Face au changement climatique, Olivier Bianchi veut penser l’adaptation pour le long terme

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Olivier Bianchi, maire de Clermont-Ferrand, durant l'entretien
Entretien avec le maire de Clermont #1/2 – Usine d’eau potable en circuit fermé et autres mesures d’adaptation… Olivier Bianchi livre sa vision de la métropole face aux urgences climatiques.

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Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Nous étions frustrés de ne pas avoir pu recevoir le maire et président de la métropole clermontoise, comme prévu initialement, pour conclure le cycle de nos Rencontres Tikographie à la librairie des Volcans, consacrées durant le dernier semestre à la thématique de l’adaptation au changement climatique, intitulé « Clermont sous 50°C ».

Tout au long de ces six tables rondes, nous avons notamment reçu plusieurs de ses adjoints et techniciens qui ont détaillé, sujet par sujet, les politiques publiques qui sont en train de modifier le visage de la ville, de façon plus ou moins spectaculaire et plus ou moins rapide.

Mais il nous manquait la vision générale de celui qui pilote le navire. Cet entretien est donc une sorte de conclusion différée, où nous avons pris le temps de retracer son point de vue et son vécu, pas forcément dans le détail technique et chiffré des dossiers, mais plutôt dans son ressenti des mutations en cours, qu’elles soient le fait des bouleversements climatiques et autres qui nous tombent dessus, ou des décisions prises par les instances de la Ville et de la Métropole.

En résumé, j’ai pensé fortement, en préparant cet entretien, à la conclusion de Vanessa Iceri qui, lors de la dernière rencontre du cycle, invitait à accueillir les émotions dans les réunions de travail « car les émotions nous rappellent que nous sommes des êtres humains. »

Une dernière chose à préciser : étant donné le rôle capital de l’institution métropolitaine pour engager le territoire dans sa nécessaire transformation, il m’a semblé pertinent de vous faire partager cet entretien dans toute sa longueur. Comme c’était un peu long, je vous la propose en deux parties. La première est consacrée précisément à ce sujet de l’adaptation.

Marie-Pierre

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • Le maire de Clermont-Ferrand envisage la construction d’une usine permettant de recycler les eaux usées pour les renvoyer dans le réseau d’eau potable, en circuit fermé, sur le modèle de l’unique équipement existant en France, aux Sables d’Olonne. L’eau est selon lui le sujet prioritaire sur lequel Clermont doit s’adapter.
  • Selon le maire, l’adaptation n’est pas contradictoire avec les autres politiques publiques de la collectivité, telles que le sport ou la culture. Mais il s’agit aujourd’hui de s’interroger sur les transitions à mener dans ces pratiques. « Je propose que d’ores et déjà ces politiques fassent leur mue et se posent la question : comment vivrons-nous le sport et la culture quand les étés atteindront 50°C ? », dit Olivier Bianchi.
  • Les mesures d’adaptation doivent se penser pour le long terme, pour laisser du temps non seulement à la mise en œuvre, mais aussi au débat démocratique. Sur les risques à court terme, même majeurs, le maire a confiance dans les facultés d’adaptation des populations, qu’on a vues à l’œuvre durant la crise du covid. « Les prochains drames vont aussi accélérer les réponses », prédit-il.

Une question personnelle en introduction : comment avez-vous été sensibilisé aux urgences environnementales et à l’ampleur de cette problématique ?

Olivier Bianchi : Je l’ai souvent exprimé, je ne suis pas écologiste de tradition. Ma famille de pensée est plutôt la question de la justice sociale et je pensais que la problématique centrale du XXIe siècle serait la persistance de l’inégalité sociale. Donc je n’ai pas eu d’appétence, de vision, de sensibilité personnelle à cette question… Puis le temps de la planète a avancé et les faits se sont imposés à moi.

« On ne peut plus faire comme si la question écologique n’existait pas. »

Je suis un néo-converti – et quelquefois ils ne sont pas les moins assidus à la tâche. Converti dans le sens où, à moins d’être de mauvaise foi, on ne peut pas échapper par exemple à l’insécurité climatique : tempêtes, cyclones, inondations, éboulements, fissures dans les maisons… J’ai constaté l’accélération de la dérégulation et j’ai très vite compris, comme beaucoup de monde, que l’action humaine en était l’origine. Je me suis dit qu’effectivement, la question du XXIe siècle ne serait pas seulement la question sociale. On ne peut plus faire comme si la question écologique n’existait pas, et donc il fallait changer le rapport de force.

Je me sens donc comme un néo-converti qui mène les combats. J’ai compris cela depuis environ dix ans… et j’ai la chance d’être maire depuis dix ans. Donc j’ai décidé qu’à cette place, je devais agir.

Y a-t-il une corrélation entre votre prise de conscience et votre prise de fonction ?

O.B. : Oui, dans le sens où j’ai été attentif aux conséquences du dérèglement climatique dans la vie de mes concitoyens. Par exemple quand l’air était très mauvais à Clermont dans les années 2015, j’ai bien compris qu’on avait des sujets. Ou quand j’ai vu que de plus en plus, on avait des étés absolument invivables ; j’ai compris que ça allait devenir la norme et non plus l’exception.

Olivier Bianchi pendant l'entretien
« Je suis un néo-converti – et quelquefois ils ne sont pas les moins assidus à la tâche », admet Olivier Bianchi.

Notre sujet central à Tikographie, c’est l’adaptation, auquel nous avons consacré notamment le cycle de rencontres « Clermont sous 50°C ». Quelle place ce sujet occupe-t-il dans les politiques publiques de la Ville et de la Métropole ?

O.B. : Effectivement les deux échelles se croisent et ces politiques sont menées des deux côtés en fonction des compétences, avec ces deux dimensions à prendre en compte : l’adaptation et l’atténuation. L’atténuation signifie que nos propres comportements peuvent être corrigés. C’est ce qu’on a fait en éteignant les lumières la nuit – ce qui a amené des débats très forts, mais était utile pour la trame noire et pour les économies d’énergie. Ou quand on mène des politiques d’investissement sur les robinetteries, le transport, le covoiturage dans la collectivité, la place du vélo dans l’espace public… Il faut déjà corriger nos comportements – et collectivement.

« Structurellement, nos réserves d’eau baissent. Donc il faut que notre consommation d’eau change. »

L’adaptation intervient du fait que de toute façon, les choses vont s’aggraver. Il faut se poser la question de comment on vit au XXIe siècle dans des villes à 50°C. Que doit-on faire totalement autrement ? En adaptant, mais aussi en transitionnant. Cela concerne les questions de construction, d’espaces verts, de l’eau, du ferroviaire…

Sur la question de l’eau notamment : on ne peut pas compter sur des étés pluvieux pour sauver notre situation. Structurellement, nos réserves d’eau baissent. Donc il faut que notre consommation d’eau change. Ce n’est plus de l’atténuation, c’est de l’évolution.

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Comment la Métropole peut-elle contribuer à cette évolution ?

O.B. : Aujourd’hui l’essentiel de notre eau vient de l’Allier. Mais en 2050 ou en 2100, il n’y aura peut-être plus d’eau du tout dans l’Allier – déjà des villages sont ravitaillés par des bouteilles trois mois dans l’année.

« Il s’agit de reprendre les eaux usées après épuration et, au lieu de les renvoyer dans l’écosystème alluvial, on les renvoie dans les robinets. »

Pour faire face à cela, je propose qu’on crée une usine qui mettrait l’eau en circuit fermé. Il s’agit de reprendre les eaux usées après épuration et, au lieu de les renvoyer dans l’écosystème alluvial, on les renvoie dans les robinets. Il existe une usine de ce type en France, aux Sables-d’Olonne, que nous allons visiter en octobre avec les élus. Ce sont des investissements très techniques, très coûteux et très longs à réaliser. Donc la décision de s’engager sur un tel investissement doit se prendre en 2025 ou 2026 si on veut que l’usine soit à plein régime en 2050.

Vu de la station d'épuration des Trois-Rivières
La station d’épuration des Trois-Rivières renvoie déjà une partie des eaux usées vers les systèmes d’irrigation de la Limagne. Sera-t-elle équipée demain pour les réinjecter dans le circuit d’eau potable ?

Je tiens à poser ces questions dans un temps qui n’est pas le mien. Ce sont mes successeurs qui auront le problème si on ne prend pas la décision ; je n’aurai pas à rendre des comptes. Par contre il est probable, dans ce cas, que les gens en 2100 se demanderont : « mais comment les responsables de 2026 ou 2030 ne voyaient-ils pas que c’était le sens de l’histoire ? »

Donc même s’il y a bien sûr d’autres enjeux – par exemple le ferroviaire à l’échelle départementale et régionale – l’eau est pour moi la première des nécessités.

Sur l'adaptation de la station d'épuration aujourd'hui en cours, lire aussi le reportage : « Trois-Rivières 2/2 : comment évolue l’assainissement à Clermont ? »

Comment arbitre-t-on entre ces urgences et d’autres politiques publiques, qui peuvent paraître en concurrence, voire en contradiction avec ces enjeux – par exemple les grands projets, le sport, la culture… ?  Et n’y a-t-il parfois des regrets d’avoir engagé certaines décisions ?

O.B. : Dans la vie il n’y a pas de contradiction : il faut établir des curseurs. Il faut évidemment repenser les problématiques publiques à l’aune de ces problématiques environnementales.

Par exemple dans la politique culturelle, c’est la question sociale, la question de la démocratisation culturelle, qui était essentielle. Peut-être que demain, elle doit devenir la question de la création culturelle dans un contexte de pénurie ou de tensions environnementales, avec des rassemblements ou des offres culturelles différents.

Ce n’est pas uniquement une question de gobelets en carton dans les festivals ; je parle de quelque chose de beaucoup plus profond.

« Demain », cela signifie que ce n’est pas encore une préoccupation ?

O.B. : Si, comme dans toutes les politiques publiques, elle commence à être posée. Je vais l’illustrer par deux exemples à Clermont-Ferrand.

L’un dans le sport : le gymnase Edith-Tavert. On l’a construit à énergie positive ; c’est le premier équipement public de la ville à être autosuffisant. Donc on n’arrête pas la politique sportive pour des questions d’écologie.

« Je refuse de me trouver assigné (…) à dire qu’il faut renoncer au sport, à la culture ou au social. »

Sur la question culturelle, cela peut paraître contre-intuitif mais je n’ai pas imaginé la capitale européenne de la culture comme une fête débordante d’énergie, à l’ancienne, avec feux d’artifice dans Clermont-Ferrand. Je l’avais posée comme une autre façon d’appréhender le lien entre les créateurs et les territoires, en posant la question de la solidarité normale entre rural et urbain, et en posant comme question essentielle la question des mobilités artistiques. Plutôt que de déplacer les publics, l’idée était de déplacer les artistes, et de retourner dans des territoires ruraux où il n’y avait pas obligatoirement une offre culturelle et éviter aux gens de faire 100 kilomètres pour voir un spectacle.

Vue de la façade du centre sportif
Le nouveau gymnase Edith-Tavert, premier bâtiment public de Clermont à énergie positive.

Je refuse de me trouver assigné à choisir des politiques les unes contre les autres, ou à dire qu’il faut renoncer au sport, à la culture ou au social. Mais je propose que d’ores et déjà ces politiques fassent leur mue et se posent la question : comment vivrons-nous le sport et la culture quand les étés atteindront 50°C ?

La suite de votre article après une petite promo (pour Tikographie)

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À propos de « Clermont sous 50°C », comment avez-vous reçu notre initiative d’une série de rencontres sur cette thématique et sous cet intitulé anxiogène ?

O.B. : C’est une très bonne initiative ; d’abord parce qu’il y a encore un travail à faire par rapport aux sceptiques. Cette initiative, intellectuelle, de dialogue, de débat est féconde, utile et elle est encore nécessaire.

« Ce n’est pas la fin du monde… mais c’est pire : une sorte de lent délitement. »

Et je ne suis pas choqué par la formule, parce qu’à l’époque où vous l’avez lancée, j’ai vu un documentaire sur l’exercice « Paris à 50°C », qui a été pour moi un de ces moments de prise de conscience : on y montrait ce que serait l’agriculture urbaine ; je revois une dame courir sous 50°C avec les conséquences physiques que ça générait…

Les intervenants et le public de la rencontre Tikographie de mars dernier
Les Rencontres Tikographie à la librairie des Volcans ont eu pour thème « Clermont sous 50°C » durant tout le premier semestre 2024. Ici celle de mars dédiée à l’adaptation des espaces publics.

Pour autant, on n’est pas dans le film catastrophe ; ce n’est pas la fin du monde… mais c’est pire : une sorte de lent délitement avec des conséquences de plus en plus agressives sur les corps et sur les sociétés. Donc ce n’est pas grave d’avoir choisi cette interpellation de type anxiogène, car je pense que nous devons avoir peur. La peur peut être moteur d’une réaction. Il faut avoir un peu peur pour résister. Ce sont des curseurs à trouver.

En savoir plus sur le cycle "Clermont sous 50°C" et sur nos rencontres mensuelles aux Volcans : « Les Rencontres Tikographie »

Dans notre série de tables rondes, il transparaissait que beaucoup de choses sont enclenchées à Clermont pour l’adaptation, mais qui demandent beaucoup de moyens et de temps. Mais la question des risques à court terme semble en suspens. L’exemple des écoles a été soulevé : adapter une soixantaine d’écoles, cela va s’étaler sur ce mandat et tout le suivant, alors que les canicules de juin sont déjà une réalité. Comment ces risques à court terme sont-ils pris en compte ? Car on peut s’attendre, après le covid, à ce que d’autres crises de grande ampleur arrivent très vite…

O.B. : Trop vite ! J’ai conscience de la complexité des choses, je sais que le temps de l’urbanisme, de la transformation est long. Le temps démocratique aussi est long ; c’est d’ailleurs ce qui explique que des gens se jettent dans les bras de régimes autoritaires, pour faire l’économie du temps long démocratique. Donc il faut y faire attention. J’ai cette culture politique du temps long, administratif, financier.

C’est un débat que j’ai avec les écologistes qui disent qu’il y a une telle urgence qu’« il n’y a plus le temps de… » Mais si on ne veut pas tomber dans une dictature verte, il faut malheureusement prendre le temps de convaincre et de mettre en œuvre.

Une autre vue d'Olivier Bianchi durant l'entretien.
« Je sais que le temps de l’urbanisme, de la transformation est long. Le temps démocratique aussi est long », souligne le maire de Clermont.

Cependant s’il y a une accélération des drames, il y aura une accélération des prises de conscience. Je me souviens qu’avant l’épisode covid, nous avions débattu du télétravail. Tout le monde m’expliquait que ce n’était pas possible, et une partie des arguments étaient très valables. Pendant deux ans on a tergiversé… et le lendemain du début de la crise, tout le monde s’est mis en télétravail !

Les prochains drames vont aussi accélérer les réponses : ça ne mégotera pas.

« L’adaptation, ce sont des mesures qui doivent fonctionner quoi qu’il arrive, donc c’est du long terme. »

Mais ça n’empêche pas d’anticiper et d’essayer de s’y préparer ?

O.B. : Il faut bien sûr anticiper, mais les adaptations qu’on peut mettre en place, c’est du long terme. Un chantier comme une usine de recyclage de l’eau, avec les préparations, les arbitrages, les concertations, il faudra au minimum six ans pour que ça se mette en place. Faire croire que je vais le faire en deux ans, ce serait mentir. Il y a des mesures d’atténuation possibles sur le court terme, mais l’adaptation, ce sont des mesures qui doivent fonctionner quoi qu’il arrive, donc c’est du long terme.

Entretien Marie-Pierre Demarty, réalisé le lundi 9 septembre 2024. Photos Marie-Pierre Demarty. A la une : Olivier Bianchi pendant l’entretien, dans son bureau à la mairie de Clermont-Ferrand

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