Les IA génératives… selon ce qu’on en fera

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Les intervenants et Claire, l'animatrice, au micro
Rencontres Tikographie #50 - Pour cette cinquantième, et dernière de la saison, on aborde un sujet pas du tout dans l'air du temps : les intelligences artificielles génératives. Qu'apportent-elles de bon ou de moins bon à nos territoires ? Deux experts locaux proposent leur point de vue.

Sommaire

Les intervenants

  • Jean-Jérôme Danton, consultant en webmarketing et stratégie digitale et ancien enseignant-chercheur à l’ESC Clermont
  • Thomas Flauraud, dirigeant du centre de formation Bonjour World et expert en I.A. appliquées en entreprise

Le podcast

Vous pouvez accéder à un enregistrement « nettoyé » – pour une meilleure écoute – de la Rencontre ici (suite à un problème technique, seul l’enregistrement du micro d’ambiance est disponible) :

La synthèse : de facture 100 % humaine

La cinquantième Rencontre Tikographie a eu lieu mardi 10 juin 2025 à l’hôtel Océania à Clermont-Ferrand à 17 heures. Elle était animée par Claire Iehl, collaboratrice et bénévole de l’association. Les intervenants étaient Jean-Jérôme Danton, ancien enseignant-chercheur à l’ESC et consultant en intelligence artificielle et stratégie digitale, et Thomas Flauraud, formateur et expert en intelligences artificielles appliquées en entreprise. Le sujet était « Intelligence artificielle et territoires ». Cette table ronde a réuni 200 000 auditeurs, en légère augmentation par rapport à sa fréquentation moyenne.

« Ok Marie-Pierre, peux-tu cesser d’imiter le style IA générative, hallucinations comprises, pour poursuivre ce compte rendu synthétique à ta propre manière ? », m’a alors prompté l’IA générative. Promptement, en humaine disciplinée, j’applique le prompt… pour vous raconter les échanges entre les deux intervenants et une salle très avide d’interagir : on voit que le sujet interroge, inquiète, agace.

« En français, le mot nous attaque. »

Jean-Jérôme Danton s’est d’abord attelé au « défi », comme il le qualifie, de définir l’intelligence artificielle. Plus exactement, il lance ce défi à la salle. « Un engouement » avance un auditeur ; « un ensemble de données compactées et utilisées de façon rationnelle », risque un autre. L’intervenant détrompe l’auditoire : « C’est avant tout un domaine de recherche scientifique et de développement pour créer des machines pouvant prendre des décisions à la manière d’un humain. » Entendez qu’il y a peu de différences entre le système mis au point par Alan Turing pendant la guerre pour décrypter le code allemand, l’informatique en général déployée à partir de cet ancêtre, et ce qu’on appelle aujourd’hui l’intelligence artificielle, si ce n’est le degré de sophistication ou, comme il le dit, « une question d’état de l’art ».

Jean-Jérôme Danton au micro
Jean-Jérôme Danton précise que l’intelligence artificielle est un simple prolongement de l’histoire du numérique.

Jean-Jérôme Danton relève donc que votre GPS, ma cafetière, notre électricité et beaucoup de nos usages quotidiens ne fonctionneraient pas sans leur dose d’IA. Pour parler des outils plus spécifiques mis récemment à disposition du grand public, il faut ajouter le qualificatif « générative » : on en arrive à ces trucs très en vogue qui, dit-il, « fonctionnent sur le langage humain et font des phrases qui ont l’air d’avoir du sens. »

Il convient donc, selon lui, d’apaiser le débat et de déconstruire quelques idées fausses. Ne serait-ce que sur le vocabulaire. Car le terme d’« intelligence » n’a pas le même sens en français et en anglais : « En français, le mot nous attaque », dit-il, alors qu’en anglais il signifie seulement « outil statistique ».

« C’est comme un petit coach. »

Thomas Flauraud avait prévu une démonstration en direct, mais le petit gag, c’est que la technologie était ce jour-là capricieuse. Connexion impossible, ChatGPT poussif. Nous avons finalement pu écouter une conversation entre le formateur et son interlocuteur virtuel par smartphone, avec petit délai de réponse, mais un ton et un style de langage tout de même convaincant.

Thomas Flauraud
Pour Thomas Flauraud, les IA génératives sont enthousiasmantes, à condition de les utiliser à bon escient.

Durant toute la table ronde, il nous fera découvrir tout un tas de cas d’usages d’IA génératives qui rendent plus belle la vie. Exemples : vous entraîner pour un entretien d’embauche ; réaliser des powerpoints pas plus rébarbatifs que les vôtres si vous avez un cours ou une conférence à donner ; traduire dans toutes les langues de la terre pour mieux accueillir des migrants ou pour faciliter le travail de routiers internationaux.

« C’est comme un petit coach », commente-t-il, enthousiaste mais prudent, répétant à plusieurs reprises la nécessité de « l’utiliser à bon escient ». On apprendra même qu’elle est « un bel outil d’inclusion », par exemple quand un smartphone se met à décrire oralement ce qu’il « voit » autour de lui à l’intention d’un non-voyant.

« Ils montent en compétence par le constat de l’erreur de la machine. »

Un fonctionnaire présent dans le public ajoute un exemple parlant pour n’importe qui ayant essayé de faire aboutir une démarche administrative : l’espoir de pouvoir traiter plus rapidement les dossiers en souffrance qui s’accumulent. L’IA pour faire oublier Kafka ?

Jean-Jérôme Danton et Thomas Flauraud
Sur la façon dont leurs apprenants utilisent l’IA, Jean-Jérôme Danton et Thomas Flauraud ont des expériences divergentes.

« L’outil bien utilisé augmente l’homme qui l’utilise », dit Jean-Jérôme Danton en écho. Et de l’illustrer par le comportement de ses étudiants : « Ils finissent par se rendre compte qu’il peut sortir n’importe quoi. Parce que les phrases sont correctes et bien rédigées, elles ont l’air de dire des choses vraies mais qui ne le sont pas forcément. C’est contre-intuitif, mais les étudiants apprennent à creuser, à reformuler, à requestionner. On dit qu’on apprend de ses erreurs ; eux montent en compétence par le constat de l’erreur de la machine. »

Thomas Flauraud ne fait pas le même constat sur les personnes qu’il forme, et prend soin de nuancer, malgré son enthousiasme manifeste : « Ça peut être dangereux si on le laisse utiliser par des enfants, mais il peut aussi aider. Il peut ‘détruire le cerveau’ s’il est mal utilisé… mais pas obligatoirement s’il l’est à bon escient. Il doit être régulé. »

Finalement, explique son co-intervenant, il s’agit d’une révolution qui va surtout changer le monde du travail, et plus précisément les services et la connaissance. L’IA, dit-il, « permet d’atteindre dans le tertiaire ce qu’on a fait dans les secteurs primaire et secondaire : passer de l’industrialisation à l’automatisation », ce qui amène à de nouveaux modes de fonctionnement. Et s’avère d’autant plus perturbant que le bouleversement fait des victimes inhabituelles : « Il attaque principalement les cols blancs. »

Lui-même en fait l’expérience en tant que consultant, car l’IA « éloigne le moment où le client va avoir besoin de nous », en lui offrant pour les questions les plus simples des solutions « pas chères, rapides et sans l’ego du consultant. »

« Il attaque principalement les cols blancs. »

Autre phénomène perturbant par rapport à de précédentes évolutions, Jean-Jérôme Danton constate qu’en France, l’IA fait « une entrée en matière timide » dans les entreprises et les territoires. Mais qu’elle y entre « d’abord par les collaborateurs, trop souvent sans l’accord de l’employeur, d’où la difficulté à la cadrer ». Indiquant qu’en mai 2025 « le sixième site web le plus visité à l’échelle mondiale est déjà ChatGPT, avec une progression qu’on n’a jamais vu », il avertit que l’outil « va déclencher de nouvelles façons d’agir dans les structures. »

Thomas Flauraud
Pour Thomas Flauraud, l’IA va recentrer l’humain sur les tâches à forte valeur ajoutée et sur les métiers « tête-cœur-main ».

Bonne nouvelle cependant, Thomas Flauraud souligne que l’IA allège surtout l’humain des « tâches à faible valeur ajoutée ». On aimerait le croire quand il explique que pour les personnes effectuant un travail physique, l’IA peut aider surtout à transmettre et rappeler des consignes de sécurité (mais pas du tout à leur dicter chacun de leurs gestes ? vraiment ?).

Pour les travailleurs des bureaux, de l’informatique ou du management, l’IA va finalement permettre d’automatiser le travail le plus routinier. Ce que Jean-Jérôme Danton estime « surtout inquiétant pour les débutants, à qui on donne en général les tâches les plus rébarbatives. » Dans un mouvement schumpetérien (et non sphinctérien comme le suggère la merveilleuse IA de mon traitement de texte), Thomas Flauraud voit une opportunité de se recentrer sur les fonctions plus humaines et de revaloriser les « métiers tête-cœur-main » ; il imagine voir plutôt disparaître les comptables que les experts-comptables, les développeurs web, les créateurs de contenu (coder ou écrire étant semble-t-il devenu rébarbatif dans ce monde ravissant).

« Quand on fait fonctionner ces outils entre eux, ils ne tiennent pas la route. »

Point positif tout de même : il faudra conserver des humains dans l’entreprise pour faire fonctionner les IA. « L’outil ne se gère pas seul, dit Jean-Jérôme Danton. Quand on fait fonctionner ces outils entre eux, ils ne tiennent pas la route. » Sera même revalorisé, pressent-il, « tout ce qui se discute à la machine à café. »

Jean-Jérôme Danton et Thomas Flauraud
Bien utilisée, l’IA générative peut constituer une opportunité pour les territoires, les personnes et les entreprises, prêchent les intervenants.

Reste à savoir ce que peut générer l’arrivée massive de ces IA à l’échelle des territoires. Accentuation ou réduction des inégalités ? Thomas Flauraud penche pour une réduction des écarts : « Aujourd’hui, une technologie nouvelle qui sort à San Francisco sort presque aussi vite à Aurillac. » En plus, s’enthousiasme-t-il, « c’est formidable de simplicité. » Mais « la fracture se passe dans la curiosité », tempère Jean-Jérôme Danton. Le phénomène s’ajoutant, s’inquiète-t-il, à celui d’une fracture numérique qui se creuse entre les générations.

« Aujourd’hui, une technologie nouvelle qui sort à San Francisco sort presque aussi vite à Aurillac. »

Même discours mi-chèvre mi-chou concernant la participation de l’intelligence artificielle générative aux émissions de carbone et autres nuisances pour l’environnement. Jean-Jérôme Danton admet que le numérique, globalement, est très émetteur de carbone, mais qu’à comparer les conséquences d’une heure de pratique, les IA génératives apparaissent très anodines à côté d’un TikTok dopé au charbon, lequel se taille une part indécente dans le mix énergétique de la Chine où sont stockées les données du réseau social.

Les questions de la salle le contraignent à nuancer cette vision optimiste de l’IA au regard du nombre d’heures d’usage cumulé ou de ce qui s’apparente à l’effet rebond. « La seule limite est notre temps disponible par jour. » Ouf, nous voilà rassurés : il y en a une !

Jean-Jérôme Danton
« On va toujours devoir intervenir dans le monde où on vit », rassure Jean-Jérôme Danton.

Rassurant là encore, Jean-Jérôme Danton se réjouit de citer une étude selon laquelle les travailleurs, quand ils gagnent du temps grâce à l’IA, consacrent ce temps gagné à « des choses qui les rendent heureux ». Et il nous fait cette révélation pleine d’optimisme : « On va toujours devoir intervenir dans le monde où on vit », car « on n ‘a encore rien trouvé de mieux que le cerveau humain pour intervenir dans le monde réel. » Re-ouf !

J’ai cependant gardé pour la fin ma citation préférée, qu’on doit à Thomas Flauraud : « Il n’a jamais été aussi important de développer l’esprit critique, de travailler son imaginaire, de communiquer de façon authentique et collaborative et de faire preuve de curiosité. »

La méga-super-top-bonne nouvelle, c’est que c’est exactement ce que nous essayons de faire à Tikographie et de partager avec nos auditeurs, nos lecteurs, nos adhérents et tous ceux qui nous soutiennent. Sans passer par la case IA générative.

Synthèse par Marie-Pierre Demarty

En complément, lire aussi sur Tikographie le portrait d’un développeur inquiet : « Yoan de Macedo, numérique mais pas trop » et la carte blanche qu’il nous a proposée ultérieurement : « L’effet rebond, méchant trouble-fête »
Retour exceptionnellement à l’hôtel Océania pour la cinquantième des Rencontres Tikographie, avant de réinvestir le patio rénové des Volcans à la rentrée.

Les crédits

Merci à la librairie les Volcans d’Auvergne pour le partenariat de réalisation des Rencontres Tikographie pour cette saison, et en particulier à Boris, Philippe, Lénaïc, Olivier et Gaëlle. Merci également à l’hôtel Océania pour leur accueil.

Merci à nos invités, aux participants et à l’équipe de l’association Tikographie qui porte et organise les Rencontres.

Pour cette Rencontre spécifique ont œuvré :

  • Claire à la préparation éditoriale et à l’animation ;
  • Marie-Pierre aux photos et au compte rendu.

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