« Apprendre à se réapproprier l’avenir », l’objectif et la méthode de Gabriel de Richaud

A l’occasion de sa résidence artistique et créative en montagne thiernoise, l’auteur revient sur sa vision de l’imagination comme une compétence qui se travaille, à travers une méthode en cinq points, appliquée avec les acteurs locaux.


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Le ressenti de l’auteur

Suite et fin d’une petite série d’articles autour de cette étonnante association que sont les Monts qui Pétillent – ou comment tenter de réinventer, en collectif, un territoire rural entre Puy-de-Dôme et Loire. Après un entretien avec les principales responsables, puis un reportage lors du festival 2023 sur les enjeux de mobilité, voici l’échange avec Gabriel de Richaud, auteur associé auprès de l’association.

Gabriel est également à l’origine d’une méthode très fouillée pour développer la capacité d’imagination. Il la détaille dans l’article, et les aller-retours qu’il « assure », si je puis dire, entre la recherche et la création artistique, me semblent très originaux et enrichissants.

J’avoue avoir été un peu décontenancé par le projet de marionnette pour le Ministère des Imaginaires. Vous en verrez quelques photos plus bas, mais un conseil : ne jugez pas à partir d’un document ou d’une simple description texte. Un expérience comme celle de la venue de ce Ministère, avec la mise en scène et le discours qui ont été proposés, doit se vivre pour être évaluée. Comme une pièce de théâtre, qui se base sur une forte part de vécu, de son, de mouvement, de lumière… toutes choses permettant de mettre en jeu un imaginaire différent.

Damien

Les principaux points à retenir

  1. L’imagination est une compétence qui se travaille : c’est le credo de Gabriel, qui l’a développée à titre personnel par sa pratique artistique – musique, puis théâtre et écriture. La dimension collective de ce travail lui semble très importante, ce qui place l’imaginaire sur une dimension politique. En tant que coach, Gabriel constate que l’imagination est nécessaire pour se projeter, se réinventer, et donc pour résoudre des situations complexes.
  2. Gabriel a élaboré une méthode en 5 points pour développer l’imagination, à partir de nombreuses recherches et d’inspiration sur la base de créateurs célèbres (artistes, entrepreneurs…). Il s’agit de la « praxis », la pratique comme entraînement et sans jugement ; de l’enrichissement mémoriel avec des expériences variées et hors de sa zone de confort ; de la capacité à provoquer des espaces de « vide » comme bases de création, et à suivre ses propres cycles créatifs ; de la recherche de mouvement et de différents points de vue ; enfin, d’oser créer à partir de rien, notamment en intelligence collective au sein d’un groupe déjà mature.
  3. Après une expérience lyonnaise en tant que « poète associé » dans un dispositif public de créativité, Gabriel s’est rapproché de l’association les Monts qui Pétillent, dans la montagne thiernoise. Il a apprécié la mission de cette structure, qui voulait questionner l’avenir du territoire. Gabriel a commencé une forme de résidence et de collaboration créative, d’abord à travers une œuvre intitulée « Correspondances » : il s’agissait d’une relation épistolaire entre deux adolescents du présent et du futur, sur le territoire, mettant en avant les enjeux de transition écologique. Cette œuvre a été par la suite déployée comme activité créative dans plusieurs classes de primaire locales.
  4. Gabriel a aussi travaillé sur le Festival des Monts qui Pétillent en 2023, avec la venue du « Ministère des Imaginaires » – inspiré de Rob Hopkins. Il s’agissait de représenter, par une marionnette et des « interprètes », une structure officielle du futur veillant à développer l’imagination dans les politiques publiques. La venue de ce Ministère a fait l’objet de plusieurs rencontres et évènements, notamment avec des élus locaux. Si les retours sont variables, cela a pu, de manière décalée, engendrer un débat sur plusieurs enjeux de transition et surtout aider les participants à se projeter différemment dans ce que pourrait être leur territoire de demain.

L’intervenant : Gabriel de Richaud

Ecrivain, homme de théâtre, conteur et hypnothérapeute professionnel

Né en 1975 dans le Livradois, Gabriel suit une scolarité au lycée d’Ambert avant le conservatoire de musique à Clermont. Il suit les cours de guitare de Pablo Marquez à Strasbourg, avant un parcours de plus en plus professionalisant dans la musique à l’école Franz List de Weimar, en Allemagne.

En 2006, retour à Clermont où il fonde la compagnie de théâtre Dédale. Il est en résidence artistique à Volvic, puis à Pont-du-Château. Il créée également la Maison des écritures transmédia à Orcet, fermée en 2020.

En 2019, il s’installe à Paris pour développer un travail d’écriture, de recherche sur les imaginaires, mais aussi de thérapie autour de l’hypnose. En parallèle, il est coach d’entreprise, tout en gardant ses activités de conteur.

En 2020 et 2021, il participe au dispositif « tremplin poétique » à la demande de la bibliothèque municipale de Lyon. Il anime une cinquantaine d’ateliers d’écriture pour 450 participants, qui sont amenés à se projeter dans le futur de leur ville. A noter une fiche de présentation assez complète du travail de Gabriel sur le site de la bibliothèque.

Gabriel assure enfin une résidence artistique sur la durée auprès de l’association les Monts qui Pétillent, dans la montagne thiernoise. Il y a développé son oeuvre « Correspondances », mettant en scène une liaison épistolaire entre deux adolescents du présent et du futur, pour parler des enjeux de transition écologique. Il a aussi participé à la venue du « Ministère des Imaginaires » lors du festival de l’association en mai 2023.

Contacter Gabriel par courrier électronique : gabrielderichaud [chez] gmail.com
Contacter Gabriel par téléphone : 06 58 24 52 74
Voir le site web des formations de Gabriel sur les imaginaires

Crédit photo : Gabriel de Richaud (DR)


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Comment définirais-tu l’imagination ?

Pour moi, c’est clairement une compétence qui se travaille ! D’autant plus qu’elle est vitale : c’est bien l’imagination qui relie le conscient et l’inconscient, notamment par le rêve. Et elle peut se développer à travers une pratique. C’est ce qu’on fait dans la création artistique, à travers la composition musicale, le théâtre ou l’écriture. 

Personnellement, j’ai toujours “tourné” autour de cette notion d’imagination-compétence. Elle se travaille de façon individuelle, mais pas uniquement ! Ainsi, dans cet “art du collectif” qu’est la scène, tous les membres d’une troupe de théâtre – les acteurs, le metteur en scène, les techniciens… – ont chacun leur place. 

« Il y a une notion très forte de collectif dans le travail imaginatif. »

Il y a donc une notion très forte de collectif dans le travail imaginatif. Cela existe même pour des auteurs de romans, quand ils collaborent  avec leur éditeur ou leurs “bêta-lecteurs”, et qu’ils confrontent leur œuvre au public. Le collectif est un enjeu fort. 

Et quelle est l’importance de l’imagination dans les enjeux écologiques du présent ?

Apprendre l’imaginaire, c’est se placer sur une dimension politique. Je travaille dans l’univers de la formation en entreprise et du coaching, et je vois bien que, pour résoudre des problèmes complexes, pour que les personnes puissent “se transformer”, “se réinventer”, il faut faire appel à l’imagination.

L’imagination a donc des impacts directs sur les gens, et sur le futur. Si on veut concevoir un plan pour l’avenir, à son niveau ou à celui de la société, il faut l’imaginer. Nous avons besoin de sortir des cadres qu’on nous impose, et d’arrêter de dire qu’“on ne peut pas faire autrement” !

Lire l’entretien : L’art de transcender l’existant par les imaginaires, selon Rosalie Lakatos

Tu as donc travaillé sur une méthode pour développer l’imagination…

J’ai en effet plusieurs casquettes aujourd’hui : auteur de théâtre, compositeur, conteur, thérapeute… je sais que l’inconscient, dans lequel puise l’imagination, fait appel à des symboliques très anciennes. On les trouve en lien avec l’histoire, les contes traditionnels, les langues que nous parlons. Beaucoup de civilisations font ainsi référence à la question du rapport à la mère, ou à l’autorité. Je pense ici au travail de Marie-Louise von Franz sur les archétypes.

« Apprendre l’imaginaire, c’est se placer sur une dimension politique. »

Tout cela, je me suis penché dessus. J’ai mené des recherches importantes mais pas au sens académique : je me suis interrogé sur les racines de l’imaginaire, et ce qu’il fallait faire pour le développer. J’ai donc travaillé en tant qu’artiste, en lien avec les arts que je pratique. Je pense que si on veut créer artistiquement, de façon sérieuse, il faut beaucoup de recherches ! Et surtout, comprendre ce que ça implique.

Je suis donc allé étudier le parcours de personnes qui ont prouvé qu’elles avaient une imagination puissante, dans différents domaines : Einstein, Bach, mais aussi des créateurs contemporains et des entrepreneurs. Comment ces gens ont-ils fonctionné, dans leur travail, pour développer leur imagination ? J’ai tenté de découvrir les dénominateurs communs de leurs différentes pratiques.

Gabriel en plein entraînement de prise de parole/interprétation des propos de la marionnette, pour le festival des Monts qui Pétillent 2023 / Crédit photo : les Monts qui Pétillent (DR)

Et à quel résultat as-tu abouti ?

A une vraie méthode de travail. Précisons d’emblée qu’il peut y avoir des gens plus doués que d’autres en imagination, mais que, comme pour tout, on peut la développer en s’y attelant sérieusement.

J’ai donc pu définir cinq dimensions, basées sur ces dénominateurs communs que j’ai repéré dans mes recherches. Le premier est la “praxis” : au même titre que l’on “travaille” un muscle, on travaille son imagination. Attention, il ne faut pas d’objectif, d’attente, si ce n’est celle de s’entraîner ! Donc, accepter de produire beaucoup de déchets, de créations qui ne serviront pas. On sait par exemple que Flaubert a produit beaucoup plus que ce qu’il a publié, mais c’était nécessaire pour progresser.

« Au même titre que l’on travaille un muscle, on travaille son imagination. »

Le plus délicat est que cela oblige à différer le jugement sur ce qu’on produit. Accepter qu’on ne va pas mériter un prix Nobel tous les jours ! En entreprise, cela veut dire que le manager, celui qui juge, doit se mettre un peu à l’écart et ne surtout pas bloquer le processus. Même si le plus grand censeur est d’abord dans notre tête.

Tu insistes aussi sur le rôle de la mémoire dans l’imagination…

C’est le deuxième volet de la méthode : la mémoire, comme cadre référentiel. Plus on a de souvenirs, plus on a d’expériences différentes, plus on aura de “pièces” – comme des légos – pour construire notre imagination. Mozart était allé puiser chez Haydn, Bach chez Vivaldi : c’étaient des “anciens”, des références pour eux, qui ont enrichi leur vocabulaire. 

La mémoire, c’est aussi une marque de notre sensibilité propre, et de notre trajectoire. Elle représente l’intérêt qu’on a porté à différents savoirs. Je pousse les personnes qui suivent mon programme à être très curieuses, à sortir de leur zone de confort, pour développer leur propre style. Sans oublier que notre mémoire réinvente ce qu’on a vécu, à l’aune de nos émotions, de ce qui nous a marqué. Ce n’est pas une photographie !

Troisième point : le rapport au temps et à l’espace

Il doit se comprendre de façon très large : la première chose à faire est de “provoquer” un espace vide, un manque, nécessaire pour la base de création. Cela peut être aussi quelque chose que l’on subit, une rupture, un deuil. C’est à partir de là que l’on parviendra à créer quelque chose de nouveau. Et ce n’est pas simple, car la société actuelle déteste le vide ! Elle nous propose toujours de le remplir, avec des notifications, des loisirs, etc.

« La mémoire, c’est aussi une marque de notre sensibilité propre, et de notre trajectoire. »

Ce vide, il faut aussi le créer en son for intérieur. C’est l’objet de la méditation par exemple. Ou, simplement, l’intérêt d’apprendre à ralentir, à se poser. J’invite d’ailleurs à réfléchir à ses cycles personnels, et l’image des “Quatre saisons” de Vivaldi (en musique) ou de Poussin (en peinture) est une très belle référence.

Poussin nous questionne ainsi sur nos saisons intérieures. Et elles sont symbolisées dans ses œuvres, exposées au Louvre. Le printemps, c’est la recherche, l’exploration, l’apprentissage. L’été, c’est le travail, l’action. L’automne, ce sont les vendanges, quand on récolte le fruit de son travail… et quand on le fête ! Et l’hiver, c’est la jachère, la transmission, mais aussi la mue et la transformation pour l’année suivante. Il faut plusieurs temps sous cette forme pour bien créer, et savoir se réinventer.

Les Saisons, par Nicolas Poussin, exposé au Louvre. Ces quatre tableaux sont à comprendre à plusieurs degrés, mais aussi comme la représentation du cycle de la vie / Domaine public

Ensuite, tu évoques l’importance du corps et du mouvement…

On sait que les idées viennent plus facilement quand on bouge. Cela passe par la marche, mais aussi des réflexes simples comme le fait de ne pas rester assis en réunion. Il faut changer de point de vue, de place, de pièce… et, à chaque fois, quelque chose se débloque dans notre façon de voir les choses.

On peut appliquer cela dans la dramaturgie. Prenons l’exemple du petit chaperon rouge, dont l’histoire est très connue, et toujours racontée de la même manière. Et si l’on prenait le point de vue du loup ? Ou de la grand-mère ? Transposé à l’entreprise, ce principe signifie que les gens qui agissent le font souvent, hélas, sans avoir une vision complète de l’histoire de l’organisation qui est racontée collectivement.

J’ajouterai l’importance des “états modifiés de conscience”, et notamment ceux liés à la capacité de se concentrer, d’oublier le reste du monde. Brancusi disait “le plus difficile n’est pas de faire les choses, mais de se mettre en état de les faire”. L’état de création est quelque part entre le physique et le psychique.

« On sait que les idées viennent plus facilement quand on bouge. »

Une histoire : le jeune Stefan Sweig était fasciné par Rodin, le sculpteur. Il lui rend visite, et l’artiste lui fait visiter son atelier, très affable et accueillant. Sweig trouve une sculpture à peine ébauchée sous un drap, au milieu d’une pièce. Il en parle à Rodin qui retire le drap, commence à travailler dessus … et oublie son invité pendant TROIS HEURES ! Sweig racontera plus tard que Rodin avait atteint cet état de concentration absolue, idéale pour la création artistique. Un état que la technologie actuelle, avec ses médias en continu et ses notifications incessantes, ne cesse de faire reculer.

Enfin, le dernier point de la méthode s’intitule “je et le monde”…

Cette expression questionne d’abord notre manière de nous situer par rapport à la chose créée. Car créer, c’est oser, c’est faire advenir quelque chose de nouveau. Ce n’est pas innover ! J’insiste là-dessus : innover, étymologiquement parlant, c’est “revenir à” – cela fait référence à un terme juridique des anciens contrats, l’ancêtre de l’ avenant. Autrement dit, changer quelque chose pour que rien ne change. Créer, au contraire, c’est faire émerger ce qui n’a jamais existé.

Rimbaud, par exemple, a su oser. Fin XIXème siècle, un petit gars se présente devant (façon de parler) les géants de l’époque qu’étaient Debussy, Hugo, Ravel, Stendhal, Baudelaire, Verlaine… et a dit qu’il serait la poésie incarnée. C’était Arthur Rimbaud ! Il fallait être un peu fou, et il a pris ce risque. Question de tempérament, mais là aussi ça se travaille.

« Créer, c’est oser, c’est faire advenir quelque chose de nouveau. »

Enfin, il y a “le monde”. On ne crée jamais seul, j’en parlais tout à l’heure. C’est là que les mécanismes d’intelligence collective peuvent beaucoup apporter. Mais la clé est de se situer au sein d’une équipe mature, ce qui n’apparaît pas spontanément. On ne met pas les gens ensemble, et pouf ! On a une intelligence collective. 

Au contraire, rassembler des gens risque de générer de la “pensée groupale”, une forme de mimétisme qui lisse les aspérités, qui sur-favorise la cohésion – car elle sécurise face à l’inconnu. Dans un groupe mature, il faut de la diversité, des frictions, et la capacité à assumer ces différences. J’en reviens au “chacun sa place” dans le théâtre. 

Avais-tu expérimenté cette méthode avant de travailler dans le Puy-de-Dôme ?

Oui, je pense notamment à une période durant laquelle j’étais “poète associé” auprès de la ville de Lyon. C’était en 2020 et 2021, et j’ai participé à un dispositif appelé “tremplin poétique”, organisé par la bibliothèque municipale. J’y ai animé une cinquantaine d’ateliers d’écriture, avec environ dix participants à chaque fois, jamais les mêmes.

« Je trouve ça inquiétant d’avoir tant de mal à se sortir des anciens cadres de pensée. »

Le but d’un des exercices que j’y proposais était de “penser la ville idéale”. Nous avons produit un énorme corpus, avec plus de 450 participants ! Il y avait un protocole d’imagination, qui commençait par inventer son domicile idéal, qu’on élargissait à la rue, au quartier… hé bien je n’ai pas eu une seule ville idéalisée sans voiture ni supermarché. Ça m’a marqué ! Même si certaines idées étaient intéressantes, je trouve ça inquiétant d’avoir tant de mal à se sortir des anciens cadres de pensée. Notre imagination est devenue pauvre quand il s’agit d’imaginer le futur.

Comment t’es-tu rapproché des Monts qui Pétillent, l’association basée dans la montagne thiernoise ?

En juillet 2021, j’avais travaillé en tant que coach à Epicentre Factory [tiers-lieu et espace de coworking clermontois, fermé depuis] et j’y avais rencontré Catherine Redelsperger. Elle était coach en créativité et écriture, et faisait partie de l’association les Monts qui Pétillent. Le projet de cette structure consistait – et consiste toujours – à se questionner sur les lendemains dans ce territoire rural entre Puy-de-Dôme et Loire. J’ai rencontré ensuite Blandine Chazelle, l’une des co-présidente, et j’ai eu envie de travailler avec eux. 

A Viscomtat, Gabriel était présent pour le festival des Monts qui Pétillent, autour des stands dédiés à la mobilité en zone rurale. La proximité de l’auteur avec l’association est structurante pour son travail / Crédit photo : Damien Caillard, Tikographie

Quel est le processus créatif qui a été mis en place dans cette association pour aborder les enjeux de transition écologique ?

Notre objectif est d’inspirer l’avenir, à travers une correspondance entre le présent et le futur. Nous souhaitons donner une image du futur qui soit à la fois souhaitable et réaliste. 

« Notre objectif est d’inspirer l’avenir, à travers une correspondance entre le présent et le futur. »

Pour y parvenir, il faut d’abord une base scientifique, comprendre ce qu’il va se passer, afin de travailler sur le côté réaliste. Les membres des Monts qui Pétillent se sont beaucoup auto-formés sur les problématiques de l’eau, notamment. Et ils ont fait appel à des experts. C’est là que l’on comprend l’impossibilité de l’utopie hors-sol. Un poids nous ramène toujours au réel ! Et il n’y a pas de création sans réel.

Ensuite, on se demande ce qu’on en fait, vers quel futur se diriger. Il y a l’approche dystopique façon Netflix… et celle où l’on tente de répondre à la question : “en sachant cela, que souhaitons-nous ?”.  On vise donc un futur souhaitable comme vision, avec une logique plausible. Et on essaye de le faire advenir : c’est la troisième étape. Le backcasting est une méthode intéressante pour cela : on part du futur souhaité et on liste les choses à réaliser en revenant dans le temps, jusqu’à aujourd’hui. Par un parcours d’écriture, on rêve des mondes possibles, et on écrit un calendrier.

Enfin, on met en commun : chacun explore ces futurs possibles, d’abord de façon individuelle, puis en partageant avec la communauté. Cela a été fait notamment lors du dernier Festival des Monts qui Pétillent [du 13 au 15 mai 2023] où toutes ces projections ont été rassemblées sur une même frise, avec les dates des étapes à réaliser. Et on a vu que beaucoup de choses se rejoignaient ! 

Lors du Festival des Mobilités qui Pétillent en septembre 2021, une session de « Correspondances » (avec le futur) a été lue et enregistrée en public, sur un texte de Gabriel / Crédit photo : Les Monts qui Pétillent (DR)

Mais ce travail est-il fait dans un cadre réaliste, au final ?

En tous cas, cela a permis de mettre en place un calendrier prospectiviste partagé. C’est un véritable outil de travail pour l’association, même s’il est amené à être précisé, amendé… mais il pousse à concrétiser, à se dire “en fait, c’est possible !” et, surtout : “ensemble, on peut y arriver !”. Derrière, les questions de réalisation se posent, mais il “suffit” de suivre le calendrier – par exemple, on prévoit une convention citoyenne sur l’utilisation de l’eau en 2028. 

Alors, oui, on part dans ses propres projections, et on s’autorise à se souhaiter le meilleur. Lorsque l’on démarre le travail, on a l’impression de s’accorder trop de choses, d’être dans l’utopie. Mais, au fur et à mesure du processus, on se rend compte que ce que l’on se souhaite est possible ! 

Lire l’entretien : « La prospective, l’art d’imaginer les futurs » selon Mathieu Baudin

Tu as voulu aussi concrétiser le travail sur les imaginaires par un “Ministère”…

Le “Ministère des Imaginaires” est une idée déjà développée par Rob Hopkins, dans son ouvrage “Et si ?” Il s’agit d’une structure publique qui, plus tard, sera là pour vérifier que toutes les mesures de l’Etat et de l’administration participent à développer l’imaginaire des citoyens. Car on aura reconnu que c’est LA compétence pour résoudre les problèmes.

J’avais commencé par déployer ce Ministère lors d’un travail sur un roman épistolaire intitulé “Correspondances”. Une jeune fille d’aujourd’hui, Sienna, écrit à une autre jeune fille de 11 ans, Asha, qui vit plusieurs décennies dans le futur. Elles habitent toutes deux dans la montagne thiernoise. Asha montre à Sienna ce que pourra devenir son territoire. Et elle évoque le Ministère des Imaginaires ! C’était un travail réalisé auprès des Monts qui Pétillent en 2021, et j’avais notamment écrit cinq lettres enregistrées en podcast et en lecture publique.

La marionnette du Ministère des Imaginaires a été conçue et fabriquée spécialement pour le festival des Monts qui Pétillent 2023. Par ses gestes et la présence d’interprètes, elle permettait de faire le lien avec des habitants du futur et donc de parler des enjeux de transition / crédit photo : Arnaud Rodamel (DR)

Qu’est-ce que cela a donné lors du dernier festival de l’association ?

On a voulu accueillir une délégation du Ministère en 2023. Celle-ci est venue sous la forme d’une marionnette, on voulait jouer sur la fiction, le décalage. A travers la marionnette, neuf “co-ministres” de l’imaginaire s’exprimaient, et nous – les membres de l’association – en étions les interprètes. Le théâtre de Romette – Johanny Bert et sa constructrice Judith Dubois – nous ont aidé à construire la marionnette. Puis nous avons travaillé, seulement avec des bénévoles de l’association (des fermiers, des apiculteurs, des paysans herboristes, des éleveurs…) à la manipuler et à la faire vivre dans l’espace public.  

Nous avons organisé des rendez-vous officiels avec des élus locaux. Ces derniers étaient surpris, amusés, parfois désabusés. Certains se sont bien pris au jeu, car – sur le fond – nous parlions de choses importantes. Mais le plus intéressant, je le répète, était que les interprètes étaient tous des gens en lien avec la terre, avec le réel. A Noirétable, on parlait eau et agriculture, et parmi les interprètes de la délégation du ministère des imaginaires il y avait une éleveuse, et un herboriste. Il fallait donc les prendre au sérieux. 

Lire l’entretien : Comment les Monts qui Pétillent travaillent sur la mobilité et le lien social dans la montagne thiernoise

Comment vas-tu poursuivre ce travail de correspondance avec le futur ?

Il se réalise au fil de l’eau, toujours avec les acteurs du territoire des Monts qui Pétillent. On a notamment mis en place une activité créative avec quatre classes de scolaires, où les enfants pouvaient écrire à leurs camarades du futur via des cartes postales. Les lettres de ces enfants sont très émouvantes : ils demandent “est-ce que les gens ont encore des piscines ?” Ou bien “y a-t-il encore de l’eau dans les fruits ?

Avec la suite du projet « Correspondances », les élèves de l’école primaire du Chambon, à La Monnerie-le-Montel, dans la montagne thiernoise, ont réalisé des cartes et des collages pour communiquer avec des enfants du futur / Crédit photo : les monts qui Pétillent (DR)

On a essayé de répondre sans être trop angoissants. La vision du futur portait ainsi sur le rapport au vivant – on ne mange plus les animaux, on a tous des légumes du coin, on vit en communauté pour partager les services. Les jeunes savent reconnaître les chants d’oiseaux, ils sont très souvent en plein air, ils marchent, ils courent, ils sont en meilleure santé. Et, non, ils ne connaissent pas les piscines ! Mais ils vont se baigner dans la rivière, réaménagée en lieu de vie et lieu de fête, accessible à tous. Et qui dispose d’une personnalité juridique.

Tout cela m’apprend que c’est à l’échelle du local et du rural que les choses changeront. Il y a des quartiers urbains qui évoluent dans le bon sens, mais c’est la campagne qui nous inspirera.

Ressources complémentaires proposées par Gabriel:
Comprendre – Bien sûr, l’ouvrage « Et si ? » de Rob Hopkins, qui a inspiré le Ministère des Imaginaires. Mais aussi « Le Manifeste UTOPIA« , aux éditions Utopia, ou encore « Vivre et travailler en communautés utopiques » de Michel Lallement
Agir Gabriel recommande de suivre une Lab Session de l’Institut des Futurs Souhaitables, pour se sensibiliser aux enjeux et mécanismes de transition

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Propos recueillis le 7 juin 2023, mis en forme pour plus de clarté et relus et corrigés par Gabriel. Crédit photo de Une : Gabriel de Richaud (DR)