Pour toucher les publics, le CPIE Clermont-Dômes va « là où on ne nous attend pas »

Sensibiliser et accompagner au changement de pratique, mission principale du Centre Permanent d’Initiatives à l’Environnement (CPIE), implique d’aller au-devant des habitants. Rencontre avec quatre de ses dirigeants sur le site de Theix, près de Clermont


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Ressenti de l’auteur

Suite et fin de la mini-série sur la sensibilisation à l’environnement dans le Puy-de-Dôme (même s’il reste beaucoup de structures à rencontrer !) avec cet article sur le CPIE Clermont-Dômes. Il complète l’entretien avec Emilie Barat-Duval du REEA (Réseau Education à l’Environnement Auvergne) publié samedi dernier, et j’espère qu’ils vous donneront un aperçu de ce petit écosystème de personnes et de structures engagées … et qui cherchent à tenir bon, malgré les difficultés à toucher tous les publics voulus ou en dépit des réductions d’aides publiques.

A Theix, le site est souvent connu des parents puisque beaucoup de scolaires sont passés suivre des animations nature au CPIE. Il faut dire que l’endroit est magnifique, très proche de Clermont mais à la porte de la chaîne des Puys. Je vous encourage sincèrement à aller voir l’équipe du CPIE qui fête ses 20 ans le samedi 10 juin, l’évènement dure toute l’après-midi et il est libre d’accès.

Damien

Les principaux points à retenir

  1. Le CPIE Clermont-Dômes ressemble aux autres CPIE par ses actions d’éducation à l’environnement pour le grand public, mais se distingue par une volonté forte d’accompagner les acteurs du territoire sur les sujets écologiques au changement de pratiques.
  2. Pour le grand public, il s’agit de nombreuses formations comme celle des « Ambassadeurs de la biodiversité » qui permet aux bénéficiaires d’initier leurs propres actions. Il y a aussi l’accueil de scolaires, l’animation de temps forts tels des conférences et la présence dans des événements tiers, sur l’écologie ou plus éloignés – ce qui s’appelle le « maraudage pédagogique » : c’est le bon moyen, selon les responsables du CPIE, de toucher des publics a priori peu intéressés.
  3. Le travail avec les structures du territoire peut passer par des conventionnements, comme avec le Valtom sur les déchets alimentaires, mais aussi par des prestations avec des gestionnaires d’autoroutes ou des acteurs industriels qui ont besoin de renaturer des sites en voie de fermeture. Cependant, certaines de ces conventions posent de vrais problèmes éthiques aux membres du CPIE, et sont l’objet de nombreux débats sur la frontière entre pédagogie, action terrain et militantisme… tout en représentant, potentiellement, un revenu non négligeable pour la structure.
  4. Enfin, de nombreuses initiatives du CPIE se heurtent à la temporalité longue des collectivités. Un exemple est cité pour illustrer ce point, celui de l’échec d’une stratégie de déploiement de récupérateurs d’eau de pluie en 2020. Néanmoins, les responsables du CPIE sont convaincus du bien-fondé de leur action et de la nécessité de la poursuivre, quitte à ce que les collectivités les rejoignent en aval.

La structure : le CPIE (Centre Permanent d’Initiatives à l’Environnement) Clermont-Dômes

Association puydômoise proposant des animations grand public pour sensibiliser à l’environnement, et accompagnant les acteurs publics et privés du territoire

Le CPIE est issu de la fusion de deux associations d’éducation à l’environnement – notamment dédiées aux jeunes : « Espace et Recherche » et le « Centre de l’Education pour l’Environnement ». Au début des années 2000, un projet de la ville de Clermont en faveur du développement d’actions de sensibilisation à vu le jour sur le site de Theix, et a favorisé ce rapprochement. Le soutien de la ville est donc fondateur pour le CPIE.

Aujourd’hui, le CPIE anime donc ce site de 24 hectares qui comprend un local de 9000 mètres carrés incluant de l’hébergement, des chalets, et pouvant donc accueillir des scolaires pour des séjours longs. L’entretien en est assuré par la ville de Clermont.

Le CPIE Clermont-Dômes compte 14 salariés en 2023. L’association bénéficie du label CPIE depuis 2003, décerné par plusieurs ministères – environnement, éducation et agriculture. Il s’inscrit dans le mouvement national des CPIE, qui existent en France depuis 1972 – le premier en Auvergne étant celui du Cantal.

Son action se répartit entre l’éducation à l’environnement et l’accompagnement des acteurs du territoire. Entre 2015 et 2019, le CPIE a aussi géré un centre de loisirs à Chadieu, au sud de Clermont, repris depuis par la communauté de communes Mondarverne.

Enfin, le conseil d’administration du CPIE Clermont-Dômes compte bien sûr la ville de Clermont, également le Parc Naturel Régional des Volcans d’Auvergne, la Métropole, ou encore le Valtom. L’association compte une centaine d’adhérents, principalement des individus et quelques personnes morales comme Panse Bêtes, la LPO, le CISCA…

Visiter le site web du CPIE Clermont-Dômes
Crédit visuel : CPIE Clermont-Dômes

Information sur notre prochain événement

Les intervenants de cet échange :

  • Benoît Fabre – responsable pédagogique
  • Stephan Oleszczynski – directeur adjoint, chargé de la vie associative et de la communication
  • Laurent Thevenon – directeur administratif
  • Gilles Voldoire – président

Votre axe « historique » est l’éducation à l’environnement. Est-ce le cas de tous les CPIE en France ?

Gilles : c’est en effet notre vocation première. Mais ça ne concerne pas forcément les nombreux CPIE sur le territoire national. Certains ont des dimensions plus sociales, d’autres sont des centres d’hébergement ou se focalisent sur la gestion de sites à travers des maisons de la nature, par exemple. 

Au CPIE Clermont-Dômes, nous cherchons à éduquer, animer et – désormais – accompagner les acteurs du territoire sur les sujets écologiques. Nous proposons également des activités pour le grand public.

« Nous cherchons à éduquer, animer et – désormais – accompagner les acteurs du territoire sur les sujets écologiques. »

Gilles Voldoire

Benoît : je dirais que l’on fait de la diffusion de connaissances, de la transmission de savoir. Parce qu’on ne peut pas questionner les gens sur leurs pratiques si on ne leur fait pas comprendre les mécanismes du dérèglement climatique, et l’impact au niveau des ressources. Donc, au-delà de la sensibilisation, nous accompagnons au changement de pratiques.

Lire l’entretien : Selon Emilie Barat-Duval, l’éducation à l’environnement peut cibler les adultes comme les scolaires

Avez-vous des exemples de ce type d’action auprès du grand public ?

Stephan : suivant le principe selon lequel « on ne protège bien que ce que l’on connaît », nous proposons des formations Ambassadeurs de la biodiversité. L’idée est que les bénéficiaires puissent concrètement mettre en place des actions dans leur entreprise, leur commune, ou chez eux, et surtout de manière collective.

Laurent : cette formation est destinée au grand public, elle n’est pas faite pour les pros. On espère que les participants gagneront en confiance pour conduire eux-mêmes des actions.

« On ne peut pas questionner les gens sur leurs pratiques si on ne leur fait pas comprendre les mécanismes du dérèglement climatique, et l’impact au niveau des ressources »

Benoît Fabre

Stephan : l’efficacité est variable, au bout du compte. Mais cela permet toujours de créer un groupe d’ambassadeurs, de faire travailler les gens ensemble et de créer des liens entre structures. Chacun y apporte sa pierre. Je suis convaincu qu’il faut faciliter ce changement de paradigme, cet éveil des consciences, pour aider au passage à l’acte. Quels que soient les moyens employés.

Le site de Theix, que l’on voit sur cette photo, accueille régulièrement des scolaires pour de nombreuses animations nature. Il permet d’accéder facilement au plateau de la chaîne des Puys / Crédit photo : CPIE Clermont-Dômes (DR)

Et au niveau des structures du territoire, qu’avez-vous pu mettre en place ?

Gilles : le travail avec le Valtom est un bon exemple. Nous avons conventionné avec eux sur des interventions en milieu scolaire autour des déchets alimentaires – c’est l’opération « 00Reste ». Nous allons également accompagner des foyers témoins sur la réduction de ce type de déchets, et nous animerons des actions dans des jardineries. Mais ce type de convention n’est pas forcément dans l’ADN des CPIE.

Lire l’entretien : Emmanuelle Pannetier travaille sur l’économie circulaire car « c’est au niveau territorial qu’on aura le moins d’impact »

Stephan : nous avons conscience que cela peut poser des questions par rapport à nos statuts ou à nos valeurs. Mais c’est aussi un angle de réflexion sur nos métiers ! Si on veut vraiment donner du sens à ce que l’on fait, il faut toucher des publics lointains, voire opposés.

Justement, comment aller au contact de ces publics peu sensibilisés ?

Stephan : c’est l’objet du « maraudage pédagogique ». On se déplace dans un endroit où on ne nous attend pas, comme un salon thématique, une foire, un marché. C’est une vraie démarche d’éducateur ! A l’inverse, quand on invite des gens chez nous, même sur un sujet polémique comme le retour du loup, certaines personnes qui ont des visions a priori opposées – chasseurs, agriculteurs – ne viennent pas.

Laurent : par exemple, au salon de la pêche, nous avons un stand. Nous y apportons des éléments de connaissance sur des sujets qui toucheront le public du salon. En janvier 2023, on y parlait ambroisie, maladie de Lyme. Cela peut intéresser une partie des 20 à 30 000 visiteurs qui viennent, à la base, pour voire des bateaux ou du matériel ! Ca fait partie de leur quotidien, et ce sont même des questions de santé publique.

Gilles : il y a un vrai débat en interne sur la frontière entre accompagnement des acteurs locaux, éducation et militantisme. Je suis convaincu qu’il faut aller plus loin que ce que l’on fait déjà, mais sans pour autant participer à des manifs place de Jaude. 

« Le Grand Défi Biodiversité » est un événement organisé par le CPIE et qui s’est tenu à Randan. Il a permis de toucher des publics sur un périmètre plus éloigné de Clermont / Crédit photo : CPIE Clermont-Dômes (DR)

Quel positionnement adoptez-vous vis-à-vis du monde économique ?

Stephan : on se pose d’abord la question de la sincérité de la démarche. Le risque de greenwashing n’est jamais loin… On doit donc garder un esprit critique. Mais aussi agir en lien avec notre objet social, et nos sensibilités personnelles.

Gilles : par exemple, j’ai appris que la fédération française de golf souhaitait labelliser ses sites au niveau de la biodiversité. Ce point a fait débat chez nous ! Pour moi, c’est une opportunité d’accompagner la prise de conscience de structures privées. Sur Charade et Orcines, par exemple, les superficies concernées sont immenses – souvent plusieurs centaines d’hectares.

« Si on veut vraiment donner du sens à ce que l’on fait, il faut toucher des publics lointains, voire opposés. »

Stephan Oleszczynski

Dans le même état d’esprit, le golf de Vichy – qui est en pleine ville – veut remettre en végétation des parties importantes de ses parcours. Si nous les accompagnons dans cette démarche, on aura fait plus que de l’éducation, on aura apporté un vrai plus pour la biodiversité.

Stephan : nous pouvons aussi travailler sur des remise en état d’anciens sites industriels, ou d’inventaires de faune et de flore. Laurent Longchambon, qui fait partie de l’équipe de direction mais qui est aussi naturaliste, peut réaliser l’état des lieux des batraciens présents sur un site – ce qui peut être une obligation pour certains investissements.

Laurent : à l’inverse, nous avons choisi de ne pas suivre la demande d’Imerys, la société qui a un projet de carrière de diatomite sur le site de la Nouvialle, dans le Cantal. Il y a une zone humide parfaitement fonctionnelle et naturelle qui serait détruite – malgré le classement Natura 2000 du secteur. Ils nous ont demandé un état des lieux des espèces animales à déplacer et à « compenser ». Pour nous, ce projet ne fait pas sens avec notre objet social. Même si on ne peut pas l’empêcher.

Stephan : au final, ces prestations d’accompagnement prennent une place importante dans notre modèle économique. C’est le cas avec l’exploitant autoroutier APRR, pour lequel nous faisons de la conservation des espèces, de la gestion des abords de chaussée et des rivières longées par la route… Mais nous ne pilotons pas les opérations sur place. Néanmoins, ces contrats, qui dépassent le cadre du département, peuvent courir sur 10 à 30 ans ! 

Sortie nature grand public organisée par le CPIE / Crédit photo : CPIE Clermont-Dômes (DR)

Cette orientation récente sur l’accompagnement a-t-elle un impact sur votre organisation ?

Gilles : en termes de gouvernance, oui, puisque nous avons créé un pôle dédié à l’accompagnement des territoires. Nous y travaillons en direction des collectivités, mais aussi du monde des entreprises que l’on connaissait mal.

Stephan : du côté des collectivités, nous avons notamment aidé à la mise en place d’Agendas 21 dans certaines communes du département. Nous avons aussi accompagné le Projet Alimentaire Territorial du Grand Clermont, et nous avons travaillé avec des collèges locaux sur les améliorations en cantine pour réduire le gaspillage alimentaire.

« Les politiques (…) vont finir par nous suivre, et même passer en tête du train. »

Laurent Thevenon

Enfin, nous avons deux conventions avec l’Autorité Régionale de Santé : une sur la maladie de Lyme et l’ambroisie – nous avons par exemple organisé une exposition sur ce thème à Thiers, avec de la sensibilisation en direction du grand public et des techniciens de collectivités. L’autre convention porte sur l’information quant aux enjeux de la qualité de l’air intérieur.

Mais il ne faut surtout pas opposer l’éducation et la sensibilisation aux actions concrètes de protection, et aux aménagements. Tout est complémentaire, et même nécessaire tellement les enjeux et les publics sont différents ! Encore une fois, une action terrain – sur la biodiversité, par exemple – sans explication ne sert à rien.

Les particuliers sont invités à de nombreuses formation, par exemple celle du BAFA, d’autres sur le jardin, les mammifères sauvages ou encore (ici) la rivière Allier / Crédit photo : CPIE Clermont-Dômes (DR)

Le travail avec les collectivités est-il efficace ?

Laurent : pas toujours, à cause du temps de prise de décision politique… qui peut être très long ! On a ainsi connu un échec sur un petit projet, celui de mise en place de récupérateurs d’eau de pluie. Je résume : comme pour les composteurs fournis par le Valtom – et pour lesquels nous avons assuré la formation des utilisateurs – nous aurions aimé déployer le même dispositif avec des cuves de récupération d’eau. Cela avait été fait au niveau très local, comme à Chamalières, mais pas encore étendu.

Nous avons donc lancé en 2020 la démarche auprès de la Métropole et du Conseil Départemental, avec une sollicitation en parallèle de l’Agence de l’Eau Loire-Bretagne. Le projet incluait la fourniture du matériel, la distribution et l’installation, et la formation des utilisateurs, notamment sur la prolifération du moustique tigre.

Lire l’entretien : « Il y aura moins d’eau, et on sera forcé de s’y adapter », prévient Cyril Bessey

Hé bien, cela n’a pas fonctionné ! Car aucune collectivité ne voulait porter ce co-financement. « Ce n’est pas dans nos objectifs », nous avait-on dit à l’époque. Ou bien « d’accord mais pour un coup d’essai », sans aller plus loin. Parfois, le I de CPIE – pour Initiatives – n’est pas facile à mener au-delà de l’idée. Mais je suis têtu, je sais que l’on doit continuer ce qu’on a commencé à faire. Les politiques à la traîne vont finir par nous suivre, et même passer en tête du train. Même si ce n’est pas forcément eux qui ont l’idée au départ.

Ressources complémentaires proposées par Laurent :
Comprendre – Les classiques que sont Le vieil homme et la mer, Et au milieu coule une rivière ou le plus inattendu Les poissons et moi de Pierre Perret : « Ils aident à comprendre que l’homme doit être au milieu de la nature » selon Laurent

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Propos recueillis le 21 mars 2023, mis en forme pour plus de clarté et relus et corrigés par l’équipe CPIE. Crédit photo de Une : Damien Caillard, Tikographie