Mattia Geonget : toujours le climat, au-delà de l’activisme adolescent

On l’a découvert à la tête des marches pour le climat clermontoises, ou un peu plus tard sur la scène de TEDx Clermont. A 16 ans, Mattia vient de passer le bac et d’être admis dans quasiment tous les établissements de Sciences Po de France. Et garde le cap du climat.


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Presque dix-sept ans, déjà admis dans quasiment tous les cursus Sciences Po de France et pas n’importe comment : « Pour le concours commun hors Paris, Bordeaux et Grenoble, j’ai été classé dans les 5% des meilleures notes, et encore, pour pimenter un peu la chose, j’ai choisi de passer le concours en allemand », précise Mattia Geonget, sans fierté excessive.

Et son bac ? « Ça s’est bien passé. » Même si les résultats ne sont pas encore connus, on n’en doute pas…

Beaucoup d’entre nous connaissent déjà le visage de Mattia, qui a porté la parole des jeunes clermontois en tête des cortèges et dans les médias, à l’époque la plus intense des marches pour le climat. D’autres l’ont découvert plus récemment, le 8 octobre dernier, en ouverture de l’événement TEDx Clermont. Tout aussi à l’aise dans ses Dock Marten’s face à quelque 800 spectateurs, l’adolescent est intervenu sur le thème de l’éco-anxiété et sur les différents stades de la « courbe du deuil » face au dérèglement climatique. Posément, avec un regard indulgent sur ceux qui sont encore au début de la courbe, du côté du déni.

Le choc, à neuf ans

Pas vraiment impressionné par l’exercice – « Des interviews, des conférences, j’en avais fait avant » – mais amusé d’être assez régulièrement reconnu depuis dans les rues de Clermont, Mattia avait déjà un parcours militant très dense quand il s’est prêté à l’exercice.

« Je me suis rendu compte qu’il existait un problème, qui m’angoisse intellectuellement et humainement. »

Parcours qui commence dès l’âge de neuf ans, comme il l’a raconté dans son intervention du 8 octobre : « A l’époque, j’étais en CM2 et je recevais un journal, Le Petit Quotidien. Un soir, j’en ouvre le nouveau numéro. Des images, beaucoup d’images, très marquantes pour qui découvre que des maisons sont vraiment submergées, que des populations migrent réellement, que des forêts prennent feu, que c’est la vraie vie et que tout cela n’a rien d’une fiction dystopique. Pendant deux ans, je n’ai plus voulu en entendre parler ; j’en ai voulu au monde entier. »

Mattia à TEDx
Mattia sur la scène de TEDx Clermont, le 8 octobre 2022. – Extrait de la captation

Aujourd’hui, il commente : « L’anecdote est authentique. C’est vrai que j’entendais souvent parler du sujet auparavant, car mes deux parents étaient très portés sur l’écologie. Mais je voyais ça sous un œil très positif : trier ses déchets, rouler à vélo, etc. J’étais aussi, déjà, intéressé par la géopolitique. Mais ce dossier spécial, dans mon magazine, était un peu plus gros que d’habitude, avec des photos chocs, et ça m’a beaucoup, beaucoup marqué. Je me suis rendu compte qu’il existait un problème, qui m’angoisse intellectuellement et humainement. »

Sauf qu’à cet âge, on n’y peut pas grand-chose. Période de déni et de peur donc – la première phase de la courbe du deuil – jusqu’à ce qu’en classe de cinquième, des choses se déclenchent presque naturellement.

L’intervention vidéo de Mattia au TEDxClermont 2022, intitulée « Sommes-nous toutes et tous des éco-anxieux qui s’ignorent ? »

Lire aussi : Comment le TEDxClermont parle « des sujets environnementaux, et de leur perception dans la société »

Premières actions

Mais auparavant, Mattia avait déjà choisi son métier, et n’a pas varié sur ce point. « Depuis la sixième, je sais que je veux être avocat en droit de l’environnement. L’anecdote est véridique ; la preuve, c’est que j’ai effectué mon stage de troisième dans le cabinet de Corinne Lepage ! C’est mon papa qui m’avait dit que ça existait comme métier et je me suis dit que c’était fait pour moi. »

A découvrir son itinéraire au collège puis au lycée (à Jeanne-d’Arc à Clermont), on le comprend facilement. « J’aime parler – enfin plutôt discuter que bavarder. J’adore l’art oratoire, les mots, les langues, la littérature… Ce qui me définit le mieux, c’est ‘‘100% extraverti’’. En plus j’ai des choses à dire ! Même si j’aime bien écouter aussi. »

« Depuis la sixième, je sais que je veux être avocat en droit de l’environnement. »

Des « choses à dire », c’est son combat pour le climat bien sûr, un fil rouge tenu jusque-là sans discontinuité, à une période de la vie où beaucoup se cherchent en papillonnant.

Dès la cinquième, Mattia se sent plus en confiance pour agir. « A la suite d’une intervention de l’Unicef dans mon collège, on crée – enfin plutôt je crée – un club ‘‘Enfants du monde’’. Nous avons fait des choses super chouettes ; c’est sans doute le moment où j’ai mené les actions les plus concrètes : une collecte de vêtements avec le Secours populaire, une collecte d’argent pour les enfants de l’île de Saint-Martin après la tempête Irma… »

Le temps de l’activisme

Avec l’élan de cette première expérience, il participe très vite à la création de Youth for Climate Clermont, puis, à la suite d’un « schisme », de Fridays for Future. Vers 13-14 ans, Mattia s’impose déjà parmi les leaders du mouvement des jeunes pour le climat. Avec les moments d’exaltation : les marches du climat, les blocages, ce fameux 15 mars 2019 où le mouvement a réussi à rassembler près de 5 000 personnes à Clermont…

Mattia Geonget grève climat
En pleine préparation d’une manifestation pour le climat, au pied de la statue de Vercingétorix place de Jaude, à l’époque de Youth for Climate. – Photo fournie par Mattia

Mais aussi des comportements qui l’agacent et qui finissent par créer la scission. Mattia évoque en levant les yeux au ciel ce « type de 24 ans qui harcelait des petits de 13 ans… C’était ridicule ! ». De même que l’exigence d’un intenable « politiquement correct extrême » où il fallait, même oralement, mettre chaque phrase au masculin-féminin-neutre. Ou le basculement d’une ligne « Youth for climate » à « Youth for toutes les luttes ». « Je n’étais pas contre ces autres causes, loin de là, mais c’était un peu débile de partir dans tous les sens. »

« C’étaient des choses de petite ampleur mais sympas. On s’entendait bien, on pouvait se mobiliser en 48 heures. »

Fridays for Future s’est orienté vers des actions moins spectaculaires que les grandes manifestations, mais, selon Mattia, plus efficaces et plus satisfaisantes. « Les manifs, c’était un mois de taf pour préparer, avec beaucoup de stress, mais c’est gérable ; par contre je ne supportais pas les tensions, les gens qui ont du mal à mettre de côté leur idéologie pour travailler à une cause commune. J’imagine que c’était le cas pour moi aussi mais pour certains, c’était viscéral. Ça a été dur mentalement. Et ça m’a fait beaucoup réfléchir sur le comportement humain… »

Même cause mais changement de style donc. Avec une nébuleuse d’environ 80 personnes, et un noyau dur restreint à une quinzaine – « la crème de la crème, sans vouloir paraître prétentieux » – il s’agissait de se lancer dans des campagnes rapides, parfois créatives. Un affichage sauvage de chiffres sur le climat dans la ville. Une action au jardin Lecoq pour couvrir un arbre de messages sur le climat. Une collecte de vêtements pour une grande braderie de Noël solidaire. « On a ensuite disposé les vêtements restants sur des portants dans la ville, avec des messages expliquant le sens de ce qu’on faisait, et on était tout heureux de voir que les gens se servaient ! »

« C’étaient des choses de petite ampleur mais sympas. On s’entendait bien, on pouvait se mobiliser en 48 heures », souligne-t-il, précisant que le groupe se joignait facilement aussi aux manifestations organisées par d’autres sur les thématiques qui les préoccupaient.

Affichage
En campagne d’affichage sauvage dans les rues de Clermont, à l’époque de Fridays For Future. – Photo fournie par Mattia

Pas si simple

Parallèlement, Mattia continue une scolarité que l’engagement ne perturbe pas. Au lycée, il choisit des options qui lui vont comme un gant : l’une sur un pack histoire, géographie, géopolitique et sciences politiques, l’autre en sciences économiques et sociales. Et cela dans une section européenne avec des cours d’histoire en allemand… tant qu’à faire. A ses heures perdues, il trouve le temps de faire aussi du théâtre – où resurgit l’art oratoire.

La crise sanitaire avec ses confinements et ses restrictions va contribuer à déliter le mouvement. « On a fait des choses en virtuel, puis on a repris, mais ça s’est essoufflé par dispersion. J’étais le fondateur mais j’étais moins motivé en raison de problèmes relationnels, et personne n’a vraiment pris le relais. On a fait une réunion à la dernière rentrée mais ça n’a pas donné grand-chose… »

Mattia Geonget participe à une campagne d'affichage
Pendant la pandémie, l’action continue sous d’autres formes pour Mattia. – Photo fournie par Mattia

Décidément, les relations humaines, ça complique les choses et surtout l’action. Mattia a l’esprit ouvert mais supporte mal que les dissensions prennent le pas sur une cause aussi importante. Un peu désabusé cette année donc – « Je trouve qu’on parle beaucoup moins du climat, que ça semble passé à la trappe » – et moins attiré par l’activisme – « J’ai l’impression que le militantisme manque de sens. J’ai envie d’action plus mesurée, plus posée… mais je reste déterminé par la nécessité d’agir ! »

« J’ai l’impression que le militantisme manque de sens. J’ai envie d’action plus mesurée. »

Il y avait eu d’autres expériences douloureuses auparavant, dont cette interview pour l’édition nationale du journal Le Parisien au sujet du passage de Greta Thunberg en France, en 2019. « L’entretien au téléphone s’était bien passé. Mais ensuite, ils ont mis mes propos en regard de ceux de Laurent Alexandre, le fondateur très médiatisé de Doctissimo, qui en avait été averti alors que moi non ; je l’ai découvert à la parution du journal. Je me suis pris une vague de haine monumentale sur Twitter. J’ai trouvé ça odieux de leur part de me manipuler à 13 ans ! »

Il fallait du tempérament pour résister à ça à cet âge. Mattia en a.

Un métier d’avenir

Et aussi des idées bien arrêtées, mais pas pour autant extrémistes. « Je comprends que tout le monde ne soit pas aussi avancé dans la prise de conscience ou qu’on ait d’autres priorités que les problèmes écologiques, développe-t-il. Ce que je n’aime pas, c’est la paresse intellectuelle. On ne peut pas dire des contre-vérités alors qu’il est facile de se renseigner. Ensuite, chacun fait de son mieux. Si quelqu’un ne peut pas se passer de viande, il peut faire l’effort d’en manger moins, c’est déjà bien. De toute façon, être français, c’est déjà polluer ! On sait qu’il y aura des sacrifices à faire mais l’essentiel, c’est de veiller à ne pas les faire porter par les fractions les plus défavorisées de la société, ou par les pays les plus pauvres. »

La courbe du deuil de Kubler-Ross : un cheminement psychologique qui peut s’appliquer au choc de l’urgence climatique. Ce schéma était au centre de l’intervention de Mattia à TEDx Clermont.

Fort de telles convictions, Mattia n’en a pas, loin de là, terminé avec la cause environnementale, et notamment le climat, qui lui semble central. Dans les différents Instituts d’études politiques visés, il a déjà repéré des associations militantes qu’il envisage de rejoindre. Tenté aussi, en attendant, de participer à une manifestation de soutien aux Soulèvements de la Terre, ou de s’intéresser au collectif créé récemment pour s’opposer aux projets de mégabassines dans la région.

« Ce que je n’aime pas, c’est la paresse intellectuelle. »

Très enthousiaste à l’idée de pouvoir suivre des cours diversifiés dans les premières années à Sciences Po, il sait déjà qu’il s’orientera vers un Master avec spécialisation « Justice environnementale et transition écologique ». Pour rejoindre ensuite, idéalement, un cabinet comme celui de Corinne Lepage et de son mari Christian Huglo. « Un métier où il ne risque pas de manquer de travail ! », ironise Mattia, avant de préciser plus sérieusement : « Je voudrais le faire pour avoir un impact positif, pas dans l’idée d’être du côté des ‘‘gentils’’. C’est plus compliqué comme posture, mais c’est aussi plus riche. »

Reportage réalisé le mercredi 21 juin 2023. Photo de Une Marie-Pierre Demarty


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