Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
La loi EGAlim impose à la restauration collective publique, depuis le 1er janvier 2022, de servir au moins 50% de produits “durables et de qualité”, dont 20% de produits bio. En théorie.
Dans la pratique, deux ans après son entrée en vigueur, on est loin du compte. Pour 2022, les statistiques indiquent une moyenne de 27,5% de durable et 13% de bio, et encore ces chiffres ne concernent-ils que les cantines qui remplissent leur télédéclaration annuelle, soit environ 13%. Pour 2023, ce devrait être un peu mieux, mais à peine.
Ces 50% sont calculés sur le prix et non sur le volume, ce qui laisse de la marge pour acheter des produits pas chers et pas bons. Quant aux 30% de “durable et de qualité” non bio (entendez : label “Haute Valeur Environnementale” ou HVE, label rouge, indications ou appellations d’origine protégée principalement), ils sont moins regardants que le bio, avec autorisation d’utiliser toutes sortes de pesticides et autres intrants chimiques.
Bref, 20% de bio, c’est vraiment très peu exigeant comme objectif (alors qu’il s’agit quand même de la santé des enfants). Et pourtant on n’y arrive pas.
Mais pourquoi est-ce si compliqué ?
Pour le comprendre, je suis allée à la cuisine. En l’occurrence, j’ai rencontré une cuisinière qui a une vraie volonté de bien faire, et qui a la chance d’être accompagnée. Et encore dans une école de campagne où on pourrait se dire que les bons produits frais sont à portée de commande.
On verra que même dans ces conditions supposées optimales, les obstacles sont multiples. Les choses s’améliorent, mais on n’est pas rendus !
Dans un deuxième article, on verra dans quel cadre Virginie, ses consœurs et confrères des environs d’Ambert ont été soutenus pour progresser vers l’objectif légal.
Mais pour l’heure, on met les pas dans les petites bottes ou les baskets des écoliers de Job et on suit le savoureux fumet de hachis parmentier qui émane du réfectoire…
Marie-Pierre
Ce sont les petits de l’école maternelle qui arrivent les premiers, encadrés par Virginie et Marie-Charlotte. Bottes de caoutchouc colorées et anoraks à capuche, en ce mardi pluvieux. Pas farouches, Natacha la première puis presque tous les autres viennent m’annoncer leur prénom et me demander le mien. Les plus malins me demandent pourquoi je suis avec eux à la cantine.
Le temps que les dames les installent, et voici les plus grands qui viennent occuper les tables – un peu plus hautes – de l’autre salle. Virginie est déjà retournée à la cuisine pour extraire des grands frigos en inox une impressionnante série de plats garnis de carottes râpées au thon encerclées d’une guirlande de rondelles d’œuf dur. Tout a été acheté frais, épluché, râpé, cuit, écalé, tranché le matin même. « Il n’y a que le thon qui est en boîte. On n’en a pas dans la Dore ! », plaisante Virginie en déposant les plats sur les tables roulantes.
« Il n’y a que le thon qui est en boîte.”
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Pour l’entrée, les enfants sont servis à la table, assiette par assiette. Calmes et gourmands, les premiers servis piochent déjà dans la carotte, tout en lorgnant vers mon appareil photo. Le plus proche de moi, que Virginie et ses collègues appellent « le petit prince », me demande si je suis une paparazzi. Un autre pose la question plus timidement à Virginie, qui fait le silence pour me laisser me présenter. « Je suis venue faire un reportage parce que j’ai entendu dire qu’on mange très bien ici. Est-ce que c’est vrai ? » C’est un « oui !!!! » spontané, unanime, enthousiaste qui me répond.
77 couverts
Les assiettes rapidement vidées le confirment, tout comme la clameur de satisfaction, à l’annonce du plat suivant : hachis parmentier. La viande, pour cette fois, ne vient pas de la boucherie Faucher à Vertolaye « parce qu’on n’a pas le droit pour les hachis”, mais les pommes de terre ont elles aussi été épluchées le matin par la cuisinière et les plats sortent tout juste du four. Les plus gourmands se brûlent le palais, mais ont tôt fait de nettoyer leur assiette et de revenir se faire servir une deuxième portion.
“Je servais du bio de temps en temps mais je ne savais pas que c’était obligatoire. »
« C’est vrai qu’on mange bien ici, me dit Marion, qui sert les grands aux côtés de la cuisinière. Je discutais hier avec une maman de La Forie qui trouvait qu’on avait bien de la chance. A la cantine de ses enfants, il y a presque tous les jours des plats lourds, des pâtes, du chili, des choses comme ça. »
Pour faire manger chaque jour d’école les 77 enfants inscrits à la cantine, Virginie Vial met du cœur, de l’énergie, du savoir-faire et de l’enthousiasme à confectionner des repas les plus frais, variés et équilibrés possible. Mais depuis vingt ans qu’elle est en poste à Job, et même avant, lorsqu’elle a commencé comme assistante, elle reconnaît que cela n’a pas toujours été le cas : « Avant l’essentiel, c’était que les enfants aient à manger. Il y a eu des aberrations, mais c’était par ignorance. »
Job, c’est une commune d’un millier d’habitants, près d’Ambert, dont le bourg centre a des allures de petit village de montagne. « Mais la commune est très étendue, il y a beaucoup de hameaux », me précise Virginie. Seule en poste aux fourneaux, elle a d’abord d’elle-même fait évoluer sa cuisine. « J’ai commencé à travailler avec Auvergne Bio Distribution, une plateforme qui est à Combronde. Cela me plaisait qu’ils essaient de se fournir en local. Je servais du bio de temps en temps mais je ne savais pas que c’était obligatoire », évoque-t-elle.
Des histoires de pourcentage
Puis il y a eu ce projet de la communauté de communes d’Ambert Livradois Forez, depuis deux ans, dont elle n’a pas très bien perçu le rôle global. Mais elle s’y glissée avec une belle motivation, allant de découverte en découverte. Ne serait-ce que sur les obligations règlementaires, notamment celles de la loi EGAlim, qui imposent de servir, depuis 2022, au moins 50% de « produits durables et de qualité », dont au moins 20% de bio.
Dans la cantine de Job comme dans l’écrasante majorité des restaurants scolaires, le compte n’y était pas, et de loin. Mais Virginie a été accompagnée pour progresser vers cet objectif. C’est avec Hélène Cadiou, conseillère de l’association Bio 63, qu’elle a travaillé tout cela.
“Je trouve dommage que l’effort sur le local ne soit pas pris en compte.”
« Je savais que je faisais du bio, mais dans quel pourcentage, je l’ignorais complètement, témoigne Virginie. J’ai appris à le calculer. J’ai déjà bien progressé entre 2022 et 2023. Nous avons fait le bilan de l’an dernier : j’en suis à 22% de bio et 9% de durable et de qualité. Mais je trouve dommage que l’effort sur le local ne soit pas pris en compte, car ça me semble important aussi de réduire les distances de transport. »
Peu à peu, la cuisinière a recherché des producteurs locaux, des commerçants à même de diversifier et d’améliorer les menus. Elle les énumère : la ferme de Pradelles, récemment installée à Ambert et en conversion bio pour l’agneau, le veau, les légumes ; la fromagerie L’Ambertoise qui est en HVE, l’épicerie Auvergne Provence pour les fruits et légumes, la boucherie de Vertolaye… Pour un peu, elle en oublierait presque la sympathique boulangerie de Julie, qui se trouve juste de l’autre côté de l’église – « C’est une chance de l’avoir dans le village : elle fait du bon pain et elle se démène », commente Virginie.
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Traquer les étiquettes
Parce que tout cela n’est pas simple, Virginie n’a pas voulu rester isolée dans ces démarches. Comme elle s’entend bien avec ses collègues de Vertolaye et Marat, les communes voisines, les trois cuisinières ont commencé à échanger sur leurs pratiques, à se concerter, se conseiller mutuellement. Puis elles ont voulu aller plus loin. « Vers Noël, nous nous sommes réunies pour envisager de faire des commandes groupées. Nous avons pensé nous adresser à la Ferme de Lucien et depuis, elle nous livre une fois par mois des poulets entiers bio. Le lendemain, c’est poulet pour tous dans les trois cantines ! »
« Pour le bio, c’est simple parce que c’est étiqueté.”
Virginie a aussi appris avec Hélène – et ce n’était pas le plus simple – à compter les produits bénéficiant de labels ou d’appellations et à remplir le formulaire qui permet de justifier ces obligations. Pour cela, il a fallu d’abord identifier les produits. « Pour le bio, c’est simple parce que c’est étiqueté. Mais pour les autres, il faut penser à demander, ce n’est pas toujours marqué. Par exemple Auvergne Provence se fournit en salades chez Grelet, maraîcher qui est en HVE, mais je ne le savais même pas. Et c’est pareil pour les fromages de l’Ambertoise. Dans les fruits c’est plus dur d’acheter du local, ça dépend des années. Mais j’achète des kiwis de l’Adour, qui sont en IGP : ce n’est pas mentionné. Même pour le poisson, j’en prends uniquement avec le label MSC. »
Elle a donc dû faire le tour de ses fournisseurs, en ajouter certains, découvrir comment ils s’approvisionnaient. Puis a pris le pli d’éplucher les factures, car les pourcentages se calculent par rapport au montant des dépenses, pour remplir le formulaire. Des tâches pour lesquelles il a fallu se réorganiser, établir et compléter régulièrement des tableaux.
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Empilage de contraintes
Tout cela en restant dans le budget contraint qui est, à Job, de 3,80 euros par repas et par enfant. « Le bio coûte plus cher, mais j’essaie d’équilibrer. Le jour où ils mangent du poulet, le lendemain je fais des pâtes ou autre chose de pas trop cher. Il faut jongler ! »
Ajoutez les préférences des enfants – « ce qu’ils aiment le plus, c’est la pizza » –, les allergies, un unique enfant végétarien. Et cette autre obligation, qu’elle respecte à la lettre, de servir un repas végétarien par semaine.
“Les enfants m’ont dit ‘plus jamais tu nous fais ça !’ J’ai tout jeté…”
Mais pour cela, elle a pu recevoir une formation dans le cadre du projet de la communauté de communes. « Travailler le végétal, on n’a jamais appris et ce n’était pas facile de s’y mettre. Il faut que ce soit mangeable ! », reconnaît-elle. Le souvenir de ses premières tentatives la font encore rire : “J’ai essayé les saucisses, ou plutôt l’égrené végétal. Les enfants m’ont dit ‘plus jamais tu nous fais ça !’ J’ai tout jeté… C’est qu’ils sont spontanés ! »
Mais elle s’est bien améliorée depuis, notamment grâce à ce stage qui a été organisé dans sa cuisine, où sont venus les cuisiniers et cuisinières des établissements alentours volontaires, y compris les collèges et lycées. « On était tous un peu perdus avec ça. Nous avons préparé des recettes et nous les avons goûtées. C’est compliqué d’équilibrer en végétal, surtout les protéines. Franchement je n’y arrive pas toujours mais ça vient avec le temps », raconte-t-elle.
Le rêve de Virginie
Ce qui vient progressivement aussi, c’est la façon dont ces plats sont reçus. Par les enfants d’abord : « le plus compliqué, c’est d’arriver à leur faire goûter. Une fois qu’ils ont goûté, ils peuvent aimer. »
Il a fallu aussi un peu de temps aux parents pour s’y faire : « ce n’est pas entré dans les habitudes. Au début ils n’étaient pas trop pour. Ils pensaient que j’allais leur faire manger des graines… Mais finalement ils voient que ça se passe bien. »
“Ce serait chouette. Et ça aiderait aussi les producteurs. »
A cette heure de l’après-midi, redevenue calme dans la cantine, où Virginie me détaille les étapes de cette évolution, je lui demande, pour conclure, ce qui lui manque pour continuer à progresser. « Une plateforme collective de produits locaux à Ambert, ce serait top. Quitte à ce que tous les établissements mangent pareil ! On en parle, mais il y a du travail, on va y venir doucement… Quand même ce serait chouette. Et ça aiderait aussi les producteurs », insiste-t-elle.
Elle hésite à aller plus loin, mais finit par confier : « ce serait un gros morceau, mais j’adorerais que se crée une cuisine centralisée, pour travailler à plusieurs. Mais ça, c’est plus un rêve… »
Reportage (texte et photos) Marie-Pierre Demarty, réalisé le mardi 26 mars 2024. Photo à la une : dans le réfectoire des grands de l’école primaire, après le premier service de hachis Parmentier.
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