Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Haute Dordogne, jour 2. Ici on suit la rivière pour repérer les points d’intervention en prévision. Une façon de prendre la mesure de ce qu’on a fait à la rivière… et à nous-mêmes. Ce qui paraît hallucinant : tous ces ouvrages, toutes ces constructions que notre époque prétendument moderne s’est donné tant de peine à construire en s’imaginant qu’on pourrait faire passer les problèmes sous le tapis (de goudron) en même temps que la rivière… Et si peu d’efficacité, car on se rend compte aujourd’hui que les solutions bétonnées ne sont pas des solutions « béton » : les inondations, l’humidité, les débordements, les sédiments et graviers qui bouchent une buse ou s’épandent là où il ne faut pas…
Problèmes qui promettent de s’amplifier avec le dérèglement climatique et ses événements météo plus extrêmes.
Et donc maintenant tout défaire ou presque. C’est balot !
Marie-Pierre
Trois infos express [cliquer pour dérouler]
- Le cœur du projet qui s’annonce va consister à renaturer le lit de la Dordogne le plus possible, sur ses 12 premiers kilomètres. Au total, cela se traduira par 16 chantiers plus ou moins importants, comme autant d’interventions chirurgicales localisées sur les points où la rivière a tendance à déborder facilement, et ceux où la continuité écologique n’est pas assurée pour la faune de la rivière.
- Les travaux les plus importants se situeront notamment au pied des pistes de ski du Mont-Dore, pour remettre à l’air libre la rivière et son premier affluent, qui ont été enterrés et circulent dans des buses ; puis dans la traversée des bourgs du Mont-Dore et de La Bourboule, où la rivière canalisée va retrouver des berges plus naturelles.
- Le chantier le plus en aval est aussi le plus exceptionnel, car il s’agira de transformer le petit barrage hydroélectrique, afin d’ouvrir un passage à la circulation des poissons tout en permettant de continuer à produire de l’électricité.
Article précédent : « Haute-Dordogne #1 : une rivière sous contrainte » |
En ce mercredi d’avril ensoleillé, nous sommes réunis au pied des pistes de la station de ski du Mont-Dore. Il reste quelques rares névés. Mais le paysage est surtout recouvert de cette herbe encore pâlotte qui se réveille de son hiver sous le manteau neigeux. Face à nous se dresse la stature imposante et pointue du « toit » du Massif central.
L’équipe d’Epidor, basée dans le Périgord, est venue rencontrer divers acteurs locaux et faire le point sur les futurs aménagements à prévoir. Frédéric Moinot, responsable du pôle Espaces et territoires d’Epidor, nous explique in situ l’un des plus importants chantiers : « Le ruisseau d’Enfer a été enterré sur une grande longueur. Avec les phénomènes climatiques extrêmes, qui augmentent du fait du changement climatique, il charrie de gros galets et gravats qui n’arrivent pas à passer la buse. Le résultat, ce sont des langues de galets qui s’épandent sur les pistes et qui doivent être déblayées chaque année avant la saison de ski. Cela coûte très cher à la station. »
Ses gestes nous décrivent le tracé du ruisseau en question, invisible dans le paysage, qui passe quasiment sous nos pieds pour rejoindre la jeune Dordogne, enfouie elle aussi. Nous ne pouvons qu’imaginer la confluence, qui doit se situer quelque part sous le grand névé qui s’attarde au pied du télésiège.

Supprimer la triple buse
Frédéric Moinot poursuit : « Le programme a pour but de rendre la zone moins impactée, en redonnant à la rivière un cours plus naturel. Il s’agira de rouvrir le talweg, de remettre le ruisseau dans sa vallée d’origine et de le reméandrer. Il pourra retrouver une dynamique » – ce qui signifie pour le petit torrent la liberté d’entraîner des gravats et sédiments et de les déposer plus loin, de modifier son tracé, de ralentir l’écoulement de l’eau en accentuant des méandres, en résumé de lui redonner vie.
« Si une passerelle est détruite lors d’un orage trop violent, elle sera facile à reconstruire. »
« Pour concilier cette renaturation avec le ski, on va créer des passerelles de bois qui franchiront le cours d’eau sans le contraindre, explique-t-il encore. Ces aménagements légers pourront aussi servir de ‘fusibles’ : si une passerelle est détruite lors d’un orage trop violent, elle sera facile à reconstruire, à un coût très modéré. »
Le chantier sur le ruisseau d’Enfer se fera sur environ 300 à 400 mètres, jusqu’à la confluence avec la Dordogne : le plus étendu en surface d’intervention. Car il inclut aussi la mise au jour de la Dordogne elle-même sur toute cette partie du bas des pistes.

Notre petit groupe se déplace ensuite de quelques dizaines de mètres en contrebas, à la hauteur des bâtiments de la station. Du petit pont qui se trouve derrière eux, nous retrouvons la rivière au grand jour côté amont… Mais si nous tournons la tête vers l’aval, nous la voyons s’engouffrer dans une troisième buse, par un trou piteux au fond du ravin, pas très digne pour la majestueuse Dordogne.
12 kilomètres
À l’étage au-dessus de ce tuyau souterrain s’étend la vaste surface du parking des bus, vide à cette période de l’année, et voué à disparaître aussi dans le projet à venir. « Dans la station de ski notamment, beaucoup d’espaces gagnés sur la rivière l’ont été pour créer des parkings et des circulations, qui contrarient la rivière, explique Roland Thieleke, directeur de l’Etablissement public Epidor, lui aussi du voyage. C’est un héritage des années 1970, où on aménageait tout en fonction de la voiture individuelle. Il en résulte que les parkings se trouvent souvent sur les plus beaux emplacements, qui sont à reconquérir. Mais cela implique qu’il va falloir repenser l’accès à la station, avec des parkings plus bas, et sans doute des navettes fréquentes. En quelque sorte, l’idée est de faire reculer la voiture. Ça doit se réfléchir avec toutes les parties prenantes. »

Cette zone du pied des pistes, avec ce triple chantier sur le ruisseau d’Enfer et sur les deux passages de la Dordogne en souterrain, est l’un des plus importants chantiers qui vont être mis en œuvre dans le cadre du programme européen LIFE, mais elle est loin d’être la seule. Renaturer une rivière, c’est, autant que possible, procéder à des petites interventions chirurgicales sur tous les points où ça ne va pas, le long de son itinéraire. Pas moins de seize aménagements sont annoncés sur la rivière, sur le tronçon de ses 12 premiers kilomètres.
« Les parkings se trouvent souvent sur les plus beaux emplacements. »
Le pied des pistes n’est même pas le premier sur le parcours de l’eau, car l’intervention la plus en amont se situera à même l’une des sources, à presque 1700 mètres d’altitude. Il s’agira de renaturer la tourbière d’où naît la Dore, sur environ 100 m². Ce chantier sera réalisé avec le concours du parc des Volcans, en tant que gestionnaire de la réserve de Chastreix-Sancy où elle est située.
Pour découvrir les actions de préservation d’une autre rivière, lire aussi le reportage : « L’Allier n’est pas un long fleuve tranquille » |
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Renouer avec la rivière
Si maintenant on suit la pente, et qu’on laisse derrière nous la station de ski, avant même l’arrivée au Mont-Dore, on va tomber sur trois ou quatre petits points d’intervention prévus, pour donner de la marge de manœuvre à la rivière.
Juste avant les premières bâtisses du bourg, à hauteur du départ de la route qui monte vers le col de la Croix Saint-Robert, on verra à nouveau, à un moment, s’activer les pelleteuses. À cette hauteur, un autre torrent qu’on appelle la « Grande Cascade » s’en va rejoindre la Dordogne en cheminant dans un fossé très encaissé. « Par forte pluie, il a tendance à déborder très vite. Nous prévoyons ici de retravailler les berges en leur donnant un profil plus doux. Là aussi, cela demandera de gagner de la place sur le petit parking à côté. Mais ça aura pour effet de réduire les risques de débordement », explique Roland Thieleke.

Dans la traversée du bourg, il s’agira, en différents points, d’effacer en partie et autant que faire se peut l’encaissement des vieilles digues, presque caricatural à certains endroits : un canal profond, des berges quasi inexistantes, et une petite rivière tout au fond, dont on devine qu’elle peut grossir très vite par temps de fort orage, en raclant son lit, en charriant tout ce qu’elle emporte de cailloux et de sables…
Vers le fond du parc derrière le casino et un peu plus bas, il lui sera redonné un peu d’air, mais aussi de visibilité. Et là aussi, en rognant notamment sur un de ces grands parkings qui décidément semblent avoir pris tous les droits dans cette commune touristique. Une berge en pente douce sera plus confortable pour la rivière ; elle améliorera aussi l’aspect accueillant de la ville pour les touristes, qui seront sans doute pour beaucoup surpris de découvrir que la Dordogne traverse la cité thermale.

Une autre ville
Passé cette zone urbaine et jusqu’à la prochaine, la Dordogne retrouve davantage de naturalité, mais un peu de microchirurgie ici ou là sera utile pour s’assurer que la faune piscicole peut librement circuler, se nourrir, se reproduire. Le gros chantier suivant étant prévu dans l’agglomération de La Bourboule, où la rivière retrouve, en une version moins sinistre et moins encaissée, le couloir canalisé des digues.
« On aura des vues sur la rivière et elle apportera de la fraîcheur. »
Même mal, même remède : « L’idée est de remettre des berges en pente douce, décrit encore le directeur d’Epidor. La Dordogne traverse la ville en plein centre mais on ne la voit pas : elle est en contrebas des chaussées. Elle sera plus présente dans le paysage urbain ; on aura des vues sur la rivière et elle apportera de la fraîcheur. Mais cela ne changera pas fondamentalement la physionomie de la ville, car on va intervenir surtout au niveau des parkings, qui ont été placés là parce qu’il y avait de la place, pas vraiment dans la logique d’une utilité. »

En aval du centre et de ses architectures monumentales, la rivière forme une boucle délimitant le quartier plus modeste et résidentiel du Charlet : des travaux y sont prévus également. Car à cet endroit, m’explique la secrétaire générale de la communauté de communes Crystèle Maitre, « les inondations sont de plus en plus fréquentes et les habitations ont des problèmes d’humidité. L’eau remonte dans les caves par capillarité. »
Au sortir de La Bourboule, on est presque au bout de cette série de chantiers à venir. Mais le plus spectaculaire et peut-être le plus important reste à mentionner.

Reconfigurer le barrage
Ce dernier « gros morceau », c’est le barrage. Cet ouvrage hydroélectrique édifié en pierre, datant de l’essor de la station thermale au début du XXe siècle, paraît bien anodin en comparaison des grands murs de béton qui coupent la vallée plus en aval. Mais il ne permet aujourd’hui aucun passage des poissons.
« C’est une approche nouvelle, qui montre que les esprits changent. »
Le chantier qui s’annonce ici est exceptionnel, car il s’agit de transformer ce barrage en profondeur pour recréer la continuité écologique, tout en maintenant une production d’électricité. Le dossier de presse parle de déconstruction du seuil, de renaturation de la retenue, d’implantation d’une prise d’eau pour reconfigurer l’outil de production hydroélectrique.
« Le propriétaire du barrage est d’accord, d’autant plus que ça lui permettra même de produire encore plus d’électricité, se réjouit Roland Thieleke. Ce chantier montre qu’on peut trouver des solutions qui concilient les besoins du milieu naturel et la production d’une électricité décarbonée. C’est une approche nouvelle, qui montre que les esprits changent. »

Tous ces travaux interviendront dans les années qui viennent et donnent un aperçu de l’ambition placée sur la revalorisation de la rivière. Mais un aperçu seulement. Dans le prochain article, on comprendra mieux à quel point ce projet est exceptionnel. Car nous ne l’avons observé qu’au ras de l’eau. Il reste à prendre de la hauteur…
Prochain article : « Haute-Dordogne #3 : un projet exceptionnel » |
Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé le mercredi 9 avril 2025 (complété ensuite par divers entretiens). Photos Marie-Pierre Demarty. À la une : le pied des pistes de la station de ski du Mont-Dore, à l’endroit où le ruisseau d’Enfer traverse cette zone, aujourd’hui en souterrain, pour rejoindre la Dordogne. Son lit va être remis à l’air libre
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