Devient-il urgent d’agir sur le long terme pour transformer un territoire ?

Urgences environnementales, temps d’acceptabilité, mandat électoral, vision de long terme… Les acteurs de la transformation territoriale se heurtent à des horloges biologiques souvent contradictoires. Ils en parlent dans le livre « Si on ne le fait pas, qui le fera ? ».


Retrouvez jusqu’à l’été 2023 nos articles « Bonnes feuilles » proposant quelques extraits de notre livre, thématisés et mis en perspective par un des auteurs – La liste des articles est accessible ici.

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Temps long ou temps court ? Dans les problématiques de résilience d’un territoire, on se heurte à des logiques contradictoires qui ne sont pas sans poser de réelles difficultés. Les acteurs de la transformation prennent vite conscience que la temporalité est un facteur clef, mais délicat à prendre en compte. Dans notre livre « Si on ne le fait pas, qui le fera », cette question est un fil rouge qui revient dans nombre de nos rencontres. Voici comment elle transparaît dans cinq d’entre elles.

Soigner l’énergie pour perdurer (Blandine Chazelle)

Blandine Chazelle est l’une des initiatrices de l’association Les Monts qui pétillent. Son but ? Revitaliser la petite région rurale qui s’étend au-dessus de Thiers, dans le Forez, en s’attelant aux problématiques de mobilité, de lien social, de développement économique… Ce collectif a su créer une belle dynamique, mais reste conscient de la difficulté à perdurer dans le temps. Blandine nous fait partager cette préoccupation :

« Ce que nous avons fait est énorme. Mais il faut soigner cette énergie : chaque année nous organisons un séminaire entre nous pour faire un point sur le chemin parcouru, prendre soin des individus, voir comment on a envie de s’embarquer sur la suite… Ce n’est pas de la magie ! Notre grande force est de tenir absolument sur le dialogue entre les différents acteurs, et de faire dialoguer la pensée et le faire. Mais nous avons aussi des vulnérabilités. Elles sont d’une part financières et nous devons travailler dans les deux ans qui viennent à la pérennité du modèle économique. Par ailleurs, nous restons iconoclastes. Beaucoup de gens sur le territoire n’ont pas encore bien compris le projet, y compris dans les institutions. Ça nécessite beaucoup de rencontres, d’explications ; cela prend du temps… »

Résister à l’obsession du court terme (Frédéric Aguiléra)

Prendre du temps, cela semble possible quand on s’engage dans un mouvement associatif, à condition de se ménager. Mais quand on est un élu, l’horizon d’un mandat électif peut paralyser l’action, par peur de déplaire aux électeurs. Cependant, certains maires détachent, ou tentent de détacher leurs regards de cette épée de Damoclès. A l’instar du maire de Vichy, Frédéric Aguilera, qui se confronte à la question, par exemple lorsqu’il s’agit de faire des choix en matière énergétique.

« Il ne faut pas reproduire dans le renouvelable ce qu’on a connu dans d’autres secteurs ; il faut fixer des règles et donner du sens. C’est mon souci, à moyen et long terme. Je fais partie des politiques qui ont une conviction forte. Ce qui tue le politique, c’est l’obsession du court terme : vouloir répondre à la problématique dans les quinze jours n’a pas de sens. Les politiques se sont enfermés sur du court terme à cause du système électif. Pourtant, un territoire, on le dirige pour les trente ans à venir ! »

Construire les choses doucement (Jean-Christophe Lacas)

Le temps long est effectivement indispensable, en particulier si on veut intégrer les habitants d’un territoire à la co-construction des projets. Indispensable pour qu’ils puissent s’approprier un outil proposé par la collectivité et pour que celui-ci réponde réellement à des besoins locaux. La médiathèque de Lezoux a pris ce parti, avec des résultats spectaculaires. Jean-Christophe Lacas, son directeur, explique les enjeux de cet ingrédient clef qu’est la notion de durée.

« Il faut tester, expérimenter, prototyper, avoir le droit de se tromper, explorer les niveaux… Considérer que nous voulons faire avec les gens et que nous voulons prendre le temps. Le projet de médiathèque s’inscrit dans la durée, à l’horizon de plusieurs décennies. Le bâtiment est évolutif ! Il prendra en compte, au fil du temps, les nouveaux besoins et usages de la population dans toute sa diversité. L’architecte Patrick Bouchain nous dit : « Il faut laisser de la place dans le bâtiment pour que celui qui y entre puisse y déposer quelque chose ». Ces notions de temps et de vide doivent être acceptées par les dispositifs financiers et les mandats politiques. Les choses se construisent doucement. Les projets ont besoin de respirer, de se ménager des interstices. »

Lire aussi : « Médiathèque de Lezoux : les héros ne sont pas fatigués »

Ensemble on va plus lentement mais plus solidement (Maxime Fritzen)

Maxime Fritzen, à propos du projet Pampa qui vise à réinstaurer dans la région un système de consigne et de réemploi des bocaux en verre, souligne une autre problématique liée au temps : celui qui est imposé par les contraintes du collectif. Un temps imposé, mais qui finalement se révèle être un atout.

« C’est un projet particulier car il a fallu, sans porteur de projet central, coordonner les producteurs et toutes les parties prenantes. Si un investisseur privé, acteur unique, était arrivé avec ses propres financements, le projet se serait monté bien plus vite… mais ça n’aurait peut-être pas fonctionné en raison de la nécessité de mutualiser des activités complémentaires. Avec Pampa, c’est plus long car chacun vient avec ses objectifs, ses besoins, ses enjeux, qu’il faut inscrire dans le projet. Mais ça peut être plus solide à la sortie parce que chaque besoin a du sens. »

Prendre du temps pour répondre à l’urgence (Nicolas Duracka)

Enfin, Nicolas Duracka est sans doute celui que la problématique de la temporalité a le plus questionné. Le Centre d’Innovations Sociales Clermont Auvergne (CISCA) s’est donné pour mission d’accompagner des collectivités et autres structures sur les politiques à engager face aux urgences environnementales. Qui dit urgence dit temps très compté, mais qui dit engagement dans des politiques volontaristes dit nécessité d’acceptabilité, ce qui peut prendre beaucoup plus de temps. Nous expliquons dans ce passage comment le directeur (aujourd’hui responsable scientifique) du CISCA a géré ce télescopage temporel.

‘‘Selon Nicolas […], il y a donc urgence à agir pour anticiper ou limiter les chocs. Mais dans le même temps, l’action à engager est si extrême qu’elle risque fort de ne pas être acceptée par les habitants. Il y a donc nécessité de construire cette acceptation, et c’est dans ce travail de « construction sociale » que se lance le CISCA : « Pour faire les choix qui conduisent à la résilience du territoire, il faut accepter qu’on est en vulnérabilité. Les acteurs-clefs doivent s’engager dans cette logique et ils doivent être prêts à des choix extrêmes », explique Nicolas. […]

Sauf que l’urgence face aux changements climatiques déjà en cours change la donne : « On est pris dans un processus inévitable et nous n’avons plus le temps : dans le mandat qui vient, dans les six années à venir, tout se joue. Or le processus de construction prend en théorie plus de six ans… La seule solution est une posture politique radicale. Je suis sûr que dans six ans, les élus actuels pourront être pourchassés pour ce qu’ils n’auront pas fait aujourd’hui. »

Alors bien sûr, faire entrer brutalement des élus, des collectivités et d’autres acteurs décisionnaires dans le temps des décisions radicales ne se fait pas du jour au lendemain, même quand ils sont conscients que le temps presse. « Il y a une distance trop grande entre la réalité et la vision de ces acteurs, qu’ils soient politiques, techniciens… et même nos proches, nos familles ! En allant directement sur le programme de résilience territoriale, ça n’allait pas marcher », souligne Nicolas.

En mai-juin 2020, ce programme était prêt au CISCA. « Mais nous avons fait le constat avec l’équipe qu’il fallait d’abord acquérir la confiance de ces acteurs territoriaux, poursuit-il. Ils n’avaient pas envie d’entendre ce qu’ils nous demandent de dire ! Avant de travailler cette question de la résilience, il fallait d’abord créer de la confiance, avec les élus comme avec les techniciens des collectivités. Nous avons donc proposé un pré-programme : pendant six à neuf mois, on se met autour de la table avec eux, pour discuter, se connaître, montrer qu’on n’est pas des extra-terrestres. On crée la confiance pour ensuite travailler une question anxiogène et capitale. Et là, ça peut marcher, même s’il reste de l’angoisse et de la résistance. »’’

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Article rédigé par Marie-Pierre Demarty. Crédit photo de Une : Damien Caillard, Tikographie