Pour le CEREMA, la résilience « implique de se demander ce que l’on veut être, de se projeter »

Elsa Delcombel et Louise Rhodde, membres du principal établissement public national dédié à la résilience et à la transition, reviennent sur leur action vers les territoires et sur le séminaire auquel elles ont participé à Clermont fin 2022.


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Le ressenti de l’auteur

Difficile de passer à côté du CEREMA quand on étudie les enjeux de résilience territoriale en France. Il s’agit en effet d’un des principaux acteurs publics accompagnant les collectivités locales sur la résilience et la transition. Je cherchais depuis longtemps un « point d’entrée » au CEREMA, dont le siège régional est près de Lyon. Je l’ai trouvé en la personne d’Elsa Delcombel, qui a co-animé le séminaire clermontois de la Plate-Forme 21 début décembre, dédié aux outils de la résilience territoriale.

Ce qui me semble particulièrement intéressant dans cet entretien est la lecture en « creux » de l’engagement des élus – en tant qu’individus, décideurs au sein des collectivités – dans des démarches aussi disruptives que celles portées par le CEREMA. Car il me semble bien, en écoutant Louise et Elsa, mais aussi en lisant d’autres contributeurs issus du CEREMA sur les réseaux sociaux (comme Loïc Giaccone, que j’avais suivi un temps sur les questions de montagne et de changement climatique), que l’approche vis-à-vis de la résilience est la bonne – puisqu’elle pose fondamentalement la question de la trajectoire et des éventuels renoncements.

Ainsi, comment arriver à faire progresser cette vision, petit à petit, parmi des élus qui sont souvent réticents à des changements d’envergure ? C’est la question posée en filigrane dans cet entretien, et la réponse est mi-figue mi-raisin. Comme souvent, on se contente de semer des graines. Mais il faut être patient, puisque les événements ne peuvent que donner raison à cette manière de voir les choses.

Damien

Les principaux points à retenir

  1. La résilience, vue par le CEREMA, dépasse les notions de risque et les approches techniques ou académiques. Louise insiste notamment sur la dimension de projection et de questionnement dynamique sur la trajectoire des territoires. Dans ce cadre, le CEREMA a innové en développant une Boussole de la résilience qui est depuis appliquée aux politiques publiques suivies par l’établissement. Cet outil, central, permet de générer des contenus, de l’expertise et de l’accompagnement au changement de posture. Il est enrichi par un groupe de travail dédié au sein du CEREMA, mêlant innovation sociale, participation citoyenne, métiers techniques et approches scientifiques.
  2. Louise et Elsa ont participé au séminaire sur les outils de la résilience territoriale à Clermont les 5 et 6 décembre 2022. Elles y ont notamment animé des ateliers sur la boussole de la résilience. Elles en retirent le besoin d’outils co-construits et non pas clé en main, et la nécessité d’échange informel entre acteurs publics, chercheurs, entrepreneurs. Le format de l’événement clermontois a permis cela, tout en découvrant de nombreux outils.
  3. Dans l’atelier sur la Boussole du CEREMA, il s’agit d’utiliser les différents « leviers » que cette dernière propose pour se les approprier et les adapter à chaque situation. L’atelier consiste alors en un travail sur la base d’un scénario « noir » proposé par le Shift Project, et sur comment s’en éloigner. Plusieurs clés d’entrées – images, questionnements … – sont proposés aux participants, qui déploient chacun leur approche. Il s’agit d’une expérience à la fois ludique et pédagogique, capitale pour l’appropriation de l’outil selon Elsa.
  4. Dans le Puy-de-Dôme, une antenne locale du CEREMA existe, bénéficiant d’expertises sur le bâtiment et les matériaux. Mais les compétences transversales liées aux enjeux de la résilience (ingénierie collaborative notamment) s’y déploient peu à peu. Elsa insiste sur l’originalité du Budget Ecologique Citoyen, que seul notre département propose sous sa forme actuelle, et qui a notamment permis de faire travailler ensemble des gens de profils différents et de provoquer une évolution des points de vue. Au global, c’est la résilience du territoire qui s’en trouve renforcée. D’autres accompagnements, avec le Grand Clermont, l’Agence d’Urbanisme ou la communauté de communes d’Ambert, sont également en cours.
  5. Le rôle des collectivités locales dans la gouvernance du CEREMA se renforce sensiblement, suite à des réformes récentes. C’est une évolution dont se félicite Elsa car ce sont les collectivités qui sont d’abord concernées par la résilience, et qui sont le principal public ciblé par le CEREMA. Et ce bien que chaque sujet – eau, énergie, alimentation… – doive être traité dans son périmètre spécifique, qui parfois dépasse la collectivité.
  6. Pour mieux accompagner les acteurs locaux, un partenariat est en cours de construction entre le CEREMA et la Fabrique des Transitions. Cette dernière apporte le réseau d’élus locaux qui échangent en « pair à pair », donc de manière transverse et non descendante, et qui a pu développer une véritable « communauté apprenante ». En miroir, le CEREMA met à disposition son expertise technique et son réseau d’innovateurs sur les processus de participation ou sur l’accompagnement des stratégies territoriales.
  7. Enfin, pour Louise comme pour Elsa, les points clé de l’accompagnement au changement résident dans la diversité des acteurs participants – notamment en incluant ceux à l’intérieur des structures concernées. L’important est aussi d’aborder les enjeux de résilience à travers une variété de projets plus petits, chacun étant travaillé progressivement et de manière coopérative. Cela peut se baser sur une cartographie des acteurs concernés, formels comme informels, en allant au-delà de ceux que les élus connaissent. Enfin, il faut une vraie motivation, une envie et une énergie, ce qui ne se décrète pas d’en haut. Parfois, des « objets transactionnels » intermédiaires, des temps de rencontre informels voire ludiques ou culturels permettent de créer le lien qui manque et d’aboutir rapidement à un premier résultat, qui motivera les suivants.
  8. Le travail avec les élus, en tant que personne, nécessite une adaptation constante et souvent des compromis pour faire progresser les idées et les concepts de la résilience – parfois disruptifs pour de nombreuses collectivités. Elsa décrit la diversité des approches terrain, certains élus étant en avance, d’autres très en retard. Dans tous les cas, il faut travailler sur la base des représentations et des besoins spécifiques de chaque territoire, vus par les élus qui sollicitent le CEREMA qui ne cherche au final qu’à éclairer les décisions prises par les collectivités.

L’intervenante : Elsa Delcombel

Directrice adjointe du département Transitions Territoriales au CEREMA (direction Centre-Est)

Elsa a une formation initiale en agronomie. Après ses études principales, elle rentre dans la fonction publique en tant que spécialiste de l’économie rurale et de l’évaluation des politiques publiques. Elle a notamment travaillé sur la sécurité alimentaire et les enjeux de coopération lors de crises humanitaires en Afrique.

Elle a notamment mené une thèse en économie rurale vue par le prisme de la « théorie des jeux d’acteurs – comment une politique publique peut mener à l’échec, en fonction des stratégies de chaque acteur qui se renvoient la balle. » précise-t-elle. « En même temps, on peut se demander pourquoi les stratégies collaboratives, en réponse, sont si difficiles à enclencher« .

Après 3 années passées au Ministère de l’Agriculture, Elsa devient chef de bureau « environnement et climat » à la fin de la présidence Sarkozy et pour une durée de 4 ans. Elle constate que le projet stratégique sur l’agriculture nationale de 2014 « a pour objectif premier l’agroécologie », et qu’il est censé être toujours en vigueur.

En février 2015, Elsa rejoint le CEREMA, d’abord en tant que directrice adjointe du département « Territoire, Energie, Climat », puis comme directrice adjointe du département Transitions Territoriales pour la région Centre-Est.

Contacter Elsa par courrier electronique : elsa.delcombel [chez] cerema.fr

L’intervenante : Louise Rhodde

Cheffe de projet résilience des territoires au CEREMA

De formation pluridisciplinaire (droit, philosophipe, puis master II en gouvernance des risques environnementaux), Louise a intégré le CEREMA lors du stage de son master « pour travailler sur les approches systémiques et de résilience » précise-t-elle. Elle a commencé par réaliser un état des lieux des méthodologies autour de la résilience territoriale. Elle a également travaillé sur la Boussole de la résilience développée par l’établissement public. Ce travail a fait l’objet d’un mémoire « posant les conditions d’opérationnalisation des approchez complexes et interrogeant leur possible normalisation », accessible sur ce lien.

Intégrée comme collaboratrice au CEREMA après son stage, Louise travaille à la direction territoriale Ouest « pour mettre en oeuvre la théorie et rendre opérationnelle l’approche systémique » détaille-t-elle, « mais aussi mobiliser la boussole de la résilience sur les territoires ».

En 2021, elle devient cheffe de projet et poursuit ce même travail au national, toujours en lien avec le terrain. Elle a notamment participé au séminaire de la Plate-Forme 21 des 5 et 6 décembre 2022 à Clermont-Ferrand, dédié aux outils de la résilience territoriale.

Contacter Louise par courrier électronique : louise.rhodde [chez] cerema.fr

La structure : le CEREMA

Etablissement public national dédié à l’accompagnement des politiques publiques et territoriales dans une logique de transition et de résilience

Le CEREMA accompagne l’Etat et les collectivités locales pour l’élaboration, le déploiement et l’évaluation des politiques publiques d’aménagement et de transport. Il est structuré sous forme d’établissement public, national, sous la tutelle du ministère de la Transition Ecologique et de la Cohésion des Territoires.

Si les métiers du CEREMA se situent initialement dans le périmètre classique des problématiques d’équipement et d’aménagement (ingénierie territoriale, bâtiment, mobilité, infrastructures …), ils sont désormais complétés par des compétences dédiés à l’accélération des transitions et à la résilience des territoires. Le CEREMA a notamment développé une Boussole de la Résilience qui est un outil structurant pour l’ensemble de son action d’adaptation face aux dérèglement environnemental.

Issus du laboratoire des Ponts des Chaussées – qui avait participé à la reconstruction nationale après-guerre, au sein du ministère de l’équipement – les CTE (Centres Techniques de l’Equipement) étaient des bureaux d’études adossés aux anciennes Directions Départementales de l’Equipement. Il y avait 11 CTE en France dont 8 sur les territoires et 3 transverses, sur des aspects techniques (urbanisme, mers, routes …). Le CEREMA est issu du « détachement » des CTE de l’Etat en 2014. Des 11 premiers établissements ont été depuis complétés par des directions régionales, y compris en outre-mer.

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Comment interprétez-vous le mot “résilience”, au centre de l’action du CEREMA ?

Louise : c’est un mot de plus en plus utilisé du grand public, surtout depuis la pandémie de Covid-19. Avant, on le connaissait dans les sphères techniques et universitaires mais il était davantage associé à la notion de risque – notamment inondation – qu’à une transformation sociale et systémique.

Il me semble que ce qui fait sa force, c’est la perspective qu’il questionne. Résilience … de qui, vis-à-vis de quoi ? Employer ce mot implique de le redéfinir et donc se demander ce que l’on veut être, à quoi on renonce, de se projeter. C’est une vraie trajectoire, alors que la gestion des risques était une approche plus technique et statique.

Quel est l’apport principal de votre structure sur la résilience ?

Elsa : l’innovation du Cerema est venue il y a une dizaine d’années, avec l’idée de transposer le concept aux politiques publiques d’aménagement du territoire en tirant enseignements des retours d’expérience de territoires pilotes. Les éléments consignés sous forme d’une boussole permettent aux acteurs des territoires de mesurer leurs leviers ainsi que les principales pistes d’amélioration possible. Autour, notamment, de cet outil, nous faisons de la production de contenu, de l’expertise, de l’accompagnement de terrain… et au changement de posture, ce qui est capital.

« La résilience est ici vue comme étant bien plus large que l’adaptation au changement climatique. »

Louise Rhodde

Louise : en appui aux directions territoriales, il y a un groupe “résilience transition climat” à l’échelle nationale. Il travaille sur les aspects méthodologiques d’une démarche de résilience territoriale, avec une vision nationale et transverse, en faisant notamment le lien avec les différentes cultures métiers techniques, les travaux menés sur les limites planétaires, l’innovation sociale et la participation citoyenne. La résilience est ici vue comme étant bien plus large que l’adaptation au changement climatique.

La boussole de la résilience développée par le CEREMA. Les six secteurs circulaires représentent autant des étapes que des prérequis tous nécessaires à une stratégie de résilience territoriale / Crédit visuel : CEREMA (DR)

Justement, vous avez participé au séminaire sur les “outils de la résilience”, proposé en décembre 2022 à Clermont par la Plate-forme 21. Qu’en retirez-vous ?

Louise : principalement les échanges riches entre participants, et une conviction partagée de la nécessité des outils de coopérations – non pas « clé en main » – pour répondre aux enjeux des transformations sociétales auquel nous devons faire face. Le format du séminaire permettait un retour des participants sur les outils présentés, les dispositifs dans lesquels ils envisagent ou non de les utiliser ou de les adapter. Cela a permis d’envisager des complémentarités et de mieux cerner les atouts de chacun.

Elsa : j’ajouterais qu’une collectivité a peu d’occasions de discuter de manière détendue avec d’autres acteurs étatiques ou des entreprises. A Clermont, il n’y avait pas trop de monde, ce qui a permis de “faire groupe” rapidement. Les participants ont pu y voir beaucoup d’outils, et les temps informels entre les ateliers ont facilité un échange en profondeur sur les expériences des uns et des autres.

Lire notre entretien (2021) avec Stéphanie Bidault : « l’inondation est le premier risque naturel en France »

Comment les participants se sont-ils emparés des outils présentés ?

Louise : je ne peux parler que de notre outil, la Boussole de la Résilience, que nous avons présenté en atelier. On est parti des différents leviers de cette boussole, pour que les gens se les approprient et comprennent mieux leurs différentes dimensions : de la coopération, la gouvernance à la robustesse ou la sobriété .

« Une collectivité a peu d’occasions de discuter de manière détendue avec d’autres acteurs étatiques ou des entreprises »

Elsa Delcombel

Au sein de groupes de travail, les participants devaient faire dévier un « scenario noir » basé sur ceux du Shift Project [issus du dernier rapport sur la résilience territoriale, NDLR]. Le but était d’identifier des actions pour chacun des leviers : des solutions techniques, bien sûr, mais aussi de gouvernance, de coopération, de sobriété…

Les participants disposaient aussi d’une explication des leviers et des questions concrètes que ceux-ci soulèvent (par exemple « quel dispositif d’alerte le territoire possède ? De quelle nature ? » ou « existe-t-il des lieux ou moment de formation pour les acteurs économiques, touristes, citoyens du territoire ? sous quelle forme ? » ou encore « quelle coopération, mutualisation avec les territoires voisins ? » )? Enfin, ils avaient accès à une série de photos illustrant des solutions dont ils pouvaient s’inspirer.

Au séminaire de la Plate-Forme 21 à Clermont, en décembre dernier, un atelier sur la boussole de la résilience avait été organisé par Elsa et Louise / Crédit photo : Elsa Delcombel (DR)

L’idée était de laisser les participants libres dans leur utilisation de la boussole. Certains ont mobilisé plutôt les images, d’autres se sont appuyés sur les questions, ou sur les différents acteurs… Enfin, tous les outils ont été débattus et projetés en conditions réelles : les participants se demandaient comment les mobiliser, quelle utilité concrète ils auraient sur un territoire donné, etc.

Elsa : et c’est très important que les gens puissent s’approprier les outils, qu’ils les “vivent” ! Si on dépasse la simple explication par le jeu et par l’expérience, l’effet n’est pas du tout le même. Et ce “jeu” consistait, au fond, à manipuler les différents leviers de la boussole pour voir s’ils provoquaient la bifurcation attendue.

Lire notre entretien : Lionel Roucan engage la Plate-forme 21 dans la résilience systémique et la prospective territoriale

Le territoire du Puy-de-Dôme parvient-il à développer sa résilience, selon vous ?

Elsa : je n’ai pas la vision complète de ce qui se fait dans le Puy-de-Dôme. En revanche, il y a une innovation majeure sur ce département, c’est le Budget Ecologique Citoyen [le BEC, proposé par le Conseil Départemental [CD63], NDLR]. Le Puy-de-Dôme est le seul département qui a créé un tel dispositif, participatif, co-construit et co-piloté avec les citoyens.

« Quand les gens travaillent ensemble, ils changent leurs points de vue. »

Elsa Delcombel

Nous en avons rencontré les pilotes lors d’une réunion multi-acteurs animée par La Fabrique des Transitions à Billom fin 2022. Les participants-bénéficiaires présents à cette réunion n’avaient que louanges pour le dispositif, et notamment pour sa facilité. Nous travaillons maintenant avec le CD63 pour en faire un retour d’expérience. Les citoyens, les élus et les agents des collectivités qui pouvaient se méfier au début les uns des autres, arrivent désormais à travailler ensemble ! C’est une belle réussite qu’il s’agit de consolider pour la suite.

Sans le Budget Ecologique Citoyen du Puy-de-Dôme, cette cuisine du centre de soins pour mammifères Panse-Bêtes (à Chamalières) n’aurait pas été refaite à neuf l’an dernier. Elle permet désormais de centraliser et de préparer toute la nourriture, espèce par espèce. L’ensemble est clairement labellisé, et beaucoup d’aliments sont offertes ou vendues à tarif préférentiel par les fournisseurs / Crédit photo : Damien Caillard, Tikographie

Cela montre que, quand les gens travaillent ensemble, ils changent leurs points de vue. Et ils le font parce qu’ils ont un vécu ensemble dans l’action, pas seulement suite à une explication. Il est donc important de tisser cette confiance dans l’action, notamment avec les élus qui peuvent être réticents de prime abord à la participation citoyenne. Plus les différents acteurs travaillent ensemble sur un territoire, plus sa résilience augmente. Le BEC est un bon exemple de dispositif agissant pour ce renforcement.

Lire notre entretien : Lionel Roucan engage la Plate-forme 21 dans la résilience systémique et la prospective territoriale

Les conseils départementaux sont-ils en général actifs sur la transition écologique ?

Elsa : il n’existe pas de compétence « transition écologique ». Et leurs compétences réglementaires ne les incitent pas encore suffisamment à avoir une approche transversale sur ce sujet. Enfin, ils ne viennent pas encore beaucoup nous chercher sur ces approches – sauf exception, comme ici avec le BEC – mais cela est en train d’évoluer.

Il y a eu, par exemple, un autre cas d’étude avec le département de la Nièvre avec lequel nous avons travaillé au final sur une stratégie et un plan d’action global d’adaptation au changement climatique, alors qu’ils étaient partis uniquement de la question agricole suite à une sécheresse. Par la suite, ce qu’ils ont fait était tellement original et novateur qu’ils ont été invités à en parler je crois devant l’Assemblée Nationale et auprès des Maires de France ! Enfin, nous accompagnons la Haute-Saône sur sa stratégie de transition énergétique.

« Il n’existe pas de compétence « transition écologique » [pour les Conseils Départementaux] »

Elsa Delcombel

En fait, les départements ont souvent une vision très en “silos” sur leurs compétences – comme les collèges, les routes, le social – alors qu’il faudrait une approche bien plus transversale pour saisir la complexité de la transition écologique. Les communautés de communes sont souvent plus sensibilisées, avec le portage notamment des PCAET [Plan Climat Air Energie Territorial]. Mais cela bouge vite, nous sommes par exemple en discussion avec les départements de l’Ain et de l’Yonne sur ces sujets de transition et de résilience.

Le CEREMA est-il présent à Clermont ?

Elsa : Oui, il y a une agence locale du CEREMA à Clermont-Ferrand. Historiquement, comme toutes les implantations du Cerema, son histoire est liée à celle des Laboratoires régionaux des Ponts et Chaussées spécialisés dans les métiers du bâtiment et des infrastructures. Les champs d’expertises se sont diversifiés [jusqu’en] 2014, avec l’intégration au sein du CEREMA qui développe une approche plus systémique de l’expertise technique. L’agence de Clermont-Ferrand travaille particulièrement sur la gestion de la ressource en eau, la gestion intégrée de patrimoine (immobilier, infrastructures, ouvrages d’art), les risques naturels, et la sécurité routière avec un dispositif expérimental unique en Europe. Les accompagnements plus transversaux de projets de territoires ou de stratégies de transitions se développent également.

Par exemple, l’accompagnement de la communauté de communes Ambert-Livradois-Forez en 2018 pour sa stratégie de transition énergétique dans le cadre de l’élaboration de son PCAET a donné lieu à certains ateliers fondateurs de notre nouvelle approche de la résilience, à l’époque, chaque territoire devant s’approprier et décliner le concept à selon ses propres réalités. Ces ateliers, comme plusieurs autres sur d‘autres territoires, ont permis de capitaliser une démarche de projet spécifique dans un projet de guide pratico-pratique intitulé « Transitions : Territoires, osez vos projets autrement ! » que nous espérons pouvoir publier un jour.

Le CEREMA organise fréquemment des « Ateliers de territoire » pour sensibiliser les acteurs locaux aux enjeux de la résilience. Ici l’atelier « entre Allier et Besbre » / Crédit photo : CEREMA (DR)

Enfin, l’agence CEREMA de Clermont-Ferrand a travaillé avec le CD63 pour créer une méthode de diagnostic technique et d’usage des bâtiments, pour aider les collectivités à développer une gestion patrimoniale prenant en compte les différents enjeux de leur parc bâti. Et nous travaillons actuellement avec le PETR Le Grand Clermont sur la notion de sobriété foncière à travers une étude intitulée “Habiter autrement” – dans l’optique de travailler à la mise en œuvre concrète sur le territoire de la loi Zéro Artificialisation Nette en matière d’habitat, en collaboration avec l’Agence d’Urbanisme Clermont Massif-Central.

Lire notre entretien : Opportunités et contraintes de la transition territoriale, vues par le Grand Clermont

Le CEREMA est un établissement public national, mais les collectivités locales y ont une voix de plus en plus importante…

Elsa : elles sont en effet entrées récemment au conseil d’administration du CEREMA, avec une voix globale légèrement prépondérante sur celle de l’Etat lorsque l’on agrège les voix des différents collèges de collectivités représentés. Plus de 700 collectivités sont donc récemment devenues adhérentes (…). Cette gouvernance partagée est une innovation institutionnelle, unique parmi les établissements publics nationaux !

« Cette gouvernance partagée est une innovation institutionnelle, unique parmi les établissements publics nationaux ! »

Elsa Delcombel

Et c’est très important qu’elles y soient, car notre approche consiste à aider à l’action au niveau territorial et donc à adapter nos travaux aux besoins des collectivités. Le périmètre d’un territoire d’étude, ou d’accompagnement dépend de chaque sujet : par exemple, pour l’eau, ce sera le bassin versant. Si nous partageons les concepts au national, la déclinaison est toujours locale, et différente. On essaye d’adapter de la manière la plus fine possible pour chaque territoire, en fonction de ses atouts, de ses contraintes et de son historique, tout en capitalisant des méthodes, référentiels et processus, utiles à tous.

Comment le partenariat récent avec la Fabrique des Transitions vous aide-t-il ?

Elsa : c’est un partenariat initié par une observation et connaissance mutuelle organisée fin 2022, basé sur une vraie complémentarité. Je parle ici d’un partenariat avec l’Association de Promotion de la Fabrique des Transitions [APDFT], la Fabrique elle-même désignant le réseau extrêmement vaste de nombreux organismes en coopération animé par l’APDFT. Initialement, une vision simplifiée de chaque entité pouvait être que le CEREMA œuvrait dans le hard, la technique, l’expertise ; et la Fabrique dans le soft, le social, le relationnel. Mais nous avons pu leur présenter notre réseau d’innovateurs qui travaillent sur la participation citoyenne et les processus de coopération et d’accompagnement de stratégies territoriales depuis plus de 10 ans, ce dont ils ne se doutaient pas.

La Fabrique, de son côté, dispose d’un atout majeur : le “pair à pair”. Des élus qui parlent aux élus, puisque ce sont des élus qui ont lancé l’aventure de la Fabrique et que le réseau travaille à faire que les élus des différents territoires se parlent et se confortent. Et, quand un élu s’adresse à un pair, ce n’est pas descendant, c’est un retour d’expérience croisé qui est bien plus convaincant.

« Notre approche consiste à aider à l’action au niveau territorial et donc à adapter nos travaux aux besoins des collectivités »

Elsa Delcombel

Autre point important : la Fabrique fonctionne en cohorte, en “grappes” de territoires qui dialoguent et apprennent ensemble. Là aussi, nous devons progresser, développer une notion de communauté apprenante. Enfin, ils ont mis au point une méthode de “diagnostic sensible” à travers une quarantaine d’entretiens avec différents types d’acteurs par territoire pour identifier les points de blocage à travailler pour aller sur une dynamique de coopération indispensable à la transition. Sur cet angle, nous pensons pouvoir compléter avec les apports d’experts dont nous disposons au CEREMA quand il s’agit ensuite d’apporter des conseils pour les actions à mettre en œuvre.

Cette étape d’interconnaissance passé nous travaillons à un vrai partenariat pour de futurs accompagnements de territoires.

En formation (ici dans une région du sud de la France), la boussole – au premier plan – reste l’outil principalement mis en avant / Crédit photo : Marion Labainville (DR)

Vous parliez tout à l’heure d’accompagnement au changement. Quelle est la meilleure manière de le réaliser ?

Louise : il y a plusieurs éléments clé. L’un d’entre eux est la multiplicité et la diversité des acteurs participants aux processus collectifs. Et il ne faut surtout pas oublier les gens en interne, dans les structures. Par exemple avec la ville de Besançon, que nous accompagnons dans sa stratégie de résilience avoir les ressources humaines à la table des discussions et non pas uniquement les services techniques était capital pour avoir une vision globale du territoire, ses forces et vulnérabilités.

Une deuxième chose est peut-être de ne pas attendre de pouvoir construire une grosse et longue stratégie de résilience du territoire. Au contraire, il faut se saisir de chaque projet, prendre chaque sujet pour les requestionner, mettre de nouveaux acteurs autour de la table, penser de nouvelles coopérations, des façons de faire, regarder les blocages… et finalement expérimenter, petit à petit, un changement de posture.

« [Un des points clé] est la multiplicité et la diversité des acteurs participants aux processus collectifs »

Louise Rhodde

Elsa : nous faisons toujours une cartographie des acteurs locaux quand une collectivité vient nous solliciter. Cela doit inclure les réseaux formels et informels. Le but est notamment d’aller chercher des catégories d’acteurs souvent invisibles aux yeux des élus, ou moins habituellement associés aux projets ou stratégies. Il faut cependant avancer progressivement pour ne pas les brusquer : on monte le niveau de confiance petit à petit, on ajoute un service, une association… et ça finit par marcher quand tout le monde se rend compte que c’est gagnant-gagnant d’élargir le cercle, que c’est cela qui crée les dynamiques.

Enfin, je dirais qu’on ne fait pas coopérer s’il n’y a pas d’envie. C’est le risque des approches technocratiques : on a un projet, des moyens, mais ça ne marche pas car on se rend compte que la priorité des gens qui doivent en être acteurs était ailleurs. Il faut avant tout savoir où est l’énergie, où sont les besoins, les envies des différents partenaires, et partir de là.

Louise (au fond) a rappelé les limites planétaires et comment elles donnent un cadre de travail aux participants du séminaire clermontois / Crédit photo : Elsa Delcombel (DR)

Mais comment savoir quelles actions mener au départ ?

Elsa : Cela doit se faire par étapes – ce sont les “cailloux blancs” selon l’expression de Jean-François Caron [fondateur de la Fabrique des Transitions, NDLR] – pour ne pas être tétanisés par l’immensité de la tâche à accomplir. Ces cailloux, ce peuvent être d’abord des prétextes, des petites actions simples, peu énergivores, qui font du bien à tout le monde. Les gens trouveront ça sympa et auront envie de continuer.

C’est le cas des “voyages apprenants” qui mélangent habitants, associatifs et élus. Il faut se mettre rapidement ensemble dans l’action quelle qu’elle soit plutôt que de se limiter à “ce serait bien qu’on fasse ensemble”. Il faut démarrer vite par un premier projet facile, qui donnera la satisfaction d’aboutir concrètement rapidement, et qui donnera envie de continuer et d’aller plus loin, peu importe l’action, l’important est le processus et la mise en dynamique positive.

Lire notre entretien (2021) : Avec Jean-François Caron, la transition des collectivités se construit ensemble

Louise : la Fabrique des Transitions parle ici d’ “objets transactionnels”. S’il y a un conflit entre deux services dans une organisation – par exemple – on choisira un objet intermédiaire, neutre, hors du sujet. Ce peut être un temps festif, culturel, avec de la détente, de la convivialité. Et cela doit aussi se faire sur le terrain, pour comprendre les enjeux. Elsa parlait des voyages apprenants, aller sur le terrain, échanger sur des problématiques de bocage, de foncier, ou de recul du trait de côte en arpentant sur place le territoire et y rencontrant les acteurs sur place est toujours plus riche y compris au sein du territoire. : il est toujours plus intéressant et fructueux d’arpenter les parcelles avec les agriculteurs et de parler des problèmes qu’ils rencontrent sur place, avec eux.

Un exemple de « voyage apprenant » : visite de la ferme de Sarliève à Cournon, dans le cadre des temps de sensibilisation et de découverte initiés par le Projet Alimentaire Territorial / Crédit photo : Grand Clermont (DR)

Votre position à la fois d’experts en résilience et de facilitateurs ne vous force-t-elle pas à des compromis constants ?

Elsa : c’est forcément le cas. Nous travaillons avec les élus et leurs services techniques, et, face aux enjeux de la résilience, leurs profils vont de ceux qui n’ont pas du tout encore intégré les enjeux et la nécessité de changer de posture et de modèle, à d’autres qui sont très en avance dans leurs perceptions et cherchent les moyens de faire sur le terrain. Et cela n’a rien à voir avec les orientations politiques !

Les élus qui font appel à nous sont bien sûr a priori ouverts et à la recherche de solutions. Mais ils ont néanmoins, comme tout un chacun, des idées préconçues et une perception propre des enjeux et des solutions. Nous devons donc travailler à partir de leurs représentations et de leurs besoins, qui sont à chaque fois différents.

« [Les élus locaux ont], comme tout un chacun, des idées préconçues et une perception propre des enjeux et des solutions »

Elsa Delcombel

Notre mission est d’accompagner le chemin de chaque territoire, et à chaque fois d’ouvrir au maximum la perception des possibles, de présenter les enjeux le plus largement possible et les différents scenarios d’action avec leurs avantages et leurs limites. La décision d’action et les arbitrages restent bien sûr la prérogative des élus, nous devons juste éclairer ces choix dans une perspective d’aide à la décision.

Alors, oui, des fois les discussions sont sensibles. Mais l’important est de rester professionnels et dans le cadre de notre mission d’expertise publique neutre et de référence, d’être fiers de ce que l’on propose parce qu’on aura donné tous les éléments d’éclairage. Même si les décisionnaires ne mettent pas en œuvre nos préconisations, nous savons qu’il y a clairement des scénarios préférables à d’autres pour aborder les enjeux immenses des transitions nécessaires. Et nous le disons.

Ressources complémentaires proposées par Elsa:
Comprendre – Le document de synthèse du CEREMA intitulé « territoires résilients, agir maintenant pour transformer demain »
Agir « On a besoin de récits et d’actions positives » insiste Elsa. S’inspirer de la trilogie de Cyril Dion diffusée sur Arte : « Un monde nouveau : Résister, S’adapter, Régénérer« , « idéal pour organiser des ciné-débats » poursuit-elle. « Cela génère des résultats, on est au-delà des petits pas. Il commence à y avoir des choses qui ont un impact fort ».

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Propos recueillis le 10 mai 2023, mis en forme pour plus de clarté et relus et corrigés par Elsa et Louise. Crédit photo de Une : Cerema (DR)