Carnet de voyage 2080 : ma traversée rêvée du 63

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

La Limagne aujourd'hui
À quoi ressemblera notre territoire du Puy-de-Dôme en 2080 ? Je suis allée l’explorer. Alors que s’ouvre à Clermont le Rendez-vous du Carnet de voyage, voici en exclusivité celui de ma grande traversée du temps et du département. Bonne nouvelle : ce sera devenu un endroit de rêve !

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Vous l’avez peut-être remarqué : de temps en temps, je m’autorise un peu de créativité dans mes articles. Et tout particulièrement au moment du Rendez-vous du Carnet de voyage.

Ayant été longtemps une voyageuse régulière, curieuse et autant que possible respectueuse des pays visités et des personnes rencontrées, j’en ai parfois la nostalgie. Car ma répugnance à m’agiter dans tous les sens et surtout dans le sens des émissions de polluants et de gaz à effet de serre, ainsi que diverses circonstances dépendant ou non de ma bonne volonté, m’ont fait poser mes bagages et me faire plus ou moins disciple d’un illustre compatriote… qui nous souffla à l’oreille que « tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. » (Des femmes aussi sans doute, mais à l’époque de Blaise Pascal, on leur faisait comprendre que tout leur bonheur était de demeurer dans une cuisine.)

Bref, quand on ne voyage pas, on peut sans trop de problème s’évader par l’imaginaire, ou apprendre à se laisser surprendre par toutes les merveilles et rencontres qu’on peut faire autour de chez soi.

La créativité a ceci de fertile qu’elle peut nous faire voyager dans le temps, nous téléporter dans l’espace, nous propulser à grande vitesse sans une once d’énergie fossile et embellir tous les instants du quotidien.

Petite démonstration ci-dessous.

Marie-Pierre

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • Du Forez au Sancy en passant par la Limagne et les alentours de Clermont, j’ai traversé le département en me télépropulsant en 2080 : à cette période, le climat aura changé mais une réorganisation profonde nous aura permis de conserver un territoire agréable pour les humains et vivable pour les autres vivants. J’en reviens avec un carnet de voyage en 11 étapes et d’étonnantes rencontres.
  • Le voyage se fait à pied, à vélo, en taflu, en rosalectrique, en petite camionnette, en omnibus. Vous allez découvrir les moyens de déplacement du futur et ce ne sont pas des avions supersoniques. Laissez-vous transporter à un rythme où vous avez le temps d’admirer le paysage.
  • Quartier d’habitats légers et d’artisans-réparateurs, permaculture en Limagne, réserve intégrale dans le Sancy… Est-ce un pays de rêve ou un pays en rêve ?

Ceux qui me connaissent le savent : je suis nulle en bricolage. Mais comme j’aime les défis, je me suis quand même lancé celui de fabriquer une machine à remonter le temps. C’était presque au point, mais ça n’a pas loupé, il y avait un petit défaut de construction. Au moment de la tester, je n’ai pas remonté le temps ; je l’ai descendu !

C’est ainsi que je me suis retrouvée en 2080, le temps d’une incroyable traversée. De retour dans notre chère époque, j’en ramène un carnet de voyage qui va vous stupéfier. Les préceptes et bonnes pratiques pour faire face aux dégradations de l’environnement ayant été appliquées radicalement, en 55 ans le paysage a tellement changé que j’ai dû recourir, pour identifier les lieux visités, aux repères de la longitude et de la latitude.

Dernier détail : comme je n’ai pas emporté mon appareil photo dans ma visite du futur, j’ai pris le parti de montrer les lieux tels qu’ils sont aujourd’hui. Le contraste est intéressant.

La forêt nature

45°48’37.7″ Nord / 3°39’43.6″ Est

Les plantations mono-espèce ont laissé la place à des forêts mélangées où le cèdre a fait son apparition.

« Une quoi !!?! » Cet air effaré, ces yeux exorbités par l’incrédulité, je les ai vus sur tous les visages, lorsque j’ai parlé de plantations d’arbres, de futaies régulières et mono-espèces et encore plus de coupes rases. Manifestement, ce vocabulaire a complètement disparu et dans ce groupe de forestiers que j’accompagnais à mon arrivée en 2080, personne n’avait idée de ce à quoi ça pouvait bien ressembler.

Nous étions dans une belle forêt de cèdres, de sapins, de charmes et de chênes, de tous âges. Et je m’étonnais de ce mélange, surtout à cette altitude. Mais on m’a expliqué que c’étaient les essences les plus courantes. Un vieux bûcheron s’est souvenu avoir entendu parler des épicéas, mais ils avaient totalement disparu, ravagés par des scolytes. Les douglas, c’était plus récent, on en trouvait encore. Quant aux hêtres, disparus aussi : on ne les trouvait plus que dans les Alpes, aux plus hautes altitudes.

Pas de chasse, pas d’attaques de troupeau.

Cette forêt que nous traversions était splendide et agrémentée d’une incroyable symphonie de chants d’oiseaux. À un moment, on a rebroussé chemin. Notre guide avait repéré une meute de loups qu’il ne fallait pas déranger. Le respect de la faune sauvage était la condition du pacte passée avec elle. Pas de chasse, pas d’attaques de troupeau. Pas d’attaques, pas de chasse. Ici comme ailleurs, on avait fini pas s’entendre entre grands prédateurs. D’ailleurs, l’humain quasi végétarien pouvait-il encore être classé dans les grands prédateurs ?

Les jardins-forêts de Limagne

45°58’18.5″ Nord / 3°12’37.6″ Est

Ici désormais, une zone luxuriante en permaculture où s’activent des centaines de personnes.

Du Forez, on m’a envoyée dans la plaine, en deux jours de marche, accompagnée par un guide sympathique nommé Après. Mais où est passé le maïs ? Je ne reconnais plus la Limagne que je connais, avec ses champs à perte de vue.

Me voilà dans une zone luxuriante où s’activent des centaines de personnes. Entre les haies qui quadrillent le paysage, les petites parcelles accueillent des multitudes de cultures où se mêlent les légumes et les arbres fruitiers, les fleurs, les arbustes à petits fruits, les plantes grimpantes, les céréales… Des moutons façonnent les allées, des poules contiennent la prolifération des limaces et des gens désherbent, sèment, sarclent, taillent, binent, récoltent, cueillent un peu partout.

« Avec ce système du service agricole obligatoire, on a résolu les problèmes de malbouffe. »

On m’explique que le principe de la forêt-jardin en permaculture a été instauré il y a une quinzaine d’années et que chaque citoyen est tenu d’offrir 3 heures par semaine de travail dans les champs, pour permettre aux fermes d’être viables et de nourrir la population locale. « C’est extra, me confirme un informaticien tout en éclaircissant un rang de légumes divers. Ça permet de faire de l’exercice et d’être un peu au grand air. Et à chaque fois que tu fais tes trois heures, tu peux repartir avec un lot de légumes de saison. » Sa voisine de jardinage, interrompant sa récolte de petit pois, confirme les avantages : « Avec ce système du service agricole obligatoire, on a résolu les problèmes de malbouffe. Ma grand’mère me raconte des histoires incroyables sur les aliments industriels, les additifs chimiques, les pesticides, les quick-food… Non, comment ça s’appelait… les fast-food, c’est ça ? On a un peu oublié. »

À mesure que j’avance, je croise des transporteurs, munis de leur petite carriole à bras, qui me font goûter des abricots gorgés de soleil, des fraises, des tomates. Je ne peux m’empêcher de penser qu’on a réinventé le pays de Cocagne.

Les taflus de l’Allier

45°47’47.5″ Nord / 3°15’30.2″ Est

Sur l’Allier, des gabarres et des taxis fluviaux.

« Viens, on va prendre un taflu », m’a proposé Après pour la suite du voyage. Voyant mon regard interrogateur, il a précisé que c’était l’abréviation courante pour « taxi fluvial ». Nous avons embarqué à la station Crevant-Maringues et nous nous sommes laissés transporter sur la petite barge silencieuse jusqu’au grand port fluvial de Pont-du-Château.

« Ooooh, Paris, pour ce qu’il en reste… »

C’est devenu un quartier haut en couleur où l’on décharge ou embarque des tas de marchandises sur les gabarres électriques. J’ai eu le temps d’admirer l’habileté des dockers à empiler les cagettes de fruits et légumes, de fromages, d’ail, de lainages et de vêtements outdoor, de roues de charrettes, de vin et d’huile d’olive, de couteaux. J’ai naïvement demandé si tout ça était expédié à Paris. « Ooooh, Paris, pour ce qu’il en reste… ça ne risquerait pas de nous nourrir », m’a dit d’un air énigmatique une gabarrière.

J’ai appris que les taflus remontaient au moins jusqu’à Vic-le-Comte, parfois jusqu’à Issoire par débit favorable. J’aurais bien poursuivi par le même moyen, mais Après m’a doucement tiré par la manche pour me faire prendre la direction de Billom, que nous avons atteint à pied en une petite demi-journée.

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Enfin la Toscane

45°43’22.4″ Nord / 3°19’11.2″ Est

La Toscane auvergnate mérite enfin son surnom.

J’ai beau avoir grandi dans le Billomois et rester attachée à ce coin, j’ai toujours eu du mal à trouver légitime son surnom de Toscane auvergnate. Certes, il y a des collines. Mais ensuite ? Où est le duomo de marbre ? Où sont les Michel-Ange au coin des rues ? Les tours qui penchent ?

Eh bien cette fois, en arrivant aux abords de la petite cité médiévale, j’ai enfin vu la Toscane. Car ses alentours sont métamorphosés aussi sûrement que s’ils s’étaient préparés pour une fête costumée à thème « Renaissance italienne ».

C’est le vacarme des cigales qui nous accueille.

Le changement climatique (sinon quoi d’autre ?) a produit ses effets sur les ex-coteaux secs et les Turlurons sont désormais couverts de vignes dans les parties protégées et d’une garrigue délicieusement odorante partout ailleurs. Le thym et l’origan, le romarin et surtout les touffes de lavande embaument, rivalisant avec des citronniers et orangers qui commencent à fleurir. Les cyprès jalonnent le paysage. Et depuis les buissons de cade et de chênes kermès, c’est le vacarme des cigales qui nous accueille.

En quelle langue va-t-on me parler sur le marché ? Et l’Angaud est-il devenu l’Arno ? Je crains d’avoir des hallucinations ; la fatigue de la marche sans doute. Justement, c’est lundi. J’ai flâné sur le marché toujours fourmillant de vie et d’échanges, pendant que mon compagnon de route honorait un rendez-vous.

Après, Après devait m’emmener à Clermont. Nous y sommes entrés par le moyen d’une petite carriole et par un quartier que je ne risquais pas de reconnaître.

Répare-Ville au Brézet

45°46’51.8″ Nord / 3°07’54.7″ Est

Une grouillante périphérie d’habitats légers et de petits ateliers de réparation.

La zone du Brézet s’est littéralement métamorphosée. Elle est devenue une grouillante périphérie construite en habitats légers de toutes formes, en paille, en bois, en toile. Tiny houses et roulottes cossues, maisons-figues et maisons-champignons, yourtes et paillourtes, fustes trapues et cabanes joufflues, élégantes tentes et constructions inventives donnent au quartier des airs joyeux de village des Schtroumpfs.

L’animation y est constante car elle est parsemée d’une multitude de petites échoppes d’artisans qui ont valu au Brézet, m’informe Après, son surnom de Répare-Ville. Car ici on retape, on raccommode et on répare à peu près tout : les chaussures et les téléphones, les ordinateurs et les montres à gousset, le petit électro-ménager et les vêtements troués, les vélos-cargos et les machines agricoles, les transistors, les brosses à dent, les stylos-rollers à réservoir rechargeable, les jouets, les livres, les instruments de musique, les meubles, les lampes, les ustensiles de cuisine, les lunettes, les sèche-cheveux… J’ai regardé œuvrer quelques-uns de ces orfèvres du bricolage. Ils sont d’une dextérité folle. Ils vous remettent à neuf n’importe quoi et récupèrent les pièces endommagées pour les transformer en autre chose à destination d’un autre appareil cassé. Rien n’est perdu.

Ils vous remettent à neuf n’importe quoi et récupèrent les pièces endommagées.

Et pas plus aux petits étals de nourriture de rue qui laissent planer au-dessus de toute cette effervescence des effluves alléchantes de fritures croustillantes et de bouchées aux légumes vapeur, autour desquels diverses volailles picorent les épluchures et nettoient les rues de tout détritus en échange du don de leurs œufs.

Sillonnant les rues et allées, toutes sortes de micro-véhicules à pédalier livrent et délivrent les objets et colis. Quelques plus rares camionnettes et triporteurs électriques transportent les marchandises plus lourdes ou en plus longues distances, stationnent ici ou là pour décharger leurs denrées ou recharger leurs batteries, arborant bien en évidence leur autorisation de circuler.

Nous avons récupéré à la C-station deux bicyclettes antiques millésimées 2025 (ça m’a fait sourire) pour continuer notre chemin.

La prairie de Jaude

45°46’35.0″ Nord / 3°04’55.9″ Est

Sur toute la surface de la place, l’herbe nous arrive à la taille.

Car nous n’étions pas tout à fait arrivés à destination. Quand Après m’a annoncé qu’on allait à la prairie de Jaude, j’ai pensé à un chouette bistrot écolo, ou à une résidence pour personnes aisées. Mais nous étions bel et bien à Jaude. Place de Jaude.

Heureusement que Vercingétorix n’a pas bougé, car le reste de la grande esplanade est méconnaissable. Sur toute sa surface, l’herbe nous arrive à la taille. En ce mois d’avril déjà très chaud, elle est couverte de fleurs : coquelicots, reines des prés, boutons d’or et bleuets ondulent sous le petit vent qui s’immisce par la rue Blatin. À part le tramway et les fauteuils roulants tout-terrain, aucun véhicule ne circule. Des allées fauchées plus basses permettent de circuler à pied et s’élargissent à intervalles réguliers pour permettre aux gens de s’installer en groupe ou d’étaler la nappe d’un pique-nique.

Nous avons passé la soirée à papoter, allongés dans l’herbe.

Nous avons laissé les vélos en tas, sur ce qui devait être autrefois le début de l’avenue des Etats-Unis. J’ai ri en voyant intacts le théâtre pourtant si désuet, et les galeries de Jaude, qui ont retrouvé leur nom d’origine. Mais pas leur fonction : ils ont été transformés en un grand tiers-lieu, temple de la créativité.

Nous avons passé la soirée à papoter, allongés dans l’herbe. Nous avons chanté et dansé. Ça m’a paru insensé de pouvoir rester en T-shirt jusque tard dans la nuit.

J’ai sympathisé avec une jeune journaliste prénommée Descendence. Elle m’a conviée à l’accompagner dans son prochain reportage, le lendemain. J’ai accepté avec bonheur et elle m’a hébergée pour la nuit.

L’éco-banlieue d’Orcet

45°42’32.3″ Nord / 3°10’37.9″ Est

Les anciennes clôtures n’existent plus, le goudron des rues et des allées non plus.

Descendence habite un joli quartier de la banlieue, vers Orcet, que j’ai découvert le lendemain. Il est constitué de petites maisons basses, qu’on devine avoir été autrefois la structure uniforme et impeccablement alignée d’un lotissement. Mais un lotissement pour ainsi dire upcyclé. D’abord parce qu’on y a construit des extensions à la fois dans le sens horizontal, pour rendre les pavillons mitoyens sur toute la longueur des rues, et dans le sens vertical, en ajoutant un ou deux étages aux constructions originellement de plain-pied.

La densité des arbres, arbustes et pergolas forme un merveilleux cocon de fraîcheur.

Grâce à une très performante isolation acoustique et thermique, chaque logement organisé sur deux niveaux, avec petites terrasses dans des renfoncements irréguliers, forme comme un cocon douillet et discret, mais enserré dans la communauté du voisinage.

Les anciennes clôtures n’existent plus, le goudron des rues et des allées non plus. De sorte que le quartier donne l’impression d’avoir été implanté dans un vaste jardin où la densité des arbres, arbustes et pergolas forme un merveilleux cocon de fraîcheur protégeant des insupportables canicules estivales. Des mares y ajoutent une humidité rafraîchissante et une piscine naturelle, collective, a remplacé la multiplicité des bassins individuels à la chloration chimiquement douteuse.

J’ai dormi comme un loir.

« Diversité linguistique et diversité biologique »

Pour cette 53ème Rencontre Tikographie, nous sortons de notre cadre traditionnel et explorons le lien entre culture et nature à travers le langage.

Mardi 4 novembre (17h-19h) à la librairie des Volcans à Clermont – tous publics, gratuit et en accès libre

La vallée des pommes

45°40’25.9″ Nord / 3°06’27.1″ Est

Les coteaux ont été entièrement replantés de vergers.

Le lendemain, nous sommes parties en rosalectrique. Heureusement, il fait chaud et nous n’avons pas eu à attendre trop longtemps que la nôtre se remplisse, car notre destination est idéale pour aller profiter de la nature et de la fraîcheur des montagnes. Une fois les huit passagers de notre rosalie installés, nous avons pédalé de conserve en direction du versant sud du Sancy. L’assistance électrique permet de limiter l’effort et nous avons pu engager la conversation et faire connaissance avec nos voisins de pédalier.

J’ai fait rire tout le monde en demandant si ce n’était pas dangereux de rouler avec ce véhicule lent et frêle sur les routes à grande circulation. En 2025, ça m’aurait terrorisée. Mais on m’a « rappelé » (comme si c’était une évidence !) qu’avec la vitesse limitée à 25 km/h sur les grands axes, on ne risquait pas grand-chose à se faire dépasser par un vélo ou à doubler une camionnette.

De mon temps, il ne risquait pas d’en pousser par ici.

Le début de notre voyage passait par un endroit qui m’est assez familier pour que je le reconnaisse : la basse vallée de la Monne d’où émergent toujours les villages de Saint-Amant-Tallende et Saint-Saturnin, le château et la belle église romane.

Mais les deux versants qui les encadrent ont bien changé : là où je connaissais des coteaux très embroussaillés, quelques champs et vergers disséminés, les flancs de la montagne de la Serre, comme ceux du puy de Peyronère qui lui fait face, sont totalement couvert de vergers. « Bienvenue dans la vallée des pommes », a lancé un pédaleur. Ce qui m’a semblé très exagéré, car le long de la route, j’ai reconnu aussi des figuiers, des amandiers, des abricotiers, des pêchers, des oliviers et même des pistachiers. Du moins pour ce qui concerne ces derniers, je ne les ai pas reconnus, on me les a nommés. Car de mon temps, il ne risquait pas d’en pousser par ici.

La réserve intégrale du Sancy

45°30’43.7″ Nord / 2°51’15.9″ Est

Super-Besse a été effacée du paysage.

Tranquillement, avec de joyeuses haltes, nous sommes arrivés vers le soir au pied du Sancy. Nous avons été hébergées dans une ferme chez des amis de Descendence qui nous ont fait goûter leur saint-nectaire. « Voilà quelque chose qui n’a pas changé et c’est une bonne nouvelle », ai-je pensé en savourant.

Le lendemain, j’ai suivi ma nouvelle amie jusqu’à l’entrée de la réserve intégrale du Sancy. J’avais failli la corriger en précisant « réserve de Chastreix-Sancy ». Mais non, le nom avait changé… et les lieux aussi. Car il avait été décidé d’abandonner le ski quelques décennies plus tôt (personne n’a su me dire exactement quand). Les trois stations avaient été démantelées et Super-Besse était complètement effacée du paysage. Ensuite, les deux réserves naturelles de Chastreix-Sancy et Chaudefour avaient fusionné et englobaient maintenant tout le massif.

La dernière étape avait eu lieu en 2065, quand les crêtes et les cinq hautes vallées glaciaires avaient été déclarées « réserve intégrale » et interdites de toute incursion humaine, sauf rares et prudentes exceptions pour les gardes de la réserve et quelques suivis scientifiques.

« Avec 0,04 jours d’enneigement en moyenne par an sur les crêtes les plus hautes, c’est logique. »

C’est justement pour rapporter les résultats d’une de ces études que Descendence était montée jusque-là. Et même à cette occasion, nous n’avons pas été autorisées à franchir ces barrières. « Surtout en cette période de reproduction et de nidification », nous a-t-il été précisé.

Je vous renvoie à l’article de ma consœur pour le détail de cette enquête aux résultats très probants. Mais on peut en retenir que les anciennes pistes des trois domaines ont récupéré complètement leur aspect boisé ; que le lac des Hermines est redevenu une tourbière encore jeune mais en pleine santé ; que le merle à plastron et le monticole de roche sont devenus les espèces d’oiseaux les plus communes du massif. La Jasione crêpue d’Auvergne et l’Apollon arverne, au contraire, n’existent plus que dans les collections anciennes du musée Lecoq à Clermont et dans le souvenir des naturalistes locaux. « Avec 0,04 jours d’enneigement en moyenne par an sur les crêtes les plus hautes, c’est logique », a expliqué le conservateur en réponse à ma question venue d’un lointain passé.

La gare d’Authezat

45°38’32.0″ Nord / 3°11’02.9″ Est

Une autoroute ? Non, désormais une quadruple voie ferrée. Ici l’arrivée à la gare d’Authezat.

Un peu déboussolée par tout ça, j’ai voulu rentrer chez moi. Descendence m’a confiée à une petite camionnette qui descend livrer des fromages à Lorlanges. « De là, tu pourras prendre le train », m’a-t-elle indiqué. Le train à Lorlanges, pourquoi pas ? Au point où j’en suis, je commence à ne plus être surprise de rien. Il faut faire confiance aux habitants de l’époque.

« OM » pour « Omnibus du Massif », une navette gratuite circulant toutes les 10 minutes.

Tout de même, je suis épatée de découvrir que l’ancienne autoroute a été entièrement transformée en une quadruple voie ferrée irriguant tout le Massif central. Sur les anciennes voies routières du sens nord-sud circulent désormais des intercités rapide, de jour ou de nuit, avec une précision horaire digne d’une horlogerie suisse. Les voies de l’autre ancien sens sont réservées à l’OM. Pas les supporters marseillais, non. « OM » pour « Omnibus du Massif », une navette gratuite circulant toutes les 10 minutes et desservant toutes les petites localités de l’axe, comme une sorte de métro à l’échelle du Massif central.

Ça m’a pris deux heures pour parvenir jusqu’à la gare d’Authezat, ce qui m’a laissé du temps pour contempler les paysages verdoyants et pour participer aux conversations, dans ce wagon où on préférait échanger des nouvelles plutôt que les lire chacun sur son petit écran personnel. J’ai trouvé ça salutaire.

La Grand’Place de mon village

45°40’16.6″ Nord / 3°14’17.0″ Est

Et pourquoi pas de l’herbe et un grand tilleul pour entourer la belle fontaine de mon village ?

Enfin, me voilà de retour dans mon village. Je reconnais sa place principale grâce à la grande fontaine. Mais c’est la fête aujourd’hui ? Pourquoi y a-t-il tant de monde ?

Non, c’est l’animation habituelle, m’explique une dame que je ne connais pas. Des tas de gens ont tiré leur chaise tout autour de l’esplanade, prennent le soleil, discutent, s’interpellent. Des petits groupes se font et se défont. Les enfants jouent et courent dans tous les sens, sans crainte de la circulation.

Le goudron a disparu, remplacé par une pelouse hérissée de pâquerettes.

Et pour cause : le goudron a disparu, remplacé par une pelouse hérissée de pâquerettes. Et ce tilleul juste devant les bacs du lavoir, il n’était pas là ?! Quand l’ont-ils planté pour qu’il offre déjà une si belle ombre ? C’est chouette, tous ces oiseaux qu’il abrite.

Mais voilà qu’un bruit assourdissant recouvre le chant des fauvettes et des pinsons. Une sorte de biiiip très insistant, le premier son désagréable qui me parvient depuis le début de mon voyage. D’où vient-il, qu’annonce-t-il ?

Pffffff, bien sûr. C’est le son de mon réveil-matin. Je prends brutalement conscience que j’ai rêvé ce voyage. C’est évident que notre futur ne ressemblera pas à ce paradis.

Quoique, si on s’y met…

Pour d’autres récits itinérants qui vous feront peut-être rêver aussi, ne manquez pas d’aller faire un tour ce week-end au Rendez-vous du Carnet de Voyage, à Polydôme à Clermont. Cliquez ici pour accéder à toutes les infos.

Récit et photos Marie-Pierre Demarty. À la une : la « riante » Limagne dans son état actuel.

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