Friche thermale, prés salés : que faire du site de Sainte-Marguerite ?

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Julie Bodin devant la zone de prés salés
Partons visiter un site étrange. Où se rencontrent le sauvage et le bâti, le public et le privé, l’art et la science, l’industrie et la biodiversité, la nature et le patrimoine, le calcaire et le volcanisme, les diatomées et la radioactivité, l’eau et le sel...

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Comme à chaque fois que je fais un article quasiment dans mon arrière-cour, je me dois de préciser que je suis aussi une habitante de la commune dont il est question dans ce reportage.

Cela me permet de connaître mon sujet mieux que d’habitude, même si j’ai encore appris des tas de choses. En plus de la visite de la semaine dernière, j’ai participé à divers ateliers et restitutions de projets, et arpenté souvent les dénivelés de la commune, depuis ces étranges bords d’Allier jusqu’au sommet du puy Saint-Romain.

Je vous laisse donc juger si mon enthousiasme est justifié ou exagéré. Je vous encourage même à aller le vérifier sur place.

Tout de même, il y a quelques faits au moins qui ne relèvent pas de la possible fierté pour le patrimoine qui nous est familier.

J’ai l’habitude de dire que le département du Puy-de-Dôme est intéressant à ausculter car il contient tous les milieux sauf celui du littoral. En fait c’est faux : nous avons aussi des bords de mer miniatures.

Préserver des milieux naturels rares, ça peut paraître anecdotique. Mais quand les turbulences climatiques commenceront à secouer sérieusement le Vivant, la diversité des habitats pourrait s’avérer précieuse : ce seront les plans B, ou C, D, Y, Z de l’adaptation.

Marie-Pierre

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • Le hameau de Sainte-Marguerite, situé dans le bas de commune de Saint-Maurice, abrite un lieu à l’atmosphère étrange : c’est une ancienne station thermale à l’abandon, sur le bord de l’Allier. Le parc qui l’entoure est parsemé de sources qui remontent des profondeurs, chargées en minéraux et en radioactivité de faible intensité. Le sel déposé par certaines de ces eaux a transformé une partie du site en prés salés, recouverts d’une couche de travertin, roche issue du calcaire répandu aussi par l’eau. Il s’y est développé un milieu naturel rare, abritant des espèces végétales protégées, et même un micro-organisme découvert ici, une diatomée baptisée Navicula sanctamargaritae.
  • Les lieux appartiennent à l’entreprise Agromousquetaires, qui possède l’usine d’embouteillage adjacente. Une convention du Conservatoire d’espaces naturels d’Auvergne avec le propriétaire permet de préserver ces milieux depuis 1997. L’action du CEN s’est étendue plus récemment à l’autre rive où se trouve le champ captant de l’usine d’embouteillage : dans cette pelouse sèche rare aussi, il fallait éliminer une espèce envahissante d’arbre, l’ailante glutineux. Enfin le partenariat a permis de procéder « proprement » à la démolition de l’ancienne usine d’embouteillage.
  • D’autres acteurs s’intéressent aussi au site. En bonne entente avec l’entreprise et le CEN, la municipalité a retravaillé les cheminements de randonnée pour canaliser et sensibiliser les visiteurs et a accueilli une résidence d’architectes, pour réfléchir à des pistes de restauration et d’utilisation du bâtiment principal et des « folies » très kitsch qui abritent les sources. Parallèlement, une équipe de chercheuses – biologiste, sociologue et artiste – a mené un projet participatif pour proposer un autre regard sur le site. Où on comprend que la science, l’art, le monde économique, les associations environnementales et les riverains d’un lieu peuvent s’allier pour le faire vivre.

C’est un endroit très singulier. Sur ce bord d’Allier à la sortie d’un impressionnant méandre, la forêt alluviale s’ouvre sur quelques dizaines ou centaines de mètres, pour faire place à une vaste esplanade couverte d’une croûte blanchâtre. Sur les rebords de ce désert de sel miniature, se sont installées des plantes aquatiques que la plupart d’entre nous appelleraient des roseaux, mais qu’un œil plus expert peut identifier comme des massettes. Vers la droite, derrière la végétation qui redevient débordante, se dresse la masse fantomatique d’une vieille bâtisse à l’abandon. Elle est escortée par de grands arbres ornementaux, et par une collection de petites constructions plus ou moins kitsch : un kiosque vitré tapissé de mosaïque, une fausse grotte en pouzzolane, un bulbe de bois, des petites cabanes en dur qui ont inspiré les graffeurs de passage.

L'hôtel thermal et une des anciennes sources
Une atmosphère singulière enveloppe le site de l’ancien parc thermal à l’abandon.

Un chemin balisé vous mène à travers cette petite jungle vers les vraies créatrices de ce site fantasmagorique : les eaux qui s’infiltrent puis remontent des profondeurs de la terre. Elles s’épanchent là après un long trajet dans un réseau de fissures qui craquèlent une géologie particulière : couche de sédiments de ce fond de Limagne sur granit en profondeur, malmené par les microséismes de notre région volcanique…

Ces sources répandent leurs eaux bizarres sur le sol ou les concentrent dans des petits bassins. D’autres ont été comblées et n’existent même plus. La source Brissac, aidée par un tuyau qui rend son bouillonnement spectaculaire, jaillit en « geyser » toutes les 20 minutes. La source de l’Île rappelle par son nom que l’Allier « rivière sauvage » n’a cessé de divaguer et a autrefois enserré dans ses bras cette langue de terre.

Façonné par les sources

Ce sont toutes ces eaux jaillissantes qui ont façonné l’étrange paysage de l’endroit, en bordure du hameau de Sainte-Marguerite. Elles ont suscité la construction de la petite station thermale, aujourd’hui abandonnée, avec ses « folies » de bois ou de pouzzolane, qui accueillait autrefois les buveurs d’eau dans ce qui fut un splendide parc. Elles ont aussi amené la construction de l’usine d’embouteillage, qui se trouve aujourd’hui de l’autre côté de la départementale.

La source Valois
Cette « folie » de pouzzolane imitant une grotte dans le goût du XIXe siècle abrite la source Valois.

Enfin, elles ont offert à la nature alentour ses formes et ses couleurs singulières. L’esplanade blanchâtre est une vaste dalle de travertin, née du calcaire déposé petit à petit par les eaux de la source dite « du Tennis » qui se répandent sur le sol. Un phénomène de pétrification comme on en connaît d’autres en Auvergne, mais ici à l’horizontale.

« Ce sont de vraies petites machines sophistiquées pour survivre. »

La zone où la teneur en sodium est la plus forte forme un pré salé. Seules parviennent à y pousser les plantes qu’on trouve en général en bord de mer. De modestes graminées, comme la puccinelle distante ; des espèces rares et protégées, comme le glaux maritime ou le troscart maritime. Rabougries, développant des feuilles grasses et dures, des stratégies pour stocker le sel ou le rejeter, « ce sont de vraies petites machines sophistiquées pour survivre », explique Julie Bodin, chargée de projet au Conservatoire d’espace naturel (CEN) d’Auvergne.

Les bords d’Allier sont avec la Lorraine les seuls endroits en France où on trouve ces milieux à l’intérieur des terres. Ces habitats sont reconnus « d’intérêts communautaires à préserver » par l’Europe depuis 1992. Vingt-trois sites de prés salés sont sous la protection du CEN en Auvergne. Dont Sainte-Marguerite.

Julie Bodin devant la dalle de travertin
Sur la zone où le calcaire déposé par l’eau s’est pétrifié en une couche de travertin, Julie Bodin montre les espèces végétales halophiles (qui aiment le sel) et explique leurs stratégies pour se développer dans ce milieu peu favorable.

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Histoire d’eau

Julie connaît par cœur le site, pour en assurer le suivi depuis dix ans. En ce vendredi ensoleillé, elle guide une visite des lieux pour un groupe hétéroclite. Il rassemble des employés d’usine et leur directeur, des élus locaux, une biologiste enseignante-chercheuse à l’Université de Clermont et au CNRS, un duo architecte-paysagiste, des journalistes, et bon nombre de représentants du CEN : la présidente, le directeur, des salariés et des bénévoles. Pardon si j’oublie quelqu’un. Une artiste et une sociologue ont fait savoir qu’elles auraient beaucoup aimé être là. Pourquoi tant d’attention ?

Le groupe de visiteurs
Elus, journalistes, ouvriers et directeur de l’usine, salariés et bénévoles du CEN, devant la source de l’Ile. Illustration d’un riche partenariat autour de ce site exceptionnel.

C’est que le site rassemble un concentré de caractéristiques exceptionnelles. Tout d’abord, cette ambiance spéciale qui fait dire à Francis Sauvadet, premier adjoint de la commune de Saint-Maurice où nous sommes : « Qui que l’on amène ici, l’effet produit est toujours le même : l’endroit est magique. »

L’histoire aussi. Les eaux de ces sources, qui jaillissent à 20°C, étaient déjà prisées à l’époque gallo-romaine et le thermalisme a perduré de façon fluctuante, jusqu’à devenir au XIXe siècle une vraie petite station thermale, autour du bel hôtel qui accueillait les baignoires de soin au sous-sol et les curistes dans les étages. Hôtel à l’architecture insolite, en forme d’étrave de bateau côté sud, pour pouvoir résister aux crues de l’Allier les plus sévères.

Le thermalisme décline progressivement au siècle suivant, jusqu’à cesser définitivement en 1965. Mais parallèlement, à partir de 1894, les eaux de Saint-Marguerite sont mises en bouteille et commercialisées, activité qui perdure encore.

Sur le thermalisme dans la région, lire aussi le reportage : « Comment les stations thermales anticipent leur adaptation »
source Brissac
La plus connue est la source Brissac, ou source du Geyser, dont l’apparition bouillonnante toutes les 20 minutes intrigue les visiteurs.

L’histoire récente est tout aussi intéressante. Depuis 30 ans, l’usine est la propriété du groupe Agromousquetaires – qui fournit en denrées diverses les Intermarchés de France et de Navarre. L’unité d’embouteillage, donc, a déménagé de l’autre côté de la route. L’eau embouteillée a aussi changé d’endroit : elle provient désormais d’un captage de la rive gauche de la rivière, dans le creux du méandre. Et toute la zone – ancienne station thermale et usine sur la rive droite, zone du méandre en rive gauche – est la propriété de la firme agro-alimentaire.

« Le métier du propriétaire est de vendre de l’eau, pas de préserver un site naturel. »

Les ouvrières de l’usine, lors de la visite, racontaient les réunions qui se tenaient encore dans l’ancien hôtel il y a une vingtaine d’années, et se souviennent encore des derniers locataires qui ont pris la succession des clients. Mais globalement, comme l’a rappelé la présidente du Conservatoire d’espaces naturels Eliane Auberger, « le métier du propriétaire est de vendre de l’eau, pas de préserver un site naturel », saluant par là le volontarisme de l’entreprise, qui a permis, dit-elle, le plus ancien partenariat du CEN en continu avec une industrie dans notre région.

Eliane Auberger, présidente du CEN, et Thibaut Buisson, directeur de l’usine d’embouteillage, côte à côte pour saluer un partenariat ancien et fructueux.

Rive droite, rive gauche

C’est encore une particularité du site : il n’est pas si courant qu’une entreprise collabore sur le long terme avec une association de protection de l’environnement. En l’occurrence, le Conservatoire d’espaces naturels d’Auvergne a signé en 1997 la première convention de partenariat avec la Société des Eaux minérales de Sainte-Marguerite pour intégrer le site à son programme. Les premières mesures de recensement et de protection ont été lancées grâce à un programme européen LIFE et à la présence du site Natura 2000 incluant les abords de l’Allier sur toute sa longueur. Moyens encore renforcés à partir de 2018 grâce à une convention nationale de mécénat permettant aux CEN d’intervenir sur tous les sites d’embouteillage appartenant au groupe Agromousquetaires.

« Les trois quarts des sites de prés salés ont disparu. »

Pour Sainte-Marguerite, cette signature a permis d’intégrer le champ captant de la rive gauche aux actions de protection.

Des actions, explique Julie Bodin, étaient nécessaires des deux côtés. « Les trois quarts des sites de prés salés ont disparu. Les menaces sont surtout liées au fait que ces zones sont souvent perçues comme incultes. On les a retournées ou fait disparaître sous des remblais », explique-t-elle, précisant que le CEN a acquis des terrains à quelques encâblures de là, à Mirefleurs, pour préserver d’autres sources d’une disparition annoncée.

Le méandre de l'Allier
Vu depuis le puy Saint-Romain qui domine le site : devant le village de Longues, on distingue le grand méandre de l’Allier qui enserre le champ captant des eaux embouteillées. Le grand bâtiment blanc plus proche est l’usine d’embouteillage.

Côté champ captant, Julie Bodin explique les enjeux de l’intervention : « On est sur un sol sableux très drainant, qui a fait apparaître des pelouses sèches ; il s’agit d’un milieu rare à l’échelle du val d’Allier. On y trouve des orchidées et des plantes rares comme le cynoglosse de crête, un cousin du myosotis classé vulnérable et menacé à l’échelle régionale. » Malheureusement, s’y développe aussi un arbre exotique envahissant, l’ailante glutineux, qui menace la pelouse sèche d’un côté, mais possiblement aussi, à terme, la zone proche de la source des Saladis, elle aussi sous la responsabilité du CEN.

Pour cette partie du site, le CEN a organisé de grands chantiers bénévoles d’arrachage, et une collaboration avec la commune des Martres-de-Veyre pour expérimenter du compostage d’espèces envahissantes. D’autres chantiers sont prévus, car la plante colonise l’espace plus vite que les réponses aux demandes de fonds pour les contenir. « Le risque, précise Julie Bodin, c’est que la rivière, si son lit se déplace, récupère des graines et les dépose plus loin. »

Sur d’autres pelouses sèches protégées par le CEN, lire aussi le reportage : « Préserver les coteaux secs car… on dirait le Suuuuud. »

Démolir

Côté station thermale, les premières actions ont consisté à gérer les écoulements de la source qui provoque la formation du travertin. « Nos études depuis 2019 montrent que ça évolue très vite : la croûte calcaire, par endroits, augmente de 6 cm par an. Il s’agit donc de prévoir ces évolutions qui entraînent des changements de direction des écoulements », poursuit la chargée de mission. La gestion de cet équilibre délicat a permis de doubler la surface de la zone humide, avec ses habitats différents selon la présence plus ou moins élevée de sel : milieu aquatique classique dans les secteurs les plus éloignés de la source du Tennis, pré salé avec ses plantes dites « halophiles » sur le milieu.

Massettes
Un peu plus éloignée des écoulements d’eau salée, toute une partie du site accueille une végétation de zone humide plus classique.

En 2022, il restait encore un « gros morceau » à entreprendre pour la renaturation du site. Car la friche de l’ancienne usine se dégradait lentement au beau milieu du pré salé, laissée avec le reste du site à portée des squatteurs, des graffeurs, des urbexeurs et même des simples promeneurs.

C’est Thibaut Buisson, le directeur de l’usine d’embouteillage, qui prend le relais pour l’évoquer : « Le projet de démolition de l’ancienne usine a été compliqué, car ce n’était pas une priorité pour le groupe. Le bâtiment était régulièrement réoccupé et malgré les risques, il y a eu de la lassitude à essayer de le maintenir sécurisé ; on l’a laissé se dégrader. Jusqu’au jour où nous avons réussi à faire déplacer la directrice générale d’Agromousquetaires : elle a été convaincue et ça a lancé l’opération. »

Thibaut Buisson et ses ouvrières
Face à ses ouvrières et ouvriers, et au directeur du CEN, Thibaut Buisson raconte la démolition de l’ancienne usine. Le bâtiment qu’on voit au fond a été conservé car l’usine continue à y prélever du gaz carbonique.

Partenariats et opportunités

Démolir un bâtiment sur un site protégé n’est pas un chantier banal. La coopération avec le Conservatoire d’espaces naturels a été déterminante. Par exemple pour définir la période où il était le moins gênant pour la faune et la flore d’intervenir. Ou pour éliminer les daturas, plantes envahissantes et toxiques, qui s’étaient installés sur le remblai de l’ancienne usine. « Nous avons tout arraché et réensemencé avec des semences locales, récoltées sur d’autres sites similaires du Val d’Allier », précise Julie.

« Ce site a de la valeur pour beaucoup de monde. »

L’opération a été réalisée l’an dernier, après un temps de soigneuse préparation, et elle a représenté un coût important pour l’entreprise, dont l’effort est salué par ses partenaires. Elle y a consenti aussi grâce à l’opportunité de bénéficier d’un apport du Fonds vert national. « Cette reconnaissance au plus haut niveau est un indicateur positif de la richesse du site. Elle apporte une vraie crédibilité à nos projets, soulignait à ce propos Cécile Gilbertas, maire de Saint-Maurice. Ce site a de la valeur pour beaucoup de monde et c’est ce qui a rendu possible ce partenariat public-privé. »

Cécile Gilbertas et Francis Sauvadet
Parmi les visiteurs attentifs, Cécile Gilbertas, maire de la commune (au centre), et Francis Sauvadet, premier adjoint (à sa gauche).

« Nos projets », parce que nous n’avons pas encore fait le tour de ce qui se joue dans ce lieu décidément complexe. La municipalité, bien sûr, est en première ligne pour se soucier d’un site patrimonial emblématique de la commune et ancré dans la mémoire des habitants, parfois sur des générations. Mais elle peut difficilement agir sur un domaine privé, d’autant plus qu’elle a peu de moyens. Sauf à (bien) s’entendre avec le propriétaire et à engager un partenariat, ce qui n’est pas si facile quand les décisionnaires ultimes sont tout près… de la porte de Versailles à Paris.

Pour un tour d’horizon plus général des questions environnementales à Saint-Maurice, lire aussi l’entretien : « Maire d’une commune surendettée, Cécile Gilbertas mise sur les petits pas et la solidarité »

Réveiller l’hôtel

Mais la bonne entente localement, la même volonté de « faire quelque chose de ce site » en dépit des contraintes et du peu de moyens à y consacrer, et la collaboration déjà longue avec le CEN, sans parler de quelques heureux hasards, semblent avoir récemment débloqué quelques verrous à la suite de la démolition. D’une part, la commune a repensé ses itinéraires de randonnée et, en accord avec le propriétaire et le CEN, y a intégré le sentier découverte du site. La réorganisation et la signalétique du cheminement permet de mieux canaliser la fréquentation et de sécuriser les lieux, tout en laissant les visiteurs découvrir les sources et l’ambiance du lieu.

En 2025, la commune a par ailleurs accueilli une résidence d’architectes, menée principalement par David Astier, architecte de l’association La Mallette urbaine, et l’architecte-paysagiste Kanae Otani. Un duo travaillant dans une optique participative et engagée pour imaginer des territoires durables. Leur mission, encore en cours, a pour but de « faire émerger des pistes de réflexion et d’évolution » pour le devenir de ce site, en tenant compte de tous les enjeux.

Résidence d'archi
David Astier, avec à ses côtés Kanae Otani, présente la mission de leur résidence d’architectes, qui a travaillé notamment sur le devenir de l’ancien hôtel, qu’on voit ici, derrière le groupe.

Durant l’année, ils se sont mis à l’écoute de toutes les parties concernées : élus et habitants, industriel et naturalistes, et même les enfants de l’école. La restitution de leurs travaux, prévue courant novembre, doit servir de base pour de futures décisions des partenaires et pour aller chercher des fonds, la question centrale portant sur la restauration et les usages possibles du bâtiment principal et des folies qui l’entourent.

Regarder autrement

Et voilà que se surajoute un dernier projet, qui s’est invité dans l’histoire de façon indépendante du reste mais dans un timing parfait : celui de la recherche. Dans le cadre d’un projet plus vaste sur le sujet de la radioactivité (promis, je vous en reparlerai), une biologiste, une sociologue et une artiste se sont intéressées à ces mêmes sources.

Performance artistique à la source Brissac
Clarisse Mallet, la biologiste, et Céline Domengie, artiste plasticienne, lors de l’atelier Chôra de novembre 2024 dans le bassin du geyser, pour créer avec l’eau de la source et de la cire d’abeille des petites sculptures dans un « geste de don et de confiance ». La sociologue Sylvia Becerra complète l’équipe de cet autre projet sur le site.

Il y a un an, elles ont invité les gens – habitants, personnel de l’usine d’embouteillage, chercheurs ou toute personne attachée ou intéressée par le site – à participer à des ateliers croisant leurs disciplines : information sur l’observation et la composition des eaux, happening artistique sur les lieux de la source-geyser Brissac et échange autour d’un questionnaire sur les représentations et imaginaires.

En quatre ateliers, le projet Chôra a réuni 23 participants et a mis en valeur la poésie du lieu, les imaginaires qui prennent corps de multiples manières autour des sources, et la complexité des phénomènes naturels qui s’y entrecroisent. « L’idée n’était pas de faire de la médiation scientifique, mais d’inviter à regarder un lieu différemment », expliquaient-elles lors d’une récente restitution de ces ateliers.

Clarisse Mallet et Julie Bodin
Clarisse Mallet avec Julie Bodin, expliquant comment la radioactivité des sources structure la vie de tout le socio-écosystème.

Hyper jolies

Présente lors de la visite de la semaine dernière, Clarisse Mallet, la scientifique du projet spécialisée en écologie microbienne, a elle aussi partagé ses connaissances sur le site, et sur la coloration bigarrée de la source du Tennis : « Le rouge provient de l’oxyde de fer. Le vert est dû aux cyanobactéries, qui sont de grands filaments unicellulaires. Mais il n’y a pas que des bactéries. La présence de radioactivité – à des doses faibles – amène plein d’autres petits organismes et structure tout un écosystème, avec des algues, des crustacés, etc. Ce système humide forme un ‘biofilm’ : cette gelée sucrée qui explique que des rochers immergés dans l’eau d’une rivière sont glissants. Nous venons étudier l’effet positif ou négatif de cette radioactivité sur ces socio-écosystèmes, c’est-à-dire incluant aussi les personnes qui fréquentent le lieu. Car c’est cette radioactivité naturelle qui structure la vie dans ces eaux », explique-t-elle.

La source du Tennis
Remontant des profondeurs de la terre, les eaux de la source du Tennis se chargent en éléments minéraux divers et en radioactivité, provoquant l’éclosion de toute une vie de micro-organismes et de plantes halophiles.

Clarisse et Julie se rejoignent pour souligner la présence de diatomées parmi l’écosystème. Ces micro-organismes protégés par une coque de silice sont présents dans toutes les eaux douces ou salées du monde. Et elles sont, ajoutent-elles, « hyper jolies ».

« C’est cette radioactivité naturelle qui structure la vie dans ces eaux. »

Cerise sur le bio-film : parmi les organismes observés, une de ces diatomées a été pour la première fois observée et décrite ici, et a été nommée d’après le lieu de sa découverte, Navicula sanctamargaritae.

diatomée
Navicula sanctamargaritae, la diatomée découverte sur le site, arbore une gracieuse coque de silice en forme de navette microscopique.

En l’absence de réponses encore précises quant à l’avenir de ces lieux, que conclure ? Peut-être que si vous ne connaissez pas le site, il est temps d’aller le découvrir après avoir, pour les plus courageux, entrepris l’ascension de l’imposant puy Saint-Romain qui la domine, dans la belle rando qui traverse le site. En ce cœur de l’automne, pour peu qu’une brume s’installe, vous vous laisserez vite envoûter par l’atmosphère romantique de cet endroit à l’abandon où vous pourriez croiser les fantômes de personnages du passé venus prendre les eaux.

Gardez tout de même un coin de votre esprit en éveil, pour vous rappeler que l’endroit est aussi un milieu naturel exceptionnel, abritant des espèces rares et des écosystèmes bien vivants, qui s’ajoutent à tous ceux qu’il est utile de respecter et de préserver. Pour ne pas dire urgent.

Pour mieux connaître les actions du Conservatoire d’espaces naturels d’Auvergne et découvrir ses actions, consulter son site internet.

Reportage (texte et photos) Marie-Pierre Demarty, réalisé le vendredi 17 octobre 2025. À la une : Julie Bodin, lors de la visite, présente le site des prés salés.

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