En cette veille de vacances scolaires où le sujet sera peut-être abordé en famille, nous nous posons cette question : comment aborder avec les enfants et les adolescents la question de l’environnement, des risques écologiques, des urgences à agir ? Allons-nous créer une génération d’éco-anxieux ou de citoyens responsables ? De déprimés, de rancuniers, de militants combatifs ? Dans ce premier volet, nous parcourons les allées de l’événement des Cours d’eau de H2O Sans Frontières, en quête de réponses lors de cet événement annuel qui immerge des classes entières au cœur du sujet.
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Mon ressenti
Le 8 octobre sur la scène de TEDx Clermont, le jeune Mattia – 16 ans – nous racontait son parcours d’éco-anxiété (à 9 ans) à militant pour le climat (à 12 ans) puis son aspiration (aujourd’hui) à orienter ses études vers le droit de l’environnement (à voir ou revoir ici). Une question dans son propos m’avait particulièrement saisie : “Qui demanderait cela à un enfant de 12 ans ?”
A peine quelques jours plus tard, je parcourais les allées de l’événement Les Cours d’eau de l’association H2O Sans Frontières. Ce que j’y ai vu et entendu a furieusement fait écho à cette question.
J’ai laissé un peu reposer, le temps de m’occuper d’autres sujets plus sérieux (hm, vraiment ? qu’est-ce qui peut être plus sérieux qu’expliquer aux jeunes générations l’état dans lequel nous leur laissons le monde ?).
Mais la question est restée accrochée quelque part dans un recoin de ma tête, me poussant à y revenir. N’étant ni mère, ni professionnelle de l’enfance, mais très entourée depuis toujours de personnes dont c’est le métier de faire grandir les enfants, j’ai voulu savoir si c’était vraiment un sujet – manifestement c’en est un ! – et comment il était pris en charge par les enseignants, parents, psychologues, responsables d’association de défense de l’environnement, etc.
Cela débouche sur une enquête en trois volets, publiée ce jour et jusqu’à vendredi. Aujourd’hui, je vous fais le récit de ma visite aux Cours d’eau d’H2O Sans Frontières. Demain, j’enchaîne avec un petit focus sur cinq initiatives qui se consacrent à diverses facettes du sujet. Dans le dernier volet, j’interroge quelques personnes qui ont, depuis le “terrain”, de belles choses à dire sur la question.
Parents, si votre rejeton vous demande un de ces jours avec ses grands yeux candides : “Dis, pourquoi il y a toutes ces bouteilles de plastique sur la plage ?” ou “Pourquoi le monsieur à la télé il a dit qu’on aurait plus jamais la neige et que tous les oiseaux ils mourriront ?”, ne soyez pas pris au dépourvu. Il en va de la combattivité de leur génération et donc de sa survie. J’espère que vous saurez trouver ici quelques éléments pour vous y préparer…
Marie-Pierre
Les principaux points à retenir
- Chaque année en octobre, durant deux jours, plus de deux mille enfants des établissements scolaires de la région convergent vers la Maison des Sports de Clermont pour un événement autour de la thématique de l’eau, déclinée en une quarantaine de stands.
- Les messages sur la fragilité des milieux naturels, la nécessité de protéger la faune et la flore – en l’occurrence celle des milieux aquatiques – sont omniprésents.
- Mais dans l’ensemble, les enfants et les jeunes semblent davantage fascinés qu’anxieux : il est vrai que les professionnels et les association redoublent d’ingéniosité pour les captiver : maquettes, expériences, manipulation de microscopes… mais aussi l’art du conte.
- Leur parler vrai, adapter le discours à l’âge des jeunes, leur délivrer des messages qui les poussent à réfléchir et à agir… C’est l’approche qui prévaut dans la plupart des stands.
- Deux journées dans l’année, cela semble peu. Mais ces jeunes auront forcément d’autres occasions, tout au long de l’année, d’entendre à nouveau aborder le sujet, de compléter leur information, d’approfondir… Car les initiatives sur le sujet sont nombreuses. Ce sera l’objet du deuxième volet de notre enquête.
Retour sur quatre acteurs locaux engagés, point sur Tikographie, sortie du recueil “l’année tiko 2024”, message de notre ennemi juré, buffet végé…
Tout cela à la Soirée Tiko 2024, jeudi 5 décembre à 18h à la Baie des Singes ! On s’y retrouve ?
Lire aussi la suite de l’enquête dans les deux articles suivants : #2 – “La fabrique d’une génération responsable” : cinq exemples d’initiatives pour sensibiliser enfants et adolescents #3 – “Des pistes de réponses en 5 regards et 11 questions” : l’avis d’une institutrice, d’une psychologue, d’un responsable associatif, d’un inspecteur d’académie et d’un artiste |
Tout est parti de ma visite sur un événement qui a attisé ma curiosité en octobre : les Cours d’eau de H2O Sans Frontières. Durant deux jours à la Maison des Sports de Clermont, chaque année en octobre, plusieurs milliers d’enfants de toute la région viennent déambuler de stand en stand pour apprendre des tas de choses sur une thématique unique et en même temps très vaste : l’eau.
Bien sûr, la thématique dépasse les problématiques environnementales. L’eau, ça permet de s’ouvrir à des notions de chimie ou d’hygiène, de pures sciences naturelles, de patrimoine (découverte des anciens moulins) et même de regarder vers les étoiles… Sur quelles planètes y a-t-il de l’eau ? se demande avec les jeunes visiteurs l’Association riomoise d’astronomie.
Mais quand même, cela saute aux yeux quand on parcourt les allées de ce mini-salon pour mini-citoyens, le sujet des crises environnementales se rencontre presque à tous les stands. Et les alertes sont multiples et diverses, autant sur les sujets abordés que sur la façon d’interpeller les visiteurs.
Ici, on s’inquiète pour le saumon qui n’arrive plus à remonter la Loire et l’Allier, arrêté par les barrages, les sécheresses, les pesticides et toutes sortes d’agressions à son milieu naturel. Là, on explique les mécanismes qui ont conduit à la sécheresse de cet été, ou les conséquences dramatiques de celles qui sévissent en Afrique. « La nature a besoin de vous. Agissez, alertez, engagez-vous », interpelle un grand kakémono de France Nature Environnement. « Ne pas jeter n’importe quoi dans les toilettes » peut-on lire un peu plus loin, ou ailleurs : « Sauvons les océans et leurs habitants ».
Vigies et passionnés
Et là, une petite prise de recul me fait apercevoir cette vision vertigineuse : des générations d’adultes sont en train d’expliquer à des générations d’enfants qu’ils ont abîmé la planète et que ça va être à eux, les adultes de demain, d’en subir les conséquences et de se conduire beaucoup mieux pour ne pas achever de tout détruire. Suis-je la seule à le voir ainsi ? Le dit-on aussi crûment aux enfants ? Nous sentons-nous coupables en éduquant nos jeunes à ne surtout pas faire comme nous ?
« Je me sens beaucoup moins concernée par la culpabilité que la génération de mes parents », me confie une maman chamaliéroise, effectivement bien trop jeune pour avoir participé aux Trente Glorieuses ou même aux très désinvoltes années 80.
Et à y regarder de plus près, on se doute que les professionnels et bénévoles qui tiennent ici les stands ne sont pas les plus fautifs, mais font au contraire partie de ces vigies, proches de la nature de par leur métier ou leurs passions, qui ont alerté, de longue date pour certains. Qu’ils soient riverains d’un lac en détresse, pêcheurs, chimistes, chargés de surveiller les étiages de l’Allier comme le lait sur le feu ou… plongeurs sous-marins.
Peluches en plongée
A l’image de Marie-Paule, membre du club de plongée d’Ambert, qui présente avec humour et pédagogie l’état déplorable des fonds marins. Peluche d’un dauphin en main aux prises avec un sac en plastique, elle annonce à un groupe de grands d’école primaire : « Là, c’est le quart d’heure triste. Surtout que c’est le doudou de mes petites filles. Le dauphin a la tête prise dans le sac et il s’étouffe. C’est pareil pour les tortues ou les bébés phoques, qui peuvent aussi se prendre dans des filets de pêche », dit-elle en sortant une autre peluche.
Autour d’elle, un décor de dessins d’enfants, de maquettes en papier mâché, de déchets où l’on reconnaît des masques, des bouteilles et d’autres trucs pas très nets qui se déversent sur une « mer » de tulle à paillettes. Par contraste, derrière elle, s’étale une « fresque de la mer idéale » réalisée par des CP. Marie-Paule poursuit : « Alors moi, quand je vais faire de la plongée dans la mer, j’emporte un sac et je ramasse. Mais ça ne suffit pas ! C’est pour cela que je viens vous voir : votre mission sera de faire comprendre autour de vous que si on ne jette pas les déchets dans la nature, ils n’arriveront pas jusqu’à la mer. »
Marie-Paule n’est pas seulement passionnée de plongée, elle est aussi une institutrice en retraite et elle a l’art de parler aux enfants : « Il faut rester simple sinon ils décrochent, mais il faut leur parler vrai. Nous adaptons le discours selon l’âge : les enfants sont très sensibles au sort des animaux ; pour les plus grands, on peut aller jusqu’à parler des déchetteries. »
Toucher aussi les parents
Pas trop dur à entendre comme discours pour des enfants de 8 ou 10 ans ? « Il y a des choses à adapter pour leur âge. Sur un stand on leur a parlé du nombre d’enfants qui meurent en raison des problèmes climatiques. C’est un peu trop violent. Mais ici c’est très bien amené. Il faut leur parler des problèmes mais en commençant par une approche pédagogique. J’espère que leur génération arrivera à faire mieux que les nôtres », détaille une des mamans, presque aussi fascinée que les enfants par le savoir-faire de conteuse de Marie-Paule.
Dans une autre allée, je rencontre une institutrice venue de Lussat. Pendant que ses élèves de cours moyen se font expliquer la sécheresse de l’été dernier sur le stand de la Mission Inter-Services de l’Eau et de la Nature (MISEN), elle m’explique travailler régulièrement, depuis plusieurs années, sur les questions environnementales : « L’an dernier nous avions un projet sur l’air avec toute l’école ; cette année je travaille sur l’eau avec ma classe uniquement. À travers les enfants, nous essayons aussi de toucher les parents. Nous leur expliquons les phénomènes naturels, nous leur enseignons les comportements vertueux, mais on leur parle aussi des problèmes, comme la pollution plastique, la sécheresse… Je n’ai pas l’impression que ça les angoisse vraiment, mais ça leur fait prendre conscience. »
La prise de conscience est aussi l’approche des fresqueurs, qui pour l’occasion ont sorti deux outils pédagogiques : l’adaptation junior de la très classique fresque du climat, ainsi que des jeux de cartes sur la thématique de ces rencontres, permettant de comprendre le cycle de l’eau, ou la consommation d’eau nécessaire à fabriquer nos objets ou aliments du quotidien. Constat : les enfants pigent très vite qu’il faut, comme ils l’écrivent ou le dessinent sur la grande feuille de kraft, « moins acheter des choses », « manger mouin de viande et plus de légume », « plus prendre les vélos »…
L’art de captiver les jeunes
Sur le stand de la Métropole (photo de une), l’épopée d’une bouteille en plastique fait l’objet d’un voyage conté, à même le sol, sur une grande carte où l’itinéraire commence dans les sables du Moyen-Orient d’où vient le pétrole qui servira à la fabriquer… Une histoire qui semble captiver les enfants, même si pour cette fois, l’héroïne de l’histoire n’a pas le beau rôle.
D’autres associations comptent d’abord sur la sensibilisation à la nature et au vivant, selon l’adage, entendu sur plusieurs stands, qu’on respecte mieux ce qu’on connaît. Dans l’environnement peu naturel de la Maison des Sports de Clermont, toutes les stratégies sont bonnes pour captiver les enfants et adolescents : maquettes, animaux empaillés, miniature de station d’épuration, chamboule-tout pour « s’attaquer » (au premier degré) au problème des bouteilles en plastique…
« Je viens de discuter avec un groupe d’enfants attirés parce que l’une d’entre eux avait réalisé une maquette et voulait savoir comment j’avais fait pour rendre aussi bien le paysage », confie le vice-président de l’association de défense du lac de La Crégut. « A partir de là, j’ai pu leur expliquer aussi pourquoi nous l’avions faite et en quoi elle permettait de comprendre comment les aménagements d’un barrage en aval avaient provoqué l’envasement du lac », poursuit-il en suivant du doigt sur les reliefs miniatures les cours d’eau détournés pour alimenter le barrage.
Les secrets de la rivière
Avec des moyens plus importants, la Fédération départementale de pêche a mis le paquet pour faire découvrir la faune des rivières aux jeunes citadins qui n’ont pas eu le loisir d’être emmenés taquiner la truite par un grand-père ou des parents. Des grappes d’enfants se pressent devant de grands aquariums pour faire connaissance avec les poissons de notre région, tandis que des microscopes attirent les jeunes esprits scientifiques, qui y découvrent la vie aquatique en version discrète. Premiers pas pour découvrir la notion d’écosystème et l’importance des actions de protection.
Bien sûr, pour la plupart de ces enfants, cette visite n’est qu’un temps fort d’imprégnation et d’accumulation de connaissances avant de poursuivre une année scolaire ponctuée d’occasions de découvrir in situ, en classe ou dans des ateliers de toutes sortes l’environnement, les merveilles de la flore et de la faune qui les entourent, la fragilité des milieux naturels… Bien plus que les générations précédentes, ils sont pris en charge pour la fabrication d’une génération éco-responsable, grâce à de nombreuses initiatives qui vont les chercher aussi bien sur le temps scolaire que dans leurs moments de loisir, à l’heure du déjeuner ou au cours des vacances. Demain dans la suite de notre enquête, nous dirigeons les projecteurs sur quelques-unes d’entre elles.
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Reportage réalisé le vendredi 14 octobre 2022. Photo de Une : Marie-Pierre Demarty, Tikographie