Guillaume David et les Communes Forestières, pour la valorisation des forêts et de la filière bois locale

A la coordination des Communes Forestières pour le Puy-de-Dôme, Guillaume David accompagne élus et communes dans les méandres juridiques et sociétaux de la gestion forestière.


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Pourquoi cet article ?

J’avais rencontré Dominique Jarlier en juin dernier dans le cadre de plusieurs entretiens réalisés dans le Sancy. Or, Dominique est – outre maire de Rochefort-Montagne – président du regroupement national des Communes Forestières, réseau d’associations départementales qui aident à valoriser les sections publiques forestières.

Par la suite, j’ai pu rencontrer Guillaume David, référent territorial Puy-de-Dôme pour l’association. Il a partagé avec moi sa vision de la problématique juridique et économique des territoires du Massif Central face à la gestion forestière et à l’évolution réglementaire. En effet, les communes dont la forêt représente une grande part de leur territoire doivent faire face à des contraintes organisationnelles croissantes depuis plusieurs lois, en 2013 et en 2019.

Enfin, les enjeux économiques (sur la filière bois et la certification locale) et environnementaux ont été évoqués, en lien direct avec le rôle des communes dont les élus sont à la fois prescripteurs et facilitateurs.

Damien

Les principaux points à retenir

  1. Dans le Massif Central, le foncier forestier est assez complexe : les parcelles sont petites et dispersées. Dans le Puy-de-Dôme, 15% d’entre elles appartiennent aux communes : on parle de forêts sectionales (sections forestières). Elles sont soumises à la règlementation de l’Etat qui a évolué en 2013 et 2019, et gérées – sur le terrain – par l’ONF, notamment pour l’entretien et l’exploitation forestière.
  2. Beaucoup de ces communes rurales font donc face à une complexification réglementaire dans la gouvernance de ces sections forestières. Traditionnellement, une section est reliée à un hameau, dont les habitants participent aux décisions portant sur la forêt. La loi de 2013 a instauré la personnalisation morale de chaque section, et un seuil de participation des habitants avec un rôle du conseil municipal. En 2019, le législateur a écarté les habitants de la gestion sectionale. Les élus locaux se retrouvent donc en première ligne, et parfois au coeur de conflits locaux.
  3. Une des solutions réside dans le syndicat mixte de gestion forestière [SMGF], structure transversale autorisée à partir de 100 hectares de forêt communale et permettant une gestion globalisée et « optimisée » des sections. C’est aussi un moyen de décharger les élus puisque c’est le président du Syndicat et son équipe qui la prennent en charge.
  4. Les Communes Forestières, association d’élus présente partout en France avec des déclinaisons locales, a pour rôle d’accompagner ces élus dans les choix organisationnels et juridiques, et, le cas échéant, dans la mise en place de ces structures syndicales mixtes. On trouve ainsi 37 SMGF dans le Puy-de-Dôme. Plus globalement, les Communes Forestières représentent les élus face à l’administration publique et à l’ONF, en local comme au national.
  5. La valorisation de la forêt passe d’abord par une exploitation raisonnée dans le cadre de la filière bois, et, marginalement, d’un usage agricole. La forêt a également une valeur énorme en terme environnemental (tempérance du climat local, maintien des sols, absorption de l’eau, biodiversité …) mais aussi touristique ou sociétal (cadre de vie, paysages). La gestion active de la forêt, avec une prise en compte de l’ensemble de sa valeur ajoutée, devient une réalité pour toutes les parties prenantes.
  6. Le rôle de l’élu local, selon Guillaume David, référent territorial Puy-de-Dôme pour les Communes Forestières, est donc capital : facilitateur, sensibilisateur, il est aussi prescripteur de l’utilisation du bois pour la construction, le chauffage (notamment via les réseaux de chaleur) ou les autres industries et usages de la filière – papier, méthanisation … à travers les marchés publics.
  7. Les Communes Forestières souhaitent également renforcer la filière bois, en particulier dans le Massif Central. Pour cela, elles ont mis en place une Certification Bois Territoires du Massif Central qui vise à faire dialoguer les acteurs de la filière, renforcer les coopérations, et permettre une réponse coordonnée et efficace aux marchés publics. Guillaume David souhaiterait même que la filière bois devienne stratégique au niveau national.
  8. En termes écologiques, Guillaume insiste sur la variabilité de la forêt dans son absorption du carbone (selon le cycle de vie de l’arbre), et donc de l’intérêt d’une exploitation intelligente afin de relancer régulièrement des cycles de pousse. Dans cette logique, l’usage « bois matériau » sera le plus vertueux, évitant de relâcher le CO2 stocké dans les fibres. Plus globalement, les forêts diversifiées en termes d’essences sont beaucoup plus résilientes face au dérèglement climatique et aux parasites qu’il facilite.
  9. La problématique du changement climatique dans la forêt semble résider dans sa vitesse : pour que les arbres s’adaptent, une intervention humaine est désormais nécessaire. Il y a encore beaucoup d’incertitudes, mais cela passera par une diversification (et donc la fin des « forêts plantation ») mais aussi dans la préparation au risque de feu de forêt, globalement inconnu en Auvergne. Si les élus sont sensibles à ces enjeux environnementaux, et même volontaristes, reste la question de la participation des habitants.

L’intervenant : Guillaume David

Chargé de mission territorial Puy-de-Dôme et référent régional foncier pour les Communes Forestières


De formation ingénieur forestier à Nancy, Guillaume a travaillé pour les Communes Forestières d’abord en Lorraine en tant que formateur auprès des élus.

En 2015, il s’installe dans le Puy-de-Dôme, en tant que référent foncier. Puis il devient (à mi-temps) chargé de mission territorial pour notre département.

Contacter Guillaume par courrier électronique : puydedome [chez] communesforestieres.org

La structure : les Communes Forestières du Puy-de-Dôme

Association accompagnant les communes rurales dans la valorisation de leurs forêts par des approches juridiques, organisationnelles et économiques


Les Communes Forestières sont la plus ancienne association d’élus de France. Initiée en 1933 dans l’Est du pays, l’association regroupait des représentants de parcelles forestières à propriété communale. Elle a évolué en parallèle, presque en miroir, de l’ONF (Office National des Forêts), anciennes « Eaux et Forêts » qui représentait l’Etat, ainsi que des réseaux de propriétaires fonciers privés.

Aujourd’hui, le réseau des Communes Forestières (de nombreuses associations locales, départementales ou régionales sur toute la France) accompagne les élus de communes rurales dans la valorisation des sections communales forestières. S’il ne s’agit pas de gestion opérationnelle (confiée à l’ONF), le soutien porte sur les problématiques économiques – filière bois, certification – organisationnelles et juridiques – montage de syndicats mixtes de gestion forestière.

L’association propose aussi de nombreuses prestations de sensibilisation, de formation, et de mise en relation. Elle souhaite notamment faire dialoguer les différentes parties prenantes dans la filière bois, acteurs privés ou publics, et ce dans la prise en compte des enjeux environnementaux de la forêt face au changement climatique.

Elle représente aussi les communes rurales concernées au niveau national, dans leurs relations avec les ministères et l’ONF. D’ailleurs, le président national des Communes Forestières est Dominique Jarlier, maire de Rochefort-Montagne dans le Puy-de-Dôme.

Enfin, l’association a développé la Certification Bois Territoires du Massif Central, dans le but de faciliter l’accès des entreprises locales de la filière bois aux marchés publics, mais aussi de les regrouper dans une logique d’optimisation et de prospective.

Voir le site web des Communes Forestières Auvergne-Rhône-Alpes

Crédit visuel : Communes Forestières (DR)


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Comment est caractérisée la forêt dans le Massif Central ?

Le premier point concerne le morcellement du foncier : les propriétés sont multiples, souvent de petite taille et constituées de parcelles non mitoyennes. Cela rend complexe la promotion de la “gestion forestière” pour les propriétaires comme pour les communes. Par exemple, sur une commune rurale type, on peut avoir 25 sections forestières différentes. Pourtant, l’accès à ces parcelles se fait sans difficulté !

Sur une commune rurale type, on peut avoir 25 sections forestières différentes.

Cela s’explique pour partie ainsi : le Massif Central est composé de nombreuses forêts récentes, issues de campagnes de boisement au XIXème et XXème siècles (comme avec le boisement dans la chaîne des Puys d’anciens pâturages). Là, du foncier agricole – souvent morcelé – est devenu forestier.

Enfin, en termes de type de propriété dans le Puy-de-Dôme, les communes sont propriétaires de 15% de l’espace forestier.

Dans la Chaîne des Puys, de nombreux flancs de volcans ont été reboisés totalement ou partiellement au XIXème siècle / Crédit photo : G. David, Communes Forestières (DR)

Tu évoques le sujet des sections forestières, de quoi s’agit-il ?

La section est une partie d’une commune avec des biens ou des droits en propre. En simplifiant, c’est une communauté dont les membres sont souvent les habitants d’un hameau. La section dispose de règles spécifiques de gestion, et les décisions la concernant sont partagées entre les habitants et le conseil municipal.

La section, pour simplifier, est une communauté dont les membres sont souvent les habitants d’un hameau.

On constate que les parcelles forestières sectionales sont plus complexes à gérer. Principalement parce que les sections sont, depuis la loi du 27 mai 2013, reconnues comme personnes morales de droit public qui bénéficient notamment de l’ensemble des recettes liées à la gestion de biens sectionaux. C’est aussi une entité qui vient enrichir le millefeuille administratif ! De plus, il est souvent difficile de délimiter une section ; son assise est déterminée si nécessaire selon les us et coutumes … Tout cela peut générer des conflits potentiels.

Lire l’entretien : co-construire démocratiquement les politiques publiques, selon Geoffrey Volat

Comment les communes réagissent-elles par rapport aux sections forestières ?

En Auvergne, le fonctionnement des sections fait que les conseils municipaux sont appelés à se prononcer sur des biens qui ne leur appartiennent pas en direct. Cela n’aide pas à les mobiliser … Certains vont même jusqu’à supprimer les sections, quand d’autres souhaitent les développer.

Une solution intermédiaire réside dans le Syndicat Mixte de Gestion forestière : il y en a 37 sur le Puy-de-Dôme, et ils regroupent des communes et des sections (en tant que personnes morales). C’est, selon moi, un système plus représentatif et égalitaire, qui implique davantage les habitants dans la gestion de leur forêt.

En complément : François Bonjean, sur la loi de 2013 et les sections forestières

François Bonjean est élu à Orcines, adjoint au maire Jean-Marc Morvan, mais aussi membre du Conseil d’Administration des Communes Forestières du Puy-de-Dôme.

« Cette loi, qui a donné la personnalité morale aux sections forestières, ne clarifie pas vraiment les choses selon moi. Le but de l’Etat était de redonner la main aux communes sur les sections, notamment en offrant la possibilité de « communaliser » les sections, de les mettre en gestion directe par la commune.

Le souci, c’est que chacun définit encore sa stratégie selon son territoire. Historiquement, ce sont les habitants des villages, des hameaux auxquels sont rattachés les sections forestières, qui ont les droits – mais pas à titre personnel. D’une part, quand il n’y a pas assez de monde dans un hameau pour constituer un « comité de section », la mairie en récupère de facto la gestion. Ensuite, on se rend compte que cela peut fonctionner en zone rurale, mais pas en péri-urbain comme à Orcines : ici, les « néo-ruraux » qui sont nombreux à s’installer, ne s’impliquent pas dans la gestion du territoire.

Les Communes Forestières sont là pour accompagner sur le conseil organisationnel ou juridique, par exemple dans l’établissement d’un Syndicat mixte de gestion forestière. Egalement sur de la formation des élus, de la sensibilisation … et leur représentation nationale. Pour la gestion forestière « de terrain », c’est surtout l’ONF qui agit.

A noter le rôle de Dominique Jarlier, maire de Rochefort-Montagne et président des Communes Forestières au national : c’est un vrai atout pour le Puy-de-Dôme que quelqu’un comme lui puisse nous représenter auprès des acteurs nationaux, notamment l’ONF. »

Entretien téléphonique du 15 octobre 2021

Quel est le travail réalisé par les Communes Forestières sur la valorisation des forêts communales ?

Déjà, nous faisons le recensement des parcelles sectionales et communales – un gros travail ! – en indiquant notamment si leur orientation est agricole ou forestière. Dans le second cas, les règles du régime forestier mis en œuvre par l’ONF [Office National des Forêts] s’appliqueront généralement.

Mais notre activité consiste surtout à accompagner les communes dans la valorisation de leur patrimoine boisé. C’est une approche transversale de gestion forestière, qui cherche à réduire les délaissés trop souvent observés (sauf quand il s’agit d’un choix délibéré).

Réunion de travail avec les élus locaux du Monestier, coordonnée par les Communes Forestières / Crédit photo : G. David, Communes Forestières (DR)

D’une manière générale, en forêt communale ou sectionale, nous pouvons dire que nous représentons les communes face à l’administration publique, en l’occurrence l’ONF. D’abord développé en ce sens, notre réseau d’associations était historiquement un regroupement des grands propriétaires forestiers publics. Avec le développement de nouvelles activités en lien avec la forêt et le bois, il est devenu un réseau de soutien aux collectivités territoriales.

Comment peut-on valoriser la forêt publique, aujourd’hui ?

La forêt a bien sûr une valeur économique : elle produit du bois, qui part dans une filière transformative et répond à plusieurs usages. Elle peut aussi avoir un rôle agricole, dans une moindre mesure.

Notre activité consiste surtout à accompagner les communes dans la valorisation de leur patrimoine boisé.

En termes d’environnement, on connaît les apports des forêts en termes d’hébergement de la biodiversité, de tempérance climatique, de maintien des sols … mais il faut le voir aussi par le prisme du patrimoine commun et du paysage.

Enfin, la forêt permet de faire du lien social, de développer le tourisme, et améliore le cadre de vie.

En complément : trois retours d’élus de communes rurales du Livradois sur les Syndicats Mixtes de Gestion Forestière

POUR : Jean-François Gagnaire, adjoint au maire de Saint-Anthème

« Nous travaillons avec les Communes Forestières pour créer notre Syndicat mixte de gestion forestière. Leur aide est nécessaire pour ce montage, juridiquement complexe. Ils ont l’expérience d’avoir monté plusieurs syndicats de ce type sur le département.

En fait, il y a une loi qui est passée en catimini fin 2019 sur la répartition des membres d’un SMGF [Syndicat Mixte de Gestion Forestière] : avant, les habitants des hameaux pouvaient siéger aux comités de section. C’était une bonne chose pour les impliquer – car ils sont directement concernés – et cela déchargeait le conseil municipal. Aujourd’hui, le législateur exige qu’il n’y ait que des élus locaux … nous essayons de faire évoluer cette réglementation auprès du ministère, grâce à l’appui des Communes Forestières, mais c’est compliqué.

Néanmoins, nous maintenons notre projet de Syndicat : la gestion de biens de section est très complexe, et une telle structure permet d’en optimiser la valorisation et d’avoir une approche transverse.3

Entretien téléphonique du 15 octobre 2021


CONTRE : Jean-Pierre Genestier, maire de Chambon-sur-Dolore

« Notre commune dispose de dix sections forestières, gérées par l’ONF. Nous avons choisi de les garder en gestion individuelle, sans avoir recours au syndicat mixte. Personnellement, je trouve cela plus lisible, de différencier la gestion des sections en fonction de leurs spécificités.

Notre problème est néanmoins celui observé ailleurs sur le territoire : une commission sectionale par hameau, et pas toujours suffisamment d’habitants (le seuil étant à 25) pour y siéger …

Néanmoins, nous sommes fiers d’avoir cette approche qui porte ses fruits : nous venons d’obtenir, pour une de nos sections forestières, le « Sylvotrophée » 2021 décerné par le Parc Naturel Régional du Livradois-Forez ! »

Entretien téléphonique du 15 octobre 2021


POUR : Jean-Luc Bayle, président du Syndicat mixte de gestion forestière de Marsac-en-Livradois

« Notre syndicat concerne neuf sections forestières sur la commune. En tant que président, et avec l’aide d’une secrétaire, nous déchargeons les élus de la commune de la gestion forestière. Mais nous permettons aussi d’optimiser la valorisation des parcelles publiques, par exemple en réalisant des ventes [de bois] groupées : cela évite de faire des coupes isolées, par sections.

Dans le département, il n’y a que 36 Syndicats Mixtes de ce type : c’est relativement peu. Cela dit, le seuil plancher est de 100 hectares de sections, et il y a encore un vrai travail de sensibilisation à effectuer.

Les Communes Forestières nous aident dans ce cadre, mais aussi pour échanger avec tous les acteurs de la filière bois, évoquer les tarifs, parler des meilleures méthodes de débardage ou d’abbatage … »

Entretien téléphonique du 15 octobre 2021

N’est-il pas plus intéressant de laisser la forêt à la nature, sans aucune gestion ?

Non, pour des raisons de valorisation à destination des habitants ou des communes, mais aussi parce que la forêt a besoin d’être gérée pour s’adapter au changement climatique.

En outre, les nombreuses forêts plantées après-guerre, notamment dans le Massif Central, arrivent maintenant en phase de récolte. Les propriétaires s’intéressent de plus en plus à la gestion transversale, et comprennent la notion de “valeur ajoutée globale” de la forêt. Ils voient l’usage de leurs parcelles, et les projettent même dans l’avenir.

Les propriétaires s’intéressent de plus en plus à (…) la notion de “valeur ajoutée globale” de la forêt.

Ce sont des sujets que l’on aborde de plus en plus souvent avec les acteurs du monde agricole, comme les Chambres d’Agriculture, les SAFER … on parle ici de gestion des milieux, de paysages. Alors qu’avant, c’était juste une question d’occupation d’espace.

Lire l’entretien avec Charles-Etienne Dupont : « travailler la forêt, injecter de la naturalité »

Est-ce un sujet clivant selon toi ?

Je préciserais que l’on entend souvent des gens opposés aux coupes rases. Mais, derrière, cela ne veut pas dire qu’ils sont vent debout contre toute forme de gestion forestière. Certes, ils peuvent vouloir un mode de gestion moins axé sur l’exploitation économique. Mais dans tous les cas, la non-intervention n’est pas une stratégie viable, sauf dans des cas très spécifiques.

A l’inverse, il faut se méfier des messages simplistes notamment pour compenser des émissions carbone : “je donne un euro, je plante un arbre”. C’est très variable selon les modes de gestion et les espèces plantées. D’une manière générale, on peut se passer de la “coupe rase – plantation” en forêt !

Pour la gestion forestière de terrain, ce sont les règles de l’ONF qui s’appliquent (sur les sections communales donc publiques) / Crédit photo : G. David, Communes Forestières (DR)

L’apport économique principal réside dans le bois. Quels sont les débouchés d’une forêt en termes de matériau ?

Dans un arbre, le tronc sera principalement utilisé pour un usage “noble” du bois, qui sera le plus rémunérateur – menuiserie, matériau de construction. Le haut de l’arbre partira sur du bois énergie, avec les petits arbres plus jeunes. Enfin, les “chutes” de la découpe principale pourront par exemple être broyées et servir à la fabrication de papier ou de carton, voire maintenant un peu en méthanisation.

On peut regretter que la filière bois ne soit pas un “secteur stratégique” en France.

Le bois énergie est un usage à la fois ancien, avec les cheminées et les poêles, et moderne, avec les réseaux de chaleur qui se multiplient. Les maires des communes concernées sont généralement prescripteurs de cet usage, avec le bois matériau.

Comment se structure la filière bois dans le Massif Central ?

Dans l’industrie, les sites de broyage se concentrent de plus en plus, et ont tendance à se délocaliser. C’est dommage, car il y a un impact économique et écologique – lié au transport – négatif. En revanche, les chaufferies bois sont forcément locales,.

Les petites scieries sont davantage préservées sur le Massif Central, mais de gros acteurs sont en train d’arriver, avec de vraies capacités de recherche et développement. Cela peut déséquilibrer le marché à l’avenir.

Un des principaux objectifs des Communes Forestières, mais aussi de la Certification Bois du Massif Central, est de faire dialoguer les acteurs de toute la filière bois, y compris avec les élus locaux. Ici, rencontre de ces derniers avec des représentants de l’ONF à Sauvagnat-près-Herment / Crédit photo : G. David, Communes Forestières (DR)

Globalement, on peut regretter que la filière bois ne soit pas un “secteur stratégique” en France. Pourtant, cela représente un tiers du territoire national ! Le plan de Relance essaye de corriger cela, mais c’est plus du rattrapage, et je ne vois pas d’anticipation. La filière est encore trop atomisée, nous n’avons pas la force d’une structure type FNSEA pour la défendre.

Sans parler des coupes claires dans le budget de l’ONF, que nous dénonçons dans une lettre ouverte sur notre site. Près de 30 millions d’euros de frais de fonctionnement sur 3 ans seront à la charge des communes et non plus de l’Etat ! Cela montre qu’on est dans une logique comptable et non pas stratégique.

En revanche, une initiative locale intéressante réside dans la Certification Bois du Massif Central

Oui, il s’agit d’une volonté de certification non seulement du bois produit mais surtout de la filière. Le but est de pousser à l’utilisation du bois local dans la construction. Le principe est né en 2013, suite aux Assises de la forêt du Massif Central. La problématique était que les marchés publics ne permettent pas d’inclure un critère “bois local”, non conforme avec les règles européennes.

La Certification Bois du Massif Central est surtout une volonté de certification de la filière.

Notre solution était de recourir à une certification de traçabilité du bois, “du Massif Central ou équivalent”. L’avantage est que cette traçabilité permet d’étendre le label aux entreprises de la filière, dans une logique de développement d’une économie circulaire de proximité. L’échelle du Massif Central nous semblait cohérente pour cela.

La certification Bois des territoires du Massif Central est donc une réalité depuis 2017. La certification est gérée par une association dédiée, ici même, à Lempdes – en concertation avec des industriels, des architectes, et des acteurs du territoire et de la filière bien sûr, dont les Communes forestières.

En complément : Marie Forêt, qui a œuvré à la mise en place de la Certification entre 2015 et 2019

Marie est consultante en stratégie d’entreprise, spécialiste biodiversité et RSE. De 2015 à 2019, elle était déléguée générale pour le Massif Central au sein des Communes Forestières.

« L’idée était de reconnecter les maillons de la filière bois, de réactiver des échanges transverses entre entreprises de la filière et ‘consommateurs’ du bois. Mais l’initiative vient des acteurs politiques : dans le cadre des commandes publiques, les règles européennes interdisent d’inclure un critère de provenance des matériaux. En revanche, il est possible d’exiger des caractéristiques techniques.

La certification Bois du Massif Central est donc un moyen de garantir ces caractéristiques techniques, et donc de faciliter l’obtention de marchés publics pour les entreprises adhérentes. En effet, tous les justificatifs sont déjà produits en amont de par la Certification.

Mais il y a d’autres avantages pour les entreprises comme pour le territoire : accès à davantage de marchés, échanges avec les acteurs de la filière, meilleure compréhension des besoins, mutualisation et optimisation potentielles … et, globalement, davantage de sens et meilleure image puisqu’on valorise le bois local. Je dirais même qu’il s’agit d’un outil pour réfléchir collectivement de manière prospective, afin de ne plus subir (ou moins subir) les aléas du marché.

La mise en place de cette Certification s’est faite depuis 2014, de manière opérationnelle. Néanmoins, aujourd’hui, il est encore nécessaire de la faire connaître : les collectivités locales n’ont pas toutes conscience de la possibilité d’exiger ce type de bois dans leurs appels d’offres. C’est le rôle des Communes Forestières que d’accompagner et de sensibiliser du côté des acteurs publics, mais aussi du côté des entreprises certifiées. »

Echange téléphonique du 15 octobre 2021

Si l’on parle du rôle de la forêt face au dérèglement climatique, sa capacité de stockage de carbone est-elle en croissance ?

En France, la forêt est en croissance. Cela veut dire que le CO2 émis par nos activités est en partie capturé par les nouveaux arbres. Peut-on parler de “puits de carbone” dans ce cas ? Il me semble que c’est plutôt un moyen d’équilibrer émissions et captation.

La clé de résistance, de résilience, d’une forêt est dans la diversité de ses essences.

N’oublions pas qu’un arbre est un être vivant : il grandira vite, puis stagnera. C’est pour cela qu’une forêt avec des récoltes régulières captera plus de CO2, car les arbres seront souvent jeunes, avec une croissance rapide.

Enfin, l’idéal pour l’usage du bois récolté est bien sûr – dans cette logique – le bois matériau, qui ne sera pas brûlé. Aujourd’hui, sur la construction bois, tous les indicateurs nationaux et mondiaux sont bons, dopés par la reprise américaine, allemande ou scandinave.

Les sections forestières sont traditionnellement rattachés aux hameaux composant la commune. Leurs habitants étaient, jusqu’en 2020, appelés à siéger aux comités de sections / Crédit photo : G. David, Communes Forestières (DR)

Comment la forêt du Massif Central se comporte-t-elle face au changement climatique ?

La clé de résistance, de résilience, d’une forêt est dans la diversité de ses essences. C’est pour cela que nous ne sommes pas en faveur des “plantations” d’arbres tous identiques. On risque de le comprendre bientôt sur le douglas, star des champs d’arbres : son dépérissement commence tout juste, et il y a un vrai risque de diffusion de parasites impactants, à terme.

De plus, si on se spécialise, on ne sait plus s’adapter aux évolutions économiques, et on subit le marché. En France, la forêt est composée à 50% de feuillus, mais 90% des récoltes sont des résineux ! On se prive donc d’une bonne partie de la ressource. C’est dommage pour la valorisation des territoires.

Lire l’entretien : le changement climatique dans le Massif Central, suivi par Vincent Cailliez

Quelles contraintes environnementales vois-tu arriver pour demain, concernant la forêt ?

La cause principale des problèmes est le dépérissement des arbres dû aux parasites, le dérèglement climatique favorisant ces derniers tout en fragilisant les arbres. En aval, tous les “aléas” seront impactés, comme la formation d’embâcles (arbres entraînés par les rivières lors de pluies intenses), ou la perte de stabilité du sol à cause du manque de racines et de couvert forestier.

Un des problèmes importants dans le Massif Central pourra être les feux de forêts, que nous ne connaissons pas ou très peu aujourd’hui. Des arbres morts au sol représentent un combustible important, et des troncs à gros diamètre peuvent monter haut en température lors d’un incendie.

Une voirie entretenue et étendue est un critère capital pour la valorisation de la forêt, notamment pour faciliter l’entretien, l’abattage et le débardage. Mais elle est aussi indispensable en cas de feu de forêt, pour l’intervention rapide des pompiers et, le cas échéant, l’évacuation des habitants / Crédit photo : G. David, Communes Forestières (DR)

Il faudra prendre en compte ce nouvel aléa dans les révisions de Plans Locaux d’Urbanisme, imaginer des “zones tampon” en périphérie des villages et agglomérations, débroussailler peut-être … et adapter les tactiques de luttes des pompiers et les réseaux de surveillance de départs de feux.

Tu évoquais le problème de temporalité du changement climatique …

La question est dans l’adaptation. Les enjeux du changement climatique sont connus, mais il faut sensibiliser les acteurs du territoire au rôle de la forêt et à sa résilience. Problème : le délai d’adaptation des arbres est généralement long. On ne peut pas faire comme en agriculture, avec des changements de cultures planifiés sur 5 ou 10 ans !

Le changement climatique va trop vite pour l’adaptation naturelle des forêts.

Pour résumer, le changement climatique va trop vite pour l’adaptation naturelle des forêts. Quand on plante ou quand on gère une forêt, on voit à 100 ans … sauf que, aujourd’hui, on ne sait pas quel sera le climat local dans 100 ans. La seule certitude est que la diversification des espèces est un facteur de résilience.

Lire l’entretien avec Pierre Gérard : « s’inspirer de la forêt pour trouver des solutions inédites en entreprise »

Observes-tu des stratégies forestières territoriales intéressantes ?

Face à ces nombreuses incertitudes dans l’avenir de la forêt, certains élus – par exemple dans l’arc méditerranéen – commencent à baisser les bras, et à convertir des parcelles boisées en champs d’éoliennes ou de photovoltaïque. Heureusement, ce n’est pas le cas dans le Massif Central. Ici, de plus en plus d’élus s’opposent aux coupes rases et souhaitent démontrer qu’une autre gestion publique de la forêt est possible.

De plus en plus d’élus souhaitent démontrer qu’une autre gestion publique de la forêt est possible.

Globalement, les élus sont plus volontaristes, plus intéressés aux enjeux de la forêt. Ce sont eux qui choisissent leurs axes stratégiques et nous demandent ensuite d’intervenir, alors que c’était l’inverse vers 2010 avec les Chartes Forestières de territoires – les acteurs forestiers proposaient alors un “programme forêt-bois” aux élus.

En complément : Dominique Jarlier sur le rôle des élus dans la stratégie territoriale forestière

Dominique Jarlier est maire de Rochefort-Montagne et président national des Communes Forestières

« Le maire a un rôle capital d’aménageur pour sa commune, et donc de prescripteur pour la filière bois locale. Par exemple, à Rochefort-Montagne, nous avons fait réaliser le centre de tri postal en bois. Nous avons aussi un rôle de facilitateur, de médiateur avec la société et les acteurs locaux – notamment les agriculteurs, par exemple pour optimiser l’usage des délaissés. Et, bien sûr, la réglementation nous impose d’être acteurs de la prévention des risques et de respecter le régime forestier.

Nous avons aussi mis en oeuvre une démarche de sensibilisation à la gestion forestière et à ses enjeux environnementaux : à Rochefort, nous associons les enfants de petites classes la gestion forestière d’une parcelle communale ! C’est une démarche qui, effectuée durant la scolarité, permet de mieux comprendre l’impact du changement climatique sur nos forêts. »

Entretien du 16 juin 2021

La question est dans la participation des habitants. Elle est encore très variable, selon la politique sectionale notamment. C’est pour cela qu’il y a des initiatives citoyennes ou associatives qui émergent, comme on l’a vu avec le Budget Eco-citoyen du Puy-de-Dôme en 2020 : plusieurs projets lauréats étaient en lien avec la forêt. Cela permet aussi de sonder le positionnement des élus face à la gestion forestière, pour voir s’ils sont plus concernés par l’angle économique, écologique, social …

Pour aller plus loin (liens proposés par Guillaume) :
Comprendre – Le site questionsforet.com, très pédagogique pour comprendre la gestion forestière dans la région
Egalement le site de la FAO (Food and Agriculture Organisation), d’envergure mondiale, mais qui parle bien des enjeux forestiers et environnementaux
Information sur notre prochain événement

Propos recueillis le 31 août 2021, mis en forme pour plus de clarté puis relus et corrigé par Guillaume. Crédit photo de Une : éditeur