Depuis 2015, le parc des Volcans et le Département empruntent chaque été un troupeau au lycée agricole de Rochefort-Montagne. Mission : débroussailler quelques cratères, maintenir des paysages ouverts et expérimenter des pâturages. Petite visite au troupeau mobile.
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Mon ressenti
Un seul tout petit troupeau de mouton pour l’immensité de la chaîne des Puys, ça pourrait paraître dérisoire, ou tout au moins symbolique. Mais de la même façon que pour la trame de vieux bois “en face” dans le parc Livradois-Forez, comme je le racontais dans mon précédent article, cette initiative du parc des Volcans a moins vocation à tout transformer dans l’urgence, qu’à expérimenter, semer des petites graines et laisser germer dans la communauté des acteurs locaux.
La résilience du territoire, ce n’est pas forcément tout résoudre d’un coup. C’est aussi avoir des solutions sous le coude, des plans B dans notre organisation sociale, économique, écosystémique.
Même pour les moutons.
Et puis les ravas sont tellement photogéniques.
Marie-Pierre
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Tout cela à la Soirée Tiko 2024, jeudi 5 décembre à 18h à la Baie des Singes ! On s’y retrouve ?
En cette fin de matinée ensoleillée, le troupeau se serre sous le saule qu’il a élu pour parasol, au fond du cratère. Comme pour prouver que l’instinct grégaire des moutons n’est pas une réputation surfaite. Ou plus sûrement, pour ruminer son festin de la matinée et se reposer avant la séance de débroussaillage de l’après-midi.
Ces quatre-vingts brebis et quelques béliers sont en poste sur le puy de la Coquille depuis deux jours, après avoir accompli leurs premières missions sur la montagne de la Serre, puis sur les puys de Vichatel et de Chaumont. Ils ne portent pas l’uniforme du parc naturel des Volcans d’Auvergne ou le logo du Département, mais le mériteraient. Leur toison épaisse, leur nez busqué, la tête et les pattes tachetées de noir leur donnent tout de même clairement une identité locale, celle de la race rava.
Leur berger, Rémi, veille sur le troupeau, secondé par Ricky et Néo, deux chiens vifs et joueurs qui se coursent et se chamaillent sans arrêt, sauf quand Ricky est affairé à sa lubie d’enterrer le premier bâton qu’il trouve. Il faut dire que leur travail ne les occupe pas beaucoup, car les brebis sont douces et dociles, comme nous l’apprend Rémi, et le troupeau est tout petit par rapport à ceux des éleveurs du coin.
Des ravas tout terrain
Je leur rends visite en compagnie de Noélie, chargée de mission au parc des Volcans. Pour cela, il faut parcourir quelques kilomètres de chemins creux à partir du village de Beauregard (commune de Saint-Ours-les-Roches), puis entreprendre l’ascension du volcan sous les frondaisons de hêtres. Enfin, quitter le sentier balisé et redescendre à travers bois vers le fond de ce cratère peu marqué et en grande partie dissimulé par le couvert des arbres.
« Si on n’entretient pas la prairie, elle se referme naturellement. »
Noélie
Seul le fond du volcan prend des allures de prairie, mais les noisetiers, les saules, les genêts ont grignoté sur la callune et l’herbe. « Si on n’entretient pas la prairie, elle se referme naturellement », explique Noélie. Nous y voilà : la mission du troupeau mobile consiste, puisqu’il l’a docilement acceptée, à maintenir le paysage ouvert.
C’est pourquoi Rémi procède avec méthode. « Avec les gardes du parc, nous avons tracé des layons : ces couloirs délimitent le périmètre à ouvrir. Le matin, je laisse les brebis libres de pâturer où elles le souhaitent. Dans la journée, elles dorment et ruminent, puis je rouvre leur parc vers 16 heures et en fin de journée, je les dirige vers un secteur plus grossier, où elles vont brouter des ronces, des genêts, des jeunes pousses d’arbres. »
Les ravas, brebis puydômoises façonnées aux conditions rudes des volcans, sont parfaites pour cette besogne : « Elles sont hautes sur pattes, endurantes, ne craignent pas les côtes, explique Rémi. Elles s’adaptent à la végétation disponible. Et elles n’ont pas besoin de beaucoup d’eau, pouvant rester jusqu’à deux jours sans boire pour peu que l’herbe soit assez verte. C’est précieux car il n’y a pas d’eau sur les volcans ; il faut en transporter si on veut faire pâturer un troupeau. »
Une biodiversité à préserver
Lui-même ancien garde du parc, le berger saisonnier est aussi adapté à la mission, conscient des enjeux de ce projet original de troupeau mobile. « Les brebis ne sont pas seulement des débroussailleuses naturelles. Elles participent aussi à l’économie de la ferme qui nous les a confiées, en l’occurrence celle du lycée agricole de Rochefort-Montagne. Il est donc important de bien les soigner », relève-t-il.
« Les brebis ne sont pas seulement des débroussailleuses naturelles.”
Rémi
Car les enjeux de ce petit troupeau hors du commun sont multiples et c’est pourquoi le projet, comme le précise Noélie, est porté par trois structures aux intérêts convergents : le parc naturel régional des Volcans d’Auvergne, le Conseil départemental en tant que porteur du site Unesco Chaîne des Puys-faille de Limagne, et le lycée de Rochefort-Montagne, propriétaire du troupeau. « Les enjeux sont à la fois de biodiversité, de maintien des paysages et économiques », résume la chargée de mission.
Les deux premiers sont liés. « Longtemps les volcans ont été pâturés et sont restés en herbe, ce qui a installé des écosystèmes particuliers : ceux des côteaux secs sur la montagne de la Serre, de la lande à callune sur les puys, dont certains sont classés Natura 2000, détaille-t-elle. Il est donc intéressant de préserver ceux qui subsistent. En même temps, en maintenant des prairies dans les cratères, on préserve la spécificité du paysage, ce qui est important par rapport au classement Unesco et au tourisme. Car lorsqu’ils sont couverts de forêts, on distingue moins les formes volcaniques, et il reste assez peu de cratères à la végétation encore ouverte. »
Des enjeux pour l’élevage
Le troisième enjeu est peut-être le plus important, quoique le moins évident. Car le troupeau mobile est aussi une sorte de démonstrateur, à l’intention de la communauté des éleveurs locaux. « Il s’agit d’expérimenter des pâtures que l’on pourrait à terme rouvrir à l’exploitation agricole. Par exemple pour débroussailler un terrain avant une reprise par un éleveur ou pour quelqu’un qui cherche à s’installer et a besoin de connaître le potentiel du lieu. Ça été le cas à Jussat, une des premières parcelles où nous avons mis le troupeau dès 2015 », explique Noélie. Rémi enchaîne : « C’est pour ça que le troupeau a été renforcé cette année. Jusqu’à l’an dernier, il comptait 50 brebis. Avec 80 bêtes, ça commence à ressembler à un vrai troupeau et l’expérimentation est plus probante. »
« Il s’agit d’expérimenter des pâtures que l’on pourrait à terme rouvrir à l’exploitation agricole.”
Noélie
Rémi et Noélie assurent que les éleveurs du secteur regardent l’expérience avec intérêt, mais aussi avec prudence. « Il y a deux points compliqués pour remettre des moutons dans les puys. Le premier problème est l’absence d’eau. Et par ailleurs, ces petites pâtures nécessiteraient de gérer plusieurs sites car un seul n’est pas suffisant pour y laisser un troupeau de plusieurs centaines de bêtes tout l’été. L’éleveur devrait prendre un berger et n’en a pas forcément les moyens », dit Rémi.
En résumé, les volcans ont été délaissés parce que faire pâturer des moutons est plus complexe qu’en bas. Mais les paysages en pâtissent ; pourtant à l’avenir, les cratères enherbés pourraient retrouver des aspects intéressants qu’il serait dommage de laisser perdre. « Les jeunes qui s’installent peuvent avoir des difficultés à trouver des terres. En plus, avec le changement climatique, les moutons pourraient se sentir mieux en hauteur : ici il y a toujours un peu d’air, et des arbres pour faire de l’ombre. »
“Avec le changement climatique, les moutons pourraient se sentir mieux en hauteur.”
Rémi
Noélie complète : « Pour ce qui est des difficultés, comme l’eau, la préparation des pâturages, etc., le parc peut accompagner les projets. Nous pouvons aussi jouer un rôle de coordination si plusieurs éleveurs veulent se grouper pour exploiter collectivement ces pâtures. »
Transhumance et pédagogie
Ce serait l’aboutissement de la mission pour ces brebis, qui ont aussi, accessoirement, un rôle pédagogique. Fin juin, elles ont expérimenté pour la première fois une transhumance à pied, entre Vichatel et Chaumont, avec une escale à Ceyssat accueillie par un éleveur. Cette étape a été l’occasion de présenter le troupeau et le métier de berger aux enfants de l’école. Et de lui faire croiser habitants, agriculteurs, randonneurs et les premiers touristes de l’été.
Sur le puy de la Coquille, les brebis devraient rester environ deux semaines, le temps nécessaire pour rendre le fond du cratère aussi propre et dégagé qu’elles l’avaient laissé l’an dernier.
Ensuite, la prochaine transhumance sera beaucoup plus courte, car le cratère voisin, celui du puy de Jumes, les attend pour se refaire une beauté. Et elles devraient passer la toute fin d’été à nouveau sur le puy de Vichatel. « Le plus tard possible, car il est assez fréquenté par les randonneurs et c’est mieux si on laisse les moutons le plus tranquille possible », indique Rémi.
Pour l’heure, il referme l’enclos amovible et y branche par sécurité un faible courant électrique, bien que les bêtes aient l’air fermement décidées à ne pas bouger un sabot de la journée. Et il redescend avec nous jusqu’à sa cabane, mobile comme il se doit, installée au pied du volcan : une confortable tiny house montée sur remorque, que le Parc et le Département ont acquis l’an dernier.
Cet après-midi, il a prévu d’aller chercher de l’eau pour ravitailler le troupeau. Il est midi quand on se met en chemin. Néo et Ricky se chamaillent toujours et font les fous autour de nous. Jusqu’à ce que Ricky trouve un nouveau bâton.
Reportage réalisé mercredi 28 juin 2023. Photo de Une Marie-Pierre Demarty
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