Pour Guillaume Faburel, « les métropoles vont voir leur destinée bifurquer »

Par

Damien Caillard

Le

Controverse 1 sur 2 : Guillaume Faburel, auteur de plusieurs ouvrages sur les métropoles, revient pour Tikographie sur l'impossibilité de ces dernières à s'adapter au dérèglement climatique. La solution : réinvestir les campagnes, avec humilité.

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Comme beaucoup de personnes intéressées par les enjeux de transition écologique, je m’étais posé la question du bon périmètre : pour agir sur les questions de l’eau, de la mobilité ou de l’énergie, faut-il considérer avant tout un territoire historique, administratif, pratique ou naturel ?

Avec le concept de biorégion, j’en suis venu à lire puis à rencontrer Guillaume Faburel. Plus précisément, lors d’une table ronde animée le 21 mars dernier à la Maison des Sciences de l’Homme, dans le cadre de deux journées de travail sur la thématique « Habiter, ou pas, les Métropoles » proposée par le réseau Relier.

Voici non pas le compte-rendu de cette rencontre mais un entretien complémentaire, assez extensif, avec Guillaume Faburel. Je vous invite à lire les accordéons suivants sur les trois points à retenir, ou pour accéder directement aux questions.

Vendredi, je vous proposerai le « pendant » de cet entretien : un échange également extensif avec Grégory Bernard, antagoniste de la controverse du 21 mars et défendeur de la capacité des métropoles à s’adapter.

Deux visions du monde et des territoires, pas pour autant irréconciliables.

Damien

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • Guillaume Faburel estime qu’il est impossible de transformer les métropoles de l’intérieur à cause de la structure même de leur organisation (densité, spécialisation, gouvernance centralisée). Il prédit un exode urbain massif à moyen terme, avec des villes devenant de plus en plus invivables en raison des changements climatiques. Il propose de repenser les modèles territoriaux en favorisant des échelles plus petites et plus autonomes.
  • Pour s’adapter à ces nouveaux défis, Guillaume Faburel propose un retour vers des territoires plus petits et autonomes (pays géographiques, terroirs), où les citoyens pourraient reconstruire des liens sociaux et économiques locaux. Cependant, ce changement exige un profond réajustement des imaginaires urbains, une décolonisation des modes de vie actuels, et une réinvention des mobilités pour créer des systèmes plus partagés et résilients.
  • Cependant, il plaide pour des territoires plus autonomes qui ne tombent pas pour autant dans l’autarcie. Il insiste sur le fait que l’autonomie n’implique pas l’isolement, mais plutôt une réinterconnexion et une interdépendance entre les différentes communautés locales. Chaque territoire devrait être politiquement structuré pour dialoguer sur un pied d’égalité avec les autres, évitant ainsi les dominations d’un territoire plus puissant sur un autre, un phénomène souvent observé dans les grandes métropoles.

Accès direct aux questions

Guillaume Faburel est professeur d’études urbaines et de géographie à l’Université Lyon II. Il est notamment l’auteur de « Métropoles Barbares« , prix du livre d’écologie politique en 2018, et plus récemment de « Indécence urbaine : pour un nouveau pacte avec le vivant » (2023) chez Flammarion.

Lire aussi l'entretien "miroir" avec Grégory Bernard : « Pour Grégory Bernard, Clermont métropole peut s’adapter par la coopération territoriale »

Comment es-tu venu à t’intéresser spécifiquement à la question des métropoles ?

Il y a trois raisons à cela. La première, c’est que je viens d’une famille pour partie d’obédience marxiste, et c’est une filiation de pensée à laquelle je continue à me nourrir, mais dans laquelle la question écologique est demeurée fort longtemps impensée (avec des repas de famille plutôt animés !). Deuxième raison : mon choix de formation, la géographie, dans laquelle la question environnementale m’a particulièrement fait réfléchir au travers des établissements humains notamment. Et troisième élément, j’ai plusieurs fois déménagé, donc j’ai vécu vraiment dans des environnements très différents, de la campagne à l’urbain, du périurbain à des centres métropolitains, en passant par les petites villes et les villes « moyennes ».

« Toutes les recherches que j’ai pu mener pendant mon doctorat (…) étaient autour des points de tension, de conflictualité entre aménagement et environnement »

Tout cela m’a poussé à me concentrer sur la question des politiques territoriales ayant une forte assise environnementale et quelques visées écologiques. Ainsi de mes premiers travaux, notamment la thèse sur des conflits d’aménagement pour causes environnementales : projets de lignes à haute tension, d’aéroports, etc. J’ai aussi travaillé sur Notre-Dame-des-Landes il y a plus d’une vingtaine d’années de cela, celle qui a donné lieu à la ZAD. Toutes les recherches que j’ai pu mener pendant mon doctorat, jusqu’à ma jeune carrière de chercheur, étaient autour des points de tension, de conflictualité entre aménagement et environnement, et ce faisant depuis les villes et leurs dynamiques singulièrement, pour faire court.

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Comment sont gérés ces points de tension actuellement ?

En fait, je me suis aperçu à un moment donné qu’on faisait beaucoup d’enquêtes auprès d’habitants pour voir « l’acceptabilité » des projets – c’est un terme qui m’a toujours rebuté. Au final, on s’aperçoit que tout ce qu’on produisait comme éléments d’alerte sur l’inacceptable de ces grands projets était en fait totalement mis de côté par les autorités.

C’est pourquoi j’en suis arrivé à la question de la métropole, tout simplement parce qu’il fallait remonter d’un cran et essayer de comprendre quelle était la dynamique structurelle, quelle était la matrice derrière tous ces grands projets d’aménagement.

Quel rôle a la métropole sur le territoire contemporain ?

Il y a un vrai phénomène de métropolisation du monde, et on finit toujours, qu’on le veuille ou non, par y revenir. Il existe depuis les 40 ou 50 dernières années, même si le « label » de métropole est plus récent. Mais c’est en fait toute l’épopée des villes qui se trame derrière. C’est toute la grandeur de l’humanité par l’urbanisation qui est aujourd’hui écologiquement questionnée.

« Tout ce qu’on produisait comme éléments d’alerte sur l’inacceptable de ces grands projets était en fait totalement mis de côté par les autorités. »

Et peut-on encore adapter les métropoles au dérèglement climatique ?

Selon moi, il est impossible de changer les métropoles de l’intérieur. Mais pas parce qu’on ne pourrait pas débétonner ou désartificialiser : on peut débitumer à certains endroits, même s’il y aura des problèmes organiques.

En fait, le problème, il n’est pas tant dans la matière en elle-même que dans la pensée qui a accouché de la matière, et ce faisant de nos propres imaginaires. C’est ça qui rend en fait la trajectoire métropolitaine non bifurcable.

Je m’explique : la métropole, par sa densité et sa concentration, nécessite des savoirs de spécialisation, de la rationalité dans l’aménagement, de la gouvernance des corps et des puissances, de la délégation aux politiques pour agir sur notre environnement. Par effet de taille, la métropolisation nécessite que les citoyens se dessaisissent d’une capacité directe d’action, qu’elle soit celle pour la subsistance (consommations) ou pour la gouvernance (représentation).

« Selon moi, il est impossible de changer les métropoles de l’intérieur. »

Et cela va être très difficile d’en revenir ! Historiquement, on allait du « petit » vers le « grand ». La majorité des gens vient encore aujourd’hui des mondes périurbains et ruraux. La ville reste le phare, là où on trouve l’emploi, les services et les formations. Il nous faudra déconstruire cet imaginaire.

Guillaume Faburel et Grégory Bernard ont participé à la Controverse du 21 mars dernier sur l’avenir des métropoles, animée par Tikographie

Mais les métropoles sont-elles vouées à disparaître de par leur propre masse ?

Climatiquement parlant, les métropoles ont commencé à devenir à certains moments de l’année proprement invivables. Et ça va se détériorer. Il y a un différentiel thermique qui peut aller jusqu’à 12 degrés entre un cœur métropolitain et une petite bourgade à 30 km dite de campagne. Sans parler des ruptures d’approvisionnement et de la faible autonomie.

Les métropoles vont donc, tout simplement, voir leur propre destinée bifurquer. Les villes peuvent mourir ! Il y a des nécropoles qui peuplent toute l’histoire de l’humanité. L’idée que la ville serait éternelle, c’est une vieille illusion prométhéenne. D’ailleurs, les grandes villes et les métropoles ont commencé, d’abord très légèrement, à perdre de la population partout dans le monde.

Il va donc y avoir un exode urbain. Aujourd’hui, ce sont 100 000 personnes qui quittent les territoires métropolitains chaque année, c’est-à-dire les territoires au sens institutionnel du terme, à 80 % pour aller dans le périurbain et à 20 % pour aller dans les campagnes. Ça va s’équilibrer. Le périurbain des grandes villes va commencer à moins être attractif parce que lui-même gagné par l’artificialisation. Donc à horizon de 20 ans, ça va être plutôt 50-50, et vraisemblablement dans les 200 000 personnes par an. Ce qui veut donc dire qu’à horizon 2050, tu vas avoir en France l’équivalent de 4 à 5 millions d’habitants qui seront partis des territoires métropolitains.

« Il va donc y avoir un exode urbain »

En ville, ça va forcément libérer des espaces, des locaux, des possibles. Là, je fais le pari que ceux qui auront décidé, pour des raisons à la fois militantes, culturelles, politiques, ou écologiques, d’y rester… vont retrouver de la capacité. En fait, il nous faudrait engager une décroissance planifiée des métropoles. Que le « bateau amiral » qu’elles constituent soit capable de voguer au fil de l’eau, de s’adapter malgré tout. On verra le moment venu, mais peut-être il y a une probabilité qu’il vienne s’échouer sur le rivage de l’écologie planétaire. Et qu’elles deviennent des villes fantômes, ou des lieux réoccupés par le capitalisme qui y avait trop investi pour les laisser filer. C’est le cas de Detroit aux Etats-Unis, devenue depuis maintenant 4 ans « the place to be » pour le transhumanisme et l’intelligence artificielle, après avoir été le phare de la contre-culture et de la « décroissance » urbaine après le départ des industries.

C’est en ça que moi je suis très sceptique sur l’adaptation métropolitaine à l’effondrement dans lequel nous sommes embarqués. Je serais d’avis que, vraiment, on ouvre un champ du possible à la marge et aux lisières, et plus encore ailleurs. C’est d’ailleurs un argument très urbain que de se dire, en préambule, « qu’est-ce que nous allons faire des métropoles ? » Mon opinion est qu’à un moment donné, il faut aussi imaginer les abandonner.

Quelle est la bonne maille territoriale selon toi, si on doit quitter les métropoles ?

On a parfois utilisé le terme de « biorégion ». Il me rend un peu dubitatif, parce que c’est un terme qui est au fond très urbain, notamment issu d’universitaires américains ou d’architectes urbanistes de Florence qui sont des experts de l’aménagement territorial.

Alors qu’en France, on a des « pays » géographiques, on a des « terroirs »… et je milite beaucoup plus pour réhabiliter ces termes que les ruralités ont longtemps utilisés, qui sont encore parfois exploités, mais qu’une certaine culture de droite très réactionnaire, pour ne pas dire identitaire, s’est appropriée.

Et moi, sincèrement, j’accepte bien volontiers de discuter avec la droite identitaire ! Bien que ce ne soit pas ma tasse de thé. Là, pour moi, il y a une réappropriation des mots qu’il nous faudrait mener, et je privilégie pays géographiques et terroirs, racines et traditions, comme devant être resitués dans la transformation du monde.

Vue de Thiers. La notion de pays ou de terroir est privilégiée par Guillaume Faburel comme étant la bonne « maille » territoriale / Crédit photo : Nanzig (Wikimedia Commons, CC BY SA 4.0)

Quelle est la traduction de cette échelle territoriale en termes de taille ?

Historiquement, les territoires les plus résilients – ceux qui peuvent faire face à des ruptures d’approvisionnement, voire à des blackouts, ou s’adapter à des événements catastrophiques d’ordre climatique, écologique – sont effectivement ceux qui ont cultivé de manière autonome leurs ressources endogènes.

Cela se voit dans le temps long de l’archéologie avec les cités perdues en passant par des utopies urbaines du XIXe siècle ou d’autres exemples qui ont traversé notamment le haut Moyen-Âge. C’est très diversement constitué et il n’y a pas d’invariance historique, mais la question de la taille est toujours posée dans la destinée même des entités urbaines.

« La question de la taille est toujours posée dans la destinée même des entités urbaines. »

Tu t’aperçois donc qu’il y a deux conditions à l’adaptabilité. Un, la taille et deux, l’endogénéité du fonctionnement économique de la communauté. Et si on part des données écologiques contemporaines, de l’accès au carburant, donc aux énergies fossiles, de la question alimentaire, de la question de l’accès aux terres, des habitations, vacantes ou non, en tout cas du besoin de se loger … tout ça mis bout à bout, effectivement, on arrive à des territoires de 30 à 40 000 personnes non réunies au même endroit, dans un périmètre de 20 à 30 kilomètres de diamètre.

Sur le sujet du bon périmètre pour agir, lire aussi : « Sortir du cadre pour agir à la bonne échelle »

Cette maille correspond-elle aux communautés de communes ?

Oui, ça peut être celle-ci. Mais les communautés de communes ont été créées par association et par jeu politique, non pas par unité écologique. Est-ce qu’elles peuvent correspondre à un terroir, ou devenir une biorégion (je ne suis pas totalement réticent à l’usage du terme) ?

Souvent, on s’aperçoit que les circonscriptions qui ont été réunies pour former une communauté de communes forment un découpage très surprenant, qui renvoie plutôt à la seule volonté de développement économique et d’attractivité, avec la commune centre comme petite baronnie, plutôt qu’à la réalité historique des savoir-faire des terroirs locaux. Il s’agirait indéniablement de remettre tout ça un peu dans le bon sens, ou en tout cas dans un sens écologique, celui de l’autonomie et ce faisant de capacités de résilience.

Comment les urbains peuvent-ils s’adapter à ce nouveau cadre de vie ?

Si nos ancêtres venaient de la campagne, il s’agit maintenant d’y retourner, mais avec une inculture totale de ce qu’un monde plus « petit » pourrait enclencher au plus profond de nous. Donc il ne s’agirait pas simplement de déménager, mais d’aller vivre dans des endroits moins densément habités, plus ouverts à des espaces de nature, plus ouverts à des formes de vie autres. Surtout, le faire en décolonisant notre propre imaginaire, en se dépouillant d’un certain nombre d’habitudes, d’un confort parfois, souvent, somptuaire auquel la vie nous a accoutumés – besoin de stimulation, de vitesse, d’artifice. Et ce même s’il y a beaucoup de modes de vie urbains qui ont tendance à se déployer dans les ruralités.

Il me semble que vivre dans les ruralités, c’est se laisser la possibilité d’être autrement interpellé. Lorsque l’on est confronté à des animaux qui souffrent de la chaleur ou des arbres qui sont en stress hydrique, lorsque l’on voit des terres craquelées, il y a un facteur de persuasion, de conviction, en tout cas une interpellation. Ce n’est pas du romantisme, seulement la sensibilité première d’un être sentant.

Vue de Clermont
Clermont vue de Montjuzet. Pour Guillaume Faburel, les métropoles sont devenues structurellement incapables de s’adapter au dérèglement climatique, pas tant pour des raisons de technique que d’imaginaires.

Il y a bien des tensions qui existent entre urbains et ruraux…

Tout à fait. En ruralité, tu voisines différemment, tu riveraines différemment, tu te socialises différemment. Je ne dis pas que tout ça est toujours joyeux et plaisant. Mais il ne demeure pas moins qu’il va falloir qu’on re-cohabite lorsque la géographie nous a séparés, au profit des grandes villes.

« [Décoloniser] notre propre imaginaire, en se dépouillant d’un certain nombre d’habitudes, d’un confort parfois, souvent, somptuaire auquel la vie nous a accoutumés. »

Est-ce possible de manière pacifiée ? Je ne sais pas. C’est en train de se tendre à certains endroits, avec des fiertés rurales qui commencent à revenir, une symbolique qui est en train de s’inverser, et beaucoup d’urbains qui arrivent avec un sentiment de supériorité, parce qu’ils ont accédé au confort et à la matérialité. Mais il y a d’autres endroits où ça se passe très bien ! Pour moi, l’enjeu des ruralités dans le débranchement que je défends, c’est apprendre tout simplement à partager la rareté, celle de la subsistance (donc aussi de poser la question de la propriété, des communs, du politique…).

Comment vois-tu la question spécifique des mobilités dans ce contexte ?

Nous n’avons plus les moyens de la mobilité facile et de l’énergie facile. Et donc, la voiture n’est pas de bon conseil pour l’environnement – qu’elle soit thermique ou électrique – non seulement par la consommation énergétique, mais aussi par le sentiment de liberté et d’illimité qu’elle peut parfois produire.

Il y a là un marqueur anthropologique de la modernité urbaine. C’est celle du déplacement et des transports facilités, du déplacement permanent. On est dans une agitation, dans une circulation. Nous sommes mobiles, agiles, fluides et, ce faisant, corvéables.

« L’enjeu des ruralités dans le débranchement que je défends, c’est apprendre tout simplement à partager la rareté, celle de la subsistance. »

Demain, et même aujourd’hui, nous n’avons donc plus les moyens énergétiques de restaurer à l’identique des petites lignes de train de proximité, pas plus que pour les grands aéroports internationaux. Vue la descente énergétique qui est engagée, vu le coût que ça pourrait représenter, il va nous falloir là aussi décoloniser certaines manières de penser. Je veux dire : sortir d’une gestion centralisée et assez massifiée, au profit de formes de mobilité beaucoup plus resserrées, partagées et agiles. Et c’est là où les véhicules intermédiaires et groupés sont intéressants : un minibus qui permet de faire du porte-à-porte est beaucoup plus efficace dans les ruralités, notamment parce que qu’il permet d’éviter l’effet tunnel – le désert qu’il peut y avoir entre deux bourgades éloignées de 15 kilomètres parcourus en train.

As-tu en tête un exemple d’initiative locale allant dans le sens de l’invention de ces nouveaux espaces ?

Ca dépend vraiment de l’échelle visée. Prenons l’exemple du Syndicat de la Montagne Limousine, sur le plateau limousin : c’est un regroupement initial d’une petite centaine de personnes, des particuliers, sans lien avec un parti politique, qui ont mutualisé leurs forces à l’échelle de la montagne limousine. Ils ont souhaité, en cinq années d’existence, recenser des logements vacants qu’on pourrait destiner à des personnes migrantes ou fraîchement venues des métropoles, qui chercheraient à se loger un peu dignement. Ils ont aussi identifié des terres qui étaient libérées et qui, plutôt que de grossir les exploitations, pourraient éventuellement être réaffectées à d’autres usages, notamment agroécologiques, etc. Ils ont constitué des commissions pour traiter de la question, essentielle, du devenir des forêts ou encore de la gestion de l’eau…

Là, on a une initiative qui voulait intervenir très directement dans les politiques territoriales. Ça a tellement bien marché que les élus qui en étaient extérieurs au début ont frappé à la porte et commencent à y rentrer. Donc on a là un acteur non institutionnel qui commence à intervenir dans des visions territoriales et, parfois, des stratégies locales et des politiques éponymes.

La suite de votre article après une petite promo (pour Tikographie)

« l’Intelligence Artificielle et les territoires« 

Notre prochaine table ronde réunira des intervenant.es puydômois.es autour de la question de l’impact local de l’I.A., dans le sens du lien social et des imaginaires

50ème Rencontre Tikographie, mardi 10 juin 17-19h (à l’hôtel Océania) – tous publics, accès libre

Merci pour votre temps de cerveau disponible ! Le cours de votre article peut reprendre.

Quels conseils formules-tu pour développer ce genre d’initiative ?

Il faut quand même prendre garde. Monter un projet en ruralité, ça peut être compliqué. Par exemple, beaucoup d’écolieux sont sociologiquement « bien dotés », avec un capital social et culturel assez élevé, des niveaux de formation parfois issus des mondes de l’aménagement, de l’urbanisme, de l’architecture… et certains arrivent un peu en terrain conquis, alors qu’il faut faire preuve indéniablement de modestie et d’humilité.

Il n’y a pas une seule recette. Mais, globalement, il faut savoir prendre le temps. Prendre le temps de rencontrer sans brusquer. Prendre le temps d’écouter sans parler. Prendre le temps de tisser des liens sans s’imposer. Et ça, ça peut être compliqué pour des urbains qui ont avec le temps un rapport d’efficacité, de performance – même si je ne cherche pas à généraliser.

« Il faut faire preuve indéniablement de modestie et d’humilité [en arrivant dans les ruralités]. »

Par exemple, il y a des écolieux qui apprennent à leurs dépens en arrivant et en voulant inviter les voisins à une fête inaugurale : « Le lieu est ouvert, venez ! » Et pourtant, ça du mal à prendre. Pourquoi ? Ils s’aperçoivent peu à peu qu’il a fallu en fait 8 à 9 mois, et que involontairement, c’est en ayant mis les gamins à l’école du coin, que les parents d’élèves ont commencé à discuter, et qu’ils se sont insérés dans des réseaux de sociabilité local, de l’épicerie, du bar, de ce que tu veux, pour petit à petit, simplement, se lier de relation – et pas d’amitié (au début) – et commencer à entrer dans le lieu, pas dans le territoire.

Ce que je constate aussi, dans les ruralités, c’est que tu commences à devenir un « étranger sympathique » dès l’instant où tu t’intéresses aux activités économiques. Dès l’instant où tu commences à mettre la main à la pâte – et là, les savoir-faire manuels jouent un rôle tout à fait important. Donc, sans être forcément habile de ses doigts, se placer dans une activité matérielle et très pratique qui peut aider la communauté à un moment donné. Qui fait voir en toi une valeur ajoutée, une utilité pour la vie locale : prêter main-forte à un festival médiéval, savoir mettre en lien, proposer tes services à un groupe du dimanche pour aller faire un chantier ou simplement restaurer une vieille bâtisse qui en a besoin… Là, le lien peut commencer à se faire.

Le territoire du Puy-de-Dôme est-il adapté pour ces expérimentations de relocalisation ?

Je ressors de mon passage clermontois avec l’idée que s’il y avait à trouver une manière sincère de penser des liens entre une métropole et ses arrière-pays, ce serait autour de Clermont que ça pourrait se réaliser. Parce que justement, Clermont n’a pas le TGV. Parce qu’elle n’est pas LE lieu de la tech, ou LE lieu de la création artistique comme Nantes ou Bordeaux. Et on est peut-être encore à la bonne maille territoriale, on n’a pas franchi le point de non-retour de la taille.

« [Clermont] est peut-être encore à la bonne maille territoriale, (…) n’a pas franchi le point de non-retour de la taille. »

Mais c’est le problème de la métropole clermontoise. Elle voudrait appartenir à la première division métropolitaine. Là, pour le coup, je pense que c’est une erreur politique. Il conviendrait peut-être de cultiver la discrétion et la modestie pour tisser des liens honnêtes d’interdépendance avec les campagnes. Mais vu comment le maire [de Clermont] cherche à faire grossir et attirer, à faire du marketing pour faire venir ceux qui seraient intéressés, j’ai des doutes sur le portage politique. Même si, d’un point de vue écologique, morphologique ou énergétique, ça reste un territoire pertinent par sa taille et surtout son arrière-pays.

Enfin, les territoires plus autonomes que tu prônes risquent-ils de basculer dans l’isolement ?

C’est fréquemment la première question qui m’est posée ! Comme s’il y avait une vieille crainte que l’autonomie soit une autarcie et que le repli sur soi soit un enfermement. Et ça aussi, c’est très urbain comme manière de penser.

En fait, les ruralités vivent en plus petit sans pour autant se délier du monde. Sauf qu’elles ne sont pas forcément dans la relation à 800 kilomètres. Mais d’un autre côté, on ne va pas pouvoir tout « ré-endogénaliser », tout relocaliser. Il va forcément y avoir des échanges entre les pays géographiques dont je parle. Mais si on pose d’abord la question de la relation, de l’interdépendance entre les pays géographiques avant même de remonter ses manches pour relocaliser à l’échelle du territoire, je crois que l’on va repartir pour de nouvelles mobilités au détriment d’abord de la re-sédentarisation.

« Les ruralités vivent en plus petit sans pour autant se délier du monde. »

Mais pour assurer une forme d’équilibre, d’équité entre les territoires, il faudra que chacune des entités se soit constituée politiquement. Afin qu’elles puissent dialoguer sur un même pied d’égalité. Et, ce faisant, qu’il y ait des garde-fous par l’équilibre des pouvoirs, pour éviter qu’un territoire, mieux doté que les autres, ne s’impose et décide unilatéralement. Chose que les grandes villes ont très bien appris à faire dans l’histoire !

Entretien réalisé par Damien Caillard le 22 avril 2025. À la une : portrait de Guillaume Faburel, crédit Pierre-Antoine Pluquet

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