Flax aiguille les gens vers la capacité à coudre, s’habiller, créer… et s’intégrer

Après « je rénove mon logement » et « je me mets au vélo », nouvelle idée de bonne résolution pour 2024 : « je fais moi-même »… et si possible dans la convivialité. Exemple au café-textile Flax, tiers-lieu cosy et créatif à Clermont.


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Le pourquoi et le comment

Qui parmi vous, lecteurs et lectrices, reprise encore ses chaussettes ? Crée ses robes ou chemises en trois coups de ciseaux et quelques aiguillées de fil ? Tricote des pulls plus ou moins moches pour passer Noël au chaud ? Raccommode ses pantalons troués ?…

Et voilà.

« De mon temps », comme diraient les quinquagénaires et plus, on apprenait tous ça. Aujourd’hui on commande de nouvelles fringues sur internet, on les use en trois jours, puis on les envoie ne pas pourrir sur les plages du Ghana. C’est tellement plus fun.

Pour tous ceux qui ne sont pas encore tombés dans cet extrême et veulent se réapproprier l’art de se vêtir de façon unique, pas cher, low-tech et zéro déchet, la couture et le tricot sont des techniques bien plus faciles à acquérir (si, si messieurs !) que la programmation informatique, la construction en terre-paille ou le potager en permaculture.

Et si ça vous est aussi difficile de vous y mettre que de commencer à circuler à vélo, nous avons la chance à Clermont d’avoir un lieu assez unique pour apprendre et pour laisser libre cours à votre créativité.

Encore un de ces lieux magiques qui se construisent dans la spontanéité et la convivialité, favorisant l’intégration des nouveaux arrivants, des timides, des désœuvrés et des solitaires.

Un modèle bien plus résilient que la fast fashion jetable ou même la fashion tout court. Un endroit chaleureux comme on les aime pour construire le monde de demain.

Je suis retournée en prendre les mesures, tracer le patron, repérer les épingles qui tiennent l’assemblage et assurent la tenue. Bref, je vous livre Flax sous toutes ses coutures.

Vous savez ce qu’il vous reste à faire…

Marie-Pierre


Information sur notre prochain événement

« Le projet de départ, déjà, n’était pas un club de loisirs. La dimension de convivialité était importante, autour du café, avec des petites choses à manger pour qu’on reste plus longtemps, qu’on soit dans la tradition du partage. Dans mon idée, il s’agissait aussi de faire revivre et réinventer ce quartier, alors que même Julie, ma cofondatrice, n’y croyait pas », commence Christine.

C’est effectivement dans son esprit qu’a germé le projet de Flax, dans le courant des années 2010. Flax – qui signifie « lin » en anglais – se présente comme un « café textile » associatif. Il a ouvert ses portes en 2018 rue du Port, une jolie rue du vieux Clermont qui était devenue bien tristounette, avec ses innombrables boutiques closes en cours de dégradation.

« Le projet de départ, déjà, n’était pas un club de loisirs. La dimension de convivialité était importante. »

Depuis, le quartier s’est réveillé ; des artistes, des galeries d’art, des artisans, des collectifs ont rouvert des boutiques. Et même si on constate encore un turn-over, de belles initiatives continuent à fleurir, comme ces restaurateurs du haut de la rue qui s’organisent en food court l’été, ou cette spécialiste de l’upcycling qui vient de s’installer. La gourmande Boulangerie Moderne met en valeur les ingrédients locaux autant que sa belle devanture Art Déco. Et le café Flax, toujours prompt à s’associer avec les uns, à monter des projets avec d’autres, à répondre à des commandes de sacs à pain ou de pochettes à savon pour les commerçants du quartier, n’est pas pour rien dans ce renouveau.

La rue du port avec le café Flax
Le café Flax s’est installé dans la rue du Port, alors en déshérence, et a contribué à la faire revivre.

Coudre et tisser des liens

« Ce que nous avons créé répond en tout point à ce à quoi j’aspirais… mais en encore mieux ! », poursuit Christine, qui précise : « je suis émerveillée devant les liens qui se tissent, les gens qui prennent confiance, l’entraide, les projets fous dans lesquels on se lance… C’est un lieu qui facilite la création et l’intégration. Nous avons créé un terrain fertile, qui accueille les graines qui viennent. Peu importe le résultat final ; nous sommes là pour s’encourager, essayer, permettre de se tromper… »

« Nous avons créé un terrain fertile, qui accueille les graines qui viennent. »

En ce mercredi matin, nous sommes installées dans le coin tricot et papotage du café, peu convoité à cette heure matinale. Une table basse, un canapé, un cercle de chaises et fauteuils. Au-dessus de nos têtes, un lustre singulier déploie d’innombrables fleurs qui semblent dialoguer en langage « fait au crochet » avec les petits personnages de la vitrine.

Le lustre du café Flax fait de fleurs au crochet
Même le lustre a été customisé au crochet, trace persistante et joyeuse de la créativité spontanée d’une bénévole.

Hiba, élève en BTS de soutien à l’action managériale, entame son deuxième jour de stage en prenant comme moi plein de notes sur le lieu qu’elle découvre. Pendant ce temps, six femmes se sont installées dans l’autre partie du café, réservée à des travaux de couture. Deux d’entre elles s’affairent à coudre à la machine des tote bags en tissus de « récup » commandés pour un festival, une autre travaille à un ouvrage personnel. Autour de la grande table, les autres s’attachent à couper des carrés de textile pour d’autres commandes.

Des solutions créatives

Et Christine continue à dérouler le récit de tout ce qui constitue l’attrait, l’originalité et le succès de Flax. Le décor à lui seul raconte la capacité à accueillir chaleureusement. La fondatrice confirme que la vocation du lieu est d’aider les personnes qui poussent sa porte à prendre confiance en eux, à s’intégrer à une vie sociale que certains ont perdue et que d’autres redoutent, mais aussi à résoudre des problèmes ou des besoins tout bêtes, par soi-même mais avec l’aide des autres.

« Elle nous a demandé s’il y avait de l’espoir et… nous avons répondu qu’il n’y avait rien à perdre à tenter quelque chose. »

Comme ce cycliste voyageur qui cherchait la housse idéale pour protéger son téléphone portable de la pluie, de la chaleur ou des chutes en vue d’un voyage en Pologne. « Il est devenu adhérent et vient régulièrement pour apprendre à tricoter, avec un attrait manifeste pour la complexité », s’amuse Christine.

La machine à pédale de la vitrine de Flax
La vieille machine mécanique qui décore la vitrine s’est trouvé un inconditionnel.

Elle raconte aussi comment une dame a débarqué avec l’anorak déchiré de son mari. « Elle était nouvelle à Clermont. La couturière du quartier n’a pas su quoi faire. Elle nous a demandé s’il y avait de l’espoir et… nous avons répondu qu’il n’y avait rien à perdre à tenter quelque chose. Des adhérentes l’ont aidée à mettre une pièce de tissu pour cacher la couture, puis une autre symétrique pour que ça ait l’air fait exprès. Et ça lui a aussi permis de rencontrer du monde. »

Il y aurait aussi à raconter comment la vieille machine mécanique installée en vitrine pour la déco a trouvé un usage : « C’est un Ivoirien qui est venu demander s’il pouvait venir coudre, mais n’a pas voulu des machines électriques. Il avait appris très jeune dans son pays sur une machine à pédale. Il a dû commencer par réparer la courroie, en se saisissant des premiers bouts de tissu qu’il a trouvés ! Depuis un an et demi, il vient presque tous les après-midi, il coud des vêtements pour lui ou pour des amis. Il est très doué . Il aide tout le monde… »

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Aux antipodes de la fast fashion

La fondatrice s’émerveille de cette liberté et de cette souplesse qui rendent possibles toutes les propositions ou presque. Flax accueille régulièrement des patients de l’hôpital Sainte-Marie qui viennent s’essayer en douceur à une forme de socialisation autour de la couture. Des grands trocs de vêtements sont organisés en partenariat avec le tiers-lieu étudiant LieU’topie. Des interventions dans les écoles ont été lancées avec la fondation Landestini. Des coopérations se nouent avec les musées, avec la biennale textile FITE. Des artistes sont invités à occuper la vitrine, comme Émilie, qui passe discuter de sa prochaine installation et promet « des cœurs partout » pour la Saint Valentin.

Christine, fondatrice de Flax
Pour Christine, fondatrice du café Flax, le lieu est d’abord un endroit où on partage, où on s’entraide, où on peut prendre confiance en soi.

Dans un autre genre, les bénévoles participent en ce moment à une campagne de sensibilisation d’Extinction Rébellion Clermont-Ferrand, en prêtant leur image aux personnages d’une amusante série de romans photo intitulée « Faites l’amour, pas les soldes ». Car le groupe se veut évidemment aux antipodes de la fast fashion, entre créativité personnelle, réemploi et upcycling des textiles.

« Nous essayons de faire comprendre que faire des choses à la main, cela prend du temps. »

« Nous ne faisons pas nous-mêmes l’ouvrage pour les personnes, nous les aidons à trouver des solutions et nous pouvons montrer comment faire, poursuit Christine. Nous essayons de faire comprendre que faire des choses à la main, cela prend du temps, demande un savoir-faire, un apprentissage. Le vêtement prend une autre valeur et n’est pas quelque chose qu’on jette très vite. »

Une grande famille

Cette philosophie semble d’ailleurs gagner du terrain, comme le constate l’association : longtemps stabilisée à environ 120 adhérents, elle a fini l’année dernière à 170. Beaucoup de femmes comme on pourrait s’y attendre, mais aussi quelques hommes, qui sont accueillis à bras ouverts. Des étudiantes, des femmes plus âgées. De la diversité. Des personnes envoyées là par des assistantes sociales, comme cette Afghane récemment arrivée, peu à l’aise avec le français mais très habile face à la machine à coudre, qui participe à la confection des commandes en cours.

Deux adhérentes s'activent aux machines à coudre
Pour créer leurs propres vêtements, les réparer ou participer à la confection de commandes, les adhérents et surtout les nombreuses adhérentes sont de plus en plus à utiliser les cinq machines et deux surjeteuses de l’association.

« C’est hyper riche d’avoir des personnes si différentes ; nous sommes une grande famille », se réjouit Christine. Si elle reste la porte-parole du projet, elle est d’ailleurs bien entourée, notamment par un bureau collégial où chacune a son rôle. Et suffisamment de membres actifs pour tenir les permanences d’ouverture : du mercredi au samedi, avec au moins une personne pour servir boissons, gâteaux et en-cas au comptoir et une autre pour animer, conseiller, orienter dans l’espace des travaux d’aiguilles.

« Nous avons un fonctionnement collectif avec beaucoup de souplesse. »

Une organisation et un planning pas toujours facile à gérer, comme on l’imagine à voir comment les permanences sont griffonnées au feutre sur un tout petit tableau. Quant aux décisions, elles se prennent indifféremment en bureau ou dans les réunions plénières mensuelles, mais aussi, parfois, de façon improvisée autour d’une table parce que le sujet est arrivé dans la conversation.

« C’est particulier à notre association, parce que les bénévoles sont souvent sur place. Nous avons un fonctionnement collectif avec beaucoup de souplesse… mais on pourrait sûrement gagner à instaurer un peu de méthode », reconnaît Christine en jetant un regard plein d’espoir à Hiba… car ce sera la mission de la jeune stagiaire de proposer un peu d’organisation dans toute cette spontanéité créative.

Christine et Hiba pendant l'entretien
Hiba (à droite) aura pour mission durant son stage de proposer un peu de méthodologie dans l’organisation très spontanée de l’association. Christine se réjouit de cette opportunité !

Atelier pour toutes et tous

Il y a aussi les ateliers à animer pour transmettre des techniques sophistiquées de broderie ou de crochet, pour réaliser ensemble les sweats moches de Noël. Mais aussi, régulièrement, pour initier les débutants aux bases de la couture ou du tricot, car la demande se renouvelle constamment.

« Nous tenons aussi à la notion d’éducation populaire, ajoute Christine. On ne se place pas en ‘sachants’ et tout le monde peut proposer un atelier autour d’une nouvelle technique ou apporter une idée. Il y a différents moyens de contribuer, dans une grande liberté. C’est sans doute ce qui nous a permis de durer. »

Couturières dans l'atelier
Le matériel est fourni, les prix sont libres. Chacun est libre de participer à la réalisation de projets communs ou de commandes, ou de travailler à ses propres travaux.

Autre ingrédient de durabilité : Flax pratique le prix libre pour la fourniture de tissu, un prix « guidé » selon une fourchette pour les ateliers et fournit tout le matériel, de la paire de ciseaux à la machine en passant par les aiguilles et même le fil de qualité. Autrement dit, les activités sont pensées pour être accessibles à toutes… et même à tous.

« En allant dans un lieu plus grand, le projet perdrait forcément de son charme . »

De fait, la salle de couture, avec ses cinq machines et ses deux surjeteuses, ne désemplit pas. Il est même conseillé désormais de réserver sa place.

Rester petit

Christine, pour autant, regarde ce succès avec plus de sérénité que de plans sur la comète. « Nous avons souvent parlé en rigolant d’agrandir, de déménager… Mais ça ne se fera pas, d’abord parce qu’on adore cet emplacement, qui est sans doute pour beaucoup dans la réussite de Flax : c’est central, au soleil, à un angle de rue passant… Déménager serait un pari risqué ; le public pourrait ne pas suivre. Et en allant dans un lieu plus grand, le projet perdrait forcément de son charme », analyse-t-elle.

Elle préfère un peu d’embouteillage qui se gère et peut fluctuer.

Le comptoir de Flax, à la déco chaleureuse
Un lieu chaleureux et unique qui souhaite garder sa taille modeste et son charme… Vous reprendrez bien un cookie avec votre fil à broder ?

Et pourquoi pas inspirer d’autres projets similaires dans d’autres quartiers ou d’autres villes. Des complicités se sont déjà nouées avec d’autres lieux qui sont quand même un peu différents, comme Green Couture qui est en premier lieu une entreprise d’insertion, ou Artex – dont Christine est cofondatrice – où les ateliers sont ouverts uniquement aux créateurs professionnels.

Flax a donc quelque chose de quasi unique, entre boudoir cosy et apprentissage de nouveaux modes de (non) consommation. La preuve : on vient parfois de loin pour en étudier la recette. Que ce soit dans les séminaires du réseau national des Cafés culturels, dont Flax est adhérent, mais aussi individuellement, comme ces personnes venues d’Aubusson ou de Saint-Ouen pour citer les plus récents.

Normal, conclut Christine : « On fait vraiment partie des solutions… car tout le monde a besoin de s’habiller ! »

Découvrir Flax :
sur place, 27, rue du Port à Clermont du mercredi au samedi,
sur le site internet pour en savoir plus,
sur la page Facebook pour suivre les actualités et le programme des ateliers.


Reportage Marie-Pierre Demarty – texte et photos – réalisé le 17 janvier 2024. Photo de une : la devanture de Flax, rue du Port..

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