Pour adapter les cultures, Rémi Pilon expérimente des fruits bizarres

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Rémi Pilon devant les plantations de poivre de Sichuan
Entre Loire et Puy-de-Dôme, cet agriculteur à mi-temps produit et fait transformer des fruits et légumes bio. Pour s'adapter aux dérèglements du climat, il teste des cultures méconnues ou exotiques. Rencontre avec Rémi Pilon, encore un agriculteur atypique.

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Après la ferme de Sarliève et le domaine des Sens de la Vie, clôturons aujourd’hui notre petit tour de quelques exploitations agricoles très atypiques.

Si la première est particulièrement intéressante pour sa réflexion sur la dimension citoyenne, la deuxième sur l’adaptation à un choix de vie en sobriété libre et heureuse, cette troisième visite nous dévoile des expérimentations aussi audacieuses que gourmandes pour préparer l’adaptation aux perturbations du climat.

J’avais prévu cette visite plutôt dans l’idée d’illustrer mon prochain article, mais il m’a semblé qu’il y avait beaucoup plus à dire. Et encore plus à découvrir, pour peu que mes lectrices et lecteurs soient aussi gourmands et curieux que moi… ce que je vous souhaite !

Ah oui au fait, dans le prochain article, je vous parle d’un nouveau label plus bio que bio. Restez en ligne…

Marie-Pierre

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • Ancien chercheur à l’Inrae, vivant toujours dans l’agglomération clermontoise, Rémi Pilon se rend deux jours par semaines dans la Loire, pour cultiver des fruits (et un peu de légumes) sur les terres héritées de son grand-père. Pour optimiser son temps, il a choisi de tout transformer en conserves goûteuses : confitures, sauces tomates, gaspachos et soupes.
  • Par curiosité mais surtout pour préparer l’adaptation au changement climatique, il teste toutes sortes de cultures méconnues ou exotiques, avec des échecs et de belles réussites : poivres, amélanchiers, aronias, ragouminiers, oliviers… Il a aussi planté plus de 60 variétés de pommiers pour étirer les périodes de floraison et de fructification et diminuer les risques liés aux aléas.
  • Producteur en bio, Rémi s’efforce aussi d’accueillir la biodiversité sur sa ferme, en multipliant les haies, mares et bouts de prairies naturelles. Ce qui lui a permis d’être parmi les premiers agriculteurs en France à tester le nouveau label de la Fédération nationale de l’Agriculture biologique (à découvrir dans notre article suivant).

Il vit dans l’agglomération clermontoise mais son exploitation est à une heure d’autoroute, dans la Loire. Il y passe deux jours par semaine seulement. Il est administrateur de Bio63 (Puy-de-Dôme) sans produire quoi que ce soit dans le département, mais on le trouve régulièrement sur les marchés de Chamalières et de Jaude. Cette anomalie géographique n’est pourtant pas le plus insolite dans l’activité agricole de Rémi Pilon, cultivateur de fruits et maraîcher à l’enseigne « Les délices de Vézelin ».

Son parcours, déjà, est assez atypique… quoique peut-être de moins en moins. Ancien chercheur à l’Inrae spécialisé dans l’étude des prairies, il a aussi exercé d’autres métiers, d’autres emplois. Dont le dernier, pour le Conseil départemental, s’est terminé en 2020.

Rémi Pilon devant la parcelle de fruits rouges
Rémi Pilon sur son domaine des “Délices de Vézelin” : une exploitation de petits fruits entourée de prairies, à l’est du Forez.

Tout s’est alors combiné pour qu’il reprenne en main le domaine exploité il y a longtemps par ses grands-parents, à Vézelin-sur-Loire. « C’est une région de polyculture-élevage, avec beaucoup de prairie », décrit-il pour caractériser ce rebord oriental des monts du Forez, à deux pas de Saint-Germain-Laval. « Depuis que mon grand-père s’était retiré, les prairies étaient louées à des éleveurs, qui à leur tour allaient prendre leur retraite. Pour ma part, je m’étais toujours dit que je ferai un jour de l’agriculture ; j’ai les qualifications. Je pouvais encore bénéficier des avantages du statut de jeune agriculteur mais plus pour longtemps car j’approchais des 40 ans. Quand j’ai trouvé un emploi à temps partiel, comme accompagnant à Solidarité Paysans, je me suis dit que c’était le moment de le faire », retrace-t-il.

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La nature bienvenue

Le temps de faire ses premiers choix, de mettre à jour ses connaissances sur les petits fruits par quelques stages et de s’organiser… Rémi s’est installé en 2021. Et a commencé ses plantations sur 2,5 hectares. Le reste, soit 10 ha dont il partage la propriété avec sa sœur, étant laissé en prairies de pâturage ou de fauche exploitées par un voisin.

Le bio, c’était une évidence. »

« J’ai choisi les petits fruits parce que j’aime bien ça ! Et aussi parce qu’il me fallait des cultures qui ne demandent pas un travail quotidien. Le bio, c’était une évidence », dit-il. Une orientation complétée par un verger. Et un peu de maraîchage, pour des légumes dont la culture est peu contraignante : pommes de terre, oignons, courges diverses.

Jusqu’ici, rien de particulier, si ce n’est des méthodes de culture les plus respectueuses possible de l’environnement : pas de sol nu, maintien des haies restées abondantes, pastilles de prairies naturelles non fauchées réparties sur le terrain. « Je les déplace régulièrement, pour favoriser la biodiversité. Là-bas, j’ai même de la reine-des-prés, alors qu’on en trouve de moins en moins dans les campagnes », relève-t-il en passant près de l’un de ces fouillis d’herbes hirsutes.

Partie de prairie non tondue entre deux cultures
Sur ce “patch” de prairie naturelle au milieu des parties cultivées, on distingue les éclaboussures blanches des fleurs de reine-des-prés.

La présence du milieu naturel se signale aussi de façon sonore tandis que nous faisons le tour des plantations : les crapauds rivalisent de mélodieuses vocalises en provenance de ce qui semble a priori un bosquet, mais abrite en réalité une des mares créées par Rémi. « J’ai suivi les recommandations de mon grand-père qui m’avait dit il y a longtemps : ‘si un jour tu veux faire des cultures, tu trouveras de l’eau à tel, et tel et tel endroit’. Et j’ai pu constater qu’il avait raison ! C’est important de prendre le temps d’observer son terrain et de comprendre comment il fonctionne », dit-il, illustrant le propos par certains de ses échecs. Notamment les myrtilles bleuets : « le sol acide aurait dû leur convenir, pourtant seulement dix ont survécu sur les cinquante plantées. Je me suis rendu compte que la veine de charbon de la région passait juste là », explique-t-il.

Baies à l’essai

S’il favorise la présence de la biodiversité, Rémi Pilon se préoccupe aussi du changement climatique. Avec une curiosité à toute épreuve, il s’efforce d’en anticiper l’ampleur en multipliant les tests de cultures. A côté des fraises, cassis et groseilles qui ont logiquement leur place ici, d’autres plantations semblent beaucoup plus exotiques.

Tandis qu’Ulysse, le jeune border collie de Rémi, cabriole autour de nous, son maître me dévoile une à une ces plantations encore récentes, dont beaucoup émergent à peine de la couverture d’herbe.

« J’ai déclaré la parcelle en verger, car la case ‘amélanchier’ n’existe pas ! »

Par exemple, un champ entier accueille des alignements d’amélanchiers, arbuste connu surtout comme ornemental, dont les baies au goût d’amande mériteraient d’être connues comme elles le sont au Canada. « Ces arbustes consomment peu d’eau donc ils devraient s’adapter à des étés plus secs. En plus ils demandent peu d’entretien ; les baies sont faciles à ramasser. Et cela fera des haies supplémentaires », commente Rémi, qui ajoute avec ironie : « j’ai déclaré la parcelle en verger, car la case ‘amélanchier’ n’existe pas dans les formulaires ! »

Pied d'amélanchier
Encore tout jeunes, les amélanchiers disparaissent presque dans les parcelles tondues le moins ras possible. Ils deviendront des arbustes formant de véritables haies et produisant une baie au délicat parfum d’amande.

Autres tests plus ou moins réussis : différentes catégories de poivre, de l’épine vinette, le ragouminier, l’aronia très prisé des Allemands mais inconnu en France, ou même des oliviers. « J’ai été très surpris que le poivre de Sichuan vienne aussi bien ; le poivre de Timut a un peu moins bien pris. En plus ce sont de bons fixateurs d’azote », dit-il en montrant les quelques rangs du bas de la parcelle.

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Plus loin, il commente : « l’épine vinette est intéressante, mais beaucoup trop compliquée à ramasser car les branches sont pleines de longues épines ». Quant aux arbousiers, ils semblent un échec mais seulement en apparence : « deux plants seulement ont pris car les conditions n’étaient pas favorables, mais une fois installés, ceux qui survivent sont très résistants. »

« J’ai été très surpris que le poivre de Sichuan vienne aussi bien.”

Pour se simplifier la vie, Rémi a opté pour des toiles tissées sur certaines cultures. « C’est autorisé en bio si elles ont une durée de vie importante ; ça limite l’enherbement et donc la tonte, ce qui est appréciable par un printemps comme celui-ci ! » Pour cet agriculteur à temps partiel, tous les moyens sont bons pour optimiser le temps de travail, pourvu qu’ils respectent ses valeurs.

Il se fait aussi épauler par une rangée de sureaux pour limiter les aléas d’une culture sans pesticides : « non seulement ils vont très bien pour la confection de pétillants, mais surtout ce sont des antiparasites efficaces, car ils attirent à eux tous les pucerons », se réjouit-il. Et les fraises, si plébiscitées par les consommateurs, sont les seuls fruits délicats et contraignants à ramasser qu’il s’accorde.

Le chien de Rémi Pilon, Ulysse, au milieu des fraisiers
Entre deux séries de cabrioles, Ulysse s’est institué inspecteur des récoltes de fraises. Une des productions les plus contraignantes de la ferme, mais incontournable pour la clientèle des gourmands.

Soixante nuances de pommes

Chemin faisant, on arrive sur le haut du domaine, où le jeune verger aligne ses rangées de fruitiers et ses bonnes idées pour adapter les méthodes de culture aux aléas du climat. Pas tant pour les pêches de vigne, pur produit local aussi délicieux que facile à vivre sur ce terroir.

Le verger avec un pommier tardif au premier plan
Le verger rassemble plus de 60 variétés de pommes, avec des rythmes différents qui permettent de répartir les risques. Au premier plan, un pommier tellement tardif qu’il commence à peine à bourgeonner en cette fin mai.

Mais c’est sur les pommes et les cerises, indispensables composantes des compotes et confitures, que Rémi a joué la carte astucieuse de la prudence : « j’ai choisi des pommiers locaux chez Bernard Proriol à Bongeat et j’ai pris plus de soixante variétés différentes, pour étaler la production le plus possible et éviter de tout perdre sur un coup de gelées tardives ou de forte chaleur », explique-t-il en montrant un arbre insolite en début de rang : « On a l’impression qu’il est mort, mais pas du tout ; il est tellement tardif qu’il n’a pas commencé à débourrer. »

Autre parti pris : « entre chaque arbre, il y a quelque chose : amélanchiers, framboisiers, mûres… pour jouer sur les interactions des racines. Les petits fruits et les arbres fruitiers, ça s’adore ! » On aurait dû y trouver aussi de la verveine et de la rhubarbe, mais ces deux plantes-là se sont rangées dans la catégorie des flops.

Rémi Pilon devant une jeune cerisier couvert de fruits
Pourtant très jeunes et malgré un printemps peu ensoleillé, les cerisiers se montrent généreux !

Explorations gourmandes

Toujours dans l’intention de rendre son activité réalisable en deux jours hebdomadaires sur place, Rémi a fait le choix de faire transformer toute sa production en conserves goûteuses. « Initialement j’avais pensé monter un atelier de transformation sur place, en mutualisant avec mes voisins, eux aussi récemment installés. Mais nous n’avons pas exactement la même approche et ça a été compliqué de s’entendre. Donc je fais tout faire par l’entreprise Clac à Cournon, qui fonctionne en prestation, en marge de sa propre marque. J’ai même été le premier à leur faire faire des confitures », résume Rémi.

Des baies encore vertes d'aronia
Les baies encore vertes d’un aronia. Ce fruit très prisé en Allemagne et en Europe de l’est est bizarrement inconnu en France. Une des cultures-tests que Rémi tente sur ses parcelles.

Pour l’instant, il s’est organisé pour distribuer lui-même les confitures, compotes, sauces tomates et soupes sur les marchés ou directement à la ferme, avec un gros pic lors des marchés de Noël. Sans compter de rares revendeurs : deux magasins à Saint-Germain-Laval, la boulangerie La Main du Boulanger à Chamalières et le Biocoop de Riom.

Il propose des classiques comme la confiture de fraise ou de groseille, mais aussi des assemblages plus originaux : potimarron-vanille, butternut-citron-gingembre, ou encore la compote pomme-pêche de vigne qui a été plébiscitée, en attendant les premières récoltes de fruits plus méconnus.

Un des oliviers de la parcelle de verger
Encore une culture inattendue : Rémi a planté cinq variétés d’oliviers, pour voir comment cet arbre méridional peut s’adapter en terre ligérienne.

Testeur de fruit… et de label

« Je vais développer aussi les purées de fruits, idéales pour les gens qui limitent leur consommation de sucre. Et peut-être essayer le marché des restaurants gastronomiques pour les fruits en test, que je produis en très petites quantités. Mais je dois encore travailler sur le développement de la distribution », dit-il, laissant entendre que son temps partiel lui laisse le loisir de prendre son temps pour trouver une rentabilité. « J’ai la chance de ne pas avoir eu à acquérir ou louer le foncier. J’ai eu moins d’investissement que pour des grandes cultures. Et pour l’instant je ne me rémunère pas ; les revenus des productions servent à rembourser les investissements. »

Le domaine de Rémi Pilon en plan général
Le domaine des Délices de Vézelin : beaucoup d’herbe, des haies, des mares… et des cultures très atypiques.

Avec du temps devant lui, donc, pour construire l’activité posément, il envisage encore de confier un bâtiment à construire à un producteur d’énergie photovoltaïque. Il pourrait en même temps y stocker un tracteur, les productions futures, et héberger quelques vaches ou moutons à usage de fumure et de tondeuses naturelles – un rêve en ce printemps si pluvieux !

Quoi d’autre ? Quitte à tester, Rémi Pilon, en administrateur de Bio63 qui se veut militant des valeurs du réseau, s’est porté volontaire pour tester le nouveau label de la Fédération nationale d’Agriculture biologique. Mais comme ceci est une autre longue histoire, je vous la raconte dans le prochain article…

Vous pouvez aussi rencontrer Rémi Pilon le samedi sur le marché de Chamalières et certains dimanches sur celui de la place de Jaude à Clermont

Prochain article : "Avec bio 63, des agriculteurs locaux pionniers d’un label national mieux-disant"

Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé le 31 mai 2024. Photos Marie-Pierre Demarty. A la une : Rémi Pilon devant les rangs de poivre de Sichuan de sa ferme des Délices de Vézelin.

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