Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Après la balade sur le terrain, on dézoome sur les finalités et les apports de l’étude des sols du vignoble puydômois.
Un exemple d’adaptation intéressant, notamment dans le fait d’allier l’apport de la recherche scientifique et les connaissances empiriques d’une tradition viticole ancienne, dans le contexte d’un terroir qui a connu ces dernières décennies des évolutions spectaculaires. D’abord dans l’arrachage massif des vignes autrefois très prégnantes dans le paysage, mais produisant des vins peu recommandables, notamment du fait qu’ils étaient travaillés par des paysans en polyculture peu connaisseurs du métier de vigneron. Et plus récemment, l’Auvergne a connu une réappropriation par des viticulteurs beaucoup plus professionnels et en conséquence, une montée en flèche de la qualité des vins, avec de l’innovation, de la créativité, des méthodes et des visions inspirées d’autres régions viticoles ou apportées par des générations affranchies du poids de la transmission.
Le sujet a peut-être plus à voir en apparence avec les questions d’économie, de marketing ou de réputation. Le vin peut aussi paraître un produit moins indispensable que les céréales ou les légumes quand il s’agit, comme nous le faisons à Tikographie, de s’interroger sur les conditions d’un territoire vivable. Et il faudrait aussi se pencher sur les méthodes de culture, différencier les productions bio, naturelles, plus conventionnelles…
Mais tous ont en commun de subir les aléas de plus en plus alarmants du changement climatique. Et la façon dont ils cherchent à y répondre, dans le questionnement et dans l’approche, est déjà en soi intéressante à observer.
A lire avec curiosité, à déguster avec modération…
Marie-Pierre
Lire le premier article de la série : « Cartographier le vignoble 1/2 : une tarière dans la neige »
Indéniablement, les vins d’Auvergne montent en gamme. Travaillés par des viticulteurs mieux formés, bénéficiant depuis 2010 d’une appellation d’origine contrôlée (AOC), ils se débarrassent peu à peu de leur réputation de piquette aujourd’hui bien obsolète . Et la filière affiche de belles ambitions pour ce vignoble réparti sur 53 communes du Puy-de-Dôme et planté sur 350 hectares. Comme l’annonçait il y a un an Gilles Vidal, président du Syndicat de l’AOC, l’ambition est même de “doubler à terme sa superficie, de voir s’installer 35 nouveaux domaines viticoles, avec un potentiel d’une centaine de nouveaux emplois”.
Dans le même temps, ce terroir en pleine renaissance doit affronter des défis dont il se passerait bien, que ce soit celui de la concurrence des usages sur le foncier, ou le changement climatique déjà très impactant sur les vignes, sensibles aux gelées tardives, à la grêle, aux violents orages ou à la sécheresse.
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Motivation première
C’est dans ce contexte que le Syndicat des Côtes d’Auvergne, avec différents partenaires dont l’association Vinora et l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV), a lancé une étude cartographique du vignoble, annoncée solennellement il y a un an et aujourd’hui en cours.
“Il s’agit aussi de contribuer à débloquer du foncier au bon endroit.”
Benoît Fesneau
Comme on l’a vu dans le premier article, cette étude consiste à identifier les différents types de sols viticoles présents dans le périmètre de l’appellation. Un travail réalisé en profondeur (au sens propre du terme) et à la maille des parcelles, pour pouvoir comparer celles-ci et pour apporter par un travail scientifique de précision un complément aux données déjà récoltées et à l’expérience des vignerons : c’est la promesse qui était faite alors par le président Vidal.
Dans quelle intention ? « L’adaptation au changement climatique est la plus importante de nos motivations pour cette étude, précise Benoît Fesneau, directeur du syndicat. Nous la menons aussi dans une intention de favoriser le développement du vignoble, mais les deux problématiques se rejoignent, car il s’agit de contribuer à débloquer du foncier au bon endroit, pour que les plantations puissent se faire dans les secteurs les plus favorables, y compris en fonction de l’évolution du climat. »
Ainsi, il rappelle que l’Institut National des Appellations d’Origine (INAO), qui encadre les appellations telles que l’AOC Côtes d’Auvergne, avait initialement poussé à la plantation sur les côteaux orientés au sud, alors les plus favorables. « Cette étude va nous permettre de mieux appréhender la pertinence de privilégier ou pas d’autres options, sur des versants nord ou plus en altitude par exemple. »
Vignes existantes et vignes potentielles
La priorité a été donnée à l’étude sur les vignobles déjà plantés, un choix assumé par ses commanditaires. « Il ne s’agit pas d’aller vers une recommandation d’arrachage, mais d’orienter les choix lors des renouvellements. Le sol, c’est la base, et l’IFV va très loin dans son analyse, à une maille assez fine ; il est capable d’apporter des préconisations sur les porte-greffe, les cépages, la capacité de rétention d’eau, les apports liés au volcanisme… », poursuit le directeur du syndicat viticole.
“Le sol, c’est la base, et l’IFV va très loin dans son analyse.”
Benoît Fesneau
Pour autant, d’autres terrains ou secteurs ont été intégrés à l’étude, sur la base du volontariat de communes ou de propriétaires – et moyennant une participation financière. « Pour des collectivités qui veulent valoriser des terres en développant le vignoble, cela peut avoir un intérêt de privilégier les secteurs les plus favorables », souligne Benoît Fesneau.
De fait, de nombreuses communes se sont engagées dans le processus, majoritairement dans le périmètre de Riom Limagne et Volcans, mais aussi Saint-Amant-Tallende, Cournon, Saint-Germain-Lembron… S’y ajoutent des communes comme Enval qui n’ont pas de vignoble mais projettent de développer une zone viticole. Et des propriétaires privés également, déjà vignerons ou non, comme on l’a vu dans notre précédent article.
Un profil pour chaque parcelle
Les informations qui seront restituées à la filière se situent à plusieurs niveaux. Le premier consiste en une caractérisation des sols au plus près des parcelles, comme l’explique Etienne Goulet, directeur du pôle Val-de-Loire-Centre de l’IFV : « Une fois spatialisées et entrées dans une base de données, les informations observées sont restituées dans une application où la profession aura toutes les cartes disponibles : par exemple la carte des textures de sol – argileux, limoneux… – ou celle du type de sol, de sa profondeur, sa teneur en cailloux, sa capacité à retenir l’eau, etc. Elles seront disponibles à l’échelle du vignoble, mais chaque vigneron pourra aussi zoomer sur ses parcelles pour en connaître les grandes caractéristiques. »
Chaque parcelle aura ainsi sa carte d’identité, avec une douzaine d’indicateurs qui vont jusqu’à caractériser les contraintes et risques que va rencontrer le cep de vigne, et le profil de porte-greffe qui s’y adaptera le mieux. « Le travail à l’échelle de la parcelle est nécessaire car certaines zones peuvent être homogènes, mais les différences peuvent être énormes ; à 200 mètres d’écart, on peut avoir le jour et la nuit », précise Etienne Goulet.
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Le sol comme réservoir
Le deuxième niveau d’information consistera à actualiser au jour le jour un « bilan hydrique » des parcelles. Car l’observation réalisée par Véronique Genevois sur le terrain peut déterminer la capacité du réservoir en eau du sol mais pas son niveau de remplissage à un instant donné. « Vous pouvez avoir un tout petit réservoir en eau constamment rempli, ou à l’inverse un grand réservoir mais qui reste vide car il ne pleut pas », explique Etienne Goulet.
“A 200 mètres d’écart, on peut avoir le jour et la nuit. »
Etienne Goulet
Le bilan hydrique permettra d’observer l’évolution du remplissage sur une saison, de comparer les millésimes ou les parcelles, d’être en alerte si le remplissage passe sous certains seuils.
Sur le court terme d’une saison, précise encore Etienne Goulet, cela apporte peu de connaître ces informations, car les marges d’action à cette échelle de temps sont limitées, étant donné que le vignoble auvergnat n’est pas irrigué. « Il peut quand même y avoir des leviers comme l’entretien du sol et la surface foliaire, ou les choix d’assemblage de la vendange, de durée de macération… », précise-t-il.
Mais c’est surtout sur le plus long terme que l’outil devient intéressant. « Cela permet de voir les comportements différents pour imaginer des assemblages, et aussi de penser plus précisément l’adaptation à un type de terrain au moment des replantations. »
S’adapter sur le long terme
L’IFV serait même en mesure de réaliser, comme il l’a fait pour d’autres secteurs du Val-de-Loire, une cartographie croisant les projections climatiques du GIEC et les caractéristiques des cépages. Cet atlas agro-climatique peut ainsi donner à échéance 2050 et 2100, selon deux scénarios, les modélisations de précipitation et de température, mais aussi de dates de floraison ou de maturation des différents cépages dans ces contextes possibles. Mais il n’est pas prévu d’aller jusqu’à la livraison d’un tel outil pour les Côtes d’Auvergne.
“On peut donc choisir des terrains pour les futures plantations en s’appuyant sur la cartographie. »
Etienne Goulet
« On peut néanmoins se faire une idée de l’évolution du climat en Auvergne : on sait qu’il va globalement faire plus chaud et probablement tomber autant de pluie mais réparties différemment. Et on peut donc choisir des terrains pour les futures plantations en s’appuyant sur la cartographie », poursuit Etienne Goulet, ce qui rejoint un des objectifs du Syndicat des Côtes d’Auvergne. Il suggère d’autres possibilités d’adaptations pour ces replantations en complément de la sélection des parcelles : dans le choix des cépages d’une même variété (il existe par exemple plusieurs de sortes de gamay, qui n’ont pas tous exactement les mêmes caractéristiques), et au-delà, si ce n’est pas suffisant, en introduisant de nouvelles variétés.
C’est d’ailleurs un autre intérêt de l’étude qui entre dans les intentions du syndicat viticole, comme l’indique Benoît Fesneau : « Elle peut nous apporter des éléments concrets pour faire évoluer le cahier des charges de l’appellation », souligne-t-il, sachant qu’une telle évolution ne peut se faire que sous le contrôle de l’INAO, aussi bien pour l’aire géographique que pour les cépages autorisés.
Le vin du futur
Benoît Fesneau précise d’ailleurs que cette cartographie est un élément qui va venir compléter et alimenter d’autres pistes de travail pour adapter la viticulture locale. Il cite notamment le travail en cours sur le vignoble conservatoire de Cournon, qui réunit 170 variétés endémiques de la région. « On se rend compte que certaines de ces variétés avaient été abandonnées parce qu’elles étaient trop tardives et n’arrivaient pas à maturité ; mais avec le changement climatique, on peut imaginer qu’elles vont retrouver un intérêt, car elles peuvent éviter les gelées de printemps mais arriveront plus facilement qu’avant à maturité, explique-t-il. Nous aimerions repérer les plus intéressantes, et engager les procédures pouvant permettre à terme, après dix ans de test, de les réintroduire en petite quantité dans le cahier des charges de l’appellation. Car le gamay et le pinot noir résistent mal dans certains secteurs et les viticulteurs en souffrent. »
“Certaines de ces variétés avaient été abandonnées parce qu’elles étaient trop tardives et n’arrivaient pas à maturité.”
Benoît Fesneau
Des pistes intéressantes, qui peuvent questionner sur la vision à long terme du vignoble dans le contexte des mutations du climat. Pour Etienne Goulet, si on se projette sur le long terme, « on peut imaginer que les vignobles auront connu une adaptation plutôt à la marge, mais que le vin lui-même aura aussi évolué. »
Le rôle primordial des vignerons
Ce dosage entre les différentes options pour évoluer sera aussi fonction du savoir-faire, de l’expérience et de la créativité des vignerons, dans toute leur diversité. L’étude ne fait pas abstraction de leur précieuse connaissance : « On va bien entendu comparer nos calculs sur les potentialités des parcelles au savoir empirique des vignerons, recueilli dans nos enquêtes auprès d’eux. Et si à certains endroits les informations ne concordent pas, nous reviendrons vérifier les données. »
Le directeur du pôle Loire de l’IFV fait confiance à leur capacité de tirer le meilleur parti de leur terroir : « Ils ne nous ont pas attendus pour savoir comment fonctionnent leurs différentes parcelles. L’idée de le faire collectivement est déjà de partager la connaissance, mais aussi de comprendre pourquoi ces différences entre parcelles. Si on a compris la logique, on appréhendera mieux les potentialités quand il s’agira de choisir de nouvelles parcelles. Et enfin, ce savoir devient utile car les vignes ne se transmettent plus systématiquement de parent à enfant. Ceux qui arrivent sans être fils ou fille de viticulteur ne disposent pas de ce savoir empirique. »
“Ceux qui arrivent sans être fils ou fille de viticulteur ne disposent pas de ce savoir empirique. »
Etienne Goulet
De fait, l’étude pourra apporter des données “les plus objectives possibles” permettant de comprendre quels terrains sont plus propices à tel ou tel type de vin, et faire des préconisations par exemple sur le choix des porte-greffe. « Mais elle ne va pas dire qu’une parcelle est bonne ou mauvaise. » Et le volet préconisations sera limité, car « sur une même parcelle, si vous mettez quatre vignerons, ils la travailleront différemment, chacun avec son histoire et avec ses objectifs, et on obtiendra des vins très différents », conclut Etienne Goulet.
Échéance visée pour le rendu de l’étude : fin mai prochain. Ce sera ensuite aux vignerons et aux territoires de s’en emparer autant qu’ils le souhaitent, pour continuer à faire grandir les vins d’Auvergne et à leur assurer un avenir.
Reportage Marie-Pierre Demarty – texte et photos (sauf mention contraire). Photo de une : une vigne sur l’aire de production de l’AOC Côtes d’Auvergne, près de Gergovie.
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