Dans les champs ou les jardins, les oiseaux sous haute surveillance

La Ligue pour la protection des oiseaux, en Auvergne comme dans toute la France, multiplie les programmes d’observation et de suivi des populations d’oiseaux. Avec le concours capital des bénévoles. Tour d’horizon… en quelques battements d’ailes.


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Le pourquoi et le comment

Parmi les très nombreuses associations de protection de la nature, la LPO est sans doute l’une des plus connues du grand public. Elle opère à l’échelle autant locale et régionale que nationale. Elle aborde la problématique de la biodiversité autant sous l’angle de l’observation scientifique, des actions de protection que sous ceux de la sensibilisation et du plaidoyer.

Elle a aussi une grande capacité à mobiliser les bénévoles, et même le grand public.

On peut donc dire que dans leur malheur, les oiseaux ont de la chance d’être aussi bien défendus.

Mais ils ont quand même beaucoup de malheurs et ils en doivent beaucoup à nos comportements. Entre la disparition des insectes dont ils se nourrissent, la destruction des haies où ils logent, le vacarme qui recouvre leur communication chantée, la lumière des villes qui perturbe leur sommeil et leurs migrations, les empoisonnements et les coups de fusil, les risques d’électrocution sur les lignes à haute tension ou de collision avec nos véhicules, le changement climatique et j’en oublie certainement, c’est à se demander par quel miracle notre ciel n’est pas encore complètement vide.

Donc, la LPO est utile et bien connue.

Mais avez-vous une idée précise des programmes et protocoles qu’elle met en place ?

J’ai eu envie de voir ça de plus près. Et c’est plutôt impressionnant.

Marie-Pierre


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Chaque année depuis dix ans, le grand public est mobilisé pour une grande opération de comptage des oiseaux des jardins. Une première fois le dernier week-end de janvier, pour repérer les populations d’oiseaux sédentaires, une seconde fois le dernier week-end de mai, quand les migrateurs sont à peu près tous de retour.

Grosso modo, il s’agit de consacrer une heure de son week-end à se poster dans son jardin et à compter les volatiles qui vous passent sous les yeux, autant que possible en les identifiant. Ensuite, vous enregistrez vos observations sur le site dédié, qui donne aussi de nombreux conseils et indications pour bien identifier cette charmante faune.

« C’est important de développer la capacité à s’émerveiller de ce qui nous entoure. »

Le public est mobilisé grâce au dense réseau de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) ; les données sont récupérées, analysées et utilisées par le Museum national d’Histoire naturelle (MNHN) pour étayer ses programmes de recherche.

Scruter les jardins

Magali Germain, responsable de la communication à la LPO Auvergne, détaille les objectifs de l’opération : « Le but est de mieux connaître et d’avoir un suivi des populations, de comprendre pourquoi les oiseaux fréquentent les jardins, de mieux identifier leur comportement, de mettre les évolutions en lien avec les perturbations telles que le changement climatique. Dans le même temps, cela nous permet de sensibiliser le public à la biodiversité de proximité ; elle fait peut-être moins rêver que la protection des grands fauves et animaux exotiques, mais c’est important de développer la capacité à s’émerveiller de ce qui nous entoure pour comprendre la nécessité de protéger notre environnement. »

Propriétaires de jardins ou jardinets, ou même de balcons, vous êtes nombreux à y participer, dans le Puy-de-Dôme comme dans le reste de la France. Si les chiffres des deux derniers recensements ne sont pas encore connus, on relève que 284 jardins puydômois ont été impliqués en 2022.

Moineau friquet
En 20 ans, les populations de moineaux friquets ont chuté de 60% en Auvergne-Rhône-Alpes. – Photo Romain Riols

La régionalisation des résultats est encore, pour le Museum, un projet qui reste à développer, mais les données à l’échelle nationale sont impressionnantes sur la participation : en dix ans, 95 000 jardins ont participé au moins une fois et près de 4 700 ont suivi l’opération depuis plus de cinq ans. 43% de ces jardins se situent à la campagne, 25% dans le périurbain et 16% en ville, pour un total de 114 000 heures d’observation et un recueil de 6 millions de données.

Janvier et mai en contraste

Pour quels résultats ? En dix ans, sur les comptages de janvier à l’échelle nationale, les oiseaux les plus présents dans les jardins sont la mésange charbonnière, suivi du rouge-gorge familier, du merle noir et de la mésange bleue. On observe une augmentation des populations pour 49% des espèces observées ; 20% sont à un état stable et 11% en déclin.

Une bonne nouvelle ? « Ce n’est pas évident, avertit Magali Germain. Cela peut signifier que les oiseaux sont davantage menacés dans les milieux naturels et agricoles et ont tendance à se réfugier dans les jardins. On peut aussi penser qu’en hiver, ils y trouvent plus de nourriture avec le développement des mangeoires. Et d’ailleurs les comptages de mai montrent une tendance inverse : 41% des espèces sont en déclin et seulement 2% en augmentation. »

Merle noir
Le merle noir est un des oiseaux les plus présents dans les jardins, aussi bien en janvier qu’en mai. – Photo Guillaume Le Roux

A cette époque printanière, le merle se hisse d’un battement d’aile sur la plus haute marche du podium, précédant le moineau domestique et la tourterelle turque, la mésange charbonnière étant sortie du top 3 aux derniers comptages.

« Pour favoriser la présence des oiseaux, il faut essayer de faire pousser des essences locales, des plantes riches en pollen, éviter les produits phytosanitaires… »

Ces données sont à affiner, à recouper avec d’autres études, à étayer. Mais elles ont le mérite de faire mieux comprendre à un public large l’importance de faire de la place à la biodiversité entre les carrés de salade et la balançoire. « Pour favoriser la présence des oiseaux, il faut essayer de faire pousser des essences locales, des plantes riches en pollen, éviter les produits phytosanitaires, laisser des parties enherbées, conseille Magali. De manière générale, il faut favoriser l’équilibre biologique et la vie des insectes, dont se nourrissent les passereaux en dehors de la période hivernale. »

Lire aussi le reportage : « Nourrir les oiseaux du jardin ? Oui, mais pas n’importe comment ! »

Comptages plus avertis

Pour les observateurs plus disponibles, il existe un deuxième protocole, toujours national et toujours pour les oiseaux des jardins, auquel tout volontaire peut participer en s’inscrivant sur le site qui recueille les observations. Il s’agit de se poster au même endroit, moins longtemps – de 10 à 15 minutes – mais toutes les semaines. Ce comptage plus régulier permet de mieux comprendre ce qui se passe dans les jardins au fil des saisons.

« Là où c’est plus complexe, c’est qu’il faut compter et reconnaître les oiseaux vus, mais aussi entendus. »

Bien sûr, ce n’est pas tout. Si le grand public est précieux pour démultiplier le nombre de points d’observation et l’apport d’une grande masse d’informations, la science a aussi besoin de données plus précises, pour lesquelles seuls des connaisseurs sont aptes à participer. Parmi ceux-ci, on compte des professionnels mais aussi des amateurs, et notamment les bénévoles de la LPO, qui sont formés et habitués à respecter des protocoles plus stricts.

Le rouge -gorge familier, un oiseau forestier en augmentation
Le rouge-gorge familier s’observe dans les jardins mais il est surtout un oiseau forestier. – Photo Christian Bouchardy

« Il existe un suivi des oiseaux dans les milieux naturels, réalisé chaque année depuis 2001 de mars à juin, détaille Magali. Il s’agit d’une observation en trois passages sur un même carré de 2 km de côté, sur dix points de comptage pendant 5 minutes chacun. Là où c’est plus complexe, c’est qu’il faut compter et reconnaître les oiseaux vus, mais aussi entendus, ce qui est beaucoup plus difficile ! »

Pour ce type de comptage, l’opération est toujours pilotée par le Museum, mais il s’organise par grandes régions et nous permet, grâce aux quelque 300 observateurs en Auvergne-Rhône-Alpes, d’avoir des données à cette échelle.

Désastre dans les champs

Et elles ne sont pas réjouissantes, notamment pour les oiseaux des milieux agricoles, dont les populations sont en diminution de 19,5%. « C’est une moyenne, mais elle cache de fortes disparités », souligne Magali Germain, qui donne l’exemple du bruant jaune, dont les effectifs ont diminué de 50%. « Les causes sont principalement les phytosanitaires qui éliminent les insectes, la destruction des haies et bocages. Autrement dit, les oiseaux voient disparaître leur nourriture et leurs habitats », explique Magali. Mais elle précise que la LPO « travaille de plus en plus avec les agriculteurs pour développer une agriculture plus respectueuse de la faune, avec des programmes de plantation de haies notamment. »

Bruant jaune, oiseau en très forte diminution
En Auvergne-Rhône-Alpes, les populations de bruants jaunes ont diminué de 50% en vingt ans. – Photo Eric Depraetere

La situation est moins pire pour les espèces vivant dans les villes et villages avec une diminution moyenne, toujours en Auvergne-Rhône-Alpes et sur 20 ans, de 14,6%. Elle s’avère particulièrement inquiétante pour les hirondelles rustiques et pour les serins cini.

« Les causes sont principalement les phytosanitaires qui éliminent les insectes, la destruction des haies et bocages. »

Celles qui s’en sortent le mieux sont les espèces dites « généralistes », capables de s’adapter à n’importe quel milieu, et plus encore les espèces forestières, qui sont en augmentation de 5,7%. Ne vous étonnez pas, lors de vos balades dans les bois, d’entendre résonner le toc-toc-toc en mitraillette caractéristique du pic épeiche : il s’avère en augmentation de 14%. Le rouge-gorge familier lui tient compagnie, avec un effectif en hausse de 11%.

Visite des haies de la ferme de Sarliève
La LPO collabore avec les agriculteurs pour replanter des haies favorisant le retour des oiseaux des milieux agricoles. Ici à la ferme de Sarliève, lors d’une visite de suivi de la biodiversité à laquelle participait Jean-Jacques Allemant (à droite), bénévole de la LPO. – Photo Marie-Pierre Demarty
Lire aussi le reportage : « A la ferme de Sarliève, la nature est de retour »

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Au chevet des busards

Zoomons encore pour observer ce qui se passe en Auvergne. Si on n’a pas de chiffres de comptage généraux pour notre territoire, la LPO y surveille plus particulièrement des espèces emblématiques et menacées, et c’est à cette échelle que l’association déploie des actions pour les protéger.

« Sans l’action de la LPO, il disparaîtrait complètement. »

Exemple : le busard cendré. Suivi depuis une quarantaine d’années, il est particulièrement menacé, car il a la désastreuse habitude de pondre ses œufs à même le sol, dans les champs… ou peut-être serait-il plus juste de dire que les tracteurs ont la désastreuse habitude de rouler sur les territoires où le busard pond. « Sans l’action de la LPO, il disparaîtrait complètement », indique Magali.

Un jeune busard cendré
Un jeune busard cendré, rescapé des périls qui guettent les nichées pondues à même le sol dans les champs. – Photo Francis Journeaux

L’action consiste à installer des protections autour des œufs repérés, quand l’agriculteur est d’accord, pour que celui-ci les contourne quand il passe son tracteur. Si l’exploitant de la parcelle trouve cela trop contraignant, le « dernier recours » consiste à ramasser les œufs et à les confier au centre de sauvegarde de la LPO à Clermont, jusqu’à leur éclosion et à leur acclimatation au milieu naturel. En 2021 en Auvergne, 162 couples ont été suivis par la Ligue ; 307 naissances ont été observées, dont 147 n’auraient pas survécu sans le coup de pouce du « service néonatalité » et de ses diligents bénévoles.

Lire aussi le reportage : « A Clermont, l’hôpital des oiseaux accueille chaque année près de 3000 patients »

Menace sur les sternes

La LPO Auvergne surveille d’autres espèces à l’échelle locale ou participe à des programmes à une plus large échelle. Le courlis cendré, qui comme le busard niche au sol et affectionne les milieux agricoles et tourbières, fait l’objet d’une attention particulière, notamment dans le Cantal.

Courlis cendré
Le courlis cendré, espèce qui vit dans les prairies bocagères et les zones humides, est sous surveillance dans le Cantal. – Photo Eric Depraetere

De même que les sternes, oiseaux plutôt marins, mais familiers aussi des bords d’Allier. Nichant une seule fois par an, sur les îlots de gravier de la rivière, les deux espèces présentes – sternes naines et pierregarins – perdent une partie importante de leurs œufs, qui se confondent avec les galets : piétinés involontairement par les amateurs de canoë ou de baignade, emportés par les crues, abandonnés par les adultes sensibles aux dérangements trop fréquents…

Considérées comme espèce en danger, les sternes sont particulièrement surveillées aux alentours du pont de Règemortes à Moulins, leur point de ralliement le plus important où ces migratrices reviennent malgré tout chaque année. Là encore, la mobilisation de bénévoles est capitale pour mener d’intensives campagnes de sensibilisation à la belle saison.

Sterne naine
La sterne naine, l’une des deux espèces qui ont colonisé le val d’Allier, est particulièrement vulnérable et fait l’objet de campagnes de sensibilisation de la LPO Auvergne. – Photo Sylvie Lovaty

Emblématique pie grièche

Il faudrait encore parler du milan royal, victime de collisions et d’empoisonnements, pour lequel un beau programme d’étude est en cours à l’échelle européenne : 615 de ces rapaces ont été équipés de balises GPS à travers tout le continent, dont 30 dans la zone Cantal-Loire-Haute Loire.

L’objectif est de comprendre et quantifier plus précisément les causes de sa mortalité, par exemple pour évaluer le risque de collision avec des éoliennes, ou l’ampleur des empoisonnements illégaux. Sur une trentaine de morts violentes dans notre région en 2022, il a été observé surtout des collisions, mais aussi des risques d’électrocution dans le Cantal et d’empoisonnement dans le Puy-de-Dôme.

Milan royal
Un milan royal dans la Limagne des Buttes. L’espèce est menacée par les collisions et les empoisonnements directs ou indirects. – Photo Marie-Pierre Demarty

On ne pourrait terminer ce tour d’horizon sans évoquer la pie grièche, qui fait l’objet d’un important programme à l’échelle du Massif central. Autrefois présente dans toute la France, ce bel oiseau des prairies a été littéralement décimé durant ces trente dernières années, et s’est réfugié dans nos régions centrales, qui concentrent aujourd’hui, notamment, 90% des effectifs de pies grièches grises. Le Puy-de-Dôme figure en bonne place parmi ses zones de prédilection, avec 300 couples recensés, principalement dans sa partie ouest et un petit bastion d’une vingtaine de couples dans la plaine d’Ambert.

Pie grièche
Le Massif central concentre aujourd’hui la presque totalité des populations de pies grièches grises de France, dont environ 300 couples dans le Puy-de-Dôme. – Photo Romain Riols

Avec de nombreux partenaires, dont les parcs naturels régionaux, ou le Conservatoire d’espaces naturels de l’Allier, une forte mobilisation s’est mise en place depuis 2020, avec des actions de suivi et d’observation, de replantation de haies, de sensibilisation des agriculteurs et du grand public.

Tellement emblématique, la pie grièche, qu’elle va donner son nom à un festival local dédié à la nature, organisé par la LPO Auvergne à Cébazat : Happy Grièche. Première édition du 5 au 7 avril prochain. A marquer d’une plume rouge sur vos agendas !

En savoir plus et suivre l’actualité de la LPO Auvergne-Rhône-Alpes sur le site internet.
Plus spécifiquement sur la délégation Auvergne, voir sa page Facebook.
Et sur l’opération Oiseaux des Jardins, consulter le site dédié.


Reportage Marie-Pierre Demarty. Photo de une Eric Depraetere : mésange charbonnière. Merci aux bénévoles de la LPO, auteurs de la plupart des photos illustrant cet article.

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