Les Shifters Auvergne s’engagent pour la décarbonation

Les soutiens bénévoles du Shift Project ont désormais leur groupe local en Auvergne. Trois représentants de ce groupe expliquent leurs motivations, leurs axes de travail et leur organisation singulière.


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Le pourquoi et le comment

Au printemps dernier, Damien avait rencontré les Shifters lyonnais, un des groupes locaux les plus anciens et les plus structurés, où la dynamique fonctionne à plein et permet de lancer des projets ambitieux.

Mais il nous paraissait important de corriger cet « écart territorial » en donnant la parole au groupe local auvergnat.

Démarrant doucement, avec un effectif actif plus réduit, ce dernier peut paraître bien modeste comparé à son voisin déjà assez costaud pour porter les deux premiers événements nationaux en 2021 et 2022.

Mais ce qui m’a paru intéressant dans cette rencontre, c’est le mode d’organisation et d’implication que dessine le récit des représentants clermontois. Une implication qui repose d’abord sur la motivation individuelle à se former, à comprendre et à être en capacité d’analyser rationnellement une situation ou un projet. Et ensuite sur une façon simple et souple de relier les individualités, pour agir à différents niveaux, degrés et périmètres.

Rassurons donc les réfractaires au discours de Jean-Marc Jancovici, la personnalité qui inspire les Shifters : il ne sera pas question ici de prises de position sur la manière de décarboner l’économie, mais d’un (triple) témoignage sur des formes de prise de conscience, de questionnement et d’engagement.

Savoir s’en inspirer est déjà, en soi, une forme de résilience.

Marie-Pierre


Information sur notre prochain événement

Nous nous rencontrons chez l’un d’eux. Malgré la météo glaciale et glissante de ce lundi soir, les deux autres sont venus à vélo. Quand on a choisi de passer son temps libre à plancher sur la décarbonation de notre système socio-économique, on trouve manifestement la motivation pour la mettre en pratique par tous les temps…

Jean-Paul Mugnier, Bertrand Bonhomme et Gildas Daniel sont réunis pour me présenter un projet qui mûrit depuis quelques temps : la création d’un groupe de Shifters à l’échelle de l’Auvergne. Depuis début 2022 exactement, mais ils avaient repoussé jusqu’ici le moment d’en parler publiquement, « parce qu’il faut avoir des choses concrètes à raconter », opposait Jean-Paul Mugnier, initiateur de la création de ce groupe, à nos précédentes sollicitations. Il y a pourtant, déjà, beaucoup de choses à en dire…

Implication à la carte

Commençons par préciser ce que sont les Shifters : une association nationale de bénévoles souhaitant soutenir, accompagner et promouvoir les travaux du Shift Project, un think tank (professionnel) qui réfléchit aux voies de décarbonation de notre économie, notamment en produisant des rapports très étayés, en libre accès, généralistes ou par secteur d’activité. L’un des plus marquants a été la publication en janvier 2022 du Plan de transformation de l’économie française, auquel 200 bénévoles ont pu contribuer en soutien à l’équipe du projet. Enfin, tout en étant indépendants de l’entreprise Carbone 4, le Shift Project, tout comme les Shifters, partagent la vision de Jean-Marc Jancovici, dirigeant très médiatisé de cette entreprise et président du Shift Project.

Pour autant, Jean-Paul Mugnier précise : « Nous n’avons aucunement vocation à devenir des clones de Jean-Marc Jancovici, quelle que soit l’admiration que nous lui portons. Chacun vient avec ce qu’il peut apporter. La personne qui vient avec l’idée qu’elle va juste rencontrer des personnes au discours passionnant et pouvoir briller en société va forcément être déçue ! » Bertrand Bonhomme complète : « Il n’y a pas de prérequis pour rejoindre les Shifters. Seulement l’envie de s’impliquer. »

« Il n’y a pas de prérequis pour rejoindre les Shifters. »

Bertrand Bonhomme

Une implication qui peut être plus ou moins importante, selon la motivation et la disponibilité de chacun, depuis la simple inscription permettant de se signaler et de recevoir des informations (le recensement au national dénombre quelque 22 000 inscrits), jusqu’à l’adhésion payante mais – originalité de l’association des Shifters – à prix libre. Et même parmi les adhérents, il y a les participants occasionnels et les plus assidus. Enfin, il y a ceux qui œuvrent à l’échelle de l’association nationale, ceux qui préfèrent se concentrer sur les actions en local et ceux qui, à l’image de Gildas Daniel, sont présents sur les deux étages.

Lire aussi l’entretien : « Les Shifters lyonnais, à la recherche des points de bascule majeurs »

Du national au local

Ce qui explique que Jean-Paul Mugnier ait du mal à définir les contours précis du groupe auvergnat : « Nous recensons environ 180 personnes en Auvergne inscrites sur la liste de diffusion, mais cela ne signifie pas grand-chose, car plus de la moitié sont ‘dormants’ : ils observent, écoutent, se renseignent sans participer. Mais peut-être un jour peuvent-ils se réveiller et devenir actifs. Parmi les autres, certains sont plus impliqués que d’autres. Les vraiment très actifs constituent une équipe finalement peu nombreuse ; nous agissons en fonction et au rythme de la disponibilité et des compétences de cette équipe. »

Tout en restant autonomes dans leurs décisions d’actions – pourvu qu’ils restent dans le cadre des missions et des valeurs des Shifters – les groupes locaux n’ont pas d’existence juridique propre. Tout juste une page de présentation et une adresse courriel de contact, mais contrairement à la plupart des associations nationales ayant des antennes locales, celle-ci a fait le choix de ne pas créer d’associations affiliées. « Les Shifters Auvergne n’ont ni existence juridique, ni budget propre. Les quelques dépenses que nous avons, par exemple pour indemniser la salle où nous organisons nos réunions mensuelles ou les frais d’une journée d’étude, sont réglées par l’échelon national », précise Jean-Paul Mugnier.

« J’ai profité de mon temps disponible pour visionner les cours de Jancovici à l’école des Mines et je trouvais ça passionnant. »

Gildas Daniel

Il en va donc de même pour les membres – inscrits ou adhérents – qui pour la plupart rejoignent les Clermontois via l’organisation parisienne. C’est le cas de Gildas, qui raconte son parcours de cadre Michelin expatrié en Thaïlande de 2019 à 2022 : « Pendant la crise covid, j’ai profité de mon temps disponible pour visionner les cours de Jancovici à l’école des Mines et je trouvais ça passionnant. J’ai commencé à m’intéresser aux travaux du Shift Project. Sachant que j’allais revenir à Clermont, j’ai cherché à prendre contact avec un groupe local. J’ai eu un peu de mal à le trouver car il n’était même pas encore visible sur le site national. Mais je me suis impliqué sur le groupe national et quelqu’un de ce groupe m’a donné les coordonnées de Jean-Paul. C’est ainsi que j’ai rejoint le groupe en janvier 2023, six mois après mon retour en France. »

Jean-Paul cite aussi le cas d’une Clermontoise impliquée dans l’organisation du grand rendez-vous national des Univershiftés : « Elle nous fait un petit signe de temps en temps, mais évidemment son degré d’implication est à 99% tourné vers le national. »

Les trois animateurs du groupe local
Jean-Paul Mugnier, Bertrand Bonhomme et Gildas Daniel, trois des animateurs du groupe des Shifters Auvergne.

Diversité recherchée

Quant à Jean-Paul Mugnier et Bertrand Bonhomme, ils sont tous deux retraités de la même multinationale clermontoise, mais les trois représentants du groupe clermontois se défendent d’être représentatifs des profils de leur groupe. « Il y a de tout en termes d’âge : la majorité sont actifs, venant de secteurs divers, et les plus jeunes sont étudiants. Donc pas que des Michelin, loin de là ! Par contre, il est certain que nos Shifters sont très majoritairement des hommes, ce qui n’est pas notre volonté », analysent-ils.

« Il est évident que la prise de conscience ne pourra pas passer seulement par des démonstrations scientifiques. »

Jean-Paul Mugnier

Ils reconnaissent aussi une prédominance de profils scientifiques dans l’association, mais assurent là aussi que cette culture n’est pas nécessaire pour les rejoindre. Le fondateur assure : « Par exemple, nous avons besoin de personnes capables de porter ou développer des récits, car il est évident que la prise de conscience ne pourra pas passer seulement par des démonstrations scientifiques. »

Bertrand Bonhomme insiste : « Il ne faut pas que nous devenions un ‘club ghetto’, car le sujet de la transition écologique et de la décarbonation concerne tout le monde. Et quand on apprend par un récent sondage que 37% des Français se disent climato-sceptiques, cela interpelle. Il y a aussi ceux que ça énerve d’entendre Jancovici dire qu’il faut faire seulement quatre voyages en avion dans sa vie et qui se ferment. C’est donc notre rôle de pouvoir amener des personnes diverses à se sentir concernées, et autant que possible, à s’impliquer. C’est en faisant grossir cette communauté qu’on arrivera doucement aux objectifs de décarbonation, en veillant surtout à n’exclure personne. »

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Travailler sur le territoire

Les deux retraités expliquent avoir été sensibilisés à ces questions, chacun sur leur dernier poste consacré au développement durable, au point d’avoir souhaité continuer à œuvrer dans ce domaine après avoir clôturé leur carrière. « Je m’étais toujours dit qu’une fois à la retraite, ce sujet serait sur mon agenda. Les Shifters m’intéressaient car le projet permet d’agir en local, ce qui est important pour moi. J’ai donc rejoint le groupe en septembre dernier », retrace ainsi Bertrand Bonhomme, qui a terminé son parcours professionnel en avril 2023, sur le poste de directeur Développement durable du groupe.

« Les Shifters m’intéressaient car le projet permet d’agir en local. »

Bertrand Bonhomme

Cette dimension d’action locale l’a amené à se proposer, au sein de l’association, comme référent sur l’un des axes phares du groupe auvergnat, à savoir une réflexion sur la résilience du territoire – l’autre axe étant celui de la vulgarisation des travaux du Shift Project.

Un groupe de travail s’était formé sur le sujet « stratégie de résilience du territoire » afin de mobiliser les Shifters sur un sujet qui leur semblait important localement. L’idée étant d’effectuer un travail d’analyse auprès des intercommunalités du Grand Clermont en s’appuyant sur la très riche documentation produite par le Shift Project sur cette question, dans le cadre du Plan de transformation de l’Economie française. « Le document présente, par typologie de territoires telles que les villes, les campagnes, la montagne, etc., les thématiques qui doivent absolument être travaillées pour permettre à ces territoires de se mettre en ligne vers une décarbonation, une qualité de vie et un monde vivable dans les quelques dizaines d’années qui viennent », expose Jean-Paul Mugnier.

Un œil neuf sur l’action publique

« Nous disposons donc de ces outils, poursuit Bertrand Bonhomme. Mais par-delà notre capacité à apporter cette matière, les Shifters sont des bénévoles et les collectivités que nous rencontrons nous voient comme des personnes intéressées par ces sujets, sans a priori, en tant que Shifters mais aussi citoyens. Notre approche est d’aller à la rencontre des intercommunalités pour analyser leur Plan Climat Air Energie territorial (PCAET), pour voir comment ces plans se positionnent par rapport aux règles et préconisations définis dans les documents du Shift Project. Nous ne souhaitons pas nous substituer à un bureau d’étude, mais voir dans un premier temps comment nous pouvons échanger, nous apprendre mutuellement. »

Vue des rapports du Shift Project sur la résilience territoriale
Le groupe de travail sur la résilience territoriale s’appuie sur la riche documentation produite par le Shift Project, qui offre à la fois une grille d’analyse et un catalogue de préconisations à adapter à chaque territoire.

Le groupe assure en être à la fin de cette phase d’analyse, mais sans pouvoir encore tirer des conclusions précises, dont ils souhaitent de toute façon réserver la primeur à leurs interlocuteurs de ces établissements publics. Mais ils avancent leurs premiers constats généraux. « L’intérêt, c’est qu’on regarde ces PCAET avec un œil différent ou une nouvelle grille de lecture, ce qui permet de constater des points qui n’ont pas été soulevés », constate Bertrand Bonhomme.

« La puissance publique s’est emparée de ces sujets depuis un certain temps, d’une manière construite et intelligente. »

Jean-Paul Mugnier

Jean-Paul Mugnier ajoute ses impressions de néophyte de l’action publique : « Venant de l’entreprise privée, ma première découverte est de constater que la puissance publique s’est emparée de ces sujets depuis un certain temps, d’une manière construite et intelligente ; il y a une articulation bien lisible entre la stratégie nationale bas carbone et les PCAET, qui tient vraiment la mer. Et beaucoup de collectivités, des communes aux régions, sont en route sur ces sujets de façon sérieuse. C’est un constat plutôt positif, même s’il y a encore un gap considérable par rapport à ce qu’il faudrait atteindre pour que le monde de demain et notre pays restent vivables. »

Pas des consultants donc, mais des citoyens qui s’intéressent, souhaitent comprendre, puis partager leurs constats, voire aiguillonner les décideurs locaux par ce dialogue. « Comme le dit Jancovici, nous sommes des éveilleurs de conscience », souligne Bertrand Bonhomme.

Mettre en lumière les travaux du Shift

Cette ligne se retrouve dans l’autre axe de travail des Shifters Auvergne, dédié à la mise en lumière des travaux du Shift Project. Cela consiste notamment, pour les membres du groupe volontaires, à se former pour porter des conférences disponibles au catalogue des Shifters. « Pour qu’un conférencier puisse s’exprimer au nom du Shift Project, il doit recevoir une validation, après une formation d’au moins 40 heures pour une conférence pour un public large, peut-être plus pour des sujets plus précis et techniques. Cela demande donc un certain investissement », souligne Gildas Daniel.

« Pour qu’un conférencier puisse s’exprimer au nom du Shift Project, il doit recevoir une validation, après une formation d’au moins 40 heures. »

Gildas Daniel

Une des Clermontoises s’est ainsi formée récemment, par intérêt personnel, pour porter le sujet de la décarbonation dans le secteur de santé, telle que l’a étudiée le Shift Project. Elle est devenue la première conférencière sur ce sujet au niveau national. Et elle peut le présenter non seulement en Auvergne, mais aussi dans d’autres territoires. La proposition s’adresse aux professionnels du secteur, avec des aspects techniques très pointus. Comme toutes les conférences des Shifters, celle-ci est présentée sur sollicitation d’un organisme du secteur, comme le centre hospitalier de Moulins, le premier à en avoir bénéficié.

En dehors de ces axes de travail bien précis, comment s’organise la vie des Shifters Clermontois ? D’abord au travers de réunions mensuelles commençant par un exposé sur un sujet proposé et porté par un des membres, puis par des informations sur ce qui peut se passer localement en relation avec les sujets intéressants pour le groupe, ou émanant de l’association nationale. Un temps convivial est toujours au menu. Et la réunion a systématiquement une extension en visioconférence, pour permettre aux Shifters des territoires éloignés de Clermont de participer et de garder le contact.

Monter en compétence

Rejoindre les Shifters, soulignent les trois représentants clermontois, est avant tout une opportunité de se former et d’acquérir des compétences sur des sujets capitaux qui nous concernent tous : que ce soit en se plongeant dans l’abondante documentation du Shift Project ou en participant aux webinaires de l’association.

Ce premier niveau d’implication pourra ensuite être mis à disposition du territoire, sous des formes diverses. Gildas cite aussi en exemple la façon dont des Shifters lyonnais ont contribué, à la demande de France Nature Environnement, à éclairer le débat dans la controverse sur le projet de déviation en 2×2 voies de la RN88en Haute-Loire : « Ils ont passé du temps à calculer le report du trafic automobile, à faire des simulations de scénario, à étudier le projet de façon rationnelle et étayée, pour permettre d’éclairer la prise de décision. » Une forme de participation au débat que les Clermontois n’ont pas encore expérimenté mais qui, disent-ils, « pourrait nous intéresser. »

On le comprend, le groupe auvergnat est clair sur sa démarche et ses intentions, mais reste encore très ouvert sur ses projets et ses objectifs. Pourvu qu’ils participent à éclairer le territoire, dans une démarche citoyenne exigeante, dans le sens de la décarbonation et de la résilience.

Consulter le site internet des Shifters.
Découvrir la page dédiée au groupe des Shifters Auvergne.


Reportage Marie-Pierre Demarty – texte et photos – réalisé lundi 8 janvier 2024. Photo de une : (de gauche à droite) Bertrand Bonhomme, Gildas Daniel et Jean-Paul Mugnier.

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