Des mégafeux comme une métaphore à méditer

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Maryvonne Arnaud
L'exposition « +2 degrés contre-feux », de la plasticienne Maryvonne Arnaud, présente notamment des photos prises après un mégafeu en Grèce. Je me suis rendue au vernissage, au musée Lecoq. Echos de ce qui s'y est dit et de ce que ça m'a inspiré.

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Fut un temps où je fréquentais beaucoup les expositions d’art et les vernissages, ne serait-ce que pour en faire des comptes rendus dans la presse régionale.J’ai complètement abandonné ce terrain notamment depuis que je me consacre à rendre compte de choses qui me semblent plus urgentes.

Mais ce n’est pas par nostalgie des vernissages que je me suis rendue à celui-ci. Plutôt par nostalgie d’un monde plus stable où on ne pouvait pas imaginer avoir 15°C annoncés en plein mois de décembre et où les pentes du Sancy ne risquaient pas de brûler, surtout au mois d’avril.

J’ai un peu perdu la main sur le genre journalistique du « compte rendu de vernissage ». Mais j’espère, à défaut d’un article brillant, vous donner au moins l’envie d’aller faire une visite à cet étonnant musée et à son expo temporaire.

Marie-Pierre

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • La plasticienne et photographe Maryvonne Arnaud a arpenté les forêts de l’île d’Eubée en Grèce, après les ravages d’un mégafeu. L’exposition qu’elle en a tirée est à voir jusqu’au 26 mars au musée Lecoq à Clermont. Elle montre l’évolution de cet endroit calciné, au fil des mois et des retours de l’artiste sur les lieux.
  • Dans ses premiers clichés transparaît une impression brutale de mort, figurée en gros plan par les carcasses d’animaux pris au piège de l’incendie. Peu à peu, les végétaux se réinstallent et apportent de la couleur sur ces sols calcinés. Mais les habitants, absents des photos, restent rongés par la tristesse et le sentiment de honte d’avoir laissé brûler leur forêt.
  • Cette exposition nous interroge à plusieurs niveaux. Elle parle de dérèglement climatique et de résilience, des mégafeux pour l’heure lointains mais qui ne seront pas toujours une menace vague et abstraite vue (seulement) à la télé.

Qu’est-ce que ça fait à un territoire d’avoir subi un méga-feu ? Jusqu’à présent, nous avons la chance de ne pas l’avoir vécu. Nous entendons parler aux infos, durant quelques jours ou quelques semaines, de ce qui se passe en Australie, au Canada, dans le sud de l’Europe ou même en Gironde, puis nous passons à autre chose sans que ça laisse beaucoup de traces dans nos esprits.

Sauf si une artiste se questionne, documente les suites de l’événement et vient nous livrer son regard, son témoignage sensible.

C’est ce que fait Maryvonne Arnaud à travers une série de photographies présentées au musée Lecoq. Plus exactement une série de séries de photos. Elle vient nous rappeler que la blessure d’un incendie met du temps à se cicatriser, autant dans le paysage que dans l’esprit des habitants. Et que le dérèglement climatique nous menace de plus en plus de subir ces mêmes blessures.

Voici comment.

De cendres et d’os

Nous sommes début août 2021 en Grèce, sous une canicule exceptionnelle avec des pics à plus de 45°C. Un de ces mégafeux se propage durant huit jours sur un tiers de l’île d’Eubée, proche d’Athènes, la deuxième plus grande du pays après la Crète. Douze villages ont dû être évacués ; trois personnes ont trouvé la mort, 90 000 ha de forêts, de pâturage et des habitations ont été détruits. Au même moment dans toute la Grèce, plusieurs centaines d’incendies étaient en cours.

Plasticienne grenobloise utilisant la photographie entre autres techniques, Maryvonne Arnaud s’est rendue sur les lieux au lendemain de l’événement. Ses premières photos témoignent, en gros plan, de la désolation et du traumatisme. Des forêts calcinées, un sol brûlé sur plusieurs dizaines de centimètres, les carcasses des animaux qui se sont trouvés piégés par les flammes et figés dans leur fuite : ossements de chèvres, carapaces de tortues par dizaines. De la cendre. Une totale absence de vie. Un témoignage quasi en noir et blanc de ce qu’elle a trouvé en arpentant la forêt : noir comme la vie brutalement et totalement interrompue.

« J’ai marché dans cette forêt pour essayer de comprendre. »

« Et l’odeur prégnante qui prend le cerveau, et le bruit très particulier du vent dans ce paysage », ajoutait la plasticienne lors du vernissage, ravivant son souvenir de ce spectacle de mort. « J’ai marché dans cette forêt pour essayer de comprendre. J’ai fait des photos en ne sachant pas ce que j’allais en faire », témoignait-elle.

L’exposition nous montre ensuite les étapes d’un travail qui s’est finalement déroulé sur plusieurs années, pour capter une évolution qui n’a rien de linéaire. Et qui débute dès le jour d’après. Car « ensuite il a plu, dit-elle. J’y suis retournée le lendemain matin et j’ai croisé de toutes petites pousses vertes. Ça m’a redonné de l’espoir, alors que je n’imaginais plus de vie possible parce que les sols étaient brûlés en profondeur. J’ai eu l’idée d’un projet que j’ai d’abord appelé +1,5°C, en référence au changement climatique ; puis j’ai corrigé pour le nommer +2°C et ce n’est peut-être encore pas suffisant.  »

Le visuel de l’affiche suggère cette progression au fil du temps, de la dévastation au retour de la vie, du noir à la couleur.

La honte et l’espoir

Peu à peu, de série en série, ses retours sur les lieux ramènent de la couleur et de la vie : le vert des premières pousses, le rouge des coquelicots, des touches de brun, de mauve, de jaune…

Maryvonne Arnaud ne capte que les lieux de l’ancienne forêt, en gros plan, sans présence humaine. Le face-à-face en est d’autant plus saisissant que l’histoire qui se joue autour de ces lieux est sous-entendue.

« C’était plus facile car plus porteur d’espoir »

L’artiste en a livré quelques bribes lors du vernissage. Lors de son premier retour en février, explique-t-elle, elle a imaginé demander aux habitants de nommer ce qui était là avant, quelles plantes ou animaux ils avaient côtoyés dans la forêt, ce qu’ils gardaient en mémoire. « Mais cet inventaire s’est révélé douloureux : un choc, des blessures. ‘Ce sont nos promenades du dimanche, nos coins à champignons qui ont disparu…’, disaient-ils. » Surtout, elle insiste sur le sentiment de honte qu’ils ont exprimé, comme s’ils se sentaient responsables d’avoir laissé détruire ce qu’ils considéraient comme « leur maison ».

Maryvonne Arnaud a alors eu l’intuition, comme elle le précise, de « prendre la question dans l’autre sens » et leur a demandé de nommer plutôt ce qui repoussait, ce qui revenait. « Petit à petit, les gens ont fait des listes. C’était plus facile car plus porteur d’espoir », dit-elle.

Des hauts et des bas

De saison en saison, elle est revenue et a observé les hauts et les bas. Au printemps : « La végétation était de retour. Les fleurs, les coquelicots… mais aussi des sujets de doute : l’érosion, le ruissellement… Le feu a fabriqué des sols compliqués. Mais c’était joyeux. » À l’automne : « Tout était redevenu noir. »

Aujourd’hui elle se dit « moins optimiste, car le feu laisse des traces. »

L’exposition s’accompagne d’une dernière série : quelques photos prises sur les lieux d’un autre incendie, où l’artiste s’est moins attardée, mais où elle a voulu vérifier certaines de ses impressions. Et d’une installation de cloches de verre et de cendres.

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2 degrés

Il se dégage d’abord de toute cette présentation une émotion esthétique puissante, qui n’est pas notre sujet et qu’on ne ressentira de toute façon jamais aussi pleinement qu’en se rendant sur place.

Mais à part ça, qu’en retenir ? Peut-être un enseignement à deux degrés, pour suivre les chemins de pensée que nous suggèrent son titre.

Le premier degré, c’est la possibilité de nous approcher de ce que peuvent représenter émotionnellement ces mégafeux qui paraissent si lointains vus à travers le prisme de l’écran de télé ou de téléphone. Après une confrontation à ces plans resserrés sur la vie prise au piège par les flammes, difficile d’en rester aux images prises de loin ou vues d’avion. Ces photos gravent dans la mémoire une vision plus intime et bouleversante.

« Les forêts sont devenues fragiles ; elles se remettent plus difficilement. »

Les conservateurs du musée ont rappelé quelques faits à ce sujet : « On considère comme méga-feux ceux qui s’étendent sur plus de 1000 ha en Europe ; et sur plus de 10 000 ha aux USA. Ce sont des feux qui ne sont pas maîtrisables si on intervient après plus de 10 minutes », précise Audrey Aragnou. « Le feu fait partie de l’aspect écologique d’une forêt ; il n’est jamais qu’un événement dont la forêt se remet. Cependant la dynamique des feux évolue car les forêts sont devenues fragiles ; elles se remettent plus difficilement », a souligné son adjoint Charles Lemarchand, toujours lors du vernissage.

On touche là l’intention de l’artiste, qui est aussi de documenter les lieux qui se transforment sous l’effet du dérèglement climatique.

Lire aussi le reportage : « Chastreix-Sancy #2 : les leçons de l’incendie »

Préparer la résilience

C’est là qu’un deuxième degré de réflexion peut s’enclencher. La forêt est devenue moins résiliente en raison de l’évolution du climat, de notre façon de l’exploiter et des ravageurs qui profitent de ces fragilités. La sécheresse notamment favorise la propagation des incendies ; les vents plus violents et plus fréquents que nous annoncent les climatologues vont aussi augmenter les risques. Et la question devient au fil du temps plus sérieuse et plus concrète : ne devenons-nous pas aussi, dans notre région très boisée, exposés aux risques de mégafeux ?

Se poser la question est déjà en partie répondre à la suivante : comment s’y préparer ? D’abord en sensibilisant à ce risque pour conduire tous les usagers de la forêt à intégrer consignes et bons réflexes. Permettre aussi aux forêts de devenir les plus résistantes possibles, en favorisant leur biodiversité, aidera aussi. Ce qui reboucle avec la précédente exposition du musée Lecoq, qui nous parlait des vieilles forêts.

« Le feu, c’est à la fois ce qui donne la vie et ce qui détruit. »

Certes, on n’est pas dans une exposition d’art pour refaire un cours pédagogique sur l’état des forêts. J’ai tout de même envie d’évoquer le dernier fil de pensée que m’a évoqué cette exposition : le mégafeu et le retour de la vie comme métaphore des urgences environnementales, des crises potentiellement graves qui nous attendent et de la possibilité de s’en relever : préparer notre résilience, faire notre possible pour ne pas avoir un jour « honte d’avoir laissé détruire » notre maison commune.

Résonne aussi dans ma mémoire et dans mes notes ce dernier propos d’Audrey Aragnou : « Le feu, c’est à la fois ce qui donne la vie et ce qui détruit. Il nous a longtemps servi à nous chauffer, faire cuire nos aliments, nous protéger. Mais on a oublié cet aspect et on ne garde que ce qui fait peur. C’est une histoire culturelle dont nous avons perdu l’habitude. »

L’histoire culturelle, aujourd’hui, est à découvrir au musée.

L’exposition est à découvrir jusqu’au 26 mars au musée Henri-Lecoq
(fermé les dimanches matin, les lundis, le 25 décembre et le 1er janvier)

Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé jeudi 20 novembre 2025. À la une, photo Marie-Pierre Demarty : Maryvonne Arnaud lors du vernissage au musée Lecoq, avec notamment à ses côtés la conservatrice du musée Audrey Aragnou.

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