Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Nous le répétons à longueur d’articles et c’est notre credo : faire des gestes individuels, petits ou grands, faire des efforts à la maison ou en famille, c’est déjà beaucoup pour contribuer à freiner les causes et les conséquences des crises environnementales. Mais autant qu’on peut, il faudrait aussi « jouer collectif » et pas seulement sur les terrains de rugby. Si nous devons partager une seule conviction, c’est que la solidarité est indispensable pour surmonter les difficultés qui nous attendent.
La règle est vraie y compris dans le domaine de l’alimentation. En l’occurrence, la solidarité est nécessaire à la fois envers les agriculteurs à qui il devrait paraître normal de payer un prix suffisant et juste pour qu’ils puissent vivre décemment, et envers ceux qui n’ont pas les moyens de payer ce juste prix.
Cette simple équation devrait se trouver au centre de toutes les discussions sur la question agricole. Pourtant, elle commence à peine à émerger. Et les solutions commencent à peine à être expérimentées.
Je vous en livre ici quelques-unes, repérées au niveau local. C’est le deuxième pas à franchir pour soutenir les agriculteurs.
Il y en a encore un troisième. Lequel ? Patience… Ce sera l’objet du troisième article.
Bonne dégustation.
Marie-Pierre
Trois infos express [cliquer pour dérouler]
- Pour soutenir les agriculteurs du territoire au-delà des achats individuels, on peut commencer par se grouper – à l’échelle du village, du quartier, de l’entreprise, de la bande de copains pour s’approvisionner en direct auprès des producteurs locaux. Cela peut permettre de réduire l’empreinte carbone des déplacements vers les fermes – et d’inciter son entourage à se nourrir plus sainement et plus localement. Un système idéal pour assurer le cercle vertueux des fournitures locales est la monnaie locale complémentaire, en l’occurrence chez nous la doume, qui favorise la relocalisation de l’économie.
- On peut aussi inciter et aider la restauration collective à respecter les contraintes de la loi Egalim, qui exige de respecter des minimas de produits bio et de qualité. Mais dans les faits, les cuisines des cantines scolaires, des hôpitaux et maisons de retraites ou des restaurants d’entreprise ont du mal à respecter ces règles pour de nombreuses raisons d’organisation, de moyens, de savoir-faire, de temps disponible… Et si on contribuait collectivement à les aider ?
- La solidarité doit aller aussi à ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter au prix réel des produits de qualité. Des expérimentations de sécurité sociale de l’alimentation se mettent en place dans diverses régions de France. Et chez nous aussi, avec Soli’doume. Plus localement, de belles initiatives apparaissent dans quelques villes du Puy-de-Dôme : épiceries et restaurants solidaires, systèmes de prix libre, projets spécifiques pour les étudiants…
Manger individuellement local, bio, de saison, des produits moins industriels et moins carnés, à des prix équitables pour les agriculteurs : c’est un bon premier pas que nous avons franchi dans le précédent article. Mais l’action individuelle n’est pas forcément suffisante dans un monde où tout a été organisé pour pousser le consommateur vers des choix différents. Il faudrait aussi que les pouvoirs publics et législateurs, les filières agro-alimentaires et même l’urbanisme et les modes de travail orientent différemment nos façons de vivre, de consommer et de se nourrir. Car remplir son caddy en hypermarché reste la norme pour beaucoup de consommateurs : plus facile, moins cher, moins chronophage et plus conforme à ce que l’environnement publicitaire et marketing nous enjoint de faire, que d’aller faire son marché pour cuisiner des produits frais.
Le consommateur étant aussi le citoyen, il peut quand même peser (au moins un peu) dans ces choix de société, en participant à des actions et initiatives collectives. Le succès de la pétition contre la proposition de loi Duplomb vous a peut-être (re)motivés pour agir dans ce sens. Voici quelques pistes et suggestions glanées pour vous dans le Puy-de-Dôme.
Groupons-nous dès demain
La base, c’est déjà d’agir à l’échelle de ses proches et connaissances. Par quartier, par village, par groupe d’amis ou en entreprise, il n’est pas si compliqué, surtout avec les facilités des réseaux sociaux, de se regrouper en petites communautés pour s’organiser collectivement. Rapporter de votre expédition à la ferme les commandes de vos voisins évite de multiplier les trajets, répand les bonnes pratiques, fait connaître les productions locales et crée des liens de solidarité. On peut aussi s’organiser pour créer ensemble un point de dépôt de paniers : le Biau Jardin, par exemple, peut inscrire dans ses tournées un dépôt dans un lieu public à partir de 10 abonnés.

Au Biau Jardin et auprès de bien d’autres fournisseurs, un bon moyen de soutenir la production locale est de payer en doumes. La monnaie locale complémentaire du Puy-de-Dôme a pour fonction première d’assurer les échanges de produits et services en proximité, puisqu’il s’agit de faire circuler cette monnaie – très officiellement indexée sur l’euro et non spéculative – uniquement dans le département.
Pour l’utiliser, il faut adhérer à l’ADML63, l’association qui porte le projet. Dans l’alimentaire et dans une multitude d’autres biens de consommation, elle est acceptée par environ 250 prestataires, commerçants, producteurs et autres prestataires tels que des Amaps, des coopératives et même Tikographie (pour le seul produit que nous vendons : notre recueil annuel 100 % local). De quoi trouver son bonheur. Le pas suivant sera d’adhérer à un groupe local, pour contribuer à faire vivre la dynamique collective de cette initiative principalement gérée par des bénévoles.
En plus de votre panier de légumes ou de vos courses à l’épicerie bio, la doume peut servir à payer tout plein de biens et services, y compris les plus inattendus, comme je l’avais montré dans cet article : « Top 10 des trucs inimaginables à payer en monnaie puydômoise » |
Manger mieux à la cantine
Et puisqu’on parle de collectif, faisons un crochet par la restauration collective. La loi Egalim impose 50 % de produits « durables ou de qualité » (et même 60% pour la viande et le poisson), dont au moins 20 % de bio au menu des cantines scolaires, mais aussi des repas servis en hôpitaux et en maisons de retraites, et même en restaurants d’entreprises depuis 2024. Certains parviennent à atteindre ou dépasser ces minima, entre autres à Clermont-Ferrand. Quelques communes volontaristes, comme Châteldon ou Loubeyrat, ont fait le choix de servir aux enfants 100 % de produits bio. Mais beaucoup de cantines ne parviennent pas à respecter la loi.

Ce n’est pas seulement une question de prix ou de bonne volonté, mais aussi d’organisation, de gestion, de savoir-faire, de manque de temps… La communauté de communes Ambert-Livradois-Forez en a fait le constat depuis quelques années et a pris en main la question, comme je l’avais raconté l’an dernier.
Si la cantine de vos enfants ou de votre entreprise a encore des progrès à faire, cela vaut peut-être une mobilisation pour lever les obstacles : pas seulement pour protester ou pointer la responsabilité du cantinier, de la cuisinière ou du conseil municipal ; mais pour engager un projet d’amélioration où les citoyens et parents d’élèves, aux côtés des personnels de cuisine, des élus et des producteurs locaux pourraient y travailler ensemble. L’association Bio 63 est structurée pour accompagner ces démarches. Et tout le monde y gagne sur le territoire.
Sur le projet de la communauté de communes Ambert-Livradois-Forez, lire aussi le reportage : « Cantines scolaires 2/2 : autour d’Ambert, un projet à l’échelle de la communauté de communes » |

Lectures d’été : demandez la Biblitikographie !
En 2024, nous avons publié un petit texte numérique (format PDF) rassemblant une liste d’oeuvres livresques ou bédéesques sur l’écologie et les territoires, recommandées par la communauté et la rédaction Tiko. Pour bronzer futé, malin et clever, vous pouvez vous la procurer en payant, ou sans payer, mais de toute façons en nous soutenant (teaser)…
Petits budgets et solidarité
C’est un obstacle qu’on oppose souvent à ceux qui réclament des productions agricoles bio, saines, respectueuses de l’environnement : ça coûte cher. C’est vrai… en partie, car ces modes de culture demandent globalement plus de main d’œuvre – mais avec tout de même des coûts en moins en termes d’achats d’intrants et d’investissements en matériel agricole. Mais tout de même, ça coûte cher et beaucoup de ménages n’ont pas les moyens de manger bio, pas le temps d’aller faire leur marché, pas le véhicule pour aller s’approvisionner à la ferme, pas la place et l’équipement pour cuisiner au quotidien…
C’est là que le collectif commence à prendre tout son sens : pour faire jouer les mécanismes de solidarité. Car il existe des solutions, aujourd’hui expérimentées uniquement à des échelles locales. On peut au moins profiter de ces expérimentations, car il en existe dans le Puy-de-Dôme.

La plus commune sans doute est le modèle des épiceries solidaires. Elles apparaissent depuis quelques années pour répondre à la nécessité de venir en aide aux plus démunis, de façon moins stigmatisante que les distributions alimentaires. Car les personnes ont le choix des produits, paient les denrées – à prix modique – et ont une démarche similaire à tout le monde. Si ces petits prix sont liés à des conditions de revenus attestés par un service social, certaines de ces épiceries accueillent d’ailleurs aussi, à prix « normaux », d’autres clients.
C’est le cas de La Marguerite à Riom, sympathique boutique à qui j’avais rendu visite l’an dernier. D’autres enseignes solidaires sont installées à Montferrand avec Destin & Délices, au Petit Marché Solidaire à Cournon ou à Billom. Associatives ou initiative de collectivités locales, elles sont aussi attentives à proposer des produits locaux et de qualité, davantage en tout cas que les distributions qui s’organisent à l’échelle nationale.
Lire aussi le reportage : « À Riom, La Marguerite nourrit chacun selon ses besoins et ses moyens » |
Étudiants et autres publics
À Clermont, l’épicerie solidaire Esope, initiative de la Banque alimentaire, s’est spécialisée sur un public particulier grandement touché par la difficulté à se nourrir suffisamment et sainement : les étudiants. L’attention à cette catégorie de consommateurs est complétée dans la métropole clermontoise par l’expérience originale et complète du tiers-lieu étudiant LieU’topie, qui combine épicerie, cantine certains jours, vente de paniers de fruits et légumes, distribution d’invendus alimentaires, frigo solidaire et programme de sensibilisation sur le sujet.

À côté des prix réduits notamment pour les paniers, le tiers-lieu, ouvert à tous, pratique le prix libre pour beaucoup de ces services : une formule qui a l’avantage de faire jouer les solidarités.
D’autres initiatives fonctionnent aussi sur ce principe du prix libre. Signalons par exemple les repas de l’association Cocooking à Clermont ou du Restaurant solidaire à Issoire.
Et n’oublions pas de mentionner que la plupart de ces initiatives fonctionnent grâce à l’implication de leurs bénévoles et donc… sont toujours à la recherche de bénévoles.
Sur le projet alimentaire du tiers-lieu, lire aussi le reportage : « LieU’topie met les petits plats dans un grand projet alimentaire pour les étudiants » |
Solidarité : un pas plus loin
Dans les initiatives précédentes, la solidarité s’organise à l’échelle d’un lieu, d’une boutique, d’une cantine. Mais on peut aller plus loin et les voix sont de plus en plus nombreuses à penser, à élaborer et à défendre le concept plus large d’une sécurité sociale alimentaire. Le principe est inspiré de la sécurité sociale, appliquée à l’alimentation, en partant de l’idée qu’elle est aussi nécessaire à tous que l’accès aux services de santé. Il consiste à faire cotiser tous les citoyens, en fonction de leurs revenus, à un « pot commun » qui sera réparti ensuite de façon égalitaire, afin de permettre à tous de se nourrir correctement. Il a aussi l’intérêt d’être pensé pour favoriser un fonctionnement démocratique et un choix partagé des modèles agricoles et sociétaux. Et de contribuer à une rémunération plus juste des agriculteurs, dans la mesure où les ménages disposeraient d’un budget alimentaire dédié.
Des chercheurs, des associations, des producteurs et autres acteurs travaillent à affiner le concept, qui nécessite d’être expérimenté pour valider des choix viables et équitables. Entre autres expérimentations en France (et ailleurs), il en existe une dans le Puy-de-Dôme : Soli’doume.
Lire sur ce sujet le reportage : « Soli’doume veut engager le territoire dans la solidarité alimentaire » |
Comme son nom l’indique, elle est appuyée sur la monnaie complémentaire locale : une originalité qui permet de combiner la solidarité avec les ménages ayant peu de ressources et avec les producteurs en proximité.
Bien entendu, pour que le système fonctionne, il nécessite que des consommateurs plus aisés acceptent de jouer le jeu, de s’inscrire dans le dispositif et de mettre un peu plus au « pot commun » que ce qu’ils vont récupérer. Voilà une façon très concrète de montrer que les « bobos écolos des villes » ne sont pas d’irréalistes Yaka-Fokon qui cultivent l’entre-soi et se cachent pour dévorer de la pâte à tartiner aux noisettes dopées à l’acétamipride. Car vous n’êtes pas comme ça, n’est-ce pas ?
Suite et fin dans notre prochain article : « Comment soutenir l’agriculteur en citoyens » |
Reportage (texte et photos) Marie-Pierre Demarty, réalisé durant l’été 2025. À la une : Frigo solidaire et vente à prix libre devant le tiers-lieu étudiant LieU’topie.
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