De l’ADEME à Combrailles Durables, Nelly Lafaye s’active en faveur des énergies renouvelables

Par

Damien Caillard

Le

Spécialiste du bois-énergie et des réseaux de chaleur pour l’ADEME à Clermont, Nelly est aussi présidente de la coopérative Combrailles Durables qui agit sur le photovoltaïque. Tour d’horizon avec elle des enjeux des EnR locales.


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Le ressenti de l’auteur

J’avais pu rendre visite à deux actifs représentants de la SCIC Combrailles Durables pour un entretien en 2021, au début de Tikographie : Valérie Sol et Loïc le Quilleuc. Il me restait à compléter le tableau par un échange avec son infatigable présidente Nelly Lafaye. Le focus sur la coopérative dédiée aux énergies renouvelables (principalement photovoltaïque), pionnière sur le Puy-de-Dôme, est d’autant plus intéressant que Nelly le met en perspective avec son “vrai métier” comme on dit, celui de chargée de mission à l’ADEME AURA. Basée à Clermont, Nelly travaille sur un autre pan majeur des énergies renouvelables, celles liées au bois.

D’une structure à une autre, du grand acteur public national à la petite société coopérative locale, il est donc intéressant de se représenter – à travers le parcours et les actions portées par Nelly – les synergies qui peuvent se mettre en place. Cela nécessite néanmoins un engagement constant, qui peut être mis à mal par les difficultés administratives voire politiques des grandes structures nationales, et par le manque d’implication des sociétaires des petites structures locales.

Damien

Les principaux points à retenir

  1. Nelly est à la fois chargée de mission à l’ADEME et présidente de la SCIC Combrailles Durables. Elle trouve une vraie complémentarité dans ces deux engagements, autant sur les thématiques traitées (énergie renouvelable) que sur la capacité à traiter les sujets des deux points de vue. Elle le voit également lors des grands séminaires auxquels elle participe avec ses “casquettes” variées. Les enjeux transverses consistent à sensibiliser au-delà d’un cercle d’initiés, et à mobiliser davantage les sociétaires des petites structures locales.
  2. A Combrailles Durables, l’enjeu principal consiste à revoir le modèle économique et de fonctionnement autour de l’économie de la fonctionnalité. Un accompagnement est en cours en ce sens, élaborant plusieurs scenari pour la coopérative. En parallèle, celle-ci développe des partenariats locaux avec d’autres structures engagées sur les énergies renouvelables, et avec le fournisseur d’énergie Enercoop. Au niveau technique, Nelly travaille sur le photovoltaïque au sol et sur le remplacement de panneaux abimés par des épisodes météo extrêmes.
  3. A l’ADEME, Nelly cherche à massifier la chaleur renouvelable auprès de tous les acteurs locaux. Cela passe principalement par l’aide au montage de projets en bois énergie et en géothermie, ainsi que par le déploiement de réseaux de chaleur renouvelable. Le Fonds chaleur de l’ADEME est un outil de financement majeur pour ces projets, et Nelly accompagne les structures porteuses pour qu’elles puissent en bénéficier. Elle apprécie notamment l’orientation de l’ADEME en faveur de la sobriété, mais elle insiste sur la focalisation en faveur des usages utiles et indispensables. Et donc d’une analyse de nos comportements avec du recul.
  4. Dans le Massif Central, le bois énergie peut être une source très intéressante de chaleur compte tenu de la proximité des forêts. Nelly encourage à envisager le bilan carbone du bois au niveau de la forêt et non pas d’un seul arbre, compte tenu de la stratégie de renouvellement, mais aussi de l’urgence écologique et de la durée de repousse. Le bois énergie provenant de résidus de coupe d’autre type de bois, il est important que les arbres soient traités en local. Nelly détaille enfin les différentes formes de bois-énergie, des plaquettes aux bûches en passant par les granulés. Chacun a des impacts et des usages différents, les plaquettes lui semblant les plus intéressantes. Enfin, elle invite à comprendre les différentes catégories de coupes en forêt.
  5. L’autre sujet que Nelly traite à l’ADEME concerne les réseaux de chaleur. En aval des sites de production de chaleur comme les chaudières à bois mais aussi les usines (chaleur fatale), ces réseaux sont, selon elle, une solution très intéressante pour distribuer de la chaleur en ville de manière optimisée. Si les investissements et les travaux sont lourds, le fonctionnement est très facile et peu onéreux par la suite.
  6. Enfin, Nelly évoque la géothermie en différenciant la géothermie profonde, qui est plus difficile sur l’Auvergne compte tenu des caractéristiques géophysiques du sol, de la géothermie de surface – assistée en pompe à chaleur – qui peut être intéressante du point de vue du rendement énergétique, sans être une panacée.
  7. D’une manière générale, Nelly alerte sur le risque de controverse autour de tous les sujets d’énergie renouvelable. Elle met en avant les projets collectifs, comme ceux portés par Combrailles Durables ou par d’autres coopératives du territoire, seuls à même – selon elle – de mettre tout le monde autour de la table, d’écouter les différents points de vue et d’informer sereinement sur les enjeux et les solutions disponibles.

L’intervenante : Nelly Lafaye

Crédit photo ADEME

Chargée de mission bois-énergie, géothermie, réseaux de chaleur à l’ADEME AURA (site de Clermont-Ferrand) ; présidente de Combrailles Durables

Née à Moulins en 1984, Nelly suit des études de sciences appliquées à l’INSA de Lyon. Elle décroche un diplôme d’ingénieur en génie énergétique et environnemental en 2007.

Je voulais alors travailler sur la question des déchets auprès des collectivités, mais ce n’était pas porteur à l’époque !” reconnaît-elle. Elle rejoint un bureau d’études en Alsace pour faire des diagnostics sur les énergies des collectivités, et les chaufferies bois. Après la création du Fonds chaleur de l’ADEME, elle revient sur Clermont en 2009. La fusion des régions fixent ensuite son périmètre de travail à l’ADEME au niveau Auvergne-Rhône-Alpes.

En parallèle, elle entre à Combrailles Durables en 2011 et en devient présidente – bénévole – en 2018.

Egalement élue au Comité Economique et Social de l’ADEME, elle se décrit comme une militante de la transition énergétique et écologique.

Contacter Nelly par courrier électronique : nelly.lafaye [chez] ademe.fr

Crédit photo : ADEME (DR)

La structure : ADEME

Etablissement Public à Caractère Industriel et Commercial accompagnant les initiatives locales sur la transition écologique des énergies, de l’alimentation, de l’économie circulaire et de la mobilité

Avec près de 1000 salariés, l’ADEME dispose de trois sites (dont son siège à Angers), de 17 directions régionales et de 26 implantations au total. Elle propose également ADEME Investissement depuis 2018, une société publique finançant des projets innovants d’infrastructures. Son budget de près d’un milliard d’euros est très majoritairement pourvu par des subventions et des financements de l’Etat dans le cadre du plan de relance.

La mission de l’ADEME est “d’accélérer le passage vers une société plus sobre et solidaire, créatrice d’emplois, plus humaine et harmonieuse”. Les collaborateurs de la structure réalisent pour cela de nombreux accompagnements de projets locaux, de l’aide au financement (notamment à travers plusieurs fonds internes) mais aussi de l’animation de réseau, de l’organisation d’événement et du partage d’expertises. L’ADEME publie également des livres blancs et des études de prospective.

Visiter le site web de l’ADEME

La structure : Combrailles Durables

SCIC œuvrant à développer et faciliter des initiatives d’énergie renouvelable citoyenne dans et autour des Combrailles


Née sous forme d’association en 2008, Combrailles Durables est devenue une SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) en 2010. Après une première expérience autour d’un projet éolien, les administrateurs ont réalisé qu’il était plus aisé, et mieux adapté pour le territoire, de favoriser des projets de photovoltaïque.

Combrailles Durables porte donc des projets “maîtrisés par les territoires” comme le précise Loïc le Quilleuc, ancien président de la structure. Début 2021, ce sont 21 toits de bâtiments publics – écoles, collèges, médiathèques, lycées, salles polyvalentes … – qui sont équipés de panneaux solaires opérés par Combrailles Durables. L’électricité produite est bien sûr connectée au réseau national Enedis, mais dans les faits elle alimente majoritairement les environs.

La SCIC comporte 350 sociétaires et sympathisants, mais elle reconnaît “avoir du mal à embarquer des gens plus actifs” selon Valérie Sol, chargée de développement. C’est un problème récurrent des projets citoyens, comme les associations, mais il est sans doute accentué par le caractère trop technique des sujets énergétiques. C’est pourquoi une initiative a été prise en 2020 de se “diversifier” vers l’alimentation avec un test de permaculture à Loubeyrat.

Enfin, Combrailles Durables a lancé une démarche de sensibilisation et d’essaimage au-delà de son territoire naturel. Des SCIC similaires ont déjà vu le jour à Ambert, à Vichy ou encore dans le territoire de Mondarverne. “on aimerait faire bénéficier à nos partenaires plus jeunes de l’animation des projets” précise sa présidente, Nelly Lafaye.

Combrailles Durables a signé un partenariat avec Enercoop AURA en juin 2022. En 2023, elle est accompagnée dans une réflexion de fond sur l’économie de la fonctionnalité, pour envisager une réorientation de son modèle économique.

Voir le site web de Combrailles Durables


Retour sur quatre acteurs locaux engagés, point sur Tikographie, sortie du recueil “l’année tiko 2024”, message de notre ennemi juré, buffet végé…

Tout cela à la Soirée Tiko 2024, jeudi 5 décembre à 18h à la Baie des Singes ! On s’y retrouve ?

Ta double position à l’ADEME mais aussi à Combrailles Durables est-elle un avantage ?

En tous cas, ce sont des rôles complémentaires ! Et je me retrouve dans les deux structures . D’une part, l’ADEME est une entité administrative mais assez souple ; d’autre part, Combrailles Durables est une société coopérative dont je suis présidente bénévole, et même “PDG” puisque je m’occupe de sa gestion, depuis 5 ans. Quand je suis frustrée sur l’une, je me raccroche sur l’autre.

Cela te permet-il également d’avoir une vision plus large ?

Je bénéficie en effet de points de vue plus variés. En cela, les grands événements auxquels je participe sont très inspirants. Je pense par exemple aux Assises Européennes de la Transition Énergétique, qui ont eu lieu en mai à Bordeaux. Pour moi, c’était une vraie “pause” du quotidien, un moment pour lever la tête et travailler sur des sujets émergents. Et je vois bien que certains d’entre eux – comme la transition énergétique dans les “quartiers” – sont pris en main par les associations mais pas encore par les dirigeants politiques.

“Ces temps forts sont aussi un moment d’accélération, car ils rassemblent tous les acteurs qui comptent”

Ces temps forts sont aussi un moment d’accélération, car ils rassemblent tous les acteurs qui comptent. Si j’ai une idée à développer mais que je n’ai pas le temps de la creuser seule, je vais au bon atelier et je peux avoir les retours d’expérience qui me seront utiles. De même, j’engrange des contacts partout en France.

Quels sont les sujets communs à l’ADEME et à Combrailles Durables, selon toi ?

L’enjeu, comme pour beaucoup d’acteurs de la transition écologique, est de sortir d’un cercle d’initiés et de porter notre message plus largement. Par exemple, j’ai récemment travaillé sur des jeux pédagogiques, comme des fresques, dans ce but de sensibilisation. Nous avons ainsi conçu un jeu sur les arbres à Combrailles Durables, et j’ai pu en tester un sur les réseaux de chaleur, créé par le réseau Amorce, à l’ADEME.

Au sujet de la coopérative, cette problématique s’élargit à l’engagement des sociétaires. Combrailles Durables, ce sont des gens différents qui viennent chercher – et, parfois, apporter – des choses différentes. On a des bénévoles intéressés par la technologie des panneaux solaires, qui veulent monter une centrale aux petits oignons. D’autres qui souhaitent faire leur part de colibris. Et d’autres qui ont une vraie vision de résilience territoriale.

“L’enjeu (…) est de sortir d’un cercle d’initiés et de porter notre message plus largement”

Nous avons 380 sociétaires à Combrailles Durables, c’est très bien pour le soutien et pour la trésorerie ! Mais c’est aussi frustrant puisqu’il n’y a qu’une vingtaine d’actifs. Et l’écart se creuse : davantage de gens prennent des parts sans qu’il n’y ait plus de bénévoles. Nous devons travailler sur cette dynamique d’engagement dans nos scenari futurs.

Nelly (de dos en noir) fait visiter la haie fruitière multi-étagée de Loubeyrat, base de Combrailles Durable, à l’occasion de l’assemblée générale d’Enercoop AURA en juin 2022 / Crédit photo : Combrailles Durables (DR)

Justement, quels sont les axes de développement pour Combrailles Durables ?

Nous revoyons actuellement notre modèle autour de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération. C’est un concept qui n’est pas évident, mais en gros cela correspond à Michelin qui vend des kilomètres parcourus plutôt que des pneus, le tout avec une gouvernance partagée, une réflexion sur la répartition des gains…. Deux consultants nous accompagnent actuellement afin d’élaborer cinq scenari de développement pour la coopérative. Ils ont fait un diagnostic auprès des sociétaires actifs, des salariés mais aussi des partenaires et des élus.

“Nous revoyons actuellement notre modèle autour de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération”

Les scenari proposés sont en cours d’étude. Ils vont d’une assemblée de producteurs d’énergies renouvelables en Auvergne que l’on créerait et animerait, à la focalisation sur de très grosses centrales, en passant par la transformation en un bureau d’études. Un scénario nous imagine aussi dans un cadre bien plus large de Combrailles résilientes.

Lire l’entretien (2021) : Pour Combrailles Durables, « l’énergie est un sujet de prise de pouvoir par les territoires »

Comment la coopérative a-t-elle développé ses liens avec les autres associations des énergies renouvelables.

Nous participons déjà à des réunions informelles entre collectifs engagés : Com’Toit à Vichy, Toi&Toits dans le Livradois, Arverne Durable dans Mondarverne et Montcel Durable dans les Combrailles. Ce sont des temps d’échange très riches, et très sympathiques ! Nos ADN et nos analyses sont certes différents, parce que nos territoires le sont, mais nous avons énormément de sujets de réflexion en commun.

Actuellement, nous travaillons sur le sujet du réemploi des panneaux solaires, par exemple suite à un épisode de grêle. La technologie photovoltaïque avançant tellement vite, il est très compliqué de remplacer quelques panneaux sur une centrale. L’idée serait alors de favoriser un réseau d’occasion, national, de panneaux compatibles.

En juin 2022, Nelly a conclu et signé un partenariat entre Combrailles Durables et Enercoop, coopérative nationale et fournisseur d’électricité verte. A gauche, Vincent Jacques le Seigneur, président d’Enercoop AURA / Crédit photo : Combrailles Durables (DR)

Autre sujet technique : le photovoltaïque au sol, sur des terrains délaissés. Nous souhaitons lancer des expérimentations depuis 2021, avec Enercoop Auvergne-Rhône-Alpes dont nous sommes membres. Cela va enfin se faire cette fin d’année ! Ce sera, pour commencer, à Saint-Amant-Tallende, Giat et Beauregard-Vendon. 

En fait, on aimerait faire bénéficier à nos partenaires plus jeunes de l’animation que vont générer ces projets. Dans le cas de St Amand Tallende par exemple, nous faisons en sorte de bien associer Arverne Durable pour que les gens, sur leur territoire, aillent vers eux. C’était d’ailleurs un des sujets évoqués à Bordeaux : comment ne pas être en dissonance avec nos valeurs de co-construction, de transparence et d’Economie Sociale et Solidaire, dans un monde concurrentiel.

Voir le reportage : Arverne Durable, ou comment naît un collectif citoyen

Du côté de l’ADEME, tu travailles sur la chaleur renouvelable…

En effet, j’aide les entreprises, collectivités, bailleurs, associations, … à mener à bien leurs projets locaux en bois-énergie, mais aussi en géothermie, chaleur fatale, solaire thermique, et enfin les réseaux de chaleur qui véhiculent l’énergie produite. Suivant la technologie, je travaille sur les grands dossiers d’infrastructures et d’équipement dès l’amont, je déploie des partenariats avec les collectivités qui s’engagent pour accompagner les projets, j’oriente vers des collègues experts…. Enfin, je fais de l’animation de réseau.

“Mon objectif est de massifier la chaleur renouvelable sur les territoires”

Mon objectif est de massifier la chaleur renouvelable sur les territoires. Pour cela, je dois soutenir les acteurs locaux à tous les stades et pour tous leurs besoins : techniques, financiers, juridiques, ou en accompagnement de projets. L’ADEME dispose du “fonds chaleur” qui est très bien doté financièrement pour cela, mais pour lequel il faut rentrer dans les cases. Il permet néanmoins d’être créatif, comme pour le réseau de chaleur d’Issoire qui valorise à la fois du bois-énergie et la chaleur fatale issue de l’usine Constellium.

Quelle est la stratégie de l’ADEME en matière de transition énergétique ?

L’ADEME s’occupe beaucoup d’énergie, d’alimentation, d’économie circulaire et de mobilité… mais peu d’eau ou de biodiversité. Dans tous ces domaines, l’angle de la sobriété transparaît de plus en plus, depuis la guerre en Ukraine notamment. Même si la définition n’est pas toujours la bonne ! Selon moi, il s’agit de réfléchir à nos comportements, et de vérifier que nos usages sont vraiment utiles et indispensables. Si j’illustre avec l’éclairage : d’abord on envisage d’éteindre la lumière, puis de changer l’ampoule pour plus d’efficacité, puis – seulement – de recourir aux énergies renouvelables.

“L’angle de la sobriété transparaît de plus en plus [à l’ADEME].”

Avec l’inflation et le changement climatique qui se ressent de plus en plus, les gens ont compris qu’il fallait faire des économies. Mais il faut aussi insister sur l’intérêt de prendre du recul sur nos comportements, sans se contenter de “changer le carburant” ! C’est à nous d’amener les gens vers cette logique. Cependant, on doit adapter notre discours, sans braquer personne. 

Au fond, là où je me sens la plus utile, c’est quand j’aide quelqu’un avec une bonne idée mais qui ne rentre pas dans les cases du dispositif d’aide financière.

Atelier “énergie Mix” animé par Nelly, debout à droite de l’écran, lors d’un séminaire à la direction régionale AURA de l’ADEME / Crédit photo : Anne-Sophie Banse, ADEME (DR)

Le bois-énergie est une ressource fréquemment évoquée dans le Massif Central, terre de forêts. Quel est son impact écologique réel ?

La combustion du bois brut, quelle que soit sa forme, émet du CO2 et des poussières. Ces dernières peuvent être minimisées quand on a un appareil de qualité, bien entretenu. Et, bien sûr, à condition de brûler du bois sec et non traité – pas le journal du matin ou la table Ikea brisée.

Du côté du CO2, il faut voir le bilan carbone du bois. On parle souvent de “neutralité”, puisque le carbone stocké par l’arbre dans son bois lors de la croissance risque d’être relâché à la combustion si on abime trop le sol lors de la récolte en forêt. Le problème, c’est la temporalité face à l’urgence climatique : la durée de croissance d’un arbre est souvent bien trop longue pour “compenser” !

“J’encourage à réfléchir à l’échelle non pas de l’arbre mais de la forêt.”

C’est pourquoi j’encourage à réfléchir à l’échelle non pas de l’arbre mais de la forêt. Quand on coupe un arbre, on ménage une place pour des arbres jeunes. A l’inverse, beaucoup d’arbres meurent naturellement et se décomposent en émettant du CO2. La question des itinéraires sylvicoles est centrale pour évaluer le bilan carbone du bois-énergie.

Ce bilan carbone est enfin très lié à l’usage de l’arbre coupé. Lorsqu’il est valorisé dans un usage où il pourra stocker longtemps le carbone (comme une charpente), brûler ses sous-produits pour se chauffer reste très vertueux ! En plus, il ne faut pas oublier qu’on utilise le bois à la place d’autre matériaux, qui eux, émettraient également du carbone lors de leur utilisation ou de leur fabrication (poutre en béton, chauffage fioul…).

Lire l’entretien (2021) : Guillaume David et les Communes Forestières, pour la valorisation des forêts et de la filière bois locale

Quels sont les différentes formes que prend le bois-énergie ?

D’abord, le bois déchiqueté est produit à partir de “plaquettes” forestières, ou de “connexes” de scierie. Ce sont le plus souvent des résidus issus de la fabrication du bois d’œuvre – les planches, les poutres… soit provenant d’éclaircies en forêt, soit de travaux en scierie. Ces plaquettes sont bien moins onéreuses à produire que du granulé et sont idéales pour des chaufferies de tailles moyennes et grosses ! 

De leur côté, les granulés ont une meilleure densité énergétique, mais leur fabrication est énergivore – il faut un séchoir et une presse, en plus du crible et du broyeur (aussi utilisés pour les plaquettes). Cependant, on peut stocker les granulés plus facilement, et même les souffler dans une chaudière de taille petite ou moyenne, ou dans un poêle de particulier.

Enfin, les bûches, que l’on connaît bien, sont généralement utilisées par les particuliers.

Un exemple de chaufferie bois-énergie “Modul’R” installé par la SCIC ERE43, en Haute-Loire / Crédit photo : ERE43 (DR)

La forêt française est-elle menacée par le chauffage au bois ?

Je ne pense pas. Nous bénéficions dans notre pays d’un Code Forestier très ancien, datant de Colbert. Il a rationalisé la gestion forestière afin de préserver des arbres pour ses bateaux de guerre et faire en sorte que les foyers français ne manquent jamais de bois de feu. Aujourd’hui, on peut certes voire des “coupes rases”, et celles-ci restent à éviter. Mais il ne faut pas les confondre avec des défrichements. 

Quand il s’agit de résineux, la plupart ont été plantés dans les années 50 et sont donc tous matures en même temps. Ainsi, en cas de coupe rase, soit ils sont arrivés à maturité, soit ils sont malades. La parcelle est ensuite obligatoirement reboisée, naturellement ou via un chantier de plantation. 

Ici, visite d’une “forêt école” à Villars de Lans au printemps 2023, avec des collègues de l’ADEME, de la DREAL, et du Conseil Régional, sous l’égide de l’ONF / Crédit photo : Combrailles Durables (DR)

Quand il s’agit de coupes rases de feuillus, ce sont des taillis. Quand on coupe un feuillu, s’il n’est pas trop vieux, il a la capacité de repartir vigoureusement de sa souche : les anciens procédaient ainsi pour s’approvisionner en bois de chauffage, ils coupaient – les chênes tous les 20 ans, les châtaigniers tous les 10 ou 15 ans – qui se régénéraient sur plusieurs générations.

Enfin, le Code forestier indique comment couper les arbres. D’autres labels y ajoutent des critères de gestion durable pour minimiser les impacts sur la biodiversité et les sols. Mais le souci est qu’il n’y a rien qui interdit que cet arbre, une fois coupé, soit transporté au bout du monde pour être scié ! Et, dans ce cas, on peut dire adieu aux “connexes” qui servent pour le bois-énergie. Cela dit, on ne coupe jamais un arbre dans l’unique but d’en faire du bois de chauffage dans un réseau collectif.

Lire l’entretien : Le potentiel social et écologique des mini-forêts urbaines vu par My Forêt

On parle beaucoup des réseaux de chaleur qui occasionnent de vastes travaux, par exemple à Clermont. De quand date l’idée ?

La première “vague” des réseaux de chaleur urbains remonte aux années 1970, suite aux chocs pétroliers. On en a déployé plusieurs dans des quartiers d’habitat social, notamment – je pense aux quartiers Sud de Moulins. C’était des dispositifs souvent à base d’eau surchauffée générée par des énergies fossiles.

Puis… plus rien pendant une trentaine d’années. Jusqu’en 2009 où le Fonds chaleur est créé pour accélérer de nouveaux projets, à l’échelle nationale. Il s’avère alors que les réseaux de chaleur sont très pertinents pour transporter la chaleur renouvelable en zone urbaine. Ils permettent aussi de mutualiser les coûts autour d’une seule chaufferie, souvent avec un opérateur unique.

“Les réseaux de chaleur sont très faciles et peu coûteux à entretenir”

On essaye aussi d’optimiser les puissances installées, par exemple en connectant au réseau de chaleur une école et une résidence HLM. La première consommera l’énergie en semaine et en journée, la seconde en soirée et le week-end.

Les obstacles principaux, ce sont les investissements qui sont élevés, le foncier qu’il faut trouver pour implanter la chaufferie et les travaux qui génèrent des nuisances pendant quelques mois. Cependant, une fois cette étape passée, les réseaux de chaleur sont très faciles et peu coûteux à entretenir, et ils ne dépendent pas des variations du coût d’une énergie s’il s’agit de chaleur renouvelable. Cela dépend des projets mais peut estimer que 80% du coût d’un réseau de chaleur renouvelable réside dans l’investissement de départ, et seulement 15% dans le combustible à acheter chaque année et 5% dans la maintenance. Par comparaison, un réseau à base de gaz sera dépendant à 85% du prix de l’hydrocarbure, qui est très volatil.

Qu’appelle-on “chaleur fatale” ?

C’est le potentiel de chaleur produite par des sites industriels notamment, et il peut être énorme ! La problématique est celle de l’éloignement du site – pas toujours proche des agglomérations – et de la temporalité de fonctionnement. Pour faire simple, les usines ne génèrent pas toujours de la chaleur au moment où les usagers en ont besoin.

Mais on les développe, en France, depuis six ans. A Clermont, c’est la chaleur fatale issue de l’incinérateur de déchets ménagers du Valtom qui va alimenter le réseau en cours de construction. Elle était déjà partiellement valorisée en électricité, faisant tourner une turbine, mais on peut faire les deux. 

Tu as aussi évoqué la géothermie, qui est souvent un sujet de controverse…

La géothermie regroupe deux grandes catégories de projets. D’une part, la géothermie profonde dépend beaucoup de la configuration du sous-sol. Dans la Limagne, comme dans la vallée du Rhône ou du Rhin, nous avons un fossé d’effondrement. C’est très différent du bassin parisien ou de l’Aquitaine, qui sont un empilement de strates sédimentaires étanches. 

Dans ces derniers, l’eau chaude (85 degrés) n’est qu’à 1500 mètres de profondeur. Alors qu’en Limagne, il faudrait forer sur 3 ou 4 kilomètres pour atteindre cette température ! La géothermie profonde a donc été déployée en Alsace et en Allemagne, et ça fonctionne très bien en termes de production d’énergie. Mais il y a eu des tremblements de terre, et les projets ont été arrêtés. Près de chez nous, des études sont en cours en Creuse et dans la vallée de la Sioule.

Nelly visite ici une installation en géothermie assisté par pompe à chaleur à Grenoble, en mars 2023, avec le réseau des opérateurs de contrats chaleur renouvelable de l’ADEME AURA / Crédit photo : Lucas Venosino (DR)

Il y a aussi la géothermie de surface, assistée en pompe à chaleur. Ici, on cherche une chaleur tempérée et constante – 10 degrés, comme dans une cave – en forant dans les 200 premiers mètres du sol. La pompe à chaleur, par échange thermique et en utilisant les propriétés d’un fluide frigorigène qu’on compresse (comme un frigo), permet de multiplier l’énergie apportée par quatre ou cinq, à partir de 10 degrés ! Mais le compresseur nécessite de l’électricité pour fonctionner et ces performances sont atteintes dans certaines conditions seulement : ce n’est pas une solution miracle, j’insiste là-dessus.

Les sujets que tu traites, comme beaucoup de projets d’énergie renouvelable, font-ils l’objet de controverses ?

C’est effectivement le cas pour la géothermie, tout comme le bois énergie, le photovoltaïque ou les éoliennes. Pourquoi ? Les questions sur l’impact sont tout à fait légitimes. Mais il y a aussi beaucoup d’idées reçues, et de peurs. Ces sources d’énergie sont souvent des sujets très techniques. Et, quand on ne connaît pas, on a peur, peur de ne pas contrôler par exemple… 

D’où l’intérêt de monter des projets citoyens, les plus larges possibles. C’est, à mon sens, le meilleur moyen pour permettre à tous ceux qui le souhaitent de s’approprier le sujet et minimiser les impacts en participant aux décisions.

Contenus complémentaires proposés par Nelly :
Pour comprendre – Le livre Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce de Corinne Morel-Darleux
Pour agir – “S’informer pour lutter contre les idées reçues” et “s’investir dans des actions qui nous parlent” en rejoignant Combrailles Durables

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Propos recueillis le 30 mai 2023, mis en forme pour plus de clarté et relus et corrigés par Nelly. Crédit photo de Une : Damien Caillard, Tikographie