Grégoire est aussi membre du Conseil d’Administration du CISCA qui accompagne l’association des Pailhats.
Contacter Grégoire par email : gregoire.verriere [chez] gmail.com |
Crédit photo : Grégoire Verrière (DR)
La structure : Les Pailhats de Courgoul
Association basée à Courgoul (63), visant à restaurer des terrasses en pierres sèches, et plus largement à revaloriser le site, les paysages, les pratiques agricoles et les savoir-faire locaux
L’association des Pailhats de Courgoul a été créée en 1998, notamment par Mireille Verrière, alors maire de Courgoul (et grand-mère de Grégoire Verrière). Elle en est devenue première présidente, avant de passer la main à Jean-François Chatillon puis à son petit-fils en 2022.
Son but initial est de restaurer un ensemble de “pailhats”, des terrasses en pierres sèches datant de la fin de la royauté. Elles permettaient alors aux paysans peu fortunés de cultiver la terre à flanc de vallée. Aujourd’hui, l’association a réalisé son œuvre première avec plusieurs murets, 8 hectares de vigne et de fruitiers replantés, un espace dédié à la biodiversité (notamment via un rucher pédagogique et un jardin floral), et un parcours découverte balisé et commenté.
Au-delà, l’association propose plusieurs animations tout au long de l’année, parfois pour des petits groupes, ou pour des scolaires. Elle accueille les visiteurs, et organiser une fois par an la Fête des Pailhats qui attire plusieurs centaines de participants.
Comptant 50 adhérents dont 10 dans le “noyau dur” opérationnel, les Pailhats de Courgoul bénéficient d’un salarié en contrat aidé. L’association est notamment soutenue par le Parc Naturel Régional des Volcans d’Auvergne, et travaille actuellement sur l’aménagement et la réouverture de lieux de vie au sein du village de Courgoul.
Accès direct aux questions
- Commençons par une définition: qu’est-ce qu’un pailhat ?
- Et en quoi consiste l’association des Pailhats de Courgoul, que tu présides désormais ?
- Quand une commune a 70 habitants, comment faire pour en motiver suffisamment et remonter des murs en pierre ?
- Tu as également une vision plus large du territoire et de sa dynamique …
- L’action des Pailhats s’inscrit-elle aussi dans une logique de résilience face à des risques futurs ?
- Comment projettes-tu le futur de ton village ?
- Est-ce une façon de résumer ton engagement politique au niveau régional ou même national ?
- A 28 ans, tu es le plus jeune élu au Conseil Régional Auvergne-Rhône-Alpes (groupe Les Ecologistes). La jeunesse est-elle un atout en politique?
- Cela signifie-t-il que les jeunes ne participent pas aux projets associatifs ?
- Pourquoi y a-t-il encore peu de petites communes rurales qui parviennent à se dynamiser par des projets associatifs ?
- Observes-tu un délaissement des territoires ruraux ?
- Comment pourrait-on inverser la dynamique, selon toi ?
Commençons par une définition: qu’est-ce qu’un pailhat ?
C’est un mot issu de l’occitan : les pailhats sont les terrasses en pierres sèches qui permettent l’agriculture étagée sur les flancs de côteaux en Auvergne. Historiquement, comme dans mon village de Courgoul, la noblesse locale possédait les terres riches – et faciles d’accès – du fond de vallée. Les agriculteurs plus pauvres ont dû assembler ces terrasses à la force de leurs bras, apportant la terre souvent d’assez loin.
Les pailhats sont attestés depuis le XVIIIème siècle mais existaient auparavant. Au-delà de la production agricole (vigne, fruitiers), les murs de pierre abritent une biodiversité intéressante, emmagasinaient de la chaleur et permettaient la culture de plantes méditerranéennes, comme l’origan.
Et en quoi consiste l’association des Pailhats de Courgoul, que tu présides désormais ?
C’est simple : comme les pailhats ont été abandonnés au cours du XXème siècle, ils se sont fortement dégradés. En 1998, ma grand-mère Mireille, qui était maire de Courgoul, s’est associée avec plusieurs habitants pour fonder cette association, d’abord présidée par Jean-Claude Chatillon. Le but était de restaurer, voire de reconstruire, les pailhats sur le territoire de la commune.
Le travail sur les pailhats, c’est une forme de réouverture, mais aussi de reconquête de notre environnement.
Pour rappel, Courgoul compte 70 habitants aujourd’hui – contre 350 au début du XXème siècle. Le paysage, autrefois marqué par l’usage agricole, s’est “fermé” du fait de l’exode rural et de l’abandon de l’élevage. Le travail sur les pailhats, c’est une forme de réouverture, mais aussi de reconquête de notre environnement dans tous les sens du terme.
Quand une commune a 70 habitants, comment faire pour en motiver suffisamment et remonter des murs en pierre ?
On y est arrivé … avec une poignée de personnes très motivées, un grain de folie, et beaucoup de volonté. Comme ça, on peut faire beaucoup de choses au niveau d’un petit territoire ! Je dirais même qu’il faut de l’imagination, voire de la “filouterie” pour forcer le destin.
L’association compte d’ailleurs 50 adhérents, dont 10 bénévoles très actifs. Elle organise la Fête des Pailhats chaque troisième week-end d’octobre et accueille plus de 1000 personnes à Courgoul ! Elle a un salarié (en emploi aidé), travaille avec des acteurs locaux comme le Parc Naturel Régional des Volcans d’Auvergne ou l’ESAT de Brassac-les-Mines, et propose des animations pour des groupes de travail.
Il faut de l’imagination, voire de la “filouterie” pour forcer le destin.
Pour résumer, je dirais que les Pailhats de Courgoul ont permis la restauration de plusieurs murs en pierre, le retour de la vigne et des fruitiers (sur 8 hectares), mais aussi la création d’un parcours de visite et d’un rucher pédagogique. Plus largement, c’est un espace rénové et accessible, accueillant toutes les générations. Il renoue le lien entre les habitants, préserve les paysages, transmet des valeurs et des compétences …
Tu as également une vision plus large du territoire et de sa dynamique …
Oui, j’inclus le projet des Pailhats dans le cadre d’une “reconquête” du territoire communal. L’idée est d’inverser la dynamique observée avec l’exode rural et l’abandon de l’élevage. Ce qu’il faut, aujourd’hui, ce sont des gens qui travaillent localement et des familles qui s’installent. C’est nécessaire pour la vie sociale et le maintien des services de proximité, comme l’école de Saurier à quelques kilomètres – qui sera fermée s’il n’y a pas assez d’enfants.
Ce qu’il faut, aujourd’hui, ce sont des gens qui travaillent localement et des familles qui s’installent.
C’est nécessaire également au niveau économique. Je sais que l’agriculture paysanne permet la relocalisation des chaînes de valeur et l’emploi local : elle est consommatrice de main-d’œuvre, exige une transformation à proximité, et crée des emplois indirects. Résultat : la richesse produite reste sur le territoire.
Et ça marche ! J’en veux pour preuve mon stage de BTS au syndicat du Saint-Nectaire AOP : j’y ai compris que les acteurs locaux d’une chaîne logistique – ici la transformation et la distribution du fromage – pouvaient capter 2 à 3 fois plus de valeur ajoutée que si cette chaîne s’étend sur des territoires lointains. Bien sûr, à condition de vendre le produit fini sur un large périmètre. Mais tous les maillons intermédiaires peuvent rester en local.
A l’inverse, tu as les broutards charolais de l’Allier qui partent se faire engraisser en Italie ou en Espagne. C’est le contre-exemple, où la valeur ajoutée se réalise loin du territoire et n’y revient pas. Sans compter l’impact carbone ou le stress animal …
L’action des Pailhats s’inscrit-elle aussi dans une logique de résilience face à des risques futurs ?
Oui, car on aménage l’espace. Au-delà de la production alimentaire, de la biodiversité ou de la sensibilisation, le principe de “reconquête” agricole que j’évoquais implique le retour d’une forme d’élevage rustique sur les flancs de la vallée de la Couze du Valbeleix, notre rivière. Il y a un vrai risque, à terme, de feux de forêts, à cause de l’enfrichement des sous-bois. Mais on sait que des races comme les chèvres du Massif Central, ou même des vaches Highland, peuvent entretenir les espaces et préserver le massif forestier.
Cette action peut se combiner avec du plus classique, comme le rachat progressif de parcelles par la mairie et le remembrement. Beaucoup de mairies y travaillent et tout le monde a à y gagner, malgré une tradition plutôt individualiste en Auvergne.
Comment projettes-tu le futur de ton village ?
Ce que sera Courgoul dans 30 ans… je ne sais pas du tout. De vraies questions d’habitabilité se posent, en particulier pour les zones rurales. Mais je sais qu’il y a un désir de qualité de vie, de dynamique, de transmission. Si on n’essaye pas, ça ne se fera pas, de toute façon. C’est pourquoi je participe du mieux que je peux, pour la dignité du présent.
De vraies questions d’habitabilité se posent, en particulier pour les zones rurales.
Plus largement, je n’ai pas envie de renoncer, parce que le futur s’annonce compliqué et incertain. Beaucoup de gens se demandent s’il faut avoir des enfants, quel monde on va leur laisser, etc. Mais je ne veux pas subir ce qu’il va se passer sans essayer de changer les choses.
Il y a donc une dimension personnelle dans tout ce travail à Courgoul et avec les Pailhats : je le fais car c’est le moyen de me sentir bien dans mes bottes, aligné avec mes convictions. Et je sais que je vivrais mal de rester spectateur, d’être indigné sans rien faire. On doit se bouger !
Est-ce une façon de résumer ton engagement politique au niveau régional ou même national ?
C’est vrai que cet engagement est très lié à l’affection que je porte pour mon territoire – qu’il soit Courgoul, le Sancy, l’Auvergne … de plus, j’ai un héritage familial fort sur l’engagement citoyen, notamment de par ma grand-mère. J’ai toujours associé engagement, identité et attachement territorial.
Je n’ai pas envie de renoncer, parce que le futur s’annonce compliqué et incertain.
Je sais aussi que c’est par l’action collective que l’on peut transformer un territoire qui souffre de handicaps. Ici, depuis la création de l’association en 1998, les Pailhats ont petit à petit “fait” l’identité de Courgoul. Grâce à cette initiative mais aussi avec la mairie et le comité des fêtes se sont relancés un marché de producteurs, des festivités plusieurs fois par an … il y a un vrai apport pour la vie du village. Il n’y a pas de fatalité rurale. Au contraire : il faut valoriser nos richesses !
A 28 ans, tu es le plus jeune élu au Conseil Régional Auvergne-Rhône-Alpes (groupe Les Ecologistes). La jeunesse est-elle un atout en politique?
Je n’ai jamais ressenti ma jeunesse comme un frein, ou même une différenciation. A Courgoul et ailleurs, je pense être respecté pour ce que j’ai fait, indépendamment de mon âge … ou même de mon engagement politique. En tous cas, je n’ai jamais été dévalorisé pour ça ! J’ai toujours eu à cœur de montrer ce que je défends, et de le vivre pleinement par mon travail associatif.
Néanmoins, je suis aussi convaincu qu’engagement associatif et politique vont de pair. Mais cela dépend des élus : quand j’étais au Parti Socialiste en 2016, j’ai vécu une vraie remise en question personnelle à cause de l’action de François Hollande, qui ne me correspondait pas. A l’inverse, je me suis complètement retrouvé dans le projet de Benoît Hamon, que j’ai suivi dès la primaire du parti (pour la présidentielle de 2017) et que j’ai relayée sur le Puy-de-Dôme.
Je suis convaincu qu’engagement associatif et politique vont de pair.
J’ai ensuite participé à la création de Génération.s, pour lequel je me suis occupé de son mouvement de jeunesse. Je trouvais que le message de Benoît Hamon “portait” très bien sur ce public, par ailleurs moins attiré par les structures classiques – partis, syndicats, et même associations. J’insiste d’ailleurs sur ce dernier point, car il révèle un vrai problème d’engagement sur le long-terme des jeunes, au-delà de la “désaffection du politique” traduite dans l’abstention.
Cela signifie-t-il que les jeunes ne participent pas aux projets associatifs ?
Non, car ils peuvent tout à fait aider ponctuellement, quitte à mettre les mains dans le cambouis. Ils ont d’ailleurs un fort intérêt pour les projets sociétaux et environnementaux. Mais ils ne souhaitent pas s’inscrire dans la durée, sans doute à cause de l’incertitude du monde à venir. En tant que responsable associatif, il faut savoir composer avec ça …
Par la pratique associative, tu peux générer des questions dans l’esprit des gens, même ceux qui ne font que passer.
J’ajouterais que l’association est un lieu d’échange, de praxis : par la pratique associative, tu peux générer des questions dans l’esprit des gens, même ceux qui ne font que passer. Et ça peut faire tilt ! Je le vois sur l’écologie : les participants viennent pour une action spécifique, ils ne sont pas sensibilisés aux problèmes environnementaux. En revanche, ils apprécient valoriser le patrimoine naturel ou historique, restaurer les paysages … et ça les ouvre petit à petit à l’écologie.
C’est notamment le cas avec les enfants. En effet, j’avais observé que les plus jeunes sont sensibles au “problème du vivant” d’une manière générale. Sans doute parce qu’ils n’ont pas été encore trop formatés par le système consumériste. Je pense que notre déconnexion à la nature vient principalement de là.
Pourquoi y a-t-il encore peu de petites communes rurales qui parviennent à se dynamiser par des projets associatifs ?
Pour plusieurs raisons: nous avons tous un patrimoine présent, riche, mais souvent peu de moyens … et un vrai manque d’ingénierie en montage de projets. Sans parler du degré de complexité des dossiers, pour les demandes de subventions européennes par exemple.
Enfin, les élus de petits villages n’ont pas toujours le réflexe de solliciter ces aides, alors qu’il y a souvent des disponibilités. Je pense que les grandes collectivités, comme la Région, ou même les communautés de communes, ont un vrai rôle à jouer pour aider les territoires ruraux. Mais c’est plus dur quand on est loin des “centres”: à Courgoul, on pèse peu dans une intercommunalité de 80 communes, dont Issoire.
Observes-tu un délaissement des territoires ruraux ?
C’est hélas vrai dans la grande majorité des cas. En fait, les communes rurales vivent une expérience de la République différente des grandes villes, de par les problématiques que j’évoquais. Un peu comme les quartiers populaires, d’une certaine manière.
Les communes rurales vivent une expérience de la République différente des grandes villes.
Par exemple, la loi Zéro Artificialisation Nette sera très compliquée à mettre en place dans les campagnes, où l’on a pourtant de la place. La clé serait alors de réhabiliter le bâti ancien, dans les centre-bourgs. Mais il faut nous aider, nous accompagner pour cela ! On ne sait pas bien par quel bout prendre le sujet …
Comment pourrait-on inverser la dynamique, selon toi ?
Il faudrait que les intercommunalités cessent de se faire concurrence et collaborent davantage. C’est le grand problème de la recherche d’attractivité : on essaye d’attirer plus de visiteurs, d’entreprises, de familles que son voisin. Et ça cloisonne beaucoup.
La Région pourrait fixer un cadre, des directions plus constructives en matière d’aménagement du territoire grâce au SRADDET [Schéma Régional d’Aménagement, de Développement Durable et d’Egalité des Territoires]. Mais Laurent Wauquiez n’assume pas faire de ce document un vrai outil stratégique, en prétextant de laisser faire les maires. Sauf que les élus locaux, surtout dans les petites communes rurales, ont besoin de lignes directrices et de soutien pour avancer dans leurs projets !
J’aimerais une stratégie audacieuse pour inverser l’exode rural.
Au final, il faudrait raisonner en bassins de vie, ou d’activité. Et pas en limites administratives de telle ou telle entité. Cela déconnecte les projets – et donc les gens – des territoires. J’aimerais aussi une stratégie audacieuse pour inverser l’exode rural, repeupler les campagnes mais de façon moderne, en pensant services locaux, commerces, mobilité et numérique. Ce rééquilibrage, c’est sans doute le seul moyen pour que les villes, comme les campagnes, soient vivables à terme.
Pour aller plus loin (ressources proposées par Grégoire) : Pour comprendre – le livre de Corinne Morel Darleux, et plus généralement les ouvrages d’Edgar Morin sur la pensée complexe Pour agir – “En collectif de toute façon” insiste Grégoire. “Ça te porte, t’enrichit, te nourrit. Car ce qu’on fait, même individuellement, on le fait grâce à ce que les autres nous ont apporté. Et il y a toujours des associations vers lesquelles se rapprocher.” |
Propos recueillis le 11 juillet 2022, mis en forme pour plus de clarté et relu et corrigé par Grégoire. Crédit photo de Une : Damien Caillard, Tikographie