Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Je ne suis pas vraiment fascinée par les progrès de la technologie numérique, qui nous poussent dans une fuite en avant périlleuse. Mais j’adore les paradoxes. Ils mettent le doigt sur la complexité des choses.
Alors forcément, Biodiv’Educ, ça m’a intriguée. Ruser face à la toute-puissance des Gafam, hacker la technophilie des jeunes générations pour leur donner le goût de la nature : dans le fond, ça semble assez malin.
Alors juste un conseil : lisez l’article et APRÈS, faites vous votre opinion.
Marie-Pierre
Trois infos express [cliquer pour dérouler]
- Pour apporter quelque chose de différent dans le réseau déjà très développé de l’éducation à l’environnement, l’association Biodiv’Educ a eu l’idée de développer des animations utilisant des outils numériques et technologiques, afin d’intéresser les enfants par des pratiques qu’ils plébiscitent : jeux vidéo, escape game, réalité virtuelle, mais aussi des outils professionnels de naturalistes comme les caméras thermiques, les pièges photographiques ou les balises GPS. Car les animations, même ludiques, sont avant tout pédagogiques et amènent les enfants à observer, raisonner, déduire et comprendre les écosystèmes naturels.
- Basée à Ardes-sur-Couze et œuvrant dans toute l’Auvergne, l’association a pour fondateurs le président du Parc animalier d’Auvergne et l’ancien rugbyman Julien Pierre. Elle s’insère dans un dispositif comprenant un fonds de dotation, Play For Nature, et deux autres associations qui accompagnent dans le monde entier des projets liés à la préservation de la biodiversité.
- Avec 12 000 enfants touchés en quatre ans, Biodiv’Educ a démontré l’intérêt et l’efficacité de ses animations. Elle souhaite aujourd’hui développer son action, que ce soit sur d’autres thématiques, dans d’autres régions de France ou auprès de nouveaux publics.
« Nous ne voulions pas être une énième association qui fait de l’éducation à l’environnement car il y en a déjà beaucoup. Pour apporter quelque chose de différent, nous avons eu l’idée d’intéresser les enfants par des supports qu’ils utilisent et qui les intéressent ; les sensibiliser à partir de leur univers », commence Cécile Saba, directrice de l’association Biodiv’Educ.
C’était un peu gonflé, mais elle assure que ça fonctionne. Quand Cécile et ses deux collègues, Floriane et Léa, se déplacent dans une école ou un établissement du secondaire, elles arrivent avec une quinzaine d’ordinateurs, des tablettes, des applis de jeu vidéo et encore, selon le programme choisi avec les enseignants, d’autres objets high tech propres à retenir l’attention des jeunes. Dans leur arsenal d’outils pédagogiques, on compte un robot, une caméra thermique, un appareil photo détectant les UV, une balise GPS, des casques de réalité virtuelle…
Mais elles sont aussi armées des connaissances et de la rigueur des scientifiques qu’elles sont. « Nos animations ont toutes un côté ludique, mais nous restons d’abord sur de l’éducation à la connaissance scientifique, en faisant découvrir aux classes la démarche, les outils et le métier de naturaliste, en leur faisant comprendre le fonctionnement des écosystèmes et leur complexité. Nous ne voulons pas être juste la sortie de fin d’année », précise la directrice.
A la portée de tous
Créée fin 2018 à Ardes-sur-Couze, prête à démarrer en mars 2020, active (pour des raisons que l’on devine) depuis la rentrée suivante, Biodiv’Educ a déjà proposé 700 séances d’animation, et touché 12 000 enfants et adolescents de 3 à 18 ans, sur le périmètre de l’Auvergne.
Le point fort de l’association, c’est que les animatrices se déplacent dans les écoles, apportent suffisamment de matériel et s’adaptent au lieu, à la demande des enseignants et parfois à leur projet pédagogique.
« Nous ne voulons pas être juste la sortie de fin d’année. »
« Nous voulions mettre cette sensibilisation à la portée de tous les établissements, même ceux qui ont peu de matériel ou peu de moyens pour organiser des déplacements, explique la directrice. Nous avons trouvé les financements pour acheter assez de matériel : nous avons seulement besoin de prises de courant. Beaucoup de nos animations peuvent se faire dans la classe, mais pour des sorties en forêt, on va choisir une forêt tout près de l’école pour que le déplacement soit simple. »
Comme Biodiv’Educ propose déjà une quinzaine d’ateliers différents, dont certains adaptables à différents âges et niveaux, on va s’épargner une liste exhaustive, mais quelques exemples permettront de mieux comprendre les principes et l’exigence qu’ils ont en commun.
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Des problèmes et des solutions
Prenons le petit robot violet, téléguidé par un programme informatique qui lui permet de se comporter comme un animal : renard, castor, hérisson… En premier lieu, l’animatrice va le faire circuler sur une grande bâche où sont symbolisés les différents milieux naturels : forêt, prairie, rivière… Les enfants sont amenés à s’interroger sur son comportement : où circule le renard ? que fait le castor autour de la rivière ? où le hérisson va-t-il se nourrir ?
Deuxième bâche : le robot-animal est transporté dans un milieu anthropisé, avec maisons, routes, barrages, digues… Toute la classe doit alors s’interroger sur les changements de comportement du robot : l’anguille ne peut plus remonter la rivière, bloquée par le barrage ; le hérisson n’arrive pas à franchir la route…
Les élèves vont alors se lancer dans un véritable brainstorming pour trouver des solutions. Il y aura pas mal de discussions, d’idées drôles, coûteuses ou infaisables, avant d’aboutir aux solutions existantes, parfois soufflées par l’animatrice : passe à poissons, tunnels ou écoponts pour franchir une route… « Les enfants ne sont pas encore formatés et peuvent faire des propositions sortant de l’ordinaire. On a eu par exemple l’idée de mettre des ressorts sous les pattes des hérissons ! », s’amuse la responsable de l’association.
« L’atelier dure trois heures, poursuit-elle. Il est important pour nous de faire réfléchir les enfants, les amener à observer, déduire et raisonner plutôt que leur apporter un cours magistral. Ils doivent être acteurs de leurs connaissances. Nous tenons aussi à les amener sur les solutions, car avec des enfants, les constats sont très vite anxiogènes. »
« Les enfants ne sont pas encore formatés et peuvent faire des propositions sortant de l’ordinaire. »
Et de préciser : « On peut faire suivre cet atelier par une étape suivante où ils vont jouer à un “Naturacraft” que nous avons calqué sur le jeu vidéo Minecraft : il s’agira de mettre en œuvre les solutions, en essayant de réduire les conflits d’usage, en se demandant par exemple comment rendre compatibles le besoin de produire de l’énergie et le besoin de préserver la biodiversité. Le jeu, c’est la récompense, mais on les amène aussi à appréhender la complexité des problèmes, avec plus ou moins de détail selon l’âge des enfants. »
VR, escape game et jeux vidéo
Autre exemple : à partir d’une carte de France et avec un système de réalité augmentée, les enfants vont voir comment la forêt a évolué au cours des siècles. C’est là aussi le point de départ d’un raisonnement : à quoi a-t-on utilisé le bois ? qu’est-ce qui rend la forêt vulnérable ? quand le défrichement a-t-il atteint son maximum ?…
Pour aller plus loin, les enfants peuvent aussi être amenés en forêt, mais pas seulement pour humer l’air ou admirer les arbres. À l’aide de quiz, d’applis de reconnaissance des plantes, d’un grand jeu de « quête du trésor perdu », ils vont avoir à observer la forme des feuilles, leur positionnement sur la branche, l’aspect du tronc, la couleur des fleurs, etc., jusqu’à pouvoir identifier un arbre. Ils s’initient à la course d’orientation, doivent faire silence (le plus difficile !) pour repérer des chants d’oiseaux, apprendre à poser un vocabulaire botanique sur des plantes rigolotes, comme le gratteron qui s’agrippe à leurs vêtements…
Citons encore un escape-game sur la forêt. Ou le jeu vidéo où les enfants doivent construire un écosystème : à partir d’un animal, ajouter d’autres espèces de faune et de flore, pour parvenir à un milieu équilibré ou au contraire, à faire disparaître l’espèce initiale… et là, c’est perdu. Game over !
Lire aussi l'entretien sur le Réseau d'Education à l'environnement Auvergne, dont Biodiv'Educ est membre : « Selon Emilie Barat-Duval, l’éducation à l’environnement peut cibler les adultes comme les scolaires »
Découvrir des métiers
D’autres jeux utilisent de vrais outils de naturalistes, pour leur faire découvrir les méthodes utilisées sur le terrain. La technique des pièges photographiques ; la caméra thermique pour les initier au comptage de la faune ; le GPS pour comprendre les migrations d’oiseaux, accompagné d’un petit jeu avec des peluches pour leur faire expérimenter la technique de capture-marquage-recapture…
« On peut susciter des vocations mais nous n’avons pas pour but d’en faire des spécialistes. Nous nous considérons à l’entrée de l’”entonnoir” de sensibilisation, car avec ces outils technologiques, nous avons la possibilité de toucher beaucoup de monde », précise Cécile Saba. « Et ça marche, poursuit-elle. Car les enfants vivent une expérience qui les marquent pour longtemps. Nous leur laissons aussi des petites cartes-récompenses, un peu sur le modèle des cartes Pokémon. Et nous procurons aux enseignants de la documentation en amont et après l’animation, pour qu’ils puissent approfondir le sujet. »
Sur une autre initiative pédagogique en lien avec le numérique, lire aussi le reportage : « Et si l’impact écologique pouvait convaincre les jeunes de lever le nez de leur portable ? »
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Faune locale
Autant que possible, et même si les trois conceptrices-animatrices ont une solide formation scientifique, les outils d’animation sont validés par des experts. Et depuis cette année, un partenariat a été noué avec l’école de Saint-Germain-Lembron pour tester chaque nouvel atelier, afin de les ajuster encore mieux au niveau des enfants, à leur degré de curiosité, au dosage des aspects ludique et pédagogique.
Autre caractéristique commune à toutes ces animations : elles sont conçues sur la base des milieux naturels locaux, pour que les enfants puissent faire le lien avec leur environnement proche – une façon paradoxale de les inciter par les outils numériques… à lever le nez de leurs écrans !
Une de ces animations, tout de même, fait exception : elle est consacrée au panda roux et à la vulnérabilité de ce charmant nounours des forêts chinoises. « Pour faire le lien avec le parc animalier », précise Cécile.
Puzzle de structures
« Quel rapport ? », allez-vous penser. Cela tient à la genèse de cette association, qui est en fait une des pièces d’un petit dispositif de structures agissant en faveur de la biodiversité, imbriquées les unes dans les autres. « Nous sommes une émanation de Play For Nature, qui est un fonds de dotation ; il a fallu créer une association distincte car un fonds de dotation ne peut pas avoir d’activités diversifiées », explique la directrice de Biodiv’Educ.
« Biodiv’Educ, c’est la branche qui agit en local. »
Quant à Play For Nature, l’initiative est née de la rencontre de Pascal Damois, le président du Parc animalier d’Auvergne, et de Julien Pierre, l’ancien rugbyman de l’ASM, très impliqués l’un et l’autre dans la conservation de la biodiversité.
Sous le « chapeau » du fonds de dotation sont nées trois associations, dont deux – Biodiv’Monde et Biodiv’Sport – ont pour objet de soutenir des initiatives un peu partout dans le monde. « Biodiv’Educ, c’est la branche qui agit en local », complète Cécile. D’où le besoin de faire des passerelles avec le parc animalier, situé à quelques kilomètres des locaux de ces structures voisinant avec la mairie d’Ardes.
Pour en savoir plus sur le Parc animalier d'Auvergne, lire aussi le reportage : « Quand les grands fauves, girafes et takins trouvent refuge en Auvergne »
Perspectives
Mais cette vocation locale pourrait s’élargir. « Maintenant que nous avons montré en Auvergne que nos outils d’animation fonctionnent, nous allons cette année faire un test à Lyon et Saint-Étienne pour voir comment on peut essaimer le concept », indique Cécile. Avec des questions qui restent à résoudre : doit-on transmettre les animations à des associations partenaires si elles n’ont pas les moyens de s’équiper avec autant de matériel ? La petite équipe auvergnate est-elle en mesure de former d’autres animateurs ? Peut-on assurer que les animateurs, dans d’autres régions, auront le bagage scientifique suffisant pour que les séances ne tournent pas à un divertissement sur écrans ? « Nous sommes très attachés à la qualité des animations et au discours scientifique », résume la directrice.
D’autres projets de développement sont en cours de réflexion. Trois nouvelles propositions pour les scolaires s’ajouteront au catalogue d’ici au printemps prochain ; il est envisagé des ateliers un peu plus spécialisés que ce qui a été élaboré jusqu’à présent sur la vision globale des écosystèmes – par exemple sur la botanique. Et pourquoi pas la possibilité d’adapter les animations à un public adulte ?
Autrement dit, tous les moyens et idées imaginables pour sensibiliser le plus massivement possible à un enjeu crucial : prendre de vitesse l’effondrement de la biodiversité… qui malheureusement est aujourd’hui beaucoup trop rapide.
Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé le mercredi 18 septembre 2024. Photos Marie-Pierre Demarty, sauf mention contraire. A la une, photo Biodiv’Educ : une animation en école, avec le petit robot qui simule les déplacements d’un animal dans les différents milieux naturels symbolisés par les couleurs sur la bâche.
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