Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Les coteaux ont du charme pour qui sait s’y attarder. Ils évoquent la douceur et le calme, l’entre-deux, la modération. Et même la cohabitation pacifique de milieux et d’usages divers. Ce n’est pas pour rien qu’on surnomme la Limagne des buttes « la Toscane auvergnate ».
Rien à voir avec la grandiloquence du Sancy ou l’auguste austérité du Cézallier. Et bien moins monotone que la plaine.
On oublie souvent de les citer quand on décrit à grands traits notre département, peut-être parce qu’ils ne forment pas une aire géographique continue. Mais ils ont leur importance.
Consacrons-leur un moment d’attention, loin des itinéraires stars de la rando. Vous allez voir qu’ils ne manquent ni d’attraits, ni d’enjeux à avoir en tête pour la compréhension de notre passé, de notre présent et de notre futur.
Suivez le guide !
Marie-Pierre
Trois infos express [cliquer pour dérouler]
- Dans le Puy-de-Dôme, les coteaux résultent de divers phénomènes volcaniques et sont très présents dans la Limagne des Buttes. Historiquement, ils ont accueilli des forteresses, refuges et citadelles, depuis les premières occupations du Néolithique jusqu’au château fort médiéval en passant par l’oppidum gaulois.
- Propice à la vigne et aux vergers, ils ont été exploités par les paysans du secteur qui pratiquaient la polyculture, puis en grande partie abandonnés dans la deuxième moitié du XXe siècle, y laissant de nombreuses terres en friche. Depuis quelques temps, ils suscitent à nouveau l’intérêt. Que ce soit pour le vin qui est grandement monté en qualité depuis que des vignerons qualifiés ont repris en main cette culture, ou pour l’arboriculture, enjeu de la relocalisation des approvisionnements alimentaires.
- Les coteaux, milieux naturels particuliers qui se caractérisent par une végétation de type méditerranéen, portent aussi un enjeu fort de biodiversité, avec des pelouses sèches accueillant des espèces emblématiques, telles que l’origan, le thym-serpolet et sur certains sites une grande variété d’orchidées. Ils pourraient jouer un rôle primordial d’adaptation de la végétation face au changement climatique.
- EN BONUS : 5 suggestions de petites randonnées en fin d’article, dans les coins décrits dans cet article ou dans ceux qui pourront compléter votre lecture.
La balade ou la rando, l’escapade dans la nature, la respiration du citadin, dans le Puy-de-Dôme, sont associées à la montagne : les reliefs majestueux du Sancy, les sombres forêts du Forez, la spectaculaire chaîne des Puys, les splendeurs du Cézallier… Si vous êtes fatigué du grandiose, mais pas non plus décidée à arpenter la monotonie remembrée de la plaine, je vous propose une ambiance intermédiaire : les coteaux.
Version spectaculaire : les anciennes coulées de lave formant les collines longilignes de Châteaugay, des Côtes de Clermont, de Gergovie ou de la montagne de la Serre et quelques autres. Dans la plaine, également vestiges du volcanisme, les petites collines prennent le relais, perturbant la monotonie du paysage.

Leurs pentes peuvent être raides, mais elles ne sont jamais interminables : un plaisir pour le marcheur. Leurs paysages sont variés car on y trouvera aussi bien de la ville ou des villages, des cultures, des zones plus sauvages : plaisir des yeux. Ces terres de l’entre-deux ont dans notre région de multiples usages et de multiples enjeux : plaisir de s’ouvrir l’esprit grâce à quelques clefs.
Pas besoin de jouer à Fort Boyard : Tikographie vous les offre sur un plateau (basaltique de préférence).
1. La clef géologique : marcher sur la tête
Nos coteaux peuvent être liés à des failles mais la plupart dans notre région ont des accointances avec le volcanisme. Notamment dans la Limagne des buttes, comme on appelle ici les collines, volcanisme oblige. Coulées de lave, dômes, maars… Dans l’environnement sédimentaire de la plaine, la roche volcanique dure a souvent protégé de l’érosion les roches plus fragiles qu’elle a recouvertes. Tout autour, l’érosion a fait son œuvre et dégagé ces bouts de volcans.

Lorsqu’une coulée de lave a envahi et comblé une ancienne vallée, le phénomène prend l’allure de ce qu’on appelle un « relief inversé » : l’ancien fond de vallée rendu plus résistant par le basalte se retrouve perché en hauteur. Voyez Gergovie, la montagne de la Serre, les côtes de Clermont par exemple. Ou le puy Saint-Romain, surnommé pompeusement « l’Everest de la Limagne », qui combine un ancien volcan en partie délabré et une coulée de lave.
Constat : le volcanisme a forgé notre territoire et il est partout partout, dans nos paysages, dans nos cultures et dans notre culture, dans notre image, dans nos marques et slogans, dans notre caractère. Et même dans les articles de Tikographie. Qui peut croire que le phénomène est éteint ?
2. La clé historique : se prévoir un refuge
L’intérêt des buttes qui dominent la plaine, c’est que de leur sommet, on peut voir loin. On peut surveiller l’ennemi qui arrive. Et le surplomber pour le repousser.
Bien souvent, les buttes sont coiffées d’une forteresse en plus ou moins bon état, comme à Busséol, Montmorin, Ravel, Mauzun, Buron, Montpeyroux, Coppel… Ces vestiges du Moyen-Âge marquent le paysage et lui procurent une touche de pittoresque qu’on a toujours plaisir à aller examiner de près. Un but supplémentaire pour une balade sur butte.

La fonction forteresse a d’ailleurs été activée bien avant l’époque troublée des brigands ou des Anglais. Depuis Corent, Gergovie ou les Côtes de Clermont, les Gaulois ont surveillé l’arrivée des Romains. Inutile d’épiloguer sur le succès de la méthode.
Question : par les temps inquiétants que nous vivons, qui sait si nous n’aurons pas un jour besoin de reconstituer des forteresses pour se protéger des cataclysmes climatiques ?


Lectures d’été : demandez la Biblitikographie !
En 2024, nous avons publié un petit texte numérique (format PDF) rassemblant une liste d’oeuvres livresques ou bédéesques sur l’écologie et les territoires, recommandées par la communauté et la rédaction Tiko. Pour bronzer futé, malin et clever, vous pouvez vous la procurer en payant, ou sans payer, mais de toute façons en nous soutenant (teaser)…
3. La clé gourmande : croquer la pomme
C’est difficile à imaginer, mais le Puy-de-Dôme et notamment la région de Clermont a été longtemps une incroyable zone de production fruitière. Pommes, poires, cerises, amandes, noix, abricots, coings… Nos coteaux locaux étaient particulièrement propices à l’arboriculture.
Il en reste de belles réminiscences : vous croiserez immanquablement dans vos balades des bouts de vergers où de très vieux arbres persistent à dresser dans le paysage leurs silhouettes tordues et à donner encore quelques fruits goûteux. Certains sont encore exploités, d’autres se terrent dans la broussaille.

Leur héritage se retrouve dans la tradition locale des pâtes de fruit d’Auvergne, grande spécialité gourmande aujourd’hui un peu oubliée mais qui subsiste grâce à un fabricant clermontois et à la recette de la pâte de coings qui se transmet dans bien des familles.
Toute cette culture a cependant perdu du terrain – au sens propre et au sens figuré – face à la concurrence de l’urbanisation et des oranges du Maroc (formule très simplifiée mais vous voyez l’idée).
Mais ne soyons pas nostalgiques : la mémoire persiste notamment grâce à l’action du Conservatoire d’espace naturel qui développe et anime de remarquables vergers-conservatoires. Et plus récemment, par des collectivités, des agriculteurs et associations qui s’efforcent de faire revivre cette activité économique et nourricière.
Enjeu : participer au développement de l’autonomie alimentaire du secteur, alors que le Projet alimentaire territorial du Grand Clermont et du Livradois-Forez prévoit un approvisionnement en fruits et légumes local à 50% en 2050.
4. La clef viticole : se refaire une image
Les vins d’Auvergne traînent une vieille réputation de piquette imbuvable, sinon coupée à la limonade pour faire une acceptable boisson festive : le rosé limé. Cette image s’expliquait il y a quelques décennies par le climat rude qui contraignait parfois à choisir entre ramasser le raisin encore vert ou vendanger sous la neige (parfois les deux). Mais aussi parce que la vigne était une activité annexe de paysans pratiquant la polyculture et maîtrisant mieux l’élevage des vaches et la culture des céréales que les techniques de vinification.

La vigne est encore bien présente même si elle a grandement perdu en territoire. Elle a surtout changé de visage. Aujourd’hui les vins d’Auvergne ont remonté la pente (du coteau). Ils sont protégés par des appellations et pris en main par des vignerons spécialisés et talentueux, regroupés dans un syndicat actif où se côtoient la très grosse coopérative Desprats Saint-Verny (60 % de la production locale) et des vignerons indépendants au savoir-faire fécond et grandissant.
Aujourd’hui le vignoble auvergnat fait grimper sa cote en termes de qualité, de réputation et de tarifs. Il tente de se démarquer dans le concept – international mais inventé ici – de « vins volcaniques ». Et de se préparer pour l’avenir en s’appuyant sur des recherches scientifiques solides.
Car cette activité en plein redéploiement n’est pas sans enjeux, notamment au regard des bouleversements du climat et des dégradations environnementales. Les expositions autrefois les plus favorables deviennent excessivement chaudes ; le démarrage plus précoce de la végétation par nos hivers trop doux expose les ceps aux gelées tardives ; les risques d’orages de grêle augmentent ; les cépages traditionnels sont moins adaptés à ce climat qui dérive…
Question : quelle robe, quelle saveur, quel bouquet offrira (ou pas) un Boudes ou un Madargue à la table de Noël 2100, dans un monde à +4°C ?

5. La clef abandonnée : mettre le doigt dans la déprise
Le dernier avatar de l’exode rural s’est joué à partir de l’après Seconde Guerre mondiale. « Ils quittent un a un le pays pour s’en aller gagner leur vie… », chantait alors Jean Ferrat. Ce qui valait pour la montagne se passait aussi sur les coteaux.
Autant nos montagnes ont pu conserver une valorisation grâce au saint-nectaire, au cantal et autres saveurs fromagères réputées, autant la riche plaine céréalière a continué à être largement exploitée, autant les coteaux, eux, ont perdu leur attrait agricole, quand le développement des transports a permis à la concurrence d’arriver. L’« horrible piquette » de la chanson et les bons fruits locaux ont été abandonnés au fur et à mesure que les générations partaient travailler chez Michelin, à la Banque de France (pour le secteur au sud de Clermont) ou un peu plus loin.

Et les pentes moyennement fertiles sont souvent retournées à l’état sauvage. Surtout quand les héritiers des paysans locaux se sont éloignés de l’activité agricole et de la région, oubliant ce bout de terrain où le grand-père – vague souvenir – allait tailler la vigne, invitait à goûter les pommes ou envoyait paître ses vaches (ou les gens qui l’importunaient).
Selon la situation, la période plus ou moins lointaine de l’abandon et l’histoire des lieux, ces friches ont pris des allures diverses. Friches de broussailles inextricables où dominent les « buissons noirs », comme on appelle ici les épineux qui sont aux avant-postes des terrains à recoloniser par la végétation. Pelouses ou prairies plus rases qui joueront un rôle dans la clef suivante (teaser !). Ou jeunes forêts dans lesquelles abonde le robinier ou faux acacia, lui aussi spécialiste de ces reconquêtes. Ne soyez pas étonnés de trouver dans toute cette végétation spontanée un cerisier qui a miraculeusement survécu ou s’est subrepticement ressemé.

Dilemme communal : que faire de ces friches ? Les laisser à l’abandon pour favoriser la biodiversité tout en tremblant sur les risques d’incendie, les défricher partiellement et sporadiquement pour conserver des paysages ouverts, ou tenter de favoriser le retour d’une activité agricole en l’aidant à se valoriser ?
La réponse est souvent une combinaison de ces différentes options. J’avais trouvé inspirante en ce sens l’initiative de la commune de Saint-Amant-Tallende. Qui s’est d’ailleurs avéré effectivement inspirante pour un projet à plus grande échelle astucieusement nommé Fruits de Dôme (quand on vous dit que le volcanisme est partout !).
6. La clef bioclimatique : accueillir le sud
C’est peut-être l’enjeu le plus important et en tout cas le plus étonnant. Les coteaux de notre région jouent un rôle important pour la biodiversité. Rôle qui pourrait être crucial dans le contexte du dérèglement climatique. Car ils hébergent des conditions de vie, et donc des écosystèmes, de type méditerranéen.

Question d’exposition, de pente, de microclimats… Entre le thym-serpolet et l’origan, le pin, l’azuré du thym-serpolet (c’est un papillon bleu) et une incroyable diversité d’orchidées, ces endroits si particuliers, qu’on appelle des pelouses sèches ou thermophiles anticipent en quelque sorte le climat qui nous attend dans les décennies à venir. Je résume, car j’avais détaillé tout ça, vu du puy de Pileyre, dans un récent article sur le sujet.
De places fortes défensives, ces buttes pourraient bientôt se transformer en bastions d’où les espèces les plus adaptées partiront à la conquête de la région, là où les forêts en dépérissement et les prairies assoiffées les appelleront à la rescousse.
Question : qui seront les Bayard, les Jeanne d’Arc, les Duguesclin, les Roland de la biodiversité ?

7. La clef des songes : rêver dans la pelouse sèche
Parce qu’il faut bien conclure et aussi parvenir au chiffre symbolique de 7, je laisse à chacun le loisir d’écrire ce dernier chapitre : celui de l’imaginaire. Le temps d’une sieste sous un chêne pubescent (autre essence typique) ou d’une rando à flanc de colline (suggestions ci-dessous), prenez la peine de rêver, de combiner toutes ces clefs, de prêter attention et de contempler ce qui vous entoure. Le paysage vous le rendra au centuple.
Ultime énigme à méditer en grimpant le raidillon jusqu’au sommet de la colline : pourquoi « côte » (dans le sens d’une montée) prend un accent circonflexe et pas « coteau » ?
Vous n’en savez pas encore assez ? Récap’ des articles mentionnés, pour compléter votre lecture : > Un projet autour de l’arboriculture à l’échelle du Puy-de-Dôme > Un projet de revalorisation de la Montagne de la Serre > Une belle rencontre avec Annie Sauvat, vigneronne à Boudes, sur les enjeux de la vigne en Auvergne > Un double article sur l’étude menée sur les sols viticoles à la demande du syndicat des Côtes d’Auvergne, d’abord sur le terrain, puis en examinant ses enjeux et objectifs > Enfin sur les enjeux de biodiversité et de climat, une visite du puy de Pileyre. |
CINQ RANDOS Pour aller à la rencontre des lieux et paysages qui ont servi de support pour cet article et ceux mentionnés ci-dessus : > A Boudes, découvrez l’étonnante Vallée des Saints, surnommée le « Colorado auvergnat » dans une balade d’1h45 et visitez le village vigneron, OU embarquez-vous dans une œnobalade avec Annie Sauvat, vigneronne passionnée et pionnière de l’œnotourisme. > En 2 heures, faites le tour du puy de Corent en remontant le temps, entre le village vigneron célèbre pour son rosé et le site des fouilles de l’ancienne capitale des Arvernes. > Découvrez le puy de Pileyre, belle balade de 2h30 qui traverse cet espace classé Espace naturel sensible et inclus dans une zone Natura 2000, au cœur de la Toscane auvergnate. > Vous rêvez de partir à l’assaut de l’Everest ? Voici l’Everest de la Limagne : le puy Saint-Romain, accessible dans une balade de 2 heures pour avoir une splendide vue à 360° sur toutes les montagnes environnantes, du Forez jusqu’aux Monts du Cantal. > En 3 heures, partez explorer la Montagne de la Serre, une ancienne coulée de lave dont les particularités géologiques exceptionnelles ont donné un bon coup de pouce pour le classement Unesco de la chaîne des Puys et la faille de Limagne. Elle est aussi une escale très prisée des oiseaux migrateurs, bien connue des ornithologues. Il n’y a pas que les humains qui ont leurs relais-étapes sur la route… |
Texte et photos Marie-Pierre Demarty. À la une : Le puy de Pileyre (au premier plan) et dans le lointain, les deux Turlurons, qui montent la garde devant Billom.
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