Comment soutenir l’agriculture en citoyens

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Ferme d'élevage dans le Sancy
Manger sans (Du)plomb #3/3 – Après avoir vu comment on peut aider les agriculteurs en tant que consommateurs et consommatrices, puis en tant que personnes solidaires, voyons ce qu'on peut ajouter avec une casquette citoyenne. Décidément, on n'a pas fini d'agir...

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Une réflexion me vient à l’esprit : si tous les habitants de Puy-de-Dôme me lisent (ce serait merveilleux) et se mettent dès demain à appliquer mes conseils pour s’approvisionner, ça va être compliqué. Soit on se résout à ne manger que du fromage et du maïs (en caricaturant), soit on va vite avoir des pénuries, notamment en matière de fruits et légumes.

C’est pourquoi il apparaît important d’agir aussi de façon plus structurelle, afin de garantir davantage d’autonomie alimentaire à notre territoire. Pas pour se fermer complètement, mais au moins pour rééquilibrer les choses, condition importante pour devenir un territoire résilient : en cas de rupture des échanges, même momentanée (je vous laisse imaginer les multiples causes possibles…), avoir de quoi s’organiser en local peut permettre de passer une crise sans paniquer.

Les agriculteurs, la puissance publique, les acteurs économiques ont un rôle important à jouer dans cette réflexion. Mais si l’on considère que cette question cruciale peut donner lieu à un vrai projet de territoire, il n’y a pas de raison pour que les « citoyens lambdas », qui sont tous des consommateurs, n’aient pas leur part à apporter dans le projet.

C’est le sens de ce dernier article.

J’y ajoute une dernière façon d’agir : celle du bulletin de vote. Si l’alimentation n’est pas un sujet à mettre au centre du village et du projet politique des territoires, aucun sujet ne l’est. Et une période de campagne électorale est sans doute un moment opportun pour en discuter.

Oh mais tiens… justement… n’y a-t-il pas des élections municipales prévues en mars prochain ? Comme on dit communément en levant les yeux au ciel avec un petit air faussement innocent, « J’dis ça, j’dis rien ».

Marie-Pierre

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • Pour soutenir les agriculteurs du territoire, on peut aller plus loin que simplement acheter leurs produits et papoter avec eux sur le marché. La première démarche étant de comprendre leur vie, leurs contraintes et leurs problématiques, on peut profiter de multiples occasions d’aller s’instruire sur place à la ferme. Visites guidées, fermes pédagogiques, séjours à la ferme, tables et chambres d’hôtes, wwoofing seront autant de moyens de s’instruire et de se rapprocher du monde paysan.
  • Pour s’engager un peu plus, on se tournera vers les projets alimentaires territoriaux et vers les nombreuses associations qui permettent aux citoyens de s’impliquer dans des actions en soutien à l’agriculture. Entre autres, Terre de Liens, Nature&Progrès, Bio 63 et les associations naturalistes qui agissent auprès des agriculteurs ou en association avec eux.
  • L’implication peut aussi prendre des allures conviviales et festives. Fêtes de spécialités, fêtes de village, fêtes gastronomiques, disco soupes et banquets ouverts sont autant de lieux et de manières de marier lien social, bien manger et soutien aux producteurs. Certains événements permettent aussi d’allier ces questions à un débat de fond et à une ouverture sur une réflexion plus globale, comme le festival Alimenterre.
Lire aussi les deux premiers volets de la série : « Où faire ses courses pour soutenir les agriculteurs » et « Manger sain, local et… solidaire »

Agir sur la consommation, c’est bien. Comprendre le quotidien des agriculteurs, les problématiques auxquelles ils sont confrontés, leurs difficultés et leurs conditions de travail, c’est encore mieux. Si vous fréquentez les marchés et magasins de producteurs ou les amaps, vous avez déjà l’occasion de dialoguer, de questionner, de percevoir concrètement ce qui manque à l’étalage par suite d’un épisode de grêle ou de canicule.

C’est encore mieux d’aller les rencontrer directement sur les lieux de production. Au détour d’une balade, en escapade de week-end ou en expédition « approvisionnement à la source », vous aurez maintes occasions de découvrir leurs activités. Quelles que soient leurs spécialités, leurs méthodes ou leur organisation, ils et elles ont en commun d’être des passionnés. Et certains sont très doués pour faire partager leur passion.

Écouter pour mieux comprendre

Comment trouver ceux qui vous accueillent ? Le site départemental De nos fermes, en plus de recenser les producteurs (voir le premier article de cette enquête), propose des programmes d’animations et de visites, souvent sous forme de balades ou randos à thème. D’autres propositions de visites sont recensées sur le site bien nommé Bienvenue à la ferme (qui recense aussi les fermes proposant gîte, couvert, vente directe) ou sur le site de la Région Auvergne Destination. Ces sites vous permettent de vérifier les conditions et créneaux d’accueil. J’ajoute les propositions savoureuses d’Annie Sauvat, pionnière de l’œnotourisme en Auvergne, qui a vendu récemment son domaine à Boudes. Mais elle a gardé un petit bout de vignoble, notamment pour se consacrer à accueillir et à raconter son expérience de vigneronne, la grandeur et les difficultés de son fascinant métier.

Un panneau du domaine Sauvat marque encore le paysage
Dans le vignoble de Boudes, Annie Sauvat se consacre de plus en plus à transmettre au public des touristes et des curieux, dans ses propositions d’« expériences œnotouristiques » les réalités du métier de vigneron, sans chercher à les enjoliver.

Pour aller plus loin qu’une petite visite, séjournez à la ferme ! Gîtes, tables et chambres d’hôtes, camping, animations, ateliers, initiations ou même wwoofing sont un moyen d’approfondir le dialogue et la connaissance de ceux qui nous nourrissent, de s’imprégner de la vie à la campagne, de savourer des produits et recettes locales, tout en aidant vos hôtes grâce aux revenus complémentaires que leur procurent ces activités touristiques.

Trouvez par exemple de bonnes adresses, dans notre région ou ailleurs, sur le site Accueil paysan qui se présente justement comme un « réseau d’éducation populaire » engagé « en faveur d’une agriculture paysanne et d’un tourisme durable, équitable et solidaire ». D’autres adresses sont à découvrir via les offices de tourisme, les Gîtes de France ou au hasard de vos navigations sur internet ou sur les petites routes de campagne.

Sur les réalités viticoles vues par Annie Sauvat, lire aussi le reportage : « Valorisation, adaptation, transmission… Vus de Boudes, les défis du vignoble auvergnat »

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S’informer, s’engager

Quand on a commencé à engager le dialogue avec les agriculteurs de son territoire et à comprendre leurs problèmes au-delà des simplifications médiatiques, on peut être tenté de les aider à les résoudre. Cela se joue évidemment à des échelles plus vastes : réglementations nationales ou internationales, subventions européennes, organisation économique régionale ou même mondiale. Mais l’échelon local offre des possibilités d’action qui peuvent contribuer à soutenir les producteurs et à améliorer le degré d’autonomie alimentaire d’un bassin de population.

Les collectivités locales s’y emploient, y compris chez nous, que ce soit à l’échelle de la métropole avec le projet de favoriser le développement d’une « ceinture verte » maraîchère, à l’échelle départementale où le projet Fruit de Dôme, piloté par la communauté de communes Mond’Arverne, projette de réimplanter des vergers. Ou sur le territoire spécifique des projets alimentaires territoriaux (PAT).

Lire aussi le reportage : « Fruits de Dôme redonne du goût à l’ancienne filière arboricole »
Ateliers des citoyens invités par le PAT pour réfléchir à la consommation de légumes
En 2022-2023, à l’initiative du PAT Grand-Clermont et Livradois-Forez, ce groupe de « citoyens lambdas » volontaires avait travaillé à émettre un avis sur la façon de renforcer la distribution de légumes locaux dans les grandes surfaces. Ici à Billom, lors de leur dernier atelier de finalisation de l’avis.

Notre département en compte quatre, qui se définissent comme une coordination des initiatives. Celui qui réunit les cinq intercommunalités du Grand Clermont et tout le territoire du Parc Livradois-Forez s’est donné pour objectif de parvenir à 50 % d’autonomie en fruits et légumes d’ici à 2050. Les autres, avec chacun leurs ambitions propres, ont été créés respectivement à l’échelle d’Agglo Pays d’Issoire, de la communauté de communes Massif du Sancy et du Smad des Combrailles. Ces programmes associent tous types d’acteurs du territoire et font par conséquent une place aux citoyens, à travers des actions de sensibilisation et d’information, des événements rassembleurs tels que les forums alimentaires, ou encore des expérimentations et consultations.

J’avais par exemple raconté le travail d’un groupe de citoyens-consommateurs, étalé sur cinq mois, sollicité par le PAT Grand-Clermont et Livradois-Forez sur la problématique de la distribution de légumes locaux en grandes surfaces : une expérience qui leur a permis de s’immerger dans les réalités et contraintes des uns et des autres, d’enjamber quelques idées reçues et d’apporter un avis éclairé… et éclairant.

Apporter une aide concrète

Aux portes de Clermont, la ferme de Sarliève est une expérimentation de polyculture initiée par Terre de Liens, qui donne une place importante à la participation citoyenne pour sensibiliser aux problématiques de la production alimentaire, à travers l’association de soutien Le Roseau.

Parallèlement aux PAT qui sont mis en place à l’initiative de collectivités, de belles associations œuvrent directement en soutien des agriculteurs, en donnant aux citoyens l’occasion d’y participer. Chacune a ses spécificités liées à des problématiques particulières de l’agriculture et du monde agricole.

Il est donc possible de s’engager par exemple avec Terre de Liens pour proposer à des personnes souhaitant s’installer de résoudre le difficile problème du foncier agricole. Ou de participer à l’amélioration des pratiques et de la qualité des productions avec Nature&Progrès, un label qui s’appuie sur un système participatif de garantie.

Plus spécialement orienté vers le respect de la biodiversité, l’association Paysans de nature fonctionne sur un système participatif de même nature, avec une place primordiale accordée aux naturalistes aux côtés des agriculteurs volontaires, mais laissant aussi la porte ouverte aux citoyens désireux d’y participer. Même système professionnalisé mais accueillant les bénévoles citoyens, l’association Bio 63, déclinaison locale de la Fédération nationale de l’Agriculture biologique, a pour objet de défendre le bio, dans une certaine vision « paysanne ».

La LPO collabore avec les éleveurs, entre autres pour la préservation des pies-grièches, dans un programme gagnant-gagnant qui aide les agriculteurs à améliorer la santé de leur troupeau. La preuve par ce bel emballage à saint-nectaire édité dans le cadre de ce projet.

Localement, l’initiative Terre de liens de la ferme de Sarliève aux portes de Clermont a prévu dès sa création un volet citoyen, créant l’association Le Roseau en soutien citoyen à ce projet expérimental.

Signalons encore les associations naturalistes telles que la LPO ou le Conservatoire d’espaces naturels, dont différents projets de protection du vivant les amènent à œuvrer en concertation ou en partenariat avec des agriculteurs. Ou l’association Solidarité Paysans, qui apporte une aide de pair à pair aux agriculteurs en difficulté : elle ne vous permettra pas de participer activement à ce travail précieux et délicat, mais a comme beaucoup d’autres un besoin de soutien financier et moral (d’ailleurs assez crucial en ce moment).

Vous pouvez découvrir ces initiatives dans de nombreux articles de Tikographie. Citons entre autres : « Nature & Progrès garantit une alimentation de qualité par la méthode participative », « Avec Terre de Liens, l’agriculture comme projet citoyen », « Avec bio 63, des agriculteurs locaux pionniers d’un label national mieux-disant », « Un tour aux champs 2/2 : 250 agriculteurs par an soutenus par leurs pairs en Auvergne »…

« Diversité linguistique et diversité biologique »

Pour cette 53ème Rencontre Tikographie, nous sortons de notre cadre traditionnel et explorons le lien entre culture et nature à travers le langage.

Mardi 4 novembre (17h-19h) à la librairie des Volcans à Clermont – tous publics, gratuit et en accès libre

Déguster, apprécier, partager, célébrer

Ça va peut-être paraître idiot mais en fin de compte, la première (ou la dernière) façon de créer des liens avec le monde agricole et de soutenir les agriculteurs, c’est encore de partager le plaisir de déguster des bons produits. Dans notre pays qui a fait inscrire sa tradition du repas du dimanche au patrimoine mondial de l’Unesco, apprendre à cuisiner, échanger des recettes, comprendre ce qu’on mange, trinquer et ripailler ensemble, goûter dans l’assiette de l’autre (et donc dans sa culture)… ces ingrédients semblent des indispensables pour remettre la question alimentaire au centre du village, de la table et des enjeux de réorganisation de la cité (cité étant pris ici au sens originel de communauté de citoyens).

Repas convivial à la ferme d'un producteur adhérent
L’association Nature&Progrès a bien compris que manger ensemble resserre les liens. Elle tient ses réunions à la ferme, dans des repas autour des produits partagés, entre bénévoles et agriculteurs adhérents. – Photo Nature&Progrès.

Il y a mille façons de mettre en scène cet acte de valoriser les produits, les producteurs et les savoir-faire culinaires. En nous rappelant, puisque nous sommes dans les étymologies, que « convivial » à la même origine que « convive ». Manger ensemble, c’est apprendre à se connaître, à renforcer les liens de solidarité et à faire territoire.

Ne nous privons donc pas des festivités les plus ancrées. Au-delà du folklore, les grands rassemblement autour d’une spécialité locale, comme la foire à l’ail de Billom, la fête de la myrtille au col du Béal ou (au même moment le 15 août) celle de la gentiane à Picherande, ou les Fourmofolies à Ambert, sont autant d’occasions de prendre goût aux bons produits du terroir, d’échanger avec les producteurs, de faire le plein de gourmandises et d’aiguiser ses exigences de qualité. À une échelle plus resserrée autour de la communauté villageoise, ajoutons-y les traditions festives centrées sur le four banal que l’on rallume une ou deux fois par an pour enfourner tartes et tourtes et festoyer ensemble.

Disco Soupe à la Maison du peuple, en avril dernier, à l’occasion des 30 ans de Radio Campus : éplucher ensemble et en musique, une belle façon de mettre de la convivialité non seulement à table, mais aussi dans les cuisines… et de sensibiliser petits et grands au gaspillage alimentaire.

Dans les versions plus modernes et plus urbaines, la formule des Disco Soupes a eu son temps de mode mais n’est pas à jeter avec l’eau des légumes. Elle permet de prendre des habitudes de cuisiner (ou au moins d’éplucher) ensemble, d’utiliser des légumes prétendument moches et de comprendre que les produits propres, lisses et standardisés de la grande distribution ne sont pas forcément les plus goûteux et les plus nourrissants (pas du tout même). Convivialité et anti-gaspi : un combo gagnant qui peut aussi être favorable aux petits producteurs n’ayant pas le luxe de pouvoir jeter les carottes tordues et les patates pas parfaitement conformes.

D’autres manifestations de plus grande envergure et de plus grande ambition peuvent aider aussi. Signalons la belle initiative de l’Étonnant Festin, qui a (pour l’instant) renoncé à son événement phare mais n’a sans doute pas dit son dernier mot, sur les thématiques de la nourriture comme « objet culturel ».

Dans un registre plus militant et très citoyen, l’association puydômoise Anis étoilé, qui œuvre toute l’année dans de belles, multiples et diverses actions d’éducation à l’alimentation durable, propose chaque automne de débattre sur les questions politiques, sociales, sociétales et environnementales liées à l’alimentation, à l’échelle locale et mondiale, dans la déclinaison auvergnate du festival Alimenterre. Entre films documentaires, débats et ateliers, ce rendez-vous d’octobre-novembre est une occasion précieuse de mieux comprendre ce qui se joue dans le sujet « nourrir le monde ». Car la question, bien sûr, ne peut pas non plus se résumer à un repli sur soi et sur son territoire.

Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé durant l’été 2025. Photos Marie-Pierre Demarty, sauf indication contraire. À la une : Ferme d’élevage dans le Sancy.

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