À Ambert, la com’com’ veut « changer les règles »

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Sarah Gagneux avec les éléments du kit
La communauté de communes Ambert-Livradois-Forez a expérimenté l'an dernier une distribution de protections menstruelles durables aux femmes du territoire. Opération réussie... et reconduite.

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Mea culpa, je ne vais pas souvent en reportage du côté d’Ambert. Mais quand j’y vais, je reviens en général bluffée. Peut-être pour les mêmes raisons qui font que je n’y vais pas souvent : c’est loin de tout (et même de mes petites antennes).

Quand on est loin de tout, on ne peut compter que sur soi ou presque. Inventer ses propres solutions. Être à l’écoute d’un territoire qui a tout de même l’avantage d’être moins peuplé qu’une grosse métropole. Avec un sens de la solidarité (si possible), une meilleure connaissance des habitants entre eux, et une plus grande facilité à mettre des choses en place. Question d’échelle et peut-être de sentiment partagé d’appartenance au territoire.

Le résultat, ce sont des initiatives inventives, mises en œuvre avec simplicité et enthousiasme.

J’aime bien aussi l’idée de parler d’un tel sujet, qui concerne la moitié de l’humanité mais qu’on commence à peine à sortir des vieux carcans de pudeur – ou de prédominance masculine dans l’espace et l’expression publics.

D’ailleurs, le triple enjeu de réduction des déchets, de produits polluants et de santé publique concerne absolument tout le monde. Messieurs, lisez aussi. Vous allez sans doute trouver des choses à apprendre ou à méditer.

Marie-Pierre

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • Les textiles sanitaires (couches, serviettes hygiéniques, mouchoirs en papier, lingettes…) représentent 15% des déchets non triés en France. La communauté de communes Ambert-Livradois-Forez, à la recherche de solutions pour faire adopter des gestes permettant de réduire la production de déchets, a tenté des expériences sur les couches lavables. Et s’intéresse depuis l’an dernier à la question des protections menstruelles, qui répond aussi à des enjeux de protection de l’environnement et de santé des femmes.
  • L’opération consiste à distribuer des kits – à raison de 150 par an – auprès des femmes du territoire, pour leur faire tester ces produits réutilisables. Les bénéficiaires peuvent choisir entre différents assortiments composés avec des culottes de règles, serviettes, coupes menstruelles, auxquelles sont joints diverses brochures et un savon détachant. Autant que possible, ces éléments sont bio et fabriqués localement.
  • Dès la première opération en octobre dernier, la proposition a rencontré un grand succès et 70% des femmes déclarent avoir changé durablement leurs habitudes (soit presque la totalité de celles qui utilisaient encore des produits à usage unique). Les bénéficiaires sont de tous âges, de tous les secteurs de la communauté de communes et se disent enthousiastes sur l’initiative.

Comment l’idée est venue à l’équipe de promouvoir les protections menstruelles durables aux habitantes du territoire, Sarah Gagneux ne s’en souvient pas précisément. Mais elle fait un lien avec des expériences précédentes, notamment au sujet des couches lavables. Car ces projets sont liés à un sujet central, découlant de la compétence « gestion des déchets » de la communauté de communes Ambert-Livradois-Forez : la prévention, et plus précisément l’objectif de réduction de la montagne de déchets que nous produisons collectivement, machinalement, même quand d’autres possibilités existent.

« Nous sommes toujours en recherche de solutions », dit Sarah, chargée de projets prévention déchets, qui anime ce dispositif. Avant même les couches, le service s’est équipé d’un solide stock de vaisselle réutilisable et de gobelets, qui sont mis à disposition des associations, particuliers et autres organisateurs de rassemblements où on consommait autrefois autant de contenants en carton que des victuailles et boissons qu’ils avaient contenues. « Nous venons même d’acheter des plateaux-repas en inox pour expérimenter des prêts à des festivals ou autres événements où on sert des repas complets », précise-t-elle.

15% de la poubelle noire

Franchir le pas suivant s’avérait un peu plus difficile, en l’occurrence pour s’attaquer à ce que la filière appelle les « textiles sanitaires » : couches, serviettes hygiéniques, mouchoirs en papier, lingettes… « À l’échelle nationale, ils représentent 15% des déchets de la poubelle noire et il n’y a pas d’autre solution que les incinérer ou les enfouir », déplore Sarah.

« L’enjeu est non seulement sur le traitement des déchets, mais aussi sur la pollution environnementale et la santé. »

Les couches pour bébés ont d’abord été expérimentées, avec prêt d’un kit de test pour un mois. Succès mitigé auprès des mamans, mais plus probant à la micro-crèche de Saint-Anthème, qui a d’abord pu tester trois modèles de couches lavables louées. « L’équipe de la crèche a fait son choix et nous sommes ensuite passés à un achat. Elle les a adoptées sans problème, mais c’était assez facile car il s’agit d’un établissement de la communauté de communes et surtout d’une micro-crèche. Cela demande un surcroît de travail de laver les couches, mais pas dans de grandes proportions. Le pas est plus difficile à franchir pour des crèches privées et accueillant plus d’enfants », reconnaît Sarah Gagneux, qui espère toujours convertir d’autres établissements à l’avenir.

Vue de l'entrée et du bâtiment des services de la communauté de communes
Les services de gestion des déchets de la communauté de communes Ambert-Livradois-Forez adoptent des solutions inventives pour faire adopter aux habitants les gestes permettant la réduction des déchets.

Ces prémices ont donc donné l’élan pour passer à l’expérience suivante, baptisée « Changeons les règles ». Objectif : faire adopter aux femmes du territoire des protections réutilisables, apparues sur le marché récemment et encore peu familières à celles qui utilisent depuis des années, voire des décennies, les serviettes ou tampons à usage unique. « L’enjeu est non seulement sur le traitement des déchets, mais aussi sur la pollution environnementale et la santé, car ces protections jetables contiennent des plastiques, des perturbateurs endocriniens et autres substances nocives. Même si le volume jeté n’est pas énorme par rapport au total de ce que nous traitons, c’est positif à plus d’un titre », souligne la chargée de projets.

Pas énorme certes, mais tout de même 25 tonnes par an qui pourraient être évitées par un simple – et donc salutaire – changement d’habitude.

Dispositif pionnier

L’équipe a cherché d’abord à s’inspirer d’autres collectivités ayant déjà tenté cette expérience. Elle en a trouvé par exemple à Strasbourg, où le procédé consistait à rembourser les achats faits par les bénéficiaires.

« Ça nous permet aussi de rencontrer les femmes, éventuellement les sensibiliser à d’autres gestes. »

À Ambert-Livradois-Forez, on a opté pour un mode opératoire différent et a priori inédit : une distribution directe de matériels. La préparation demande un peu de manutention à l’équipe, mais offre divers avantages, explique Sarah : « Nous préférons passer du temps sur l’assemblage des kits que sur des dossiers administratifs pour les remboursements ; par ailleurs nous proposons des produits plus sains, mais peut-être moins abordables, que ce qu’on peut trouver dans le commerce ; et ça nous permet aussi de rencontrer les femmes, éventuellement les sensibiliser à d’autres gestes. »

Ensuite, il y a eu l’annonce gouvernementale que les protections périodiques allaient être remboursées aux jeunes et aux femmes en situation précaire. « Nous attendions que ce dispositif soit lancé et nous avions prévu de réserver notre opération à celles qui nen bénéficieraient pas, mais il n’a jamais été lancé. Alors nous avons lancé notre propre opération, en l’ouvrant à toutes », ajoute-t-elle.

Sur les convergences entre féminisme et écologie, lire aussi l’entretien : « Anne-Lise Rias pointe les « angles morts de l’écologie » quant à la condition des femmes »

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Quatre kits au choix

Ce lancement, c’était en octobre dernier. Et on ne peut qu’être frappé par la justesse et la simplicité avec lesquelles l’équipe l’a pensé et préparé. L’idée était de proposer au choix quatre kits, qui ont été composés en consultant des femmes déjà utilisatrices.

Leurs témoignages ont aussi été intégrés à la communication de l’opération, avec des citations comme celle de Lili, 37 ans, qui déclare : « J’utilise depuis 8 ans des culottes de règles et ça a changé ma vie et mon porte-monnaie. » Ou celle de Katia, 29 ans : « C’est tellement pratique et confortable que je ne reviendrai pas en arrière. Au début, cela me rebutait, mais j’ai essayé une nuit et j’ai été immédiatement convaincue ! »

Les éléments du kit
Des produits autant que possible bio et de fabrication locale, des documents d’information, un sac à vrac : les kits distribués sont composés avec soin pour encourager l’adoption de nouvelles habitudes.

Quatre kits donc, contenant une culotte et une coupe menstruelle, une coupe et deux serviettes, une culotte et une serviette ou quatre serviettes. Et comme on fait bien les choses à Ambert, l’équipe a trouvé des produits en tissu bio, fabriqués en proximité : les serviettes par une couturière ambertoise spécialisée dans le zéro déchet, Emmanuelle Cardey de l’atelier d’Eucée, les culottes confectionnées à peine plus loin, dans la Loire et le Rhône.


« Ça a changé ma vie et mon porte-monnaie. »

Chaque kit contient aussi un savon détachant fabriqué par la Savonnerie de la Goutte Noire, toute proche. Un petit mode d’emploi et un prospectus de sensibilisation à d’autres gestes de réduction des déchets. Le tout dans un sac à vrac en tissu, histoire de contribuer à faire passer d’autres messages.

Changement durable

« Nous avons financé l’an dernier 150 kits. Les conditions pour en bénéficier étaient simplement de résider dans le territoire d’Ambert-Livradois-Forez et de s’engager à répondre à un questionnaire d’évaluation de l’opération », dit Sarah, qui se réjouit du succès immédiat, preuve de la pertinence de l’initiative.

Quelques mois plus tard, les 150 inscrites ont donc répondu au questionnaire qui a permis à l’équipe de la communauté de communes de mesurer l’intérêt de l’opération. Résultats chiffrés : 25% des bénéficiaires étaient déjà utilisatrices de ces nouvelles formes de protection, 35% ne l’étaient pas du tout et les autres partiellement. 70% ont déclaré avoir modifié durablement leurs pratiques.

« Ça fait plaisir d’avoir pu parler publiquement de ce sujet. »

Sarah se réjouit : « Nous avons eu beaucoup de réactions positives, les femmes sont super-contentes et ça fait plaisir d’avoir pu parler publiquement de ce sujet. » Parmi les bénéficiaires, se trouvent des femmes de toutes les générations, et de tous les secteurs du territoire. « Nous avons vu beaucoup de mères inscrire leurs filles adolescentes. Et des femmes ont apprécié de pouvoir expérimenter ce qu’elles n’avaient pas les moyens d’acheter. »

Sur une autre initiative de la communauté de communes Ambert-Livradois-Forez, lire aussi les deux reportages : « Cantines scolaires 1/2 : à Job, Virginie nourrit les enfants… de mieux en mieux » et « Cantines scolaires 2/2 : autour d’Ambert, un projet à l’échelle de la communauté de communes »

Continuité

Avec un tel bilan, l’histoire ne pouvait pas en rester là. Elle est reconduite – et déjà en cours – en 2025, jusqu’à épuisement du budget prévu, toujours sur 150 kits, et elle devrait perdurer d’année en année. Avec le même protocole de distribution, sauf qu’il exclut les femmes ayant déjà bénéficié de l’opération.

« Le ministère semble à nouveau vouloir lancer son opération ; si ça se met en place, nous continuerons en complément, à l’intention des femmes qui ne seront pas incluses dans ce dispositif », précise la chargée de projets.

Composteur de la communauté de communes
La communauté de communes a aussi réussi le virage du tri des biodéchets ; dès janvier 2024, des composteurs de proximité étaient à disposition de tous les habitants, conformément à la nouvelle législation.

L’équipe a l’intention aussi de relancer le dispositif sur les couches lavables, car les volumes de déchets sont significatifs. « On voudrait modifier la proposition en prêtant le nécessaire dans la durée, jusqu’à la propreté de l’enfant, mais sous conditions de ressources », précise Sarah.

En attendant, l’opération « Changeons les règles » commence à son tour à inspirer d’autres collectivités, notamment du côté des Monts du Lyonnais. Et le volume de déchets collectés par la communauté de communes continue de diminuer… même si en cela, c’est surtout l’adoption du tri des déchets verts qui a un impact. Car sur ce sujet aussi, Ambert-Livradois-Forez fait partie des collectivités (pas si nombreuses) à avoir anticipé les obligations et à les respecter depuis leur entrée en vigueur en janvier 2024. Pourquoi ça ne m’étonne pas ?

Renseignements complémentaires et formulaire de précommande sur le site de la communauté de communes.

Reportage (texte et photos) Marie-Pierre Demarty, réalisé le vendredi 13 juin 2025. À la une photo : Sarah Gagneux, animatrice du projet « Changeons les règles » présente les différents éléments qui composent les kits distribués.

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