Pour Grégory Bernard, Clermont métropole peut s’adapter par la coopération territoriale

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Damien Caillard

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Controverse 2 sur 2 : Grégory Bernard affirme son optimisme dans la capacité de Clermont Métropole à s'adapter au dérèglement climatique à condition d'inventer de nouvelles manières d'être reliée aux territoires péri-urbains et ruraux environnants.

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Suite et fin d’une petite série (deux épisodes) autour de la métropolisation. Après l’entretien publié mardi avec Guillaume Faburel, voici celui avec Grégory Bernard. Je vous propose de les voir comme deux opinions antagonistes autour de la question « Les métropoles peuvent-elles encore s’adapter au dérèglement climatique ? ».

Elle était posée lors d’une table ronde « controverse » animée le 21 mars dernier à la Maison des Sciences de l’Homme, dans le cadre de deux journées de travail sur la thématique « Habiter, ou pas, les Métropoles » proposée par le réseau Relier. J’ai eu le plaisir de l’animer en mode controverse, alternant les points de vue de Guillaume Faburel (négatif) et de Grégory Bernard (positif)

Cet entretien a été conduit quelques semaines après la controverse du 21 mars. Tout comme avec Guillaume Faburel, il permet à Grégory Bernard, notre intervenant local, de développer son argument en faveur de l’adaptabilité de la métropole clermontoise, tout en soulignant des points communs avec son interlocuteur breton.

Damien

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • Grégory Bernard critique la métropolisation comme une dynamique imposée par l’État depuis les années 1980, centrée sur la compétitivité urbaine au détriment de l’équilibre territorial. Ce processus a renforcé les grandes villes comme Clermont-Ferrand tout en accentuant la désertification des zones rurales, notamment dans le Massif Central, par le retrait des services publics et des investissements.
  • La métropole clermontoise joue un rôle central de service pour un vaste territoire, mais sans bénéficier d’une forte richesse locale. Elle porte des « charges de centralité » (santé, logement social, services publics), tout en étant perçue négativement par les territoires ruraux environnants. Contrairement aux grandes métropoles, elle ne connaît selon lui pas de forte gentrification, notamment grâce à des politiques de solidarité et de mixité sociale.
  • Face au dérèglement climatique, Grégory Bernard plaide pour dépasser le modèle métropolitain au profit de coopérations territoriales basées sur la complémentarité et la résilience. Cela passe par la rénovation du bâti, l’arrêt de l’étalement urbain, la réactivation du ferroviaire, le développement des transports publics, et la mutualisation des ressources comme l’eau. Il appelle à une réorientation des investissements publics, en particulier vers des mobilités durables et une meilleure intégration des territoires.

Accès direct aux questions

Grégory Bernard est élu à la ville de Clermont en charge de l’urbanisme. Il est également président de l’Agence d’Urbanisme Clermont Massif Central.

Pour lire le premier entretien avec Guillaume Faburel : « Pour Guillaume Faburel, « les métropoles vont voir leur destinée bifurquer » »

Comment définirais-tu le concept de métropole ?

La métropolisation c’est autant un processus géographique global que son renforcement par des politiques publiques qui concourent à renforcer les territoires les plus urbains et les plus dynamiques sur le plan économique. Cela s’est produit avec un imaginaire qui était toujours le même : celui de l’attractivité, celui de la compétitivité, celui aussi d’un système urbain qui serait plus performant, avec des mythes comme la Smart City, etc. Et c’est un phénomène récent – la métropole clermontoise a moins de dix ans d’existence légale.

Mais on est dans un pays très jacobin, c’est-à-dire que tout cela partait quand même de l’État et même d’une forme de retrait de l’État autour de ce qui était le paradigme précédent de l’aménagement du territoire, qui était plutôt des principes d’égalité d’accès, des principes d’équité, des principes de redistribution. Ce qu’on ne trouve plus concrètement aujourd’hui.

« Je pense qu’on doit dépasser le concept de métropole »

Ce côté descendant et centralisé a conduit en fait à mettre les territoires en compétition les uns avec les autres, à ne plus apporter de moyens sur ce qui permettait de maintenir des équilibres – comme avec les services publics déficitaires, ce qui auparavant était le paradigme de l’aménagement du territoire. Voilà pourquoi je pense qu’on doit dépasser le concept de métropole.

De quand dates-tu cette apparente rupture ?

Pour moi, c’est lié au tournant néolibéral qui date des années 80 et qui se répand petit à petit dans les années 90. En France, il s’accélère sous le mandat de Sarkozy notamment, et se traduit par la disparition de services publics de proximité qui étaient structurants dans des petites villes, dans des villages, dans des villes moyennes.

Aussi, par le retrait du ferroviaire des “petites lignes”, au moment où on est venu le concentrer sur tous les moyens sur le TGV, c’est-à-dire aller plus vite entre des villes très très grandes, plutôt que de mettre des moyens pour desservir tout un territoire, même s’il y a moins de rentabilité.

Ce repli de l’État, c’est une catastrophe. Si on prend le Massif Central comme territoire de référence, on peut montrer que dans tous les domaines, il y a eu une désertification suite à des décisions publiques et par l’abandon de ces politiques d’équilibre.

Vue de Clermont
Clermont vu de la Pierre Carrée – la métropolisation en Auvergne était, selon Grégory Bernard, une nécessité pour éviter un vide institutionnel au coeur du Massif Central / Crédit photo : Marie-Pierre Demarty

Et, dans ce contexte, pourquoi l’agglomération clermontoise est-elle devenue une métropole ?

Je me souviens très bien ! Cela s’est fait justement quand j’ai commencé à m’investir dans l’action publique : on était dans ce moment où ces politiques publiques structurantes et nationales invitaient à se métropoliser au maximum, où il fallait avoir absolument 500 000 habitants sur le bassin de vie pour pouvoir être reconnus comme métropole et accéder à un certain nombre d’attributs… Il y a eu aussi la fusion [effective en 2016], à mon sens, désastreuse des régions qui étaient dans la même logique, c’est-à-dire des grandes régions compétitives avec en leur cœur des grandes métropoles compétitives.

« Ce repli de l’État, c’est une catastrophe. »

Et donc, localement, il y a eu cette espèce de mobilisation en disant qu’il faut y aller, qu’il ne faut pas qu’on perde le “U” du CHU, l’enseignement supérieur, l’école d’architecture… Et donc les élus et les acteurs, de façon assez consensuelle et générale, se sont engouffrés dans cette dynamique métropolitaine pour continuer à être sur la carte. Et derrière ce choix, il y avait quand même un certain enjeu d’équilibre territorial national.

Quel bilan tires-tu de la métropolisation de Clermont ?

Pour autant, je considère qu’il serait dramatique pour le Massif Central de ne pas avoir eu une métropole en son sein. Clermont est une petite métropole, une des dernières à accéder à ce statut. Mais elle s’est affirmée comme la ville d’un grand territoire qui a aussi besoin d’elle, comme d’une “métropole de proximité”.

Clermont, c’est l’endroit où on va se faire soigner pour certaines pathologies, où nos enfants peuvent faire leurs études supérieures, où on va trouver un certain nombre de services qu’on ne trouve que dans des grandes villes.

« Je considère qu’il serait dramatique pour le Massif Central de ne pas avoir eu une métropole en son sein. »

On peut en penser ce qu’on en veut, mais il y a certains services qui ne peuvent pas être présents partout. Même si je pense qu’on est allé beaucoup trop loin, par exemple sur les fermetures de maternité. Et en même temps, on sait que si on est en dessous d’un certain seuil, c’est dangereux d’avoir aussi des maternités trop petites. Et si on prend par exemple des pôles comme la cancérologie, je pense que tout le monde peut comprendre qu’on ne peut pas avoir d’unité de cancérologie dans toutes les villes moyennes de France.

C’est donc important, dans une pensée géographique d’équilibre du territoire, qu’entre Lyon et Bordeaux, Paris et Montpellier, il y ait quelque chose qui puisse exister. Et donc le fait qu’on soit devenu métropole n’est pas en soi une mauvaise chose, même si je suis contre les présupposés qui ont conduit à pousser tout le monde à s’engouffrer dans cette logique, et que la politique de métropolisation amplifie.

Comment la métropolisation clermontoise a-t-elle été perçue par les élus ruraux du Puy-de-Dôme ?

On partait d’un malentendu, à mon avis. Parce qu’il y avait tout ce que j’ai décrit précédemment. Donc, il me semble que beaucoup de territoires ont vécu la métropolisation clermontoise comme quelque chose de négatif pour eux, comme si beaucoup de choses se concentraient sur Clermont au moment où eux-mêmes voyaient disparaître des services publics et parfois même des entreprises.

Cela dit, on oublie souvent que Clermont supporte aussi des “charges de centralité”. Parce que Clermont n’est pas une ville si riche que ça en fait. C’est la particularité de beaucoup de territoires urbains comme le nôtre, finalement – sans doute à la différence des très grandes métropoles qui sont plus peut-être la cible de Guillaume Faburel.

Qu’entends-tu par “charges de centralité” ?

Je m’explique : [la commune] de Clermont concentre de la production de richesses. Son PIB est significatif, elle représente 100 000 emplois, soit un ratio de 2 emplois pour 3 habitants, ce qui est très important. Sauf que quand on regarde dans le détail, la richesse produite à Clermont ne bénéficie pas qu’à Clermont. Quant aux emplois, ils peuvent bénéficier à des gens qui habitent parfois très loin, dans d’autres communes de la métropole, voire ailleurs dans le département du Puy-de-Dôme.

« On oublie souvent que Clermont supporte aussi des “charges de centralité”

D’autant plus que la population clermontoise est plutôt pauvre : si on regarde les revenus fiscaux des gens qui habitent dans la ville, en fait, on ne concentre pas les habitants aisés, y compris en centre-ville. La ville a donc, aussi, cette pauvreté à gérer. Du coup, nos politiques de solidarité sont très importantes, avec cinq EHPAD publics, trois résidences d’autonomies… Il y a très peu de collectivités, même de notre taille, qui font ces efforts-là.

Ainsi, la métropolisation clermontoise n’a pas rejeté des populations au dehors par un phénomène d’exclusion sociale. Ce n’est pas la réalité des données sociologiques ! A l’inverse, plus on s’écarte du centre de Clermont, plus les revenus fiscaux sont importants – à l’échelle de la métropole tout du moins. Mais ça devient moins vrai si on s’écarte beaucoup plus.

Je pense que ça devrait faire réfléchir tout le monde sur le fait que, souvent, il y a des fausses idées dans l’appréhension de ce sujet de la métropolisation. On aurait l’impression que ce serait une concentration de riches qui serait excluante, avec de la gentrification, etc. A Clermont, on a assez peu connu ça sur le territoire. Y compris parce qu’on a des politiques publiques, justement, qui contrecarrent cette tendance-là notamment en matière d’habitat et de solidarités.

La place Renoux en plein travaux
Avec la notion de « charges de centralité », Grégory Bernard souligne autant l’impact économique des travaux en cours que la nécessité pour la métropole clermontoise de supporter des charges spécifiques à sa taille / Crédit photo : Marie-Pierre Demarty

En tant que président de l’Agence d’Urbanisme, comment la métropole peut-elle s’adapter aux défis du dérèglement climatique et de la transition écologique ?

Ces sujets rebattent complètement les cartes et font qu’on devrait réinventer des politiques d’équilibre qui ne seront pas celles de grand-papa, mais qui devront quand même à la hauteur de ces enjeux. Et, dans ce cadre-là, je pense qu’il faut réussir à dépasser la métropolisation. Parce que c’était une réponse qui a correspondu à un certain moment, mais qui restait une organisation voulue d’en haut et acceptée d’en bas par des gens qui finalement n’avaient pas beaucoup d’autres choix.

« On aurait l’impression que [la métropole] serait une concentration de riches qui serait excluante »

Il y a d’abord la façon dont on doit transformer l’espace métropolitain qui continuera à être habité : arrêt de l’étalement urbain et protections des sols vivants ; végétalisation des espaces publics et privés ; réhabilitation, rénovation, reconversion du bâti existant ; approches bioclimatiques et décarbonation de la construction ; place des enfants dans la ville ; piétonnisation ; urbanisme favorable à la santé…

La clé est aussi dans le fait d’être relié. Par exemple, quand on se demande comment répondre aux besoins de logement des habitants. Je constate qu’il y a beaucoup de villes moyennes ou de petites villes qui ont des capacités d’accueil de population, des capacités de réponse en logement qui sont importantes avec beaucoup de vacance par exemple. Et je me dis qu’on pourrait justement, en se reliant mieux au territoire, aider ces communes à trouver des moyens qui leur manquent souvent, pour se développer.

C’est là qu’il ne faut pas surdévelopper la métropole, mais au contraire favoriser un rééquilibrage du développement qui ne peut passer à mon sens que par le fait d’être mieux relié. Parce que l’on vit en complémentarité. Et s’il n’y a pas des politiques de coopération qui permettent de mieux connecter nos territoires entre eux et donc de les rendre plus résilients du fait qu’ils sont connectés, hé bien je pense qu’on s’en sortira pas avec les transformations qui viennent.

Comment cette coopération peut-elle se concrétiser dans les transports ?

Je pense que la question du transport public est une des questions clés. D’abord parce que ça pèse très lourd dans notre impact carbone territorial à tous collectivement – je parle des habitants, des acteurs, des entreprises, etc.

Donc, aujourd’hui, on doit mieux penser la question du transport public et on ne peut donc pas seulement la penser à l’échelle de la métropole. La métropole est en train de remettre complètement à niveau son système de transport public qui en avait bien besoin, de la même façon qu’elle a déployé un réseau cyclable métropolitain digne de ce nom. Je comprends que les fameux travaux dans Clermont font beaucoup crier. Mais tout le monde doit réaliser qu’il était nécessaire que cette métropole fasse sa mue et qu’elle anticipe les enjeux du siècle, c’est-à-dire justement pouvoir se déplacer autrement qu’en voiture, que ce soit en transport en commun décarboné électrique, ou en vélo, par exemple. C’est extrêmement important !

« Favoriser un rééquilibrage du développement qui ne peut passer à mon sens que par le fait d’être mieux relié »

Je pense donc qu’on a raison de faire ce qu’on fait à l’échelle métropolitaine, mais on voit bien qu’il y a un angle mort : nous restons dans notre périmètre de compétence, celui pour lequel on est élu. Alors que le vrai bassin de vie, il est à une autre échelle. Et les flux de mobilité les plus importantes aujourd’hui sont ceux, justement, des gens qui vivent à l’extérieur de la métropole et qui y rentrent, ou le contraire. Et là, on ne peut pas rester dans un système de quasi-dépendance à un seul mode de transport dont on sait qu’il pose de nombreux problèmes, c’est-à-dire la voiture individuelle.

Si on prend ce sujet-là, il va nous falloir coopérer avec d’autres territoires que le nôtre. Soit en étendant les champs de compétences des syndicats mixtes comme le SMTC, soit en trouvant d’autres formes de coopération – je pense par exemple au projet de SERM, de Service Express Régional Métropolitain, qui pourrait, sur le papier en tout cas, permettre aux gens habitant en dehors de la métropole d’avoir une alternative à leur voiture comme seul mode de transport pour se rendre sur leur lieu de travail, sur leur lieu d’études, sur leur lieu de vie culturelle ou sportive par exemple.

La concurrence des investissements pour la route obère grandement l’avenir du maillage ferroviaire territorial selon Grégory Bernard / Crédit photo : Railcoop (DR)

Mais aujourd’hui on en est très, très loin. La situation s’est même bien dégradée, en particulier sur le ferroviaire. C’est toujours pareil, on a depuis le début des années 80 une dégradation systémique de l’offre ferroviaire avec des disparitions entières de lignes, avec des fermetures de gares, avec des services complètement dégradés sur les territoires peu denses du Massif Central.

C’est ce fameux cercle vicieux où, en fait, en dégradant le service, il y a moins d’usagers. Donc on constate qu’il y a moins d’usagers, ce qui autorise à dégrader encore plus le service… et on finit par fermer la ligne et la gare. Et c’est ça qui s’est passé pendant quarante ans sur notre territoire. Comment est-ce qu’on pivote pour passer à autre chose, aujourd’hui ? Ce sont les sujets prioritaires de coopération du moment, selon moi.

Un autre cas d’école peut être celui de l’eau…

Sur le sujet de l’eau, on a des régies publiques, des syndicats mixtes avec des modes de gestion différents. Au-delà de ça, il y a un travail qui est en train d’être fait pour relier nos réseaux entre eux, comme ça a pu être le cas, par exemple, dans le département de l’Allier. Et ça, ça sera extrêmement important en termes de résilience, face à des crises qu’on risque de traverser.

La métropole a des moyens très importants en termes d’eau. Je prends deux exemples. Il y a une usine élévatoire sur les nappes alluviales de l’Allier, à Cournon. Elle a une capacité à traiter de l’eau pour la rendre potable qui est très importante et qui est basée sur des technologies en partie résilientes car liées à des ressources locales, Sachant qu’on a aussi du captage dans la chaîne des Puys. La deuxième chose dont on dispose à Clermont, c’est un laboratoire public et local qui permet de mesurer nous-mêmes la qualité de l’eau.

« Plus on sera relié, plus on sera résilient. »

Tout cela est assez rare dans le paysage. D’autres territoires du département ont des ressources en eau importantes mais n’ont pas forcément les moyens ni de traiter cette eau en amont ni d’avoir les outils en propre de suivi de la qualité de l’eau etc. Et donc, il y a un intérêt à mutualiser autour de ça sur un territoire, et en cas de crise de pouvoir faire œuvre de solidarité en partageant l’eau. Plus on sera relié, plus on sera résilient.

Un des bassins de traitement biologique
La station d’épuration des Trois Rivières, principal lieu de traitement des eaux usées clermontoises : un des investissements significatifs pour traiter l’eau en local / Crédit photo : Marie-Pierre Demarty

On évoque beaucoup “le territoire”. Quelle est la bonne échelle d’action selon toi ?

Je trouve le modèle de biorégion assez séduisant. C’est l’idée qu’on peut, dans un certain nombre de domaines stratégiques, définir un périmètre territorial qui va permettre de trouver l’essentiel de ce qui pourrait être fait en autonomie. Mais, pour autant, pas pour en faire un territoire politiquement en sécession du reste de la Terre. Car on a toujours intérêt à travailler sur ces enjeux de complémentarité et de résilience.

Ce qui nous apprend à définir peut-être les bons périmètres, ce sont les études de métabolisme territorial. Par exemple, comment la ressource en eau, l’énergie, la production alimentaire, la santé, les matériaux de construction sont gérés… comment tous ces sujets peuvent fonctionner sur une communauté d’habitants et de territoires qui partageraient des outils en commun pour pouvoir surmonter justement les crises qui arrivent.

Sur le choix du bon périmètre territorial pour agir, lire aussi : « Sortir du cadre pour agir à la bonne échelle »

C’est un peu comme ça qu’ont été définies les biorégions. Le nom ne m’intéresse pas plus que ça, mais la notion est quand même intéressante parce qu’elle nous invite à regarder au bon endroit. Je la vois donc comme un outil de réflexion et de coopération territoriale, plus que comme une institution.

L’Agence d’Urbanisme affiche justement le périmètre du “Massif Central” dans son nom…

L’agence existe maintenant depuis presque 30 ans. Elle a été la matrice de l’intercommunalité urbaine dont elle est issue au départ, puis du Grand Clermont et du pôle métropolitain. Donc, en fait, elle a inventé les coopérations territoriales sans être une institution qui les opère elle-même. C’était plutôt l’endroit où on a le droit de l’imaginer, où on peut le partager ensemble, où on peut y réfléchir, où on peut documenter aussi un certain nombre de choses

Tout cela parce qu’il y a beaucoup d’expertise à l’agence. Cela signifie que, pour s’en sortir, on a besoin de la science, de l’expertise et du collectif. Dans notre cas, on est d’ailleurs passé d’une agence “d’urbanisme et de développement”, avec une dimension très métropolitaine, à l’agence du Massif Central qui travaille sur d’autres imaginaires.

La question y est celle de l’équilibre entre monde rural et monde urbain. Et la réponse va dépendre des adhérents qui pourraient nous rejoindre. Mais, ce qu’il faut comprendre, c’est que l’agence ne décide pas : elle intervient à l’échelle du Massif Central sur le “plan d’adaptation” porté par le commissariat de Massif. L’agence, elle, accompagne cette réflexion avec des acteurs de l’ensemble du territoire. Par exemple, en organisant la prochaine manifestation sur l’année mondiale du pastoralisme.

« La question [à l’Agence d’Urbanisme] est celle de l’équilibre entre monde rural et monde urbain. »

De plus, ses nouveaux adhérents sont assez éloignés de son lieu de naissance métropolitain. Par leur implantation géographique, mais aussi par les sujets qu’ils nous posent. En fait, ce que je constate, c’est que, quand l’Etat n’est plus là, il y a besoin souvent d’ingénierie publique locale, d’accompagnement, d’expertise, de compréhension. Tout ce qu’une agence peut produire. Et donc il faut qu’on apprenne à mutualiser ces outils, et cela, c’est de la réciprocité, des lieux de réflexion, de rencontre…

L'entretien que nous avons réalisé avec Stéphane Cordobes, directeur de l'Agence d'Urbanisme : « Avec Stéphane Cordobes, l’Agence d’Urbanisme s’oriente vers l’écologie et la culture »

Mais a-t-on, aura-t-on encore les moyens de ces ambitions ? En termes financiers autant que de ressources naturelles ou d’énergie ?

Je ne suis pas dans la nostalgie de ce qui existait avant et j’entends les questions de ressources et d’énergie, mais je constate aussi qu’il y a des territoires qui y arrivent. C’est-à-dire qu’avec de la volonté politique, la région Occitanie par exemple a réouvert des lignes de train qui étaient fermées depuis longtemps. Et cela donne des bassins entiers de population qui se retrouvent desservis par des trains du quotidien. Ça, quand même, ça devrait nous faire réfléchir en Auvergne-Rhône-Alpes, où pour l’instant on ne le voit pas arriver.

Tu l’avais évoqué plus haut, mais quel peut être le rôle du train dans la desserte fine du territoire puydômois ?

Quand je parle du ferroviaire, je ne pense pas pour autant qu’on peut rêver à réouvrir toutes les gares qui ont été fermées. Je ne dis pas ça ! Mais je pense qu’entre ça et ne pas réinvestir sur des infrastructures, il y a des vraies questions qu’on doit se poser.

Par exemple, la fameuse “étoile ferroviaire” clermontoise, qui est une sorte d’étoile d’une branche et demie, c’est quelque chose qu’on doit interroger. De même, la liaison Clermont-Lyon ou Clermont-Bordeaux à grande échelle ne sont pas impossibles à réinvestir. Et c’est même très modeste ce qu’il faudrait faire, en termes d’infrastructures.

Autre cas d’école : la ligne de train dite des Volcans, qui part de Clermont et qui va vers l’ouest [vers le Sancy]. Potentiellement, elle pourrait aller jusqu’à Bordeaux ! Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Alors que c’est une ligne sur laquelle il y eu des investissements il y a moins de 15 ans. Elle a été fermée aux voyageurs après Volvic mais elle continue à être exploitée pour le fret des eaux du Mont-Dore. Et donc, cette ligne, elle est encore entretenue. Le problème est juste dans l’optimisation des ressources existantes, en fait. Pourquoi ces infrastructures existent déjà, mais sans qu’on ne les utilise intelligemment ?

Et ça, ce sont des vraies questions du XXIe siècle, des questions de résilience et de sobriété. Parce que ça permettrait à plein de gens de ne plus dépendre uniquement de leur voiture. Au final, c’est ce qui pose un vrai débat : si on voulait mettre de l’investissement ferroviaire utile aujourd’hui, on devrait faire fonctionner mieux ce qui existe déjà en le décarbonant et en le rendant ouvert aux voyageurs.

Le compte-rendu de notre Rencontre Tikographie sur les petites lignes de train : « Rencontre : peut-on faire revivre les petites lignes de train ? »

Mais cette logique d’investissement n’est pas appliquée…

Ce que je constate, en tant qu’élu du Puy-de-Dôme – y compris à la Métropole – c’est l’argent qu’on continue à mettre sur les routes et donc, indirectement, sur la voiture individuelle. Dans le cadre des enjeux énergétiques, de ressources ou de limites planétaires, la bonne façon de les traiter serait plutôt à travers des réponses de mobilité collectives et les plus décarbonées possible. Et donc, je plaide pour le transfert des ressources qui sont mises sur la route vers ces solutions collectives.

Aujourd’hui, je pense qu’on a besoin que la Région arrête d’investir sur des voies rapides ou des contournements routiers. Ce n’est pas du tout sa compétence. Et pourquoi faire ? Pour faire toujours rouler plus de voitures, et plus de camions. Ce sont donc des investissements hyper carbonés, à la fois par l’aménagement lui-même et par l’utilisation.

Pendant ce temps-là, on ne développe pas le ferroviaire, alors que les compétences et les ressources disponibles pourraient aller là-dessus. Par exemple, penser le métabolisme économique autour de l’usage du rail comme moyen de logistique.

Pourquoi est-ce qu’on n’y arrive pas à l’échelle régionale ? Il y a certainement une dimension un peu politique là-dedans. D’ailleurs, d’autres que moi se battent et se battront pour le ferroviaire. Mais j’aimerais quand même que les habitants de la région prennent conscience de ça. Parce qu’on a des exemples de régions, encore une fois, qui n’ont pas fait les mêmes choix stratégiques et qui sont en train de réouvrir des gares et des lignes.

On voit au final qu’on est en train de rentrer dans un nouveau cycle historique. Et, comme souvent, il y a ceux qui sont un peu précurseurs et puis il y a ceux qui traînent la patte et qui vivent dans une sorte de déni du changement, pour ne pas dire autre chose. C’est la nostalgie d’un monde qui nous emmène dans le mur. Personnellement, sur ce sujet, j’attends d’abord une réponse des gens dont c’est le boulot. Et je pense qu’il faut qu’on les interpelle fortement.

Entretien réalisé le jeudi 24 avril 2025 par Damien Caillard. À la une : portrait de Grégory Bernard

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