Même un New-Yorkais peut s’acclimater dans un patelin perdu du Massif Central

Constat : les campagnes se désertifient et les villes étouffent. Dans son livre « Repeupler les campagnes », Henri Landes propose de résoudre le tout en organisant un exode urbain… après avoir pris les devants. Nous l’avons lu.

C’est l’histoire d’un jeune gars qui a grandi entre New-York et San Francisco et a flirté avec une carrière de tennisman professionnel. Il a aussi vécu dix ans à Paris et a travaillé dans les hautes sphères internationales de l’engagement pour la planète. Un beau jour, le voilà qui bifurque. Avec sa compagne, il achète une ferme dans un village de cinquante âmes, quelque part en… Haute-Loire. Certes il continue à gérer plein de choses à distance, mais entre deux visios, quinze coups de fil et des piles de dossiers, il arrose les salades, papote avec ses voisins, contemple le paysage… Bref, il respire. « Et je n’ai jamais été aussi heureux », constate-t-il.

Là, on pourrait déjà tirer notre chapeau.

Mais Henri Landes – puisque c’est de lui qu’il s’agit – ne saurait se contenter d’être heureux. Il s’observe, enquête autour de lui, fait le lien avec ce qui se passe à l’échelle de la planète, se documente (beaucoup), raisonne, analyse, vérifie, recoupe, confronte ses conclusions avec d’autres regards… Et publie un intéressant essai : « Repeupler les campagnes ». Le sous-titre annonce encore plus explicitement le programme : « Comment organiser l’exode urbain pour répondre à l’urgence écologique » (paru en septembre aux Éditions de l’Observatoire).

Jardinage et rapiéçage

Plus exactement, il publie deux livres en un : l’essai, et entremêlé à celui-ci, le récit très concret de son vécu de néo-rural. Pas pour se faire mousser ou satisfaire la curiosité des fans de Madame – Fanny Agostini. C’est beaucoup plus humble, humain et toujours le strict nécessaire pour étayer tel ou tel propos de l’essai. Mais ça donne à celui-ci un parfum d’authenticité, comme une odeur de foin coupé ou une sensation jouissive de mains qui trifouillent dans la terre. « En ce qui me concerne, il est souvent indiqué dans mon agenda visible par tous [mes collaborateurs] : ‘Fanny et Henri – Jardin’ », écrit-il pour montrer comment la vie à la campagne permet de remettre en perspective les priorités entre travail, vie de famille, santé, bien-être…

Plus loin il s’émerveille des savoir-faire, de la débrouillardise et de la solidarité depuis longtemps oubliés dans les grandes villes. Il s’appuie sur le portrait qu’il dresse du voisinage : on rencontre Didier, l’ancien ouvrier reconverti en éleveur de chèvre, Dédé l’infatigable maire, ou Marie-Thérèse, grâce à qui la famille Landes-Agostini a presque oublié le geste d’acheter des vêtements : « Si je plaide coupable de ne pas encore avoir appris le tricot, je me réjouis toutefois d’avoir pu échanger des œufs de notre poulailler ou effectué des tâches manuelles contre quelques rapiéçages de vêtements effectués par notre généreuse voisine. »

Plan de campagne

Pour autant, il y a du fond. Car si l’idée baroque d’Alphonse Allais de « mettre les villes à la campagne » ne date pas d’hier, Henri Landes, lui, la prend au sérieux. Du moins, à défaut de déplacer les villes, il envisage de les alléger d’une partie de leurs habitants. L’objectif étant de résoudre les problèmes présents et à venir, aussi bien ceux des campagnes désertifiées que ceux des métropoles asphyxiées.

Le livre est à la fois un plaidoyer pour la vie loin des métropoles, un tour d’horizon des avantages qu’il y aurait à rééquilibrer la démographie, et un véritable plan de campagne (l’expression n’a jamais été aussi pertinente !) pour y parvenir. Il s’attache ainsi à démonter les clichés et préjugés attachés à la ruralité – les réactions de son entourage lors de leur installation en Haute-Loire lui ont facilité la collecte ; il démontre les vertus qu’offre la vie hors des aires urbaines, le potentiel de développement économique et les services environnementaux de ces territoires, pour peu que l’on respecte un peu la nature, que l’on pratique une agriculture plus vertueuse, et que l’on s’organise intelligemment.

École buissonnière

La démonstration s’enchaîne avec beaucoup de logique : désengorger les villes les rendrait plus vivables ; l’agriculture a besoin de plus de bras pour sortir du modèle agro-industriel dopé aux intrants chimiques ; plus de monde dans les villages permettrait de rouvrir des commerces, des écoles, des services publics ; d’attirer des vocations vers les actuels déserts médicaux ; voire de susciter d’autres activités économiques. L’essor post-covid du télétravail peut aussi contribuer à favoriser les déménagements…

Un chapitre entier est consacré à l’éducation à la nature : grandir dans la campagne favorise bien sûr la sensibilité aux fragilités de l’environnement, mais aussi le sens de l’observation, le goût de la contemplation, l’activité physique, le développement des cinq sens (« Depuis que je m’occupe de notre jardin, j’ai découvert au moins trois espèces de menthe, que j’ai distinguées à l’odeur »)… Et arrache les jeunes aux surdoses d’écran.

« Si vous faites partie des personnes qui aiment trop la ville, cet ouvrage ne vous accuse pas ! »

Henri Landes

Henri Landes déplore aussi que l’enseignement supérieur s’intéresse trop peu au monde rural, ce qui contribue à maintenir les préjugés et à amplifier le déséquilibre entre villes et campagnes. « Nous réussirons une revalorisation des campagnes, une transition agro-écologique et une politique alimentaire saine seulement en décloisonnant les disciplines et en en finissant avec l’idée que la ruralité se résume à l’agriculture, et par ailleurs que le travail de la terre et l’alimentation sont uniquement une affaire du ministère de l’Agriculture et de Bruxelles. »

Une autre vertu de ce livre est de se garder de tout dogmatisme et de tout jugement. « J’adore les grandes villes. […] N’ayez aucune inquiétude. Si vous faites partie des personnes qui aiment trop la ville, cet ouvrage ne vous accuse pas ! » De fait, l’un des leitmotivs du livre est de prévenir que tous les urbains n’ont pas vocation à s’installer au vert, mais qu’on devrait favoriser l’installation de ceux qui y aspirent ou qui y vivraient mieux. Plus loin, il note : « Que vous soyez végétarien, vegan ou omnivore, il est important de respecter les positions de chacun », avant de plaider – sans y voir de contradiction – les impérieuses nécessités de réduire la consommation de viande et de conserver une certaine activité d’élevage.

Planète B

Au final, Henri Landes n’est pas dupe de la difficulté à réussir une telle révolution. La première étape est de réussir à convaincre de son intérêt – son expérience au sein du comité sur la transition écologique de Sciences Po Paris lui a prouvé que ce n’est pas gagné… Ce livre est une tentative assez convaincante de franchir cette étape.

La deuxième est d’organiser l’exode urbain qu’il appelle de ses vœux : un changement aussi radical ne peut se produire que s’il est soutenu par une volonté politique forte et par l’encadrement d’un arsenal de règlementations, d’incitations, de planification… Ce septième chapitre constitue un véritable plan d’orientation stratégique pour la nation toute entière.

Évidemment, dans les faits, on pourrait objecter à Henri Landes que tout cela semble bien loin des réalités et que les élites parisiennes qui décident ne sont pas prêtes à porter des chemises rapiécées. Bref, cela ressemble à une belle utopie… mais en même temps elle séduit par sa simplicité : ça a des airs d’évidence, de bon sens paysan. Finalement, quand on y réfléchit, cela semble bien plus réalisable que d’espérer résoudre les problèmes climatiques par d’invraisemblables solutions technologiques ou d’essayer de s’échapper vers la planète Mars. « Les campagnes sont notre planète B », affirme Henri Landes. Après la série de confinements qui ont (un peu) fait bouger les lignes, ça vaut peut-être la peine d’y songer, non ?

Voir la page de présentation de l’ouvrage « Repeupler les campagnes » de Henri Landes